Ecole Doctorale en Sciences Pharmaceutiques
Etude de l’interaction des souches cliniques de Staphylococcus aureus avec une surface abiotique
Jean-Marie LIESSE IYAMBA
Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences Biomédicales et Pharmaceutiques
Promoteur et co-promoteur:
Prof. Jean-Paul DEHAYE (Laboratoire de Chimie biologique et médicale et de Microbiologie pharmaceutique, Faculté de Pharmacie)
Prof. TAKAISI KIKUNI (Laboratoire de Microbiologie Expérimentale et Pharmaceutique, Faculté des Sciences Pharmaceutiques, Université de Kinshasa)
Composition du jury:
Présidente: Prof. Véronique MATHIEU (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles)
Secrétaire: Prof. Paule BOUSSARD (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles) Membres:
Prof. Stéphanie POCHET (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles) Prof. Caroline STEVIGNY (Faculté de Pharmacie, Université Libre de Bruxelles)
Prof. Philippe COURTOIS (Jury externe, Faculté de Médecine, Université de libre de Bruxelles)
Dr. Thierry BERNARDI (Jury externe, Membre du groupe européen de recherche COATIM)
Octobre 2012
Faculté de Pharmacie
2 DEDICACE
Je dédie ce travail
En mémoire de ma mère Marguerite SOSA BAMELA
A ma très chère et tendre épouse Nicky KIMBUTA pour son amour, sa patience, son soutien permanent et surtout pour son dévouement à l’éducation de nos enfants en dépit de ses nombreuses occupations.
A mes chers enfants Muriel et Daniel LIESSE pour tous les moments difficiles passés loin de vous.
3 REMERCIEMENTS
Je voudrais remercier vivement le Professeur Jean-Paul DEHAYE pour m’avoir permis d’intégrer son laboratoire et pour l’encadrement dont j’ai bénéficié de sa part tout au long de mes travaux de thèse. Votre disponibilité, vos critiques et remarques et surtout vos connaissances scientifiques très poussées ont concouru à l’aboutissement heureux de ce travail.
Je tiens à exprimer toute ma gratitude au Professeur TAKAISI KIKUNI pour avoir accepté de co-diriger ce travail. Vous avez su me convaincre avec beaucoup de bienveillance et patience afin que j’entreprenne ces études et m’avez entouré de meilleures conditions pour mener à bien mes recherches. Que ce travail soit le témoignage de ma grande reconnaissance.
Je remercie l’initiateur de ce travail, le Professeur Michel DEVLEESCHOUWER. Durant mes études pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies, vous n’aviez ménagé aucun effort pour m’offrir des conditions de travail idéales, sans oublier l’accueil chaleureux dont j’ai rencontré au sein de votre bienveillante famille.
Je remercie les membres de mon comité d’accompagnement, Professeurs Stéphanie POCHET et Philippe COURTOIS, dont les pertinentes remarques et suggestions m’ont permis d’améliorer ce travail.
Je voudrais aussi exprimer toute ma gratitude aux Professeurs Véronique MATHIEU, Paule BOUSSARD, Stéphanie POCHET, Caroline STEVIGNY, Phillipe COURTOIS et au Docteur Thierry BERNARDI, pour avoir accepté de participer au jury de cette thèse et particulièrement pour le temps consacré à lire et à juger ce travail en vue de l’amélioration de la version finale.
Je remercie la Coopération Technique Belge (CTB) dont la bourse m’a permis de réaliser cette thèse.
Je remercie également toute ma famille, ma belle famille ainsi que tous mes proches pour leur soutien moral indéfectible tout au long de ce parcours.
Je remercie le Docteur Michel SEIL et Mme Sara DULANTO pour leur expertise dans les études de biologie moléculaire.
4 Mes très sincères remerciements à mes collègues Carole NAGANT et Malika EL OUAALITI pour avoir généreusement mis à ma disposition respectivement les matériels et réactifs pour les études du biofilm et les macrophages.
Je remercie Mme Naima EL MANSSOURI et Mr Charaf EL KHATTABI pour leur gentillesse et disponibilité.
Je remercie aussi les Dr. Ariane DEPLANO et Olivier DENIS ainsi que Mr Raf De RYCK du Centre National de référence Staphylococcus aureus de l’Hôpital Erasme pour avoir accepté avec promptitude de réaliser les études de typage moléculaire des souches de Staphylococcus aureus.
5 LISTE DES ABREVIATIONS
ADN: Acide désoxyribonucléique agr: Accessory gene regulatory Arl: autolysis –related locus ARN: Acide ribonucléique
ARNr: Acide ribonucléique ribosomal ATCC: American Type Culture Collection Bap: Biofilm associated protein
BFI: Biofilm Forming Index BFRT®: Biofilm Ring Test® BHI: Brain Heart Infusion
ccr: Cassette chromosomal recombinase gene CDC: Center for Disease Control and Prevention CHIPS: Chemotaxis inhibitory protein of staphylococci Clf: Clumping factor
CLSI: Clinical and Laboratory Standard Institute CLSM: Confocal laser scanning microscopy CMI: Concentration minimale inhibitrice Cna: Collagen binding protein
CV: Cristal violet
ddNTP: Didésoxyribonucléotide triphosphate DHFR: Dihydrofolate réductase
6 DHPS: Dihydroptéroate synthétase
DMSO: Diméthylsulfoxide DNases: Désoxyribonucléases
dNTP: Désoxyribonuléotide triphospahate D.O: Densité optique
EDTA:Acide éthylène diamine tetraacétique EGTA:acide éthylèneglycol tétraacétique EPS: Extracellular polymeric substances ET: Epidermolytic toxin
FEM: Factor Essential for Methicillin Resistance FnBP: Fibronectin Bindin Protein
gap: Gène codant pour la glycéraldéhyde-3-phosphate déshydrogénase GISA: Glycopeptide Intermediate-Sensitive Staphylococcus aureus HEPES: 4-(2-hydroxyéthyl)-1-pipérazine éthane sulfonique
HGPRK: Hôpital Général Provincial de Référence de Kinshasa Ica: Intercellular adhesin
LPV: Leucocidine de Panton et Valentine
LukE-LukD: Composés de classe E et D de la LPV MATS test: Microbial adhesion to solvents test mec: Methicillin resistant gene
Mgr: Multiple gene regulators
MSCRAMM: Microbial surface components recognising the adhesin matrix molecules
7 NAG: N-acétylglucosamine
NAM: Acide N-acétylmuramique
NCCLS: National Committee for Clinical and Laboratory Standard Institute pb: Paires de base
PBP: Penicillin binding protein PCR: Polymerase Chain Reaction PGNA: poly-N-acétylglucosamine PI: Periodate de sodiun
PIA: Polysaccharide intercellular adhesin PK: Protéinase K
PSM: Phenol-Soluble Modulins
qRT-PCR: Quantitative real-time reverse transcriptase polymerase chain reaction QS: Quorum sensing
RIP: Ribo Nucleic Acid III-Inhibiting Peptide Rot: Repressor of toxins
Sae: Staphylococcal accessory element sar: Staphylococcal accessory regulator
SARM: Staphylococcus aureus résistant à la méticilline SasC: Staphylococcus aureus surface protein C
SasG: Staphylococcus aureus surface protein G
SASM: Staphylococcus aureus sensible à la méticilline SAT test: Salt aggregation test
8 SBI: Suspension Bactérienne Initiale
SCCmec: Staphylococcal Cassette Chromosome mec SEM : Scanning electron microscopy
SpA: Staphylococcal Protein A
Srr: Staphylococcal respiratory response TBE: Tampon tris-borate-EDTA
Tpn: Transferrin-binding protein
Tris: Tris (hydroxyméthyl) aminométhane TSA: Tryptone soya agar
TSB: Tryptone soya broth TSS: Toxic shock syndrome
TTSS-1: Toxic shock syndrome toxin 1 UFC: Unités formant une colonie
VISA: Vancomycin intermediate-sensitive Staphylococcus aureus VRSA: Vancomycin resistant Staphylococcus aureus
