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LE TEMPS DU « DEVOIR DE MÉMOIRE » DES ANNÉES 1970 A NOS JOURS

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Texte intégral

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UNIVERSITÉ PARIS 1

Panthéon-Sorbonne

École doctorale d’histoire (ED 113)

Thèse pour l’obtention du grade de docteur en Sciences Humaines

(Histoire contemporaine)

Sébastien LEDOUX

_________________

LE TEMPS DU « DEVOIR DE MÉMOIRE »

DES ANNÉES 1970 A NOS JOURS

_________________________________________

Directeur de thèse : Denis PESCHANSKI

Directeur de recherche au CNRS/Université de Paris 1 Soutenance le 10 novembre 2014

Jury de thèse

Pieter LAGROU (Université Libre de Bruxelles), rapporteur

Sandrine LEFRANC (CNRS/Université de Paris Ouest-Nanterre La Défense) Pascal ORY (Université de Paris I)

Denis PESCHANSKI (CNRS/ Université de Paris I), directeur de thèse Henry ROUSSO (CNRS), rapporteur

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UNIVERSITÉ PARIS 1

Panthéon-Sorbonne

École doctorale d’histoire (ED 113)

Thèse pour l’obtention du grade de docteur en Sciences Humaines

(Histoire contemporaine)

Sébastien LEDOUX

_________________

LE TEMPS DU « DEVOIR DE MÉMOIRE »

DES ANNÉES 1970 A NOS JOURS

________________________________________________________

Directeur de thèse : Denis PESCHANSKI (CNRS/Paris 1)

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REMERCIEMENTS

Mon immense gratitude à Denis Peschanski qui a accepté de reprendre la direction d’un travail en cours, dans des circonstances délicates. Il m’a ouvert la voie de la rigueur scientifique, en m’accompagnant d’un soutien sans faille et enthousiaste dans un projet de recherche qui bousculait quelque peu la doxa de la communauté des historiens.

Je ne saurais trop remercier Serge Barcellini, Maurice Olender, et Dominique Schnapper pour m’avoir autorisé l’accès à leur fonds d’archives. Mes remerciements également à Patrick Semerdjian, responsable du site refasso.fr, qui m’a ouvert sa base de données recensant la totalité des associations françaises depuis 1958 pour l’expression devoir de mémoire.

Pascal Gallien, chargé d’études documentaires au DITEEX (Service Historique de la Défense, Direction de la Mémoire du Patrimoine et des Archives), m’a été d’une grande utilité pour le dépouillement du « fonds Barcellini » qui m’a retenu à Vincennes pendant de nombreux mois. J’ai pu bénéficier de l’aide précieuse de Corinne Gauthier, responsable documentaliste à l’INA, pour comprendre les logiques d’archivages des sources audiovisuelles.

Les sources orales ont été déterminantes pour comprendre l’histoire très contemporaine de ce terme. Mes remerciements vont à Christine Albanel, Edwige Avice, Robert Badinter, Serge Barcellini, Jean-Marie Cavada, Myriam Cottias, Laurence Dumont, Jean Le Garrec, Serge Klarsfeld, Louis Mexandeau, Christiane Menasseyre, Raphael Muller, Michel Noir, Pierre Nora, Jacques Sédat, Christiane Taubira, et Laurent Wirth qui m’ont accordé un entretien. Je n’oublie pas également Myriam Anissimov, Anna Bravo, Bernard Cohen, Joël Gayraud, Jean-Philippe Genet, Marcel Lucien, Evelyne Py, Nata Rampazzo, Luc Rosenzweig et François Spirlet qui m’ont éclairé, par leur réponse écrite, sur des points précis de cette enquête.

Christophe Goddard m’a permis de passer mon séjour comme Junior Fellow à l’Université de New-York, en avril-mai 2012, dans les meilleures conditions possibles.

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6

Ma reconnaissance à Elisabeth Lopvet pour son dévouement et sa fidélité dans ce travail si fastidieux des corrections auquel a contribué ma mère, sur la fin, que je remercie infiniment pour cette aide précieuse.

J’adresse également mes remerciements à Arlette Farge et Sophie Moirand pour leur lecture avisée d’un chapitre de la thèse et de l’intérêt qu’elles ont témoigné pour mon travail.

Sophie Wahnich a immédiatement accepté que je puisse reproduire notre échange écrit ce dont je lui suis particulièrement reconnaissant.

Je tiens également à remercier Jean-Pierre Lauby et Benoit Verschaeve, au Rectorat de Paris, qui m’ont permis de mener à bien, dans les derniers temps, le travail de rédaction.

Mes pensées s’adressent à mon entourage familial et amical qui a apporté un soutien sans relâche pendant ces années, et plus particulièrement à mon père, à ma mère, ainsi qu’à Samuel Ghiles-Meilhac, Ewa Maczka et Corinne Benestroff.

Je n’oublie pas mes deux enfants, Augustin et Anna, et leur patience à l’égard de ce long travail qui leur aura pris souvent du temps de leur père, alors qu’ils avançaient à grand pas. Merci à Fanny d’avoir rapporté la vie.

Enfin, je dédie ce travail à mes grands-parents, tous trois décédés pendant mon doctorat, enthousiastes et curieux à l’égard de ce projet de recherche, en y joignant ce grand-père absent/présent que je n’ai pas connu. Nés au lendemain de la Première Guerre mondiale, ils ont tous été mes passeurs de mémoire.

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7

Sommaire

Introduction

…...15

A la recherche d’une tierce position……….15

État de la question………...18

Un objet de recherche inscrit dans une tradition historiographique……….20

Une contribution aux études sur la mémoire………22

Présentation des sources………...27

Remarques préalables sur la terminologie………31

Première partie

ENTRE HISTOIRE ET MÉMOIRE DU DEVOIR DE MÉMOIRE

………...…33

Chapitre 1

Itinéraires de recherche

………34

I. Une hypothèse de recherche surdéterminée par des discours d’autorité………...34

1 L’autorité académique………...35

2 L’autorité morale………...36

II. Le silence des archives sur les origines………...…….37

1 Les archives de l’AADJF………..37

2 Les origines comme preuve étymologique………...….40

3 Le « mythe » Primo Lévi………...45

III. Un détour par la notion de mémoire interdiscursive………49

1 Langage et mémoire………...49

2 Tirer le fil de la mémoire de devoir de mémoire………52

Chapitre 2

L’invention des origines du devoir de mémoire

………...57

I. Enquête orale………...57

1 Discours enseignant………...57

2 Acteurs scientifiques………..59

3 Observation dans le champ académique………....64

4 Acteurs politiques………..66

5 Autres acteurs………74

II. Les traces écrites sur les origines………..76

1 Primo Lévi………..76

2 La déportation : évènement matriciel de la mémoire de devoir de mémoire……….84

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8

4 À la marge, une généalogie concurrente………90

Conclusion : De la mémoire du « devoir de mémoire » à l’histoire de devoir

de mémoire

………93

Chapitre 3

Les indicateurs quantitatifs de l’histoire de devoir de mémoire

….99 I. Sources numérisées……….99

II. Discours des médias……….…………101

1 Le corpus de l’INA………..101 2 Méthodologie………..….102 3 Télévision……….106 4 Radio………111 5 Presse écrite ……….112 6 Dépêches AFP……….122

III. Les associations………...123

IV. Les discours politiques………...125

V. Les discours scientifiques………127

VI. Les autres discours……….129

Deuxième partie

ÉMÉRGENCE ET PROVENANCE DE DEVOIR DE MÉMOIRE

………135

Sources et méthodes………...136

Chapitre 1

L’émergence de devoir de mémoire (1972-1991)

………...139

I. Occurrences, locuteurs, et significations du terme (années 1970-1980)………...139

1 Une trouvaille littéraire fortuite………...142

2 Expression d’un nouvel investissement vers le passé………..148

3 Introduction de devoir de mémoire dans le vocabulaire des politiques du passé…………157

4 Devoir de mémoire pour le génocide des Juifs. Entre identité, éthique et justice……...…162

5 Expression d’une quête identitaire………...169

6 Divers usages………...169

II. Devoir de mémoire et droit à la mémoire………170

1 Droit à la mémoire, expression concurrente………171

2 Du droit au devoir, le tournant du milieu des années 1980……….181

Conclusion. Les premiers temps de devoir de mémoire : expression littéraire

polysémique d’une élite………....