9 TABLE DES MATIERES
1. RESUME ... 15
2. INTRODUCTION ... 17
2.1. STAPHYLOCOCCUS AUREUS ... 17
2.1.1. Caractères généraux de Staphylococcus aureus ... 17
2.1.1.1. Caractères morphologiques et culturaux ... 17
2.1.1.2. Génome ... 17
2.1.1.3 Constituants de la paroi cellulaire ... 18
2.1.2. Pouvoir pathogène de S. aureus ... 19
2.1.2.1. Colonisation de l’hôte ... 19
2.1.2.2. Facteurs de virulence ... 22
2.1.2.3. Portage et infections dues au Staphylococcus aureus ... 25
2.1.3. Staphylococcus aureus et résistance aux antibiotiques ... 26
2.1.3.1. Les β-lactamines ... 26
2.1.3.1.1. Mécanismes d’action et de résistance ... 26
2.1.3.1.2. Résistance à la pénicilline ... 27
2.1.3.1.3. Résistance à la méticilline ... 27
2.1.3.1.3.1. Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) ... 27
2.1.3.1.3.2. Mécanismes de résistance de S. aureus à la méticilline ... 28
2.1.3.1.3.3. Facteurs influençant l’expression de la méticillino-résistance ... 28
2.1.3.2. Les glycopeptides ... 29
2.1.3.2.1. Mécanisme d’action ... 30
2.1.3.2.2. Résistance de S. aureus aux glycopeptides ... 30
2.1.3.2.2.1. SARM de sensibilité intermédiaire à la vancomycine (VISA) ... 31
2.1.3.2.2.2. SARM résistant à la vancomycine (VRSA) ... 31
2.1.3.3. La mupirocine ... 32
10
2.1.3.4. Les autres antibiotiques utilisés contre S. aureus ... 32
2.2. LE BIOFILM BACTERIEN ... 34
2.2.1. Introduction ... 34
2.2.2. Structure et organisation ... 35
2.2.3. Physiologie du biofilm ... 36
2.2.4. Biofilms staphylococciques ... 37
2.2.4.1. Infections liées à la présence des biofilms de S. aureus ... 37
2.2.4.2. Base moléculaire de la formation du biofilm de S. aureus ... 38
2.2.4.2.1. Adhésion ... 39
2.2.4.2.1.1. Adhésion aux surfaces abiotiques ... 39
2.2.4.2.1.2. Attachement aux surfaces biotiques ... 39
2.2.4.2.2. Multiplication des bactéries et maturation du biofilm... 39
2.2.4.2.2.1. Adhésine polysaccharidique intercellulaire (PIA) ... 40
2.2.4.2.2.2. Biosynthèse du PIA ... 40
2.2.4.2.2.3. Mécanismes indépendants de l’opéron ica ... 41
2.2.4.2.3. Détachement du biofilm ... 42
2.2.4.3. Facteurs favorisant la formation du biofilm ... 42
2.2.4.3.1. Caractéristiques de la surface du substrat ... 43
2.2.4.3.1.1. Les propriétés physico-chimiques de la surface ... 43
2.2.4.3.1.2. La rugosité de la surface ... 44
2.2.4.3.2. La présence d’une couche protéique ou film conditionnant ... 44
2.2.4.3.3. Les caractéristiques du milieu ... 44
2.2.4.3.4. Les propriétés de la surface cellulaire ... 44
2.2.4.4. Quorum sensing et biofilm de S. aureus ... 45
2.2.4.5. Résistance du biofilm ... 45
2.2.4.6. Lutte contre les biofilms de S. aureus sur les implants médicaux ... 46
11
2.2.4.6.1. Inhibition de l’adhésion microbienne ... 46
2.2.4.6.1.1. Les solutions verrous ... 46
2.2.4.6.1.2. Traitements par incorporation d’agents antimicrobiens ... 46
2.2.4.6.2. Action sur le QS ... 47
2.2.4.6.3. Le traitement du biofilm staphylococcique préformé ... 47
3. BUT DU TRAVAIL ... 49
4. MATERIEL ET METHODES ... 50
4.1. MATERIEL ... 50
4.1.1. Souches bactériennes ... 50
4.1.1.1. Souches testées et types de prélèvement ... 50
4.1.1.2. Identification, transport et conservation de souches ... 51
4.1.2. Milieu de culture pour la formation des biofilms ... 51
4.1.3. Substances antibiofilms ... 51
4.1.4. Microplaques permettant la formation du biofilm ... 52
4.1.5. Dispositif du Biofilm Ring Test® (BFRT®) ... 52
4.1.6. Les amorces utilisées ... 52
4.2. METHODES ... 54
4.2.1. Caractérisation des souches de S. aureus ... 54
4.2.1.1. Antibiogrammes ... 54
4.2.1.2. Caractérisation génomique des souches de S. aureus ... 54
4.2.1.2.1. Détection de gènes codant pour l’ARNr 16S, la résistance à la méticilline et pour la thermonucléase de S. aureus par une PCR triplex ... 54
4.2.1.2.1.1. Extraction de l’ADN ... 55
4.2.1.2.1.2. PCR triplex ARNr 16S, mecA et nuc ... 55
4.2.1.2.2. Typage moléculaire des souches de S. aureus par spa typing ... 56
4.2.1.2.2.1. Extraction de l’ADN ... 56
4.2.1.2.2.2. PCR de la région X du gène spa ... 56
12
4.2.1.2.2.3. Séquençage de l’ADN ... 57
4.2.1.2.2.4. PCR de séquençage ... 57
4.2.1.2.3. Détection du gène gap, et des gènes impliqués dans la résistance à la méticilline et à la mupirocine ... 58
4.2.1.2.3.1. Extraction de l’ADN ... 58
4.2.1.2.3.2. PCR de fragments des gènes gap, mecA, femB, ileS-2 (mupR) ... 58
4.2.1.3. Détermination du taux de croissance des cellules bactériennes ... 60
4.2.1.4. Détermination des propriétés de surface des cellules bactériennes ... 60
4.2.1.4.1. La méthode MATS (Microbial Adhesion To Solvents) ... 60
4.2.1.4.2. La méthode SAT (Salt Aggregation Test) ... 62
4.2.1.5. Test de l’adhérence bactérienne sur tube de cathéter ... 62
4.2.2. Etudes sur la formation du biofilm ... 63
4.2.2.1. Etude de la formation du biofilm par la méthode in vitro de «Biofilm Ring Test®» .. 63
4.2.2.2. Etude de la formation de biofilm par la méthode in vitro de coloration au cristal violet (CV) ... 64
4.2.2.3. Exploration de la composition de la matrice du biofilm de SASM et de SARM par BFRT® et CV: Effet de la protéinase K et du periodate de sodium sur la formation et la déstructuration du biofilm ... 65
4.2.2.3.1. Effet du periodate de sodium (PI) ... 65
4.2.2.3.1.1. La méthode du BFRT® ... 65
4.2.2.3.1.2. La méthode de coloration au CV ... 65
4.2.2.3.2. Effet de la protéinase K sur la déstructuration du biofilm ... 66
4.2.2.3.2.1. La méthode de BFRT® ... 66
4.2.2.3.2.2. La méthode de coloration au CV ... 67
4.2.2.3.3. Etude de l’effet du periodate de sodium et de la protéinase K sur la mobilité des billes ... 67
4.2.2.4. Etude de l’activité de l’EGTA sur les biofilms de SASM et de SARM ... 67
4.2.2.4.1. Evaluation de l’activité de l’EGTA sur les biofilms en formation et préformés ... 67
13
4.2.2.4.2. Evaluation de la toxicité de l’EGTA sur les cellules eucaryotes par le test MTT ... 67
4.2.2.4.2.1. Culture des cellules ... 67
4.2.2.4.2.2. Viabilité cellulaire ... 68
4.2.2.5. Détection de gènes codant pour IcaA et pour les protéines de surface impliquées dans la formation des biofilms ... 69
4.2.2.5.1. PCR de fragments des gènes sasC, sasG, fnbA, fnbB, clfA, clfB et icaA ... 69
5. RESULTATS ... 71
5.1. Sensibilité aux antibiotiques ... 71
5.2. Gènes codant pour la résistance à la méticilline et à la mupirocine ... 72
5.3. spa typing ... 75
5.4. Croissance bactérienne ... 76
5.5. Caractérisation des propriétés de surface des souches bactériennes... 78
5.6. Formation du biofilm ... 81
5.6.1. Adhérence bactérienne sur une surface par le BFRT® ... 81
5.6.2. Etude de la formation du biofilm par la méthode de coloration au cristal violet ... 83
5.6.3. Composition de la matrice du biofilm ... 86
5.6.3.1. Recherche par PCR d’un fragment de icaA... 86
5.6.3.2. Effet du periodate de sodium (PI) sur l’adhésion, la formation et sur la déstructuration du biofilm ... 88
5.6.3.2.1. Effet du PI sur l’adhésion par le BFRT® ... 88
5.6.3.2.2. Effet du PI sur la formation du biofilm par la méthode de coloration au cristal violet ... 91
5.6.3.2.3. Etude par la méthode de coloration au CV de l’effet du PI sur la déstructuration du biofilm préformé de 24 heures ... 93