185

(9)

9

Chapitre 2

Provenance de devoir de mémoire : le vocabulaire de la mémoire

(années 1960-1980)

……….193

Introduction : historique des définitions de mémoire……….194

I. Usages traditionnels du mot mémoire au XXe siècle………...198

1 Les occurrences de mémoire dans les sources audiovisuelles……….198

2 Les usages de mémoire dans le vocabulaire des associations de résistants et de déportés après la Seconde Guerre mondiale………..200

3 Souvenir : un mot central du vocabulaire officiel des usages du passé………...203

II. Les nouveaux usages du mot mémoire dans les archives télévisées……….211

1 Mémoire et patrimoine……….212

2 Mémoire et identité………..217

III. Mémoire : formulation d’un nouveau rapport au passé………..223

1 Mémoire : nouvelle dénomination du passé……….223

2 Mémoire : dénomination d’un nouvel objet scientifique……….227

IV Vers l’impératif moral : les usages du mot mémoire pour le génocide des Juifs…...247

1 « La libération par la mémoire » de la génération post-génocidaire………247

2 Naissance des « militants de la mémoire »………..255

3 La « mémoire d’Auschwitz » : expression d’une catégorie morale de l’histoire…………258

Chapitre 3

Les politiques du passé dans les années 1980 : édification d’une

grammaire de la mémoire

………..275

I. L’arrivée de François Mitterrand au pouvoir : une rupture politique et sémantique dans le rapport au passé………...………276

II. L’instauration d’un instrument de politiques publiques du passé : la Commission Nationale de l’information historique pour la paix (1981-1982)………..281

1. L’arrivée de Jean Laurain et Serge Barcellini……….281

2. La fin du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale……….283

3. Le projet de création de la Commission nationale de l’information historique pour la paix………..287

III. Mémoire collective : formule consacrée des politiques du passé (1982-1985)……...291

IV Extension et institutionnalisation d’une grammaire de la mémoire (1985-1992)…...305

1 « Lieux de mémoire » et « politique de la mémoire » au service des politiques du passé..306

2 Mémoire : le nom d’une catégorie d’action politique………..311

3 L’étude de Serge Barcellini sur la « politique de mémoire » (1991)………..….317

Conclusion. Le mot mémoire comme nouveau cadre social du rapport au

passé

………..322

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10

Troisième Partie

DE LA CRISTALLISATION AUX CONTROVERSES DE LA

FORMULE DEVOIR DE MEMOIRE

(ANNEES 1990-2000)

……333

Chapitre 1

1992-1993 : Naissance d’une formule

……….335

I. 1992 : publicisation et circulation de devoir de mémoire dans une rhétorique de la dénonciation……….………..336

1 Le devoir de mémoire de Louis Mexandeau face au non-lieu de Touvier (avril 1992)…...336

2 Circulation de devoir de mémoire : la création d’une association « Le devoir de mémoire » (juin 1992- janvier 1993)………344

3 Le devoir de mémoire de l’État français pour la rafle du Vel’ d’Hiv’ (juillet-novembre 1992)………...347

4 Le devoir de mémoire de Michel Noir : création du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (septembre-octobre 1992)………...373

II. 1993 : l’officialisation de devoir de mémoire au rang de formule………388

1 Le devoir de mémoire au baccalauréat (juin 1993)………..389

2 Le devoir de mémoire de Jean-Marie Cavada (juin 1993)………...392

3 Le devoir de mémoire du témoin……….403

III. Analyse socio-historique des conditions d’accès de devoir de mémoire au rang de formule……….………..406

1 La notion de formule en analyse du discours………...406

2 Une formule construite par un problème public dans une rhétorique compassionnelle…..415

3 « Devoir » de « mémoire » : un acte moral……….…421

Chapitre 2

La grammaire du devoir de mémoire (1995-2005)

………..423

I. Dans le cadre référentiel de la mémoire de la Shoah……….424

1 Les médias : indicateurs et acteurs de l’opération de référence………..424

2 De la rhétorique de la dénonciation à l’instrument de mémorialisation………..439

3 Le nom de pratiques commémoratives………443

4 Le nom d’une éducation citoyenne………..445

5 Le nom d’un pacte testimonial……….………456

6 Le nom d’une politique de réparations………465

II. Un outil de mobilisation pour la reconnaissance d’autres mémoires………..494

1 La Résistance, l’autre référence………...494

2 Un convoyeur de sens de pratiques culturelles…..………..503

3 Outil privilégié dans la lutte pour la reconnaissance des mémoires postcoloniales………508

III. Formule consacrée d’une gouvernance du passé. L’exemple du vote des lois de reconnaissance (1998-2005)………..525

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11

2 Reconnaissance du génocide des Arméniens (1998-2001)………..532

3 Reconnaissance des Justes de France (1997-2000)………..537

4 Reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crimes contre l’humanité (1998-2001)………...539

5 Reconnaissance des Français rapatriés d’Algérie (2004-2005)………...546

6. Retour sur le débat des lois dites « mémorielles »……….….550

Chapitre 3

Entre défiance et dissémination. Le devoir de mémoire, des années

2000 à nos jours

………557

I. Les critiques du discours scientifique………..558

1 Derrière le devoir de mémoire, les abus de la mémoire………...558

2 L’affirmation du devoir d’histoire………...563

3 Du devoir de mémoire au travail de mémoire, le moment Ricœur………..569

II. La mise à distance de la formule………578

1 Entre allégeance et défiance : devoir de mémoire dans la mêlée de 2005………...578

2 Les années Sarkozy : l’alliance objective du politique et de l’historien………..582

3 Les indicateurs de la mise à distance de devoir de mémoire………...588

III. La dissémination de devoir de mémoire………598

1 Un enracinement local……….599

2 Une formule « glocalisée » : devoir de mémoire dans le Digital Turn………...604

Conclusion

Devoir de mémoire, expression de notre temps

………609

Index………..617

(12)
(13)

13

L’impression que les choses en passant font en toi y demeure après leur passage, et c’est elle que je mesure, quand elle est présente, non pas ces choses qui ont passé pour la produire.

Saint Augustin, Les Confessions

Notre temps a inventé le devoir de mémoire.

René Rémond

The worst thing one can do with words is to surrender to them.

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15

INTRODUCTION

L’histoire ne coïncide jamais parfaitement avec la façon dont le langage la saisit et l’expérience la formule, autrement dit, avec son expression orale ou écrite, mais elle n’est pas non plus totalement indépendante de ces articulations du langage.

Reinhart Koselleck

A la recherche d’une tierce position

« L’histoire survient quand la partie est terminée 1» écrivait Paul Ricœur en 1983, suivant en cela une conception classique de la discipline historique. C’est l’une des particularités de cette recherche sur l’histoire d’un terme, devoir de mémoire2, dont on peut estimer sans trop d’imprudence que sa « partie » n’est pas tout à fait terminée. Son histoire reste inachevée et pourtant, il est question de la retracer dans le cadre d’une thèse commencée en 2008. Ce caractère inachevé en fait un sujet appartenant d’emblée au champ historiographique désigné sous le nom d’histoire du temps présent3.

La deuxième caractéristique de cette recherche réside dans le statut même de son objet, non seulement au sein de la société mais également au sein de la discipline choisie pour son investigation. En effet, « si le XIXe siècle a pu être vu comme le siècle de l’histoire, le

1 Paul Ricœur, Temps et Récit, t.1, Paris, Seuil, 1983, p. 222.

2 Pour des commodités d’écriture, le terme devoir de mémoire sera systématiquement écrit en italique. 3

Voir Henry Rousso, « Histoire du temps présent », dans Sylvie Mesure et Patrick Savidan (dir.), Dictionnaire

(16)

16

XXe apparaît, à distance de temps, comme celui de la mémoire4 ». Dans cette perspective, s’engager dans une analyse historique du devoir de mémoire, l’une des formules phares du « moment-mémoire5 » de la fin du XXe siècle, paraissait presque vain tant la « mémoire », comme mot et comme notion, semblait surplomber l’espace des pratiques, des représentations comme des échanges langagiers des contemporains, y compris dans le domaine scientifique.

Plus précisément, que pouvait-on bien faire du point de vue de la discipline historique avec cette « bête noire » que représentait le « devoir de mémoire »6, sans se retrouver en porte à faux vis-à-vis de la communauté des historiens qui se sont positionnés régulièrement contre cette formule omniprésente depuis une vingtaine d’années7 ? Les historiens semblaient de fait confrontés, depuis les années 1990, aux « effets de pouvoir propre au jeu énonciatif8 », l’usage répété de la formule signalant vraisemblablement un « usage de son pouvoir, de sa puissance d’action, de sa performativité9 ». Cette confrontation à l’égard du « devoir de mémoire » s’est située en arrière-plan de conflits très vifs d’historiens contre des associations, contre des lois, contre des politiques. Une lutte terme à terme est d’ailleurs apparue : devoir

d’histoire versus devoir de mémoire10. Simple joute oratoire ? Pas tout à fait. Ces expressions

sont devenues des notions définissant des appartenances à tel ou tel « camp »11. Elles ont fait l’objet d’une dispute au sein des cabinets ministériels12, des couloirs du Parlement13, dans les

4

Marie-Anne Paveau, Christophe Pradeau et Pierre Zobermann, « Avant-propos », dans M.-A. Paveau, Ch. Pradeau et P. Zobermann (dir), Le Concept de mémoire. Approches pluridisciplinaires, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 7.

5 Pierre Nora, « L’ère de la commémoration », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. 3, Paris,

Gallimard, coll. « Quarto », 1997, p. 4710.

6 Le terme entouré de guillemets désigne la notion que recouvre devoir de mémoire sans qu’il soit

obligatoirement fait usage du terme.

7 La première prise de position vient d’Henry Rousso et Éric Conan en 1994 dans Vichy, un passé qui ne passe

pas, rééd., Paris, Gallimard, coll. « folio histoire », 2001 [1994 chez Fayard].

8 Michel Foucault, Dits et écrits, t. 2, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2012, p. 144.

9 Josiane Boutet, Le Pouvoir des mots, Paris, La Dispute, 2010, p. 16 ; voir également, Sébastien Ledoux « Les

historiens face aux nouveaux usages du mot mémoire », Mots. Les langages du politique, n° 103, 2013/3, p. 137-143.

10

Voir la conclusion d’Antoine Prost dans son livre publié en 1996, qui apparaît comme le point de départ de la contre-offensive des historiens du point de vue sémantique : « On fait valoir sans cesse le devoir de mémoire: mais rappeler un événement ne sert à rien, même pas à éviter qu’il ne se reproduise, si on ne l’explique pas […]. Si nous voulons être les acteurs responsables de notre propre avenir, nous avons d’abord un devoir d’histoire », A. Prost, Douze leçons sur l’histoire, rééd., Paris, Seuil, «Points histoire», 2007 [1996] , p. 306.

11 Voir le propos de Marie-Claire Lavabre et Sarah Gensburger en 2004, concernant l’opposition entre « devoir

de mémoire » et « abus de mémoire », qui se demandent en introduction si « l’observateur du phénomène mémoriel doit [-il] aujourd’hui choisir son camp en choisissant ses mots », avant de revendiquer une « tierce position », Marie-Claire Lavabre et Sarah Gensburger, « Entre “devoir de mémoire” et “abus de mémoire” : la sociologie de la mémoire comme tierce position », dans Bertrand Müller (dir.), L’histoire entre mémoire et

épistémologie. Autour de Paul Ricœur, Lausanne, Payot, 2004, p. 76.

12

Voir l’entretien avec Raphaël Muller, « conseiller mémoire » au cabinet du ministère de l’Éducation nationale entre 2007 et 2012, 14 juin 2012.

(17)

17

conseils scientifiques des mémoriaux, dans les conseils des collectivités territoriales, et jusque dans les salles de classes d’écoles14.

Que peut ainsi faire du « devoir de mémoire » un doctorant en histoire dans le contexte de positionnements et de redéfinition du champ de l’histoire et du rôle des historiens dans l’espace public, peu de temps après l’année 2005 qui aura vu, fait inédit dans la profession, la création de deux associations, conséquence directe de politiques ou d’actions, formulées justement au nom de ce devoir de mémoire15? Face à une locution investie, au fil de ses usages, d’impératifs moraux comme d’enjeux politiques et scientifiques, la recherche indispensable d’une mise à distance renvoyait au propos d’Henry Rousso selon lequel « on n’écrit pas l’histoire avec pour objectif de défendre telle ou telle valeur16 ». L’investigation scientifique ne pouvait relever par conséquent d’une défense de la discipline historique contre les effets ou abus du « devoir de mémoire », perçu comme un agent sémantique de la « tyrannie de la mémoire17 ». Elle ne pouvait pas non plus être animée par une position éthique défendant la légitimité d’un « devoir de mémoire » à l’égard de tel ou tel objet du passé au nom du bien commun ou d’une morale universelle. Ni avocat de l’histoire, ni celui de la « mémoire », cette recherche m’invitait à échafauder une tierce position tout en s’inscrivant pleinement dans le champ de la discipline historique.

Le processus d’objectivation exigeait de se débarrasser d’une certaine représentation que la notion recouvrait. Une représentation largement tributaire d’une mémoire du mot, tissée au fil des discours et dans laquelle l’auteur de l’étude se situait lui-même immanquablement. Pour ce faire, l’angle de recherche s’est porté sur l’histoire du terme. L’intention de circonscrire devoir de mémoire à ses usages langagiers permettait de le

13

Voir par exemple le cas de la préparation de la « loi Taubira » dans S. Ledoux, « Le “devoir de mémoire” : fabrique du postcolonial ? Retour sur la genèse de la loi Taubira », Cahiers d’histoire, n°118, janvier-mars 2012, p. 117-130.