5.6.3.3. Effet de la protéinase K sur la déstructuration du biofilm ... 95
5.6.3.3.1. Effet de la protéinase K sur la déstructuration du biofilm de 6 heures par BFRT® . 95 5.6.3.3.2. Effet de la protéinase K sur la déstructuration du biofilm de 24 heures par la méthode de coloration au cristal violet ... 98
14
5.7. Effet de l’EGTA sur les biofilms ... 101
5.7.1. Effet de l’EGTA sur l’immobilisation des billes magnétiques par les souches bactériennes dans le BFRT® ... 101
5.7.2. Effet de l’EGTA sur l’adhérence bactérienne sur des tubes de cathéter ... 104
5.7.3. Effet de l’EGTA sur la formation du biofilm par la méthode de coloration au cristal violet ... 106
5.7.4. Effet de l’EGTA sur les biofilms préformés de 24 heures par la méthode de coloration au cristal violet ... 108
5.7.5. Effet de l’EGTA sur la croissance bactérienne ... 111
5.7.6. Effets des cations sur l’adhésion et la formation des biofilms ... 113
5.7.7. Toxicité de l’EGTA sur les cellules eucaryotes ... 115
5.8. Détection des gènes codant pour les protéines de surface de S. aureus ... 116
6. DISCUSSION GENERALE ... 119
6.1. Caractérisation des souches cliniques et de référence de S. aureus. ... 119
6.2. Adhésion et formation du biofilm par BFRT® et méthode basée sur la coloration au CV ... 122
6.3. Activité de l’EGTA sur l’adhésion et la formation du biofilm ... 125
6.4. Les protéines de surface de S. aureus. ... 128
7. CONCLUSION GENERALE ... 130
8. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 132
ANNEXES ... 159
15 1. RESUME
Staphylococcus aureus est l’une des causes majeures des infections communautaires et nosocomiales. Ce germe est responsable des infections aiguës et chroniques dont la plupart sont dues à sa capacité à adhérer sur les implants médicaux et à former un biofilm. D’après le Center for Disease Control and Prevention (CDC), 65% des infections bactériennes sont dues à la présence des biofilms. En outre, les infections associées aux biofilms constituent un problème majeur en clinique et sont la cause de l’augmentation de la mortalité et du coût de traitement.
Chez S. aureus, la formation du biofilm se déroule en deux phases principales: la première phase est l’attachement initial des cellules sur une surface, et la seconde est la multiplication et la formation d’une communauté structurée, mature et multicouche des cellules bactériennes. A l’intérieur du biofilm, les bactéries développent plusieurs types d’interactions et accroissent leur résistance aux agents antimicrobiens et aux défenses immunitaires de l’hôte, ce qui constitue un véritable problème de santé publique.
Les objectifs de ce travail étaient: (1) de caractériser des souches cliniques de S. aureus sensibles et résistantes à la méticilline (SASM et SARM) par une analyse phénotypique et génotypique; (2) d’étudier la répercussion des propriétés de membranes sur l’adhésion et la formation du biofilm; (3) de rechercher un moyen pour la prévention de l’adhésion et de la formation d’un biofilm sur une surface abiotique.
Deux souches de référence et 12 souches cliniques de S. aureus (4 SARM et 8 SASM) collectées à Kinshasa ont été caractérisées par la résistance aux antibiotiques, par le typage d’une région X du gène spa codant pour la protéine A de S. aureus et par la détermination des propriétés de la surface cellulaire. L’adhésion à une surface et la formation du biofilm ont été respectivement étudiées par la méthode de Biofilm Ring Test® (BFRT®) et par celle de coloration au cristal violet. Ces deux méthodes ont été utilisées pour l’évaluation de l’activité de l’acide éthylèneglycol tétraacétique (EGTA) sur l’adhésion et la formation du biofilm.
L’amplification par PCR (Polymerase Chain Reaction) d’un fragment du gène mecA a confirmé l’appartenance des souches étudiées au phénotype SARM ou SASM. L’analyse par PCR des répétitions présentes dans la séquence codante de la protéine A de S. aureus (spa
16 typing) a permis d’identifier 7 types spa pour toutes les souches SARM et SASM2 dont un nouveau type spa t10715.
Les résultats du test MATS (Microbial Adhesion to Solvents) ont montré que les souches de S. aureus sensibles et résistantes à la méticilline possédaient des propriétés membranaires différentes susceptibles de modifier l’adhésion ou la formation d’un biofilm. Les souches sensibles à la méticilline avaient une paroi plus hydrophobe que celle de souches résistantes dont la paroi était acide, acceptrice d’électrons.
Les études sur l’interaction entre des souches cliniques de S. aureus et des surfaces abiotiques ont montré que les souches SARM adhéraient moins vite à une surface et formaient moins de biofilms que les souches SASM.
Les études de l’activité de l’EGTA, un chélateur des cations divalents, ont montré que ce dernier inhibait l’adhésion de souches SARM à une surface abiotique comme un tube de cathéter et empêchait la formation d’un biofilm par toutes les souches sensibles et résistantes à la méticilline. Cette action inhibitrice sur la formation du biofilm était réversible en présence d’un cation divalent (magnésium, calcium ou manganèse).
L’ensemble des données obtenues sur l’adhésion et la formation du biofilm par la méthode de BFRT® et par celle de coloration au cristal violet ont montré que le BFRT® était la méthode de choix dans les études de l’adhésion initiale des souches de S. aureus sur une surface abiotique. Le BFRT® pourrait être utilisée dans le screening rapide de produits contre l’adhésion bactérienne à la surface des implants médicaux à base de polystyrène ou de silicone.
17 2. INTRODUCTION
2.1. STAPHYLOCOCCUS AUREUS
2.1.1. Caractères généraux de Staphylococcus aureus 2.1.1.1. Caractères morphologiques et culturaux
Staphylococcus aureus, espèce membre de la famille des Staphylococaceae, est un coque à Gram positif, sphérique, de 0,5 à 1 µm de diamètre, immobile, non sporulé, parfois encapsulé, pouvant se présenter isolé, en paires, ou le plus souvent en grappes. Cette bactérie est aéro- anaérobie facultative, à catalase positive et à oxydase négative (Sperber et Tatini, 1975;
Foster, 1996). S. aureus se cultive plus facilement dans les milieux usuels et dans des milieux sélectifs contenant des fortes concentrations en sels (NaCl 7,5%) dans des conditions de pH et de température variables. La production d’une coagulase et d’un pigment caroténoïde jaune doré (d’où le nom de staphylocoque doré), et la présence d’une protéine A dans la paroi caractérisent S. aureus.
Figure 2.1: Colonies de S. aureus sur une gélose de Chapmann
Figure 2.2: Aspects caractéristiques en amas de coques à Gram positif de S. aureus
(1) (2)
2.1.1.2. Génome
Le génome de S. aureus est constitué d’un chromosome circulaire comprenant 2,7 à 2,9.106 paires de bases (pb) (Mlynarczyk et al., 1999; Holden et al., 2004; Baba et al., 2008), avec des prophages, des plasmides, des transposons et d’autres éléments génétiques tels que les cassettes chromosomiques. Le contenu en paires G-C est de 33%. Les gènes de virulence ou de résistance aux antibiotiques sont rencontrés sur le chromosome et sur des éléments extrachromosomiques (Kuroda et al., 2001).