14 Voir les entretiens avec les enseignants, lors de l’enquête sur le devoir de mémoire à l’école : S. Ledoux, Le

« devoir de mémoire » à l’école. Essai d’écriture d’un nouveau roman national, Sarrebruck, Éditions

Universitaires Européennes, 2011.

15 L’emploi de devoir de mémoire est récurrent au cours de la préparation, puis du vote de la loi du 23 février

2005, dite « loi Mekachera », qui entraîne la création du Comité de Vigilance des Usages Publics de l’Histoire (CVUH) en juin 2005. Le terme revient à plusieurs reprises dans les diverses déclarations et les actions des acteurs de ce que l’on nommera l’« affaire Pétré-Grenouilleau » débutant en juin 2005, et qui conduit plusieurs historiens à lancer une pétition intitulée « Liberté pour l’histoire » dans le journal Libération le 13 décembre 2005. Le texte demande l’abrogation de lois relatives au passé votées par des parlementaires qui -à l’exception de la loi dite Gayssot de 1990- ont employé sans cesse le terme devoir de mémoire pour légitimer leurs actions.

16 Henry Rousso, La Hantise du passé, entretien avec Philippe Petit, Paris, Textuel, 1998, p. 137.

17 Expression que l’on trouve en titre d’un article de Philippe Joutard dans la revue L’Histoire en mai 1988, et

qui est reprise par Pierre Nora en 1993 dans sa phrase conclusive du dernier volume des Lieux de mémoire : « La tyrannie de la mémoire n’aura duré qu’un temps - mais c’était le nôtre », « L’ère de la commémoration », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, tome 3, op. cit., p. 4715.

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18

détacher de sa dimension conceptuelle pour l’inscrire dans une trajectoire discursive. En partant du postulat que « l’analyse énonciative est [donc] une analyse historique18 », on passait ainsi de l’histoire du « devoir de mémoire » à l’histoire de devoir de mémoire.

L’intention de recherche était par conséquent de retracer la trajectoire d’un terme dans son contexte historique, en établissant la chronologie de ses usages (origine, périodisation). Il me revenait d’effectuer cette opération tout en évitant l’écueil d’une « sorte de prophétisme à l’envers19 », tentation bien connue de l’historien, ce qui me permettait d’ouvrir ainsi à la fois l’itinéraire et les sens du terme d’abord à ses usages, en considérant avant tout que « la signification d’un mot est son emploi dans le langage20 ».

État de la question

Faire l’histoire du terme devoir de mémoire constituait un nouveau chantier à construire puisqu’aucune étude historique n’avait été vraiment menée sur le sujet. Les contributions des historiens étaient restées de l’ordre du débat21 ou d’une approche historique de la notion mais non du terme lui-même22.

Dans les autres champs disciplinaires, une thèse de philosophie avait été consacrée à la notion de « devoir de mémoire » par Emmanuel Kattan à la fin des années 199023. Ce travail s’était effectué dans une perspective de philosophie morale, la notion de « devoir de mémoire » étant inscrite dans l’histoire longue depuis l’Antiquité. Puisant dans la philosophie kantienne, dans les réflexions de Pierre Nora et de Paul Ricœur, Emmanuel Kattan référait la notion à une nécessité ontologique des sociétés humaines de se souvenir : hommage aux morts, unité narrative, devoir d’humanité. Son travail s’ancrait dans la perspective ricoeurienne du besoin pour les sociétés d’une « mémoire apaisée24 ».

Le philosophe Paul Ricœur avait justement consacré quelques pages à la notion de « devoir de mémoire » dans son ouvrage La Mémoire, l’histoire, l’oubli paru à la fin de

18 Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, rééd., Paris, Gallimard, « coll. Tel », 2008 [1969], p. 151. 19 Arlette Farge, Des lieux pour l’histoire, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 1997, p. 36. 20

Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, Paris, Gallimard, 2004, p. 50.

21 Jean-Pierre Rioux, « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », Vingtième siècle, n° 73, 2002, p. 157-167 ;

Thomas Ferenczi (dir.), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Bruxelles, Complexe, 2002.

22 Serge Barcellini, « Du droit au souvenir au devoir de mémoire », dans Les Cahiers français, Documentation

française, n°303, juillet-août 2001, p. 24-28 ; et Olivier Lalieu, « L’invention du “devoir de mémoireˮ »,

Vingtième siècle, n°69, janvier-mars 2001, p. 83-94. Ce dernier article fait l’objet d’une analyse dans le premier

chapitre de la thèse.

23 La thèse est l’objet d’une publication peu après : Emmanuel Kattan, Penser le devoir de mémoire, Paris, PUF,

2002.

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19

l’année 200025. Dans ce commentaire qui avait pour cadre une réflexion politico-normative sur la « juste mémoire » comme horizon d’attente, Ricœur faisait du « devoir de mémoire » une injonction nécessaire qu’il associait au « devoir de rendre justice26 », mais il relevait dans le même temps son usage « équivoque27 » le renvoyant du côté des « abus » de la mémoire.

Du côté de la sociologie, « devoir de mémoire » avait servi de titre à un ouvrage collectif de la part de sociologues canadiens sans pour autant en être un objet d’étude en tant que tel28. Seul l’article de Sarah Gensburger et Marie-Claire Lavabre, publié en 2004, était consacré en partie à la notion de « devoir de mémoire » pensée en opposition à celle d’« abus de mémoire »29. Constatant que la notion de « devoir de mémoire » était devenue un « lieu commun, un poncif de l’évocation du passé dans l’espace public30 », les deux sociologues analysaient la construction historique de cette notion en indiquant quelques jalons chronologiques du terme31. Les divers sens que recouvrait alors la notion étaient ensuite précisés. En revendiquant une position tierce permettant d’échapper à l’opposition « devoir de mémoire »/« abus de mémoire » chargée de paradoxes32 et conduisant à une impasse pour étudier la mémoire, Sarah Gensburger et Marie-Claire Lavabre estimaient dans leur conclusion que le « devoir de mémoire » relevait en définitive de la « sphère politique », à entendre « comme une prescription politique telle qu’elle s’exprime dans tout enseignement de l’histoire33 ». Le « devoir de mémoire » était donc appréhendé et pensé par les deux sociologues comme une notion nourrissant, dans le champ scientifique, « la dimension politique, conflictuelle et polémique de l’évocation du passé » ce qui ne contribuait pas « à élucider les ressorts des mémoires socialement partagées34 ».

25 P. Ricœur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, rééd., Seuil, coll. « Points essais », Paris, 2003. 26 Ibid., p. 108.

27 Ibid., p. 106. Cette réflexion est étudiée dans le troisième chapitre. 28

Labelle, Micheline, Antonius, Rachad, et Leroux, Georges (dir.), Le Devoir de mémoire et les politiques du

pardon, Québec, Presses de l’Université de Québec, 2005.

29 Sarah Gensburger et Marie-Claire Lavabre, « Entre “devoir de mémoireˮ et “abus de mémoireˮ : la sociologie

de la mémoire comme tierce position », op.cit., p. 76-105.

30 Ibid., p. 76.

31 Précisant que le terme « ne s’est développé que depuis les années 1980 » (ibid., p. 77), les auteurs mentionnent

l’année 1993, date à laquelle « le “devoir de mémoireˮ acquiert un statut national » (ibid.) en revenant sur le choix du sujet de philosophie donné au baccalauréat en juin 1993 (« Pourquoi y a-t-il un devoir de mémoire ? ») et sur le choix du terme en titre de l’émission télévisée La Marche du siècle, diffusée le 30 juin 1993.

32 Voir le commentaire concernant les positions de Tzvetan Todorov et de Stéphane Courtois sur le sujet, ibid., p.

78-84.

33

Ibid., p. 95.

(20)

20

Un objet de recherche inscrit dans une tradition historiographique

Une telle recherche sur l’histoire d’un terme s’inscrit en fait dans un champ historiographique ancien. Au XIXe siècle, Fustel de Coulanges avait déjà porté attention aux sens des mots anciens pour comprendre une période passée35. Cependant, c’est avec l’école des Annales, à la fin des années 1920, qu’une véritable histoire des mots commence, en particulier avec Lucien Febvre qui consacre en 1928 une étude historique au mot frontière36. L’historien poursuivra à plusieurs reprises ce travail socio-historique sur d’autres termes comme civilisation, capitalisme ou travail37. Au lendemain de la guerre, Lucien Febvre esquisse une histoire de la formule « Honneur et patrie » dans deux de ses cours donnés au Collège de France38. Lucien Febvre rappelle alors les éléments de méthodologie de ce champ de recherche spécifique, en particulier celui de saisir le mot étudié à travers ses usages en renonçant à sa définition théorique39. Notre étude de cas sur le devoir de mémoire s’inscrit dans le droit fil de cette tradition historiographique, qui s’attache à l’histoire du mot et de ses usages, différente de celle de l’histoire conceptuelle qui renvoie à la façon dont une idée ou une notion a pu s’exprimer dans des mots40. L’analyse historique des mots a vécu une profonde transformation épistémologique au cours des années 1970. D’une part en Allemagne, l’entreprise scientifique connue sous le nom de Begriffsgeschichte se concentre sur l’histoire de concepts par l’analyse de leur terminologie41. En historicisant l’usage des mots comme histoire, révolution, progrès, qui marquent, entre 1750 et 1850, une période charnière (Sattelzeit), l’historien le plus important de cette école, Reinhart Koselleck, inscrit

35 Ainsi écrivait-il que « les mots sont restés, immuables témoins de croyances qui ont disparu », Fustel de

Coulanges, La Cité antique, Paris, Hachette, 1943 [1864], p. 5.

36 Lucien Febvre, « Frontière : le mot et la notion », Bulletin du Centre international de Synthèse, vol. XLV, juin

1928, p. 31-44.

37 L. Febvre, « Civilisation. Évolution d’un mot ou d’un groupe d’idées », dans L. Febvre, Civilisation, le mot et

l’idée, Paris, La Renaissance du livre, 1930, p. 1-55 ; « Capitalisme et capitaliste : mots et choses », Annales d’histoire sociale, n°4, 1939, p. 401-403 ; « Travail : évolution d’un mot et d’une idée », Journal de psychologie normale et pathologique, vol. XLI, janvier-mars 1948, p.19-28.

38

Le manuscrit inachevé de ces cours a été retrouvé en 1987 et publié ensuite : L. Febvre, Honneur et patrie, Paris, Pocket, 2001 [1996]. Signalons que Lucien Febvre joue alors un rôle central dans la Commission d’Histoire de l’Occupation et de la Libération de la France créée en octobre 1944 par le Gouvernement provisoire de la République française.

39 « Il faut que nous le sachions, pour notre travail, pour notre vie aussi peut-être. La définition théorique ne peut

qu’être en dehors d’une étude d’historien. Une définition théorique n’est rien. L’histoire du mot, si elle est faite avec précaution, est beaucoup », ibid., p. 63.

40

Pour l’histoire conceptuelle, citons, entre autres exemples, Claude Nicolet, L’idée républicaine en France

(1789-1824), Paris, Gallimard, 1994 [1982] ; André Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, 1993 ;

Frédéric Rouvillois, L’Invention du progrès. 1680-1730, Paris, CNRS Éditions, 2011.

41 Un dictionnaire historique des concepts est réalisé sous la direction d’Otto Brunner, Werner Konze et Reinhart

Koselleck entre 1972 et 1997 : Geschichtliche Grundbergriffe. Historisches Lexicon zur politisch-sozialer Sprache in Deutschland, Stuttgart, Ernst Klett-J.G. Kotta, 1972-1997.

(21)

21

l’histoire des concepts comme une contribution indispensable à l’histoire sociale42. En France, se développe à la fin des années 1960 avec Jean Dubois43 et Michel Pêcheux un nouveau domaine de recherche dénommé « Analyse du discours », qui s’appuie sur la lexicométrie pour construire des corpus44. Très vite, l’objet « discours » est investi par des historiens, Jacques Guilhaumou et Régine Robin en premier lieu qui choisissent comme période d’investigation la Révolution française45. Il s’agit notamment d’analyser des configurations d’énoncés et le lien entre action et discours. Ce nouveau champ de recherche trouve un écho favorable auprès du courant de la Nouvelle Histoire46. D’autres historiens poursuivent dans cette même voie comme Denis Peschanski47 ou Sophie Wahnich48. Ce champ scientifique a été récemment favorisé par la création de nouveaux outils et la numérisation des archives. Ainsi le logiciel de logométrie « Hyperbase », conçu par Étienne Brunet et produit par le laboratoire « Bases, Corpus, Langage » à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, est exploité

42 « La terminologie scientifique de l’histoire sociale a toujours besoin de l’histoire des concepts pour vérifier

l’expérience mise en mémoire de la langue. Et c’est aussi pourquoi l’histoire des concepts a besoin des résultats de l’histoire sociale pour garder à l’esprit l’écart irréductible qui subsiste toujours entre la réalité disparue et ses témoignages langagiers », R. Koselleck, « Histoire sociale et histoire des concepts », dans L’Expérience de

l’histoire, rééd., Paris, Gallimard, coll. « Points histoire », 2011 [1986 dans sa version originale], p. 157. Voir

également du même auteur « Histoire des concepts et histoire sociale », dans Le Futur passé. Contribution à la

sémantique des temps historiques, Paris, EHESS, 1990, p. 99-118.

43 Dans sa thèse publiée en 1962, Jean Dubois porte un regard innovant sur le discours et l’histoire politiques : Le

Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris, Larousse, 1962.

44

La conclusion de Jean Dubois, « Lexicologie et analyse d’énoncé », prononcée au Colloque de Lexicologie politique de Saint Cloud, en avril 1968, fait figure de manifeste de l’analyse du discours (intervention publiée en 1969 dans les Cahiers de lexicologie). Le livre de Michel Pêcheux, paru en 1969, Analyse automatique du

discours, annonce un programme théorique et pratique de l’analyse du discours. Le Laboratoire de lexicologie

politique dirigé par Maurice Tournier, à l’ENS de Saint Cloud, et la revue Mots. Les langages du politique, créée par ce dernier en 1980, jouent par la suite un rôle déterminant dans le développement de ce nouveau domaine de recherche en France.