18 2.1.1.3 Constituants de la paroi cellulaire
Le peptidoglycane constitue l’essentiel de la paroi de S. aureus. La structure de base est formée de longues chaînes linéaires polysaccharidiques. La structure de ces chaînes contient une séquence répétitive d’un disaccharide comprenant la N-acétylglusosamine (NAG) liée par une liaison β 1-4 à l’acide N-acétylmuramique (NAM). Certains résidus de NAM fixent une extension tétrapeptidique sur la fonction carboxylique. Ce tétrapeptide a une composition variable mais on y retrouve, en général, deux résidus d’alanine, un résidu de lysine et un résidu d’acide glutamique (AEKA). Ces peptides vont être utilisés pour relier entre elles les chaînes de polysaccharides. En effet, une pentaglycine réalise des liens peptidiques avec des peptides AEKA attachés à des chaînes polysaccharidiques différentes (Figure 2.3). Ces pentapeptides forment un pontage entre les longues chaînes de polysaccharides et les organisent en forme de réseau (Schleifer et Kandler, 1972).
Figure 2.3: Représentation schématique de la réticulation de deux chaînes glycaniques dans le peptidoglycane de S. aureus.
D’après (Stapleton et Taylor, 2002)
La synthèse du peptidoglycane est sous la dépendance de plusieurs enzymes dont notamment:
la transglycosylase qui synthétise la chaîne glycanique à partir des sous-unités monosaccharidiques et la transpeptidase qui achève la réaction de réticulation des chaînes glycaniques préalablement synthétisées par formation des ponts peptidiques (Tipper et Strominger, 1965). Les ponts pentaglycine sont préformés dans le cytoplasme par une famille de protéines, les peptidyl transférases non ribosomales, qui attachent les résidus de glycine
19 aux résidus L-lysine et D-alanine de la chaîne tétrapeptidique (Ehlert et al., 1997).
L’importance des peptidoglycanes est attestée par le fait que leur synthèse est la cible des pénicillines. Ces antibiotiques sont en effet des inhibiteurs de la transpeptidase (Blumberg et Strominger, 1974).
Les autres constituants importants de la paroi sont (i) des acides teichoïques qui sont des polymères du ribitol ou du glycérol phosphate; soit ils se fixent par liaison covalente au peptidoglycane (acides téichoïques de la paroi), soit ils traversent la couche de peptidoglycane et se lient aux lipides de la membrane plasmique (acides lipoteichoïques ou acides teichoïques de la membrane) (Knox et Wicken, 1973; Xia et al., 2010), et (ii) des protéines intrinsèques et des protéines périphériques ou de surface (Bien et al., 2011).
La transferrin-binding protein (Tpn ou protéine liant la transferrine) est une protéine de 42 kDa localisée dans la paroi cellulaire, décrite chez S. aureus et chez un grand nombre de staphylocoques à coagulase négative. Elle appartient à la famille multifonctionnelle des glycéraldéhyde-3-phosphate déshydrogénases associées à la paroi cellulaire. Cette protéine catalyse la phosphorylation oxydative du glycéraldéhyde-3-phosphate en phosphoglycérate-3 phosphate et permet au S. aureus de lier la transferrine humaine. Le gène codant pour la Tpn ou pour la glycéraldéhyde-3- phosphate déshydrogénase (gap) a été décrit comme un outil taxonomique utile pour les staphylocoques (Yugueros et al., 2000).
2.1.2. Pouvoir pathogène de S. aureus 2.1.2.1. Colonisation de l’hôte
L’adhérence bactérienne à la surface des cellules épithéliales des muqueuses représente la première étape menant à la colonisation et, éventuellement, à l’invasion de l’hôte. L’adhésion de S. aureus aux molécules de l’hôte (ou aux surfaces inertes de type cathéters) est médiée par des adhésines qui sont aussi appelées MSCRAMMs (Microbial Surface Components Recognizing Adhesive Matrix Molecules). Les adhésines de S. aureus les mieux caractérisées sont les protéines de liaison à la fibronectine, FnBPA et FnBPB, la protéine de liaison au collagène Cna, les protéines de liaison au fibrinogène (Clumping factor) ClfA et ClfB, et la protéine A (SpA pour staphylococcal protein A) (Foster et Hööker, 1998; Corrigan et al., 2009; Burke et al., 2010). Les MSCRAMMs ont une structure commune incluant une séquence signal à leur extrémité N-terminale, un domaine contenant le site de liaison au
20 ligand, un domaine exposé contenant des séquences répétitives, et un domaine C-terminal contenant le motif consensus LPXTG (Leu-Pro-X-Thr-Gly) responsable de la liaison covalente au peptidoglycane de la paroi bactérienne. La figure 2.4 illustre les structures de ClfA et de Cna. Le motif LPXTG est reconnu par une famille d’enzymes, les sortases, qui vont lier de façon covalente l’adhésine au peptidoglycane de la paroi bactérienne (Marraffini et al., 2006; Schneewind et Missiakas, 2012).
Figure 2.4: Structure de la protéine de liaison au fibrinogène (ClfA) et de la protéine de liaison au collagène (Cna) de S. aureus
S: peptide signal, A: domaine de fixation du ligand, B: séquences répétitives, SD: répétition du dipeptide sérine- aspartate ou région R, W: région pariétale, M: région membranaire, LPXTG: motif consensus (Foster et Höök, 1998; Heilmann, 2011).
La protéine A (42 kDa) de S. aureus contient à son extrémité N-terminale 5 domaines conservés (E, D, A, B et C) de liaison aux immunoglobulines. La partie C-terminale de cette protéine, aussi appelée région X, est dépourvue de toute capacité de liaison aux immunoglobulines. Par contre, elle permet la fixation de la protéine A au peptidoglycane de la paroi bactérienne (Löfdal et al., 1982; Shopsin et al., 1999). La région codant pour X est divisée en deux sous-régions: une région polymorphe Xr contenant des courtes séquences répétitives (1 à 22) de 24 paires de base et une région constante Xc n’ayant aucune séquence répétitive (Uhlén et al.; 1984; Garofalo et al.; 2012) (Figure 2.5). La variation de séquence de la région codant pour Xr est générée soit par une délétion, une duplication, soit par des points de mutations et, est actuellement utilisée comme un outil épidémiologique pour le typage moléculaire de S. aureus (Shopsin et al., 1999, Hallin et al., 2007).
ClfA
Cna
21 Figure 2.5: Diagramme du gène spa avec chaque boite illustrant les domaines de la protéine codés par les différents segments du gène ainsi que la localisation des amorces sens et antisens
S: peptide signal, [A-D]: sites de fixation des immunoglobulines, [E]: région homologue à A-D; [X]: extrémité COOH-terminale, [Xr]: région contenant des courtes séquences répétitives, [Xc]: séquence d’attachement à la paroi (Shopsin et al; 1999).
Mongodin et al. (2002) et Nashev et al. (2004) ont montré que les protéines de liaison à la fibronectine (Figure 2.6) étaient impliquées dans l’adhésion de S. aureus à l’épithélium respiratoire et à l’épithélium nasal chez l’homme. Deux gènes distincts, fnbA et fnbB, codent pour ces deux protéines.
Figure 2.6: Structure des protéines de liaison à la fibronectine de S. aureus
Les deux protéines FnBPs présentent des régions hautement conservées, particulièrement dans la séquence de liaison à la fibronectine. Les pourcentages d’homologie sont indiqués entre les régions délimitées par des lignes verticales. Les parties N-terminales de FnBPA et FnBPB contiennent un peptide signal S, un domaine A de fixation du fibrinogène et de l’élastine et subdivisé en trois sous-domaines N1, N2 et N3. Les domaines A suivants contiennent des motifs de liaison à la fibronectine répétés en tandem. Ils contiennent un site unique de fixation de la fibronectine. Les domaines A de FnBPA et FnBPB contiennent respectivement 37-511 résidus et 37-480 résidus. PRR: répétitions riches en proline, W: région pariétale, M: région membranaire, LPETG: motif consensus (Burke et al., 2010).