45 Jacques Guilhaumou fait sa thèse en 1978 sur les discours révolutionnaires (1792-1794) sous la direction de

Michel Vovelle. Régine Robin commence par travailler sur le champ sémantique de « féodalité » à partir du corpus de cahiers de doléances de 1789 ; voir son texte publié en 1975 dans le Bulletin du Centre d’analyse du

discours de Lille, n°2. Elle publie également en 1973 Histoire et linguistique, chez Armand Colin, et dirige

l’année d’après un ouvrage collectif, Langage et idéologies. Le discours comme objet de l’histoire, Paris, Les Éditions ouvrières, 1974. Pour la présentation de l’engagement des historiens dans ce champ d’étude, je renvoie à l’article de J. Guilhaumou : « A propos de l’analyse du discours : les historiens et le “tournant linguistiqueˮ,

Langage et société, n°65, 1993, p. 5-38 ; et Antoine Prost, « Les mots », dans R. Rémond, Pour une histoire politique, rééd., Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1996 [1988], p. 255-284.

46

Jacques Guilhaumou et Denise Maldidier rédigent l’article « Langage » dans l’Encyplopédie de la Nouvelle Histoire en 1978 : Jacques Le Goff, Roger Chartier et Jacques Revel (dir.), La Nouvelle histoire, Paris, Retz-CEPL, 1978, p. 304-308.

47 Dans sa thèse de IIIe cycle (ancien régime) dirigé par Antoine Prost, Denis Peschanski analyse le discours

communiste des années 1930, à partir d’un corpus extrait du journal L’Humanité : « Discours communiste Grand Tournant. Le vocabulaire de l’Humanité 1934-1936 », Université de Paris 1, 1981. La thèse est publiée par la suite : Et pourtant ils tournent. Vocabulaire et stratégie du PCF 1934-1936, Paris, Klincksieck, collection « Lexicologie et textes politiques », 1988.

48

Citons, entre autres, Sophie Wahnich, « Puissance des concepts et pouvoirs des discours. Quelques débats révolutionnaires sur la souveraineté », Ethnologie française, n° 29, 1994/4, p. 591-598.

(22)

22

depuis plusieurs années par le chercheur Damon Mayaffre pour analyser les discours des présidents de la Ve République49.

Parallèlement, des chercheurs en analyse du discours ont élaboré différentes notions en travaillant notamment à partir des discours des médias. Les notions de « formule » chez Alice Krieg-Planque50, ou de mémoire interdiscursive chez Sophie Moirand51 et Marie-Anne Paveau52, ont constitué un apport très précieux pour comprendre la trajectoire de devoir de mémoire.

Plus généralement, les différents domaines de recherche étudiant l’histoire des mots m’ont conduit au refus de tout substantialisme du terme devoir de mémoire, en recherchant son sens d’abord dans ses usages et dans les effets qu’il peut produire, à scruter l’articulation entre discours et action, ainsi qu’à relever les configurations d’énoncés. Bref, à prendre au sérieux « la force des mots », comme nous invitait à le faire Reinhart Koselleck53. Enfin, notons que cette recherche sur l’histoire du terme devoir de mémoire s’inscrit dans une tradition historiographique ancienne qui est toujours bien vivante actuellement54.

Une contribution aux études sur la mémoire

L’analyse historique du terme devoir de mémoire participe, à divers titres, aux recherches consacrées à la mémoire qui se développent depuis une trentaine d’années dans

49 Damon Mayaffre, Le Discours présidentiel sous la Ve République. Chirac, Mitterrand, Giscard, Pompidou, de

Gaulle, Paris, Presses de Sciences Po, 2012.

50

Alice Krieg-Planque a consacré sa thèse à la formule « purification ethnique » : A. Krieg-Planque, « Purification ethnique ». Une formule et son histoire, Paris, CNRS, 2003.

51 Parmi les nombreux travaux de Sophie Moirand sur ce sujet (voir dans la bibliographie), citons déjà « La

circulation interdiscursive comme lieu de construction de domaines de mémoire par les médias », dans Juan Manuel Lopez Munoz, Sophie Marnette et Laurence Rosier (dir.), Le Discours rapporté dans tous ses états, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 373-385 ; « Entre discours et mémoire : le dialogisme à l’épreuve de la presse ordinaire », dans « Intertextualité et interdiscursivité dans les médias », TRANEL (44), 2006 Université de Neuchâtel, p. 39-55 ; et « Discours, mémoires et contextes : à propos du fonctionnement de l’allusion dans la presse », CORELA - Cognition, discours, contextes | Numéros thématiques. [En ligne] Publié en ligne le 01 novembre 2007. URL : http://corela.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=1567, consulté le 12 juin 2011.

52 Voir Marie-Anne Paveau, Les Prédiscours. Sens, mémoire, cognition, Paris, Presses Sorbonne, 2011.

53 « Si l’on en croit un mot célèbre d’Epictète, ce ne sont pas les actions qui ébranlent les hommes, mais ce que

l’on dit à propos de ces actions. […]. Elle [la sentence d’Epictète] nous rappelle la force des mots, sans l’usage desquels ce que nous faisons, ce que nous souffrons, serait à peine du domaine de l’expérience, et certainement pas communicable », R. Koselleck, « Histoire des concepts et histoire sociale », op.cit., p. 99.

54 Parmi les études récentes ayant pour objet l’analyse historique d’un mot, citons Stéphane Dufoix, La

Dispersion. Une histoire des usages du mot diaspora, Paris, Éditions Amsterdam, 2011, et Olivier Forlin, Le Fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels, Paris, La Découverte, 2013.

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23

des champs de plus en plus variés, et qui tendent à en faire une discipline à part entière désignée, dans les pays anglo-saxons, sous le nom de Memory Studies55.

En choisissant un terme comme objet d’étude, notre recherche aborde le rôle du langage dans le fonctionnement même de la mémoire individuelle, un rôle déjà signalé en 1925 par le fondateur des études sur la mémoire, Maurice Halbwachs56. Celui-ci consacre un chapitre entier à l’articulation entre le langage et la mémoire dans Les cadres sociaux de la

mémoire57. En postulant que « les hommes pensent en commun par le moyen du langage58 »

Halbwachs conclut que « chaque mot (compris), s’accompagne de souvenirs, et il n’y a pas de souvenirs auxquels nous ne puissions faire correspondre des mots. Nous parlons nos souvenirs avant de les évoquer59 ». Une analyse historique du terme devoir de mémoire nous amène ainsi à rechercher en amont comment lui-même s’est trouvé mis en mémoire par ses locuteurs et quels ont été les processus intersubjectifs qui ont conduit au partage de ses usages, et donc à sa reconnaissance mutuelle dans l’espace social.

En reprenant le postulat qu’il existe des cadres sociaux déterminant l’évocation individuelle ou collective du passé, notre étude interroge également, à partir des usages de la formule devoir de mémoire, le rôle du langage en tant que cadre social, signalé aussi par Halbwachs60. Faire l’histoire d’une formule comme devoir de mémoire revient ainsi à examiner le rôle qu’a pu jouer ce terme dans la production et la circulation de discours relatifs

55

Voir par exemple, en France, le programme de recherche pluridisciplinaire Matrice Memory (Memory

Analysis Tools for Research through International Cooperation and Experimentations), croisant les sciences

humaines et sociales avec les neurosciences, lancé sous la direction de Denis Peschanski (CNRS) en 2011. L’historien en présente les enjeux scientifiques en introduction de l’ouvrage collectif : Denis Peschanski (dir.)

Mémoire et mémorialisation, Paris, Hermann, 2013. La revue numérique franco-québecoise Conserveries mémorielles, lancée en 2006 et dirigée actuellement par Henry Rousso (CNRS) et Jocelyn Létourneau

(CELAT-Université Laval), s’est donnée « pour ambition d’explorer différents champs de la mémoire » abordés « dans une perspective internationale et transdisciplinaire », texte de présentation sur le site. Dans les pays anglo-saxons et en Allemagne, les Memory Studies se sont institutionnalisés au cours des années 2000 avec la création de revues, d’éditions et de centres de recherches spécifiques. Citons notamment la revue Memory studies, créée en 2008 et dirigée par le sociologue Andrew Hoskins, l’Interdisciplinary Memory Group à la New School for Social Research de New-York, le Center for Interdisciplinary Memory Research dirigé par le psychosociologue Harald Welzer à l’institut d’Essen en Allemagne, ou le Center of Memory Studies fondé par le sociologue Andrew Hoskins à l’Université de Warwick. Pour une lecture critique de ce nouveau champ de recherche, voir S. Gensburger, « Réflexion sur l’institutionnalisation récente des memory studies », Revue de Synthèse, tome 132, 6e série, n° 3, 2011, p. 1-23.

56

« L’invention de la mémoire comme objet revient à Halbwachs. C’est de lui que nous repartons tous, quitte à élargir son questionnaire en traitant des points aveugles de ses études », Lucette Valensi, « Histoire nationale, histoire monumentale. Les lieux de mémoire (note critique) », Annales. Histoire, Sciences sociales, n°6, 1995, p. 1276-1277.

57

Maurice Halbwachs, « Le langage et la mémoire », dans Les Cadres sociaux de la mémoire, rééd., Paris, Albin Michel, 1994 [1925], p. 40-82.

58 Ibid., p. 53. 59 Ibid., p. 279. 60

Dans sa réflexion sur la mémoire collective, le sociologue affirme que « les conventions verbales constituent donc le cadre à la fois plus élémentaire et le plus stable de la mémoire collective », ibid., p. 82.

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24

au passé. Le langage ayant une dimension performative61, il s’agit aussi de relever les usages de devoir de mémoire qui ont pu encadrer des actions publiques destinées à la remémoration collective de faits passés.

Il convient par ailleurs de s’intéresser au contenu même du terme étudié qui renvoie, sous une forme injonctive, à l’une des attributions de la mémoire au niveau individuel, la capacité de se souvenir des choses passées, ou à l’une des fonctions de la mémoire, cette fois au niveau collectif, c’est-à-dire la mobilisation du passé au présent pour l’avenir. Dans cette « institution du sens62 » qu’est le langage, la spécificité d’un terme tel que devoir de mémoire est ainsi d’instituer du sens au sein d’une expérience de la temporalité. Pour reprendre la problématique énoncée par Reinhart Koselleck63, les usages du terme devoir de mémoire mettent en jeu l’horizon temporel du discours et de l’action, à l’échelle individuelle et collective. L’analyse de devoir de mémoire renvoie ainsi, pour la période de l’histoire du temps présent, à la question posée par l’historien allemand : « Comment dans chaque présent, les dimensions temporelles du passé et du futur ont-elle été mises en relation ?64». Il s’agit alors de faire de ce concept contemporain qu’est devenu le « devoir de mémoire » une étude de cas propre à mieux saisir une période historique dans son rapport au temps65.

En mettant en exergue la construction d’un vocabulaire de la mémoire dont devoir de mémoire apparaît comme l’une des déclinaisons, et historiciser, par ce biais, le phénomène mémoriel à travers sa manifestation langagière, ce projet de recherche souhaite, en outre, contribuer à une meilleure compréhension de la mémoire tant dans ses mécanismes que dans la place qui lui est accordée depuis la fin du XXe siècle, la « mémoire » étant prise cette fois au sens métaphorique du terme. Le langage aura été, en effet, l’un des signes les plus visibles d’une évolution du rapport au passé des contemporains à travers de nouveaux usages du mot mémoire et la production d’un nouveau champ lexical. Le caractère essentialisant de la « mémoire », formé depuis plus d’une trentaine d’années, lui assurant une qualité intrinsèque dans le discours social, n’est pas étranger au pouvoir propre du mot qui s’est imposé dans notre vocabulaire. Retracer l’histoire du terme devoir de mémoire, en historicisant ce vocabulaire de la mémoire, nous conduit à se démarquer de toute transcendance de la

61 Je renvoie aux travaux classiques de J.L. Austin, Quand dire c’est faire, rééd., Paris, Seuil, coll. « Point

essais », 2002 [1970] et de J.R. Searl, Les Actes de langage, Paris, Hermann, 2009 [1972].

62

Vincent Descombes, Les Institutions du sens, Paris, Minuit, 1996.

63 R. Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, op.cit. 64 Ibid., p. 11.

65 Voir Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, Penser par cas, Paris, EHESS, 2005. Pour les enjeux de ce projet

de recherche, je renvoie à notre texte « Écrire une histoire du “devoir de mémoireˮ », Le Débat, n°170, mai-août 2012, p. 175-185.

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25

« mémoire » qui renvoie à son acception dans un sens commun souvent corroboré dans le champ scientifique. Le travail qui m’a occupé, en toile de fond de la recherche sur le terme devoir de mémoire, a demandé une clarification de la dénomination de « mémoire » dont la polysémie est devenue, au fil des usages du mot, l’une des principales caractéristiques. Au fond, que désigne-t-on quand on parle de « mémoire » ? Autrement dit, pour reprendre les termes de la sociologue Marie-Claire Lavabre, « de quoi la mémoire est-elle aujourd’hui le nom66 » ? La question devient, dans notre travail, d’ordre historique. Il s’agit d’esquisser l’évolution des usages du terme et des objets auxquels ils ont fait référence au cours de la seconde moitié du XXe siècle en prêtant également attention à leurs locuteurs.

Dans le même temps, un tel travail historicisant la mémoire, plus exactement ce que l’on a nommé mémoire dans l’espace public, ne peut s’effectuer dans une hiérarchisation entre « mémoire » et « histoire ». Le paradigme scientifique du « divorce libérateur et décisif67 » entre « mémoire » et « histoire » établi par Pierre Nora à la fin des années 1970 ne me semble pas opérant pour analyser l’objet mémoire. Le divorce libérateur consisterait plutôt au dépassement de ce paradigme qui a enfermé la définition de la mémoire en regard -en opposition la plupart du temps- de la discipline historique, présentée implicitement comme la plus légitime pour discourir sur le passé. Il m’a ainsi paru nécessaire d’opérer un décentrement disciplinaire pour retracer l’histoire du terme devoir de mémoire. En reprenant les travaux d’Halbwachs considérant la notion de « mémoire » comme une construction dynamique qui s’opère conjointement par « effet du passé et effet du présent68 », j’ai souhaité tirer jusqu’au bout les conséquences du postulat énoncé par le sociologue dans sa définition de la mémoire collective69. L’articulation entre les remémorations individuelles et publiques du passé, entre « les régimes de mémorialité et les conditions de la mise en récit mémoriel70 » doit être analysée au regard des mutations sociales du présent, sans pour autant tomber dans

66 M.-C. Lavabre, « De quoi la mémoire est-elle aujourd’hui le nom ? », L’Enigma della memoria collettiva.

Politica, istituzioni, conflitti, dans L. Migliorati et L. Mori (dir.), Vérone, QuiEdit, 2011, p. 35-49.