22 D’autres protéines de surface de S. aureus ont été récemment identifiées et partagent les propriétés de tous les MSCRAMMs. Il s’agit de la protéine de surface de S. aureus G (SasG) impliquée dans l’adhérence de S. aureus à l’épithélium nasal (Roche et al., 2003) et de la protéine de surface SasC impliquée dans l’adhésion intercellulaire (Schroeder et al., 2009) 2.1.2.2. Facteurs de virulence
La pathogénicité de S. aureus est essentiellement due à l’expression de plusieurs facteurs de virulence (Figure 2.7). S. aureus sécrète des enzymes qui lui permettent de dégrader les tissus humains et qui favorisent l’extension du foyer infectieux. Les principales enzymes extracellulaires sont des protéases, l’auréolysine, une désoxyribonucléase, une lipase, une phosphatase, une catalase, une hyaluronidase et une coagulase. S. aureus produit plusieurs toxines cytolytiques ayant la capacité de détruire les cellules de la défense de l’hôte en formant des pores au niveau des membranes cellulaires. Parmi elles, on peut citer les hémolysines (α-δ), les peptides PSM (phenol-soluble modulins) ou «phenol-soluble peptides», la leucocidine de Panton Valentine (LPV), et la leucocidine LukE-LukD. En plus des toxines cytolytiques citées ci-dessus, certaines souches de S. aureus produisent également des toxines à activité épidermolytique (exfoliatines ou épidermolysines ETA, ETB et ETD), et des protéines CHIPS (Chemotaxis Inhibitory Proteins of Staphylococci) dont l’action est d’inhiber le chimiotactisme des neutrophiles et des monocytes. D’autres souches de S. aureus produisent des toxines (superantigènes) responsables de syndromes spécifiques (entérotoxines A-E et toxine du choc toxique staphylococcique 1 [TSST-1]) (Dinges et al., 2000; Bien et al., 2011). La majorité des souches cliniques produisent une capsule polysaccharidique qui confère à la bactérie la capacité de résister à la phagocytose (O’Riordan et Lee, 2004). La protéine A quant à elle se fixe aux immunoglobulines et empêche l’opsonisation (Peterson et al., 1977).
23 Figure 2.7: Facteurs de virulence de S. aureus
Les protéines de surface et protéines sécrétées en fonction de phases de croissance bactérienne. Phases de croissance contrôlées par le système de quorum sensing agr (Gordon et Lowy, 2008).
La transcription de gènes de virulence est régulée par une molécule d’acide ribonucléique (ARN) de 510 nucléotides, appelée ARNIII (Tegmark et al., 1998). L’ARNIII est un composant du système global du quorum sensing (QS) agr (accessory gene regulator) qui active la transcription de gènes codant pour les facteurs de virulence, et qui réprime la transcription de gènes codant pour les protéines de surface (Heilmann et Götz, 2010). Le système agr est constitué de deux gènes sous le contrôle de deux promoteurs P2 et P3 et dont la transcription, en orientation opposée, génère les transcrits ARNII et ARNIII (Figure 2.8).
L’unité de transcription P2 est un opéron qui code 4 protéines qui participent au mécanisme de QS agr. La protéine AgrC est le senseur d’un système de traduction de signal à deux composants dont AgrA est le régulateur de réponse. La protéine transmembranaire AgrB clive le produit du gène agrD au niveau d’une cystéine et libère un oligopeptide de 7-9 acides aminés avec un cycle thiolactone à son extrémité C-terminale. Cet oligopeptide, appelé peptide auto-inducteur (PAI), est sécrété dans l’environnement extracellulaire et son accumulation agit comme un signal de densité cellulaire conduisant à l’activation de l’ensemble du système agr. Ce phénomène de régulation est appelé «déclenchement par un seuil» (quorum sensing). Le PAI se fixe sur AgrC le senseur ayant une activité histidine kinase. L’interaction entre PAI et AgrC stimule l’activité kinase de ce dernier qui phosphoryle le régulateur de réponse AgrA. Cette protéine va augmenter la transcription de l’opéron P3,
24 avec comme conséquence une augmentation de la concentration intracellulaire de l’ARNIII, indispensable à l’expression des exoprotéines (Novick et Geisinger 2008). La variation de séquence dans la région agr B-D-C a conduit à l’identification d’au moins quatre groupes différents d’agr. Le PAI produit par une souche ayant une séquence agr d’un groupe inhibe la synthèse de PAI par une autre souche ayant une séquence agr différente (Novick et Geisinger, 2008).
Figure 2.8: Système de quorum sensing agr
L’opéron P2 (via ARNII) code pour le mecanisme de signalisation. Le transcrit de l’opéron P3, ARNIII, agit comme une molécule effectrice du locus agr. On y trouve aussi des régulateurs additionnels de la réponse QS et des gènes de virulence (Yarwood et Schlievert, 2003).
Un autre exemple du régulateur transcriptionnel global le mieux étudié et capable d’influencer l’expression des protéines sécrétées dans le milieu est le système sarA (Staphylococcal accessory regulator A) (Cheung et al., 1992). Le système sarA agit en coopération avec le système agr du fait de la présence de plusieurs sites de liaison dans la région intergénique comprise entre les promoteurs P2 et P3 (Rechtin et al, 1999). Cette liaison permet de ce fait l’activation de ces deux promoteurs.
D’autres régulateurs capables d’influencer l’expression des protéines sécrétées et de contrôler l’expression de facteurs de virulence ont été étudiés. Il s’agit (i) du système SaeRS (Staphylococcal accessory element) qui répond à plusieurs stimulis environnementaux (Steinhuber et al., 2003, Rogasch et al., 2006), (ii) du système ArlSR (autolysis –related locus) qui s’oppose à l’autoinduction du système de quorum sensing agr en reprimant la production des hémolysines et des exoenzymes (Fournier et al., 2001), (iii) du système SrrAB
25 (Staphylococcal respiratory response) qui régule l’expression de gènes impliqués dans le métabolisme énergétique (Yarwood et al., 2001), (iv) du système Rot (Repressor of toxins) (McNamara et al., 2000), (v) du facteur sigma alternatif σB (Wu et al., 1996, Bischoff et al., 2001) qui affectent l’expression de nombreux gènes de virulence et (vi) du système Mgr (Multiple gene regulator) qui contrôle l’autolyse, la virulence et l’activation des pompes à efflux chez S. aureus (Luong et al.,2003).
2.1.2.3. Portage et infections dues au Staphylococcus aureus
S. aureus est un agent commensal de la peau et des muqueuses de l’homme et des animaux à sang chaud. Il présente le potentiel de pathogénicité le plus important de toutes les espèces du genre Staphylococcus. Les fosses nasales antérieures (Kluytmans et Wertheim, 2005) constituent, avec la peau (Aly et al., 1977), le site réservoir essentiel de S. aureus. Cette bactérie est aussi rencontrée au niveau du pharynx (Mertz et al., 2007), du périnée (Ridley, 1959), du tractus gastro-intestinal (Acton et al., 2009) et urinaire. La prévalence du portage nasal permanent est d’environ 20% et approximativement 30% chez les porteurs intermittents (Gordon et Lowy, 2008). Elle diminue avec l’âge dans la population en général.
Les mécanismes qui conduisent à la colonisation nasale par S. aureus sont multifactoriels. On trouve, entre autres, les facteurs liés à l’hôte, avec un taux de portage élevé dans la population de race blanche, des facteurs liés à la bactérie (les protéines de surface SasG et ClfB), et des facteurs environnementaux (Wertheim et al., 2008; Sivaraman et al., 2009).
S. aureus est responsable de nombreux types d’infections chez l’homme et compte parmi les agents pathogènes les plus souvent isolés des infections nosocomiales et communautaires (Vincenot et al., 2008; Kurlenda et Grinholc, 2012; Otto, 2012). Les infections suppuratives superficielles cutanéo-muqueuses tels les furoncles, les folliculites, les impétigos, les sinusites et les otites sont les plus couramment rencontrées. Ces infections peuvent se compliquer par une diffusion hématogène de la bactérie ou par une extension loco-régionale de l’infection.
S. aureus est aussi responsable de méningites, des infections respiratoires et urinaires. Des infections non suppuratives d’origine toxique appelées toxémies staphylococciques sont, elles, dues à la diffusion de toxines à partir d’un foyer infectieux ou à l’ingestion d’une toxine préformée dans un aliment contaminé. Ces toxémies regroupent les syndromes cutanés staphylococciques par les exfoliatines, le choc toxique staphylococcique (TSS) par la TSST-1
26 et les intoxications alimentaires par les entérotoxines (Foster, 1996; Harris et al., 2002). En plus des infections aiguës, S. aureus peut provoquer des infections chroniques. La plupart d’entres elles sont dues à la capacité de ce pathogène à adhérer sur les implants médicaux temporaires (ex: cathéters) ou permanents (ex: prothèses orthopédiques, valves cardiaques) et à former un biofilm (von Eiff et al., 2005; Harris et Richards, 2006; Bernard, 2006).
2.1.3. Staphylococcus aureus et résistance aux antibiotiques 2.1.3.1. Les β-lactamines
Depuis la découverte par Alexander Fleming en 1928 de l’effet inhibiteur de la moisissure Penicillium sur une colonie de S. aureus (Kong et al., 2010), les β-lactamines demeurent jusqu’à ce jour les antibiotiques les plus utilisés en médecine humaine pour combattre les infections bactériennes. Ces antibiotiques possèdent tous un noyau β-lactame sur lequel sont greffés différentes chaînes latérales (Demain et Elander, 1999). Ils sont divisés en 4 classes, avec différents spectres d’activité: pénicillines (pénicilline G, oxacilline, méticilline, cloxacilline,…), céphalosporines (céfalexine, céfuroxime, ceftriaxone, céfépime,…), carbapénèmes (imipénème, méropénème et ertapénème) et monobactames (aztréonam).
2.1.3.1.1. Mécanismes d’action et de résistance
La cible des β-lactamines est un ensemble d’enzymes de la membrane cytoplasmique nécessaires à la formation du peptidoglycane. Ces molécules se fixent de façon covalente aux transpeptidases, aussi appelées protéines liant la pénicilline (PBP pour Penicillin Binding Protein). Le substrat normal de ces PBP est l’acétyl-D-alanyl-D-alanine (Tipper et Strominger, 1965). La pénicilline et les autres β-lactamines agissent comme analogues des substrats empêchant la synthèse de la paroi cellulaire. Ainsi, la fixation d’une β-lactamine sur les PBP va altérer la structure de la paroi cellulaire en la rendant notamment moins stable, plus fragile et incapable de résister à la pression osmotique interne très élevée. Ceci provoquera la lyse secondaire de la bactérie (Blumberg et Strominger, 1974).
Deux principaux mécanismes sont impliqués dans la résistance acquise de S. aureus aux β- lactamines. Il s’agit de la production des β-lactamases, et de la modification de la cible des antibiotiques (Lowy, 2003).
27 2.1.3.1.2. Résistance à la pénicilline
La β-lactamase est une enzyme inductible codée par le gène blaZ porté par un plasmide. Cette enzyme hydrolyse le noyau β-lactame de la pénicilline G et ses analogues de structure.
L’expression du blaZ est régulée par deux gènes, blaR1-blaI situés en amont et transcrits en direction opposée à blaZ (Hackbarth et Chambers, 1993; Gregory et al., 1997).
2.1.3.1.3. Résistance à la méticilline
2.1.3.1.3.1. Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM)
Entre 1940 et 1950, la pénicilline était l’antibiotique de choix pour traiter les infections à S.
aureus. Cependant la sensibilité à la pénicilline a été de courte durée suite à l’apparition de souches résistantes productrices des β-lactamases. Des nouvelles molécules furent alors commercialisées et deux ans après l’introduction de la méticilline en 1959 comme antistaphylococcique puissant, les premières souches résistantes à la méticilline ont été décrites. Ces souches résistantes à la méticilline ont actuellement une distribution mondiale (Appelbaum, 2006).
Les SARM sont responsables d’infections nosocomiales. La prévalence des SARM varie d’un continent à un autre. Elle est supérieure à 30% aux Etats-Unis d’Amérique, en Australie, et dans les pays asiatiques. En Europe, la prévalence des SARM varie aussi énormément selon les pays, avec des proportions très faibles dans les pays nordiques (< 1% dans les pays scandinaves) et supérieure à 40% dans les pays du Sud de l’Europe (Appelbaum, 2006).
En Afrique, l’épidémiologie des SARM n’est pas très documentée. Les données semblent plus hétérogènes selon les pays: si le nombre des souches de SARM est plus élevé en Afrique noire (21 à 30%), il est plus faible au Maghreb avec des pourcentages inférieurs à 10% (4,8%
en Algérie et 8,1% en Tunisie). Les études menées dans 8 pays d’Afrique par Kesah et al.
(2003) ont montré une forte prévalence des SARM au Nigeria (29,6%), au Kenya (27,7%), et au Cameroun (21,3%). Une étude plus récente menée en République Démocratique du Congo sur le portage nasal des staphylocoques conclut à une prévalence des SARM de 63,1%, 66,7%, et 23,3% respectivement chez les patients hospitalisés, le personnel soignant et chez les patients en ambulatoire (Vlieghe et al., 2009). Les SARM sont aussi la cause des infections communautaires tant humaines qu’animales. Elles sont provoquées par des souches hospitalières qui ont disséminé en-dehors de l’hôpital. Le plus souvent, les SARM
28 communataires sont plus impliquées dans les infections cutanées et des tissus mous dans lesquelles la LPV joue un rôle déterminant (Eady et Cole, 2003) plutôt que dans les infections pulmonaires (Herold et al., 1998). Comme décrit dans d’autres parties du monde, S. aureus est aussi responsable d’infections communautaires en Afrique (Brerec et al., 2011, Kacou- N’douba et al., 2011). Le profil génétique des souches africaines semble différent de celui rencontré dans les autres parties du monde (Shrestha et al., 2005). Les voyageurs et les migrants sont maintenant considérés comme des vecteurs majeurs de ces infections parmi les populations.
2.1.3.1.3.2. Mécanismes de résistance de S. aureus à la méticilline
S. aureus produit 4 types de PBPs impliquées dans la transpeptidation: PBP1, PBP2, PBP3, et PBP4. La résistance à la méticilline par modification de la cible est due à la production par S.
aureus d’une 5ème PBP appelée PBP2a ou PBP2’ présentant peu d’affinité pour la méticilline et toutes les autres β-lactamines par rapport aux PBPs normales (Utsui et Yokota, 1985). La PBP2a est codée par le gène mecA (Matsuhashi et al., 1986). Le «Staphylococcal cassette chromosome mec» (SCCmec) est l’élément génétique véhiculant le gène mecA qui code pour la résistance à la méticilline (Katayama et al., 2000). Chez S. aureus cinq types majeurs de SCCmec (types I à V) ont été identifiés (Hanssen et Ericson- Sollid, 2006); ils diffèrent par leur taille (20,9 – 66,9 kb) et leur composition génétique. Pour ses mouvements, SCCmec contient une paire de gènes codant pour les recombinases A et B appelées «cassette chromosomal recombinase genes A et B» (ccrA et ccrB). SCCmec types I (34,4 kb), IV (20,9- 24,3 kb) et V (28 kb) codent pour la résistance exclusive aux β-lactamines. SCCmec types II (53,0 kb) et III (66,9 kb) contiennent des sites privilégiés où les plasmides et transposons s’intègrent entraînant ainsi la résistance aux antibiotiques non β-lactamines (fluoroquinolones, macrolides, kanamycine et tobramycine) et aux métaux lourds. SCCmec de types I-III caractérisent les souches SARM hospitalières isolées actuellement et disséminées dans le monde. Les types IV et V ont été décrits récemment dans les souches émergentes des SARM dites communautaires (Deresinski, 2005).
2.1.3.1.3.3. Facteurs influençant l’expression de la méticillino-résistance
Plusieurs autres gènes sont impliqués dans l’expression de la résistance à la méticilline. Il s’agit des gènes auxiliaires fem (pour «factors essential for methicillin resistance») nécessaires dans l’expression de la résistance de haut niveau chez les souches présentant une résistance
29 hétérogène à la méticilline (Berger-Bächi, 1983 et 1995). Leur existence a été initialement suspectée devant l’absence de relation d’une souche à l’autre entre le niveau de résistance et le niveau d’expression de PBP2a. Ces autres gènes de résistance sont trouvés chez toutes les souches de S. aureus, indépendamment de la présence du gène mecA. Ils ne sont pas responsables à eux seuls de la résistance à la méticilline, mais peuvent augmenter le niveau de résistance chez une souche SARM. Les protéines FemA, FemB et FemX sont impliquées dans la synthèse du pont pentaglycine qui lie les chaînes glycanes. FemX catalyse l’incorporation de la première glycine, FemA celle des glycines 2 et 3, et FemB ajoute les glycines 4 et 5 (Figure 2.9). FemA et FemB ne sont pas interchangeables. Par conséquent, l’inactivation des gènes codant pour chacune de ces protéines conduit à l’obtention d’une paroi cellulaire déstructurée contenant des ponts mono- ou triglycine respectivement (Ehlert et al., 1997).
L’inactivation de femA ou femB conduit à une large réduction de la résistance à la méticilline et à une augmentation de la sensibilité à plusieurs antibiotiques (Ling et Berger-Bächi, 1998).
Mais la compensation de l’inactivation par mutations peut restaurer la viabilité cellulaire et la résistance à la méticilline. Cependant la croissance est sévèrement affectée (Hübscher et al., 2007).
Figure 2.9: Synthèse de l’interpeptide pentaglycine
D’après (Berger-Bächi et Tschierske, 1998)
2.1.3.2. Les glycopeptides
La vancomycine et la téicoplamine sont des antibiotiques utilisés dans le traitement des infections à coques à Gram positif, essentiellement les staphylocoques, les streptocoques et les entérocoques, en cas de multirésistance aux antibiotiques et d’intolérance aux β- lactamines. Ces antibiotiques constituent le traitement de choix dans les infections à SARM.
30 Les glycopeptides présentent de nombreuses limitations: une bactéricidie lente, une fluctuation de CMI, une faible pénétration intracellulaire, une toxicité potentielle, et enfin le développement de la résistance souvent associée à un échec thérapeutique (Levine, 2006).
2.1.3.2.1. Mécanisme d’action
Les glycopeptides inhibent la synthèse du composant essentiel de la paroi cellulaire, le peptidoglycane. L’inhibition est due à l’affinité de ces antibiotiques pour l’extrémité (D- alanyl-D-alanine) des précurseurs du peptidoglycane. Ceux-ci, après avoir été synthétisés dans le cytoplasme bactérien, sont transportés à travers la membrane cytoplasmique pour finalement être branchés par des enzymes (transglycosylases et transpeptidases) au peptidoglycane en cours d’élongation. La fixation du glycopeptide sur l’extrémité du précurseur empêche, par encombrement stérique, son branchement au peptidoglycane (Daurel et Leclercq, 2010) (Figure 2. 10).
2.1.3.2.2. Résistance de S. aureus aux glycopeptides
Suivant les recommandations du Clinical and Laboratory Standard Institute (CLSI, anciennement NCCLS), une souche de S. aureus est dite sensible à la vancomycine si sa concentration minimale inhibitrice (CMI) est ≤ 4 mg/L. Une souche de S. aureus de sensibilité intermédiaire à la vancomycine (GISA ou VISA pour Glycopeptide ou Vancomycin Intermediate-sensitive Staphylococcus aureus) se définit par une CMI comprise entre 8 et 16 mg/L. Les souches résistantes à la vancomycine (VRSA pour Vancomycin Resistant Staphylococcus aureus) ont une CMI > 32 mg/L (Tiwari, 2009; Ng et al., 2011). Les mécanismes d’action et de résistance sont repris dans la Figure 2.10.
Figure 2.10: Mécanismes d’action de la vancomycine et de résistance de S. aureus à la vancomycine
D’après (Lowy, 2003)
31 2.1.3.2.2.1. SARM de sensibilité intermédiaire à la vancomycine (VISA)
Depuis la découverte de SARM de sensibilité diminuée à la vancomycine au Japon en 1996, plusieurs rapports similaires font état de l’isolement de ces souches à travers plusieurs pays du monde, y compris en Afrique (Gemmell, 2004; Mastouri et al., 2006).
La réduction de la sensibilité à la vancomycine est due aux changements affectant la biosynthèse du peptidoglycane et à l’activité autolytique (Sieradzki et Tomasz, 1997; Reipert et al., 2003). Les souches VISA synthétisent des quantités additionnelles du peptidoglycane avec un accroissement du nombre de résidus D-ala-D-ala qui fixent la vancomycine. Ainsi, le mécanisme de résistance à la vancomycine est lié à un épaississement de la paroi bactérienne qui piège la vancomycine dans les couches superficielles du peptidoglycane l’empêchant ainsi d’atteindre la membrane cytoplasmique où le peptidoglycane est synthétisé (Hiramatsu, 2001).
2.1.3.2.2.2. SARM résistant à la vancomycine (VRSA)
La résistance à la vancomycine fut rapportée pour la première fois chez les entérocoques en 1988 et les premières souches de SARM portant le gène vanA ont été isolées au Michigan en 2002. Depuis cette date, des souches VRSA ont été isolées dans d’autres pays du monde (Ng et al., 2011). La résistance de VRSA est acquise par transposition du gène vanA de souches d’Enterococcus faecalis résistantes à la vancomycine chez les patients coinfectés (Showsh et al., 2001). L’opéron van code pour une déhydrogénase VanH, qui réduit le pyruvate en D- lactate, et une VanA-ligase qui catalyse la formation d’une liaison ester entre la D-alanine et le D-lactate. Le résultat de l’action de ces deux enzymes est la synthèse d’un nouveau précurseur de synthèse du peptidoglycane se terminant par le depsipeptide D-alanyl-D-lactate au lieu du dipeptide D-alanyl-D-alanine. Ainsi, il se forme une liaison ester terminale au lieu d’une liaison amide nécessaire dans la formation des ponts hydrogènes avec la vancomycine, ce qui entraîne une réduction de l’affinité de la vancomycine pour la chaine pentapeptide. La synthèse de D-alanyl-D-lactate survient avec l’exposition à de faibles concentrations de vancomycine (Ng et al, 2011).
32 2.1.3.3. La mupirocine
La mupirocine, anciennement connue sous le nom d’acide pseudomonique A, est un agent antibactérien topique produit par Pseudomonas fluorescens. Elle est constituée d’une molécule d’acide monique relié par une liaison ester à une courte chaine d’acide gras (l’acide 9-hydroxynonanoïque) (Gurney et Thomas, 2011). Cet antibiotique est utilisé pour l’éradication du portage nasal de S. aureus, et dans la prévention de la transmission de SARM dans les unités des soins intensifs. La mupirocine par voie intranasale est utilisée en préopératoire pour prévenir les infections du site opératoire, contrôler la transmission des SARM, et pour décoloniser le personnel et les patients colonisés par les SARM (Patel et al., 2009). La mupirocine exerce son activité antimicrobienne par l’inhibition de la synthèse de protéines en se fixant irréversiblement à l’isoleucyl-tRNA synthétase codée par le gène chromosomique ileS.
On distingue deux phénotypes de résistance (Janssen et al., 1993; Gilbart et al., 1997; Patel et al., 2009):
une résistance de bas niveau (CMI comprise entre 8 et 256 µg/mL) due à une mutation chromosomique au niveau du gène ileS;
une résistance de haut niveau (CMI ≥ 512 µg/mL) causée par la présence d’un gène plasmidique, mupR (ou ileS-2), codant pour une isoleucyl-tRNA synthétase additionnelle non inhibée par la mupirocine.
2.1.3.4. Les autres antibiotiques utilisés contre S. aureus
Les mécanismes de résistance de S. aureus à d’autres antibiotiques sont résumés dans le Tableau 2.1.
33 Tableau 2.1: Résistance de S. aureus à quelques antibiotiques
Antibiotiques Gènes de résistance Mécanismes de résistance Références
Fluoroquinolones
grlA Modification de la cible (mutations des gènes codant pour la topoisomérase IV ou pour la gyrase)
Yoshida et al., 1990;
Hopper, 2000; Ruiz, 2003;
Jacoby, 2005 gyrA ou gyrB
norA Pompe à efflux
Rifampicine ropB Modification de la cible (réduction de l'affinité pour l'ARN polymérase)
Wichelhaus et al., 2001 Triméthoprim-
sulfaméthoxazole
Sulfonamide: sulA Hyperproduction de l'acide para-aminobenzoique par l'enzyme DHPS Huovinen, 200; Lowy, 2003 TPM: dfrB Réduction de l'affinité pour la DHFR
Oxazolidinones rrn Modification de la cible (méthylation d’une adénosine à la position 2503 dans l’ARNr 23S conduit à la résistance au linézolide)
Lowy, 2003 Quinupristine-
dalfopristine
Q: ermA, ermB, ermC Réduction de la liaison à la sous-unité ribosomale 23S Lowy, 2003 D: vat, vatB Modification enzymatique de la dalfopristine
Macrolides ermA, ermB Modification de la cible (méthylation de l’ARNr 23S de la sous-unité ribosomale 50S)
Quincampoix et Mainardi, 2001;
MacCallum et al., 2010
msrA, mrsB Pompe à efflux
Lincosamides ermA, ermB Modification de la cible (méthylation de l’ARNr 23S de la sous unité ribosomale 50S)
Streptogramines ermA, ermB Modification de la cible (méthylation de l’ARNr 23S de la sous-unité ribosomale 50S)
Acide fusidique fusA Modification de la cible (altération au niveau du facteur EF-G) O'Neil et al., 2007;
Chen et al., 2010
Tétracyclines tetK, tetL Pompe à efflux Chopora et Roberts, 2001
tetM, tetO Protection ribosomale
Chloramphénicol cat Acétylation de l'antibiotique avec production d’un dérivé diacétylé inactif
Shaw et Brodwsky, 1968 Aminoglycosides aac, aph,... Inactivation de l’antibiotique (acétylation et/ou phosphorylation par les
enzymes modifiant les aminoglycosides)
Quincampoix et Mainardi, 2001
34 2.2. LE BIOFILM BACTERIEN
2.2.1. Introduction
L’idée que les bactéries croissent préférentiellement sur des surfaces a été avancée à intervalles réguliers au cours des 150 dernières années (Costerton, 1999). Parallèlement, certains microbiologistes ont constaté au microscope optique que les bactéries planctoniques poussaient différemment après avoir adhéré à une surface et initié la formation d’un biofilm.
Les termes de bactéries sessiles et planctoniques décrivent des micro-organismes respectivement adhérents à une surface et libres dans une suspension. La surface d’adhésion des organismes sessiles peut être abiotique (les matériaux inertes) ou biotique (les tissus ou les cellules vivantes) (Dune, 2002). Toute surface naturelle ou artificielle peut être le siège d’une colonisation bactérienne avec formation d’un biofilm. C’est le cas des coques de bateaux, des canalisations d’eau, des rochers dans les rivières, des lentilles de contact, et de toutes les variétés d’implants biomédicaux. Toute surface du corps humain exposée à l’environnement extérieur (peau, dents, épithéliums buccal, respiratoire, gastro-intestinal et vésical, vagin) peut aussi faire l’objet d’une colonisation bactérienne avec formation d’un biofilm (Cooper et Okhiria, 2006). Tenant compte de ces deux aspects (surface biotique ou abiotique), Costerton et al. (1999) ont défini le biofilm comme une communauté structurée de cellules bactériennes incluses dans une matrice polymérique autoproduite et adhérentes à une surface inerte ou vivante. Dans ce contexte précis, la matrice du biofilm a comme seule origine les cellules bactériennes.
Cette définition paraît cependant incomplète car la matrice du biofilm peut être aussi constituée de matériaux non cellulaires tels que les cristaux minéraux, les particules de corrosion ou d’argile. Le biofilm formé dans le système de canalisation d’eau est hautement complexe du fait de la présence de bactéries filamenteuses et de certains éléments cités ci- dessus (Donlan, 2002). Tout dépend de l’environnement dans lequel le biofilm s’est formé.
La définition précédente limite la formation du biofilm à l’interface solide/liquide alors qu’un biofilm peut aussi se former à l’interface air/liquide ou liquide /liquide (Spencer et al., 2011).
Les agrégats de cellules bactériennes flottant dans le liquide ont les mêmes caractéristiques que les agrégats formés à l’interface solide/liquide (Hall-Stoodley et al., 2012). Sur le plan médical, la matrice du biofilm peut héberger des composants «extramicrobiens» provenant de l’hôte. Les biofilms dentaires peuvent par exemple, utiliser les protéines de la salive à la
35 surface de la pellicule pour s’attacher aux dents. D’autres bactéries peuvent se lier à la fibronectine à la surface d’un implant médical et, dans une endocardite infectieuse, les populations bactériennes peuvent s’imbriquer dans une masse de plaquettes agrégées, de fibrine et d’autres protéines de l’hôte. Restreindre la définition du biofilm à la seule origine bactérienne pousse à faire abstraction des infections dans lesquelles les bactéries interagissent avec les molécules et les récepteurs de l’hôte pour s’attacher, se multiplier et s’agréger. Tous les facteurs cités ci-dessus permettent de donner une définition du biofilm plus complète et pertinente cliniquement. Ainsi, le biofilm est défini comme un ensemble des cellules microbiennes agrégées, entourées d’une matrice polymérique autoproduite et pouvant contenir des composants de l’hôte (Hall-Stoodley et al., 2012).
2.2.2. Structure et organisation
Le biofilm est constitué essentiellement des microorganismes et de la matrice qu’ils synthétisent. Les micro-organismes représentent 2 à 15% du matériel du biofilm selon l’espèce impliquée alors que la matrice extracellulaire (EPS, extracellular polymeric substances), représente 50 à 90% de la masse organique carbonée du biofilm. Mais l’eau demeure le principal composant du biofilm (Costerton, 1999; Sutherland, 2001; Dolan, 2002).
Les propriétés physico-chimiques de l’EPS sont variables d’un biofilm à un autre, mais un biofilm est initialement constitué de polysaccharides. La composition et la structure de polysaccharides déterminent la conformation primaire du biofilm. La quantité des EPS produits varie en fonction du micro-organisme, et elle augmente avec l’âge du biofilm. La matrice du biofilm peut aussi être composée d’ions métalliques, de cations divalents, de macromolécules (protéines, ADN, lipides, phospholipides) et de composants de l’hôte (Sutherland, 2001; Donlan, 2002; Hall-Stoodley et al., 2012).
La matrice d’exopolysaccharides exerce différents rôles. Elle assure la protection et la cohésion de chaque microcolonie bactérienne, absorbe l’eau et piège les petites particules circulantes. L’EPS intervient aussi sur la relation des microorganismes entre eux et avec les surfaces. Son important degré d’hydratation, due à sa capacité à fixer un grand nombre de molécules d’eau par des liaisons hydrogène, permet de lutter contre la dessiccation de certains biofilms dans le milieu naturel. Cette matrice contribue aussi aux propriétés d’antibiorésistance des biofilms en se liant directement aux agents antimicrobiens et en les
36 empêchant de pénétrer au sein du biofilm (Wingender et al., 1999). Elle est aussi impliquée dans le maintien d’un microenvironnement unique pour les bactéries (Costerton et al., 1994).
Figure 2.11: Biofilm de Staphylococcus spp à la surface d’un implant médical visualisé par microscopie confocale
Photographie de J. Carr, Center for Disease Control and Prevention, Atlanta, GA, USA
De nombreux travaux de laboratoire ont étudié comment les bactéries coordonnent leur activité et construisent les structures dans les biofilms matures. L’arrivée de nouvelles techniques comme la CLSM (confocal laser scanning microscopy) et la SEM (Scanning electron microscopy) ont permis de comprendre et de visualiser la structure complexe du biofilm (Donlan et Costerton, 2002). Sur la photographie ci-dessus, on observe des structures sphériques, ressemblant à des champignons et unis par des filaments (Figure 2. 11). Les biofilms sont traversés par une multitude de pores et de canaux aqueux permettant d’une part de maintenir une pression en oxygène et des concentrations de nutriments significatives dans les régions profondes du biofilm, et d’autre part d’évacuer les déchets. Le matériel soluble peut diffuser à travers la matrice d’exopolysaccharides et être utilisé par les bactéries.
2.2.3. Physiologie du biofilm
Les études menées sur le transport par diffusion des composants gazeux et liquides à travers la matrice du biofilm ont montré que les cellules situées dans le biofilm reçoivent moins d’oxygène et de nutriments que les cellules en suspension. On peut mettre en évidence un gradient de nutriments et d’oxygène depuis le sommet du biofilm jusqu’à sa base où l’on a un microenvironnement anaérobie. Les cellules de la périphérie d’une microcolonie sont mieux desservies par les réseaux de canaux que celles situées au centre. L’état métabolique d’une