67

P. Nora, « Mémoire collective », Jacques Le Goff, Roger Chartier et Jacques Revel (dir.), La Nouvelle

histoire, Paris, Retz-CEPL, 1978, p. 400. Pierre Nora revient de nouveau sur cette opposition dans son

introduction aux Lieux de mémoire en 1984 : «Mémoire, histoire: loin d’être synonymes, nous prenons conscience que tout les oppose», P. Nora, «Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux», dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, t. 1, op.cit., p. 24.

68 M.-C. Lavabre, « Paradigmes de la mémoire », Transcontinentales, n° 5, 2e semestre 2007, p. 147.

69 « Si, comme nous le croyons, la mémoire collective est essentiellement une reconstruction du passé, si elle

adapte l’image des faits anciens aux croyances et aux besoins spirituels du présent, la connaissance de ce qui était à l’origine est secondaire, sinon tout à fait inutile, puisque la réalité du passé n’est plus là, comme un modèle immuable auquel il faudrait se conformer », M. Halbwachs, La Topographie légendaire des Evangiles en

terre sainte. Étude de mémoire collective, rééd., Paris, PUF, 2008 [1941] , p. 7.

70

Titre du dernier chapitre de Denis Peschanski, Les Années noires. 1938-1944, Paris, Hermann, 2012, p. 387-402.

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un certain présentisme71. Ce schéma conceptuel a des effets heuristiques pour notre propre objet de recherche. Le terme devoir de mémoire, qui met en jeu l’articulation entre mémoire individuelle et partage collectif d’objets du passé, ne s’est pas imposé dans le discours social comme par transcendance. Le choix de ses usages résulte d’interactions entre des locuteurs, qu’il convient de considérer comme porteurs eux-mêmes d’une mémoire en interaction continue et non linéaire avec l’espace social. En définitive, la trajectoire de devoir de mémoire est à penser comme le lieu dynamique d’interactions multiples entre le social et l’individu72. Une approche qui fait finalement écho à celle de Mikhaïl Bakhtine pour lequel, appliquant la méthode sociologique à la linguistique, « le mot s’avère, dans la bouche de l’individu, le produit de l’interaction vivante des forces sociales73 ». Pour déterminante qu’elle soit, cette approche interactionniste de la mémoire, héritée de la sociologie halbwachsienne, apparaît insuffisante pour notre étude. L’analyse historique de devoir de mémoire ne peut se faire qu’avec l’apport d’autres disciplines, notamment celles de l’analyse du discours, de l’anthropologie, et des sciences politiques74. A la suite d’autres historiens75, je considére ainsi que l’écriture de l’histoire sur et avec la mémoire, prise dans sa polysémie, doit s’élaborer dans un dialogue permanent avec d’autres champs disciplinaires, sans donner à l’historien une autorité particulière d’expert pour surplomber cet objet, en conséquence trop souvent fixé par des considérations normatives. Ce positionnement m’apparaît comme un préalable à un retour réflexif de la discipline historique sur l’objet mémoire, près de quarante ans après celui construit par Pierre Nora. Le croisement de plusieurs notions empruntées à ces différentes disciplines s’est révélé particulièrement fécond pour comprendre et restituer la trajectoire de devoir de mémoire. Citons nottamment celles de « mémoire discursive », de « mémoire interdiscursive », d’« opération de référence » et de « procès d’acceptabilité » en analyse du discours, de « mémoire collective » en sociologie de la mémoire, de « problème public », de

71 Voir à ce sujet les remarques de Sarah Gensburger dans « Réflexion sur l’institutionnalisation récente des

memory studies », op.cit., citant Halbwachs : « Il ne suffit pas de reconstituer pièce à pièce l’image d’un

événement passé pour obtenir un souvenir. Il faut que cette reconstruction s’opère à partir de données ou de notions communes qui se trouvent dans notre esprit aussi bien que dans ceux des autres, parce qu’elles passent sans cesse de ceux-ci à celui-là et réciproquement, ce qui n’est possible que s’ils ont fait partie et continuent à faire partie d’une même société. Ainsi seulement, on peut comprendre qu’un souvenir puisse être à la fois reconnu et reconstruit », M. Halbwachs, La Mémoire collective, rééd., Paris, Albin Michel, 1997 [1950], p. 63.

72

Voir l’analyse de l’anthropologue Carlo Severi pour qui « l’acte verbal révèle en définitive un espace d’interactions où le lien social peut se déployer à travers l’exercice du langage », « Introduction », dans « Paroles en actes », Cahiers d’anthropologie sociale, n° 5, 2009, p. 10.

73 Mikhaïl Bakhtine, Le Marxisme et la philosophie du langage. Essai d’application de la méthode sociologique

en linguistique, Paris, Éditions de Minuit, 1977 [1929], p. 124.

74 Concernant l’apport de la sociologie et des sciences politiques pour l’histoire du temps présent, voir

l’introduction d’Henry Rousso dans Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.), La Fabrique interdisciplinaire, Rennes, PUR, 2008.

75

Voir D. Peschanski, « Pour un changement de paradigme en Memory Studies », INA éditions, janvier 2013, en accès libre sur le site matricememory.fr.

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27

« politique publique » et d’« agenda » en sciences politiques, de « rhétorique compasionnelle » et de rhétorique de la « dénonciation » en sociologie, de « régime de mémorialité », de « mémorialisation », et d’« espace d’expérience » en histoire.

Présentation des sources

La construction du corpus pour retracer l’histoire du terme devoir de mémoire a nécessité de rassembler des sources composites.

1.Sources écrites

Le choix des sources écrites a été en partie déterminé selon les hypothèses de recherche de départ s’agissant des « origines » historiques du terme. Il s’agissait d’examiner en priorité le vocabulaire des associations de la mémoire de l’Holocauste et celui des politiques publiques du passé de l’État français. Deux fonds d’archives ont ainsi été dépouillés : le fonds de l’Amicale des anciens déportés juifs de France (AADJF) et celui du secrétariat d’État aux Anciens combattants et aux victimes de guerre dénommé « fonds Barcellini »76. Le fonds de l’AADJF comprend 48 cartons, déposés au Centre au Mémorial de la Shoah, qui ne sont pas catalogués et n’ont pas tous été classés77. Il présente les activités de l’association, en particulier commémoratives, depuis sa création en 1945 jusqu’aux années 1980. Sur les 701 cartons que comptent le « fonds Barcellini » déposé au Service Historique de la Défense, à Vincennes, une centaine a été exploitée, qui concernait directement le champ de la recherche78.

Sources numérisées

Les sources numérisées qui mettent désormais à disposition des bases de données quantitativement considérables se sont révélées particulièrement fécondes pour ce sujet de recherche79. Il a fallu néanmoins les appréhender avec de multiples précautions et vérifications pour éviter les erreurs de chronologie du terme, voire un certain anachronisme80. Dans l’avancement de la recherche, ce sont, la plupart du temps, ces sources qui ont permis d’établir efficacement une chronologie du terme devoir de mémoire.

76

Je remercie très sincèrement Serge Barcellini de m’avoir autorisé à consulter ces archives.

77 Fonds AADJF, CMXXVIII (1-48), mémorial de la Shoah.

78 Fonds Barcellini, 1K841 (1-701), Service Historique de la Défense, Vincennes.

79 Pour ce nouvel aspect de la recherche en histoire, voir Claire Lemercier et Claire Zalc, Méthodes quantitatives

pour l’historien, Paris, La Découverte, 2008

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Notre corpus s’est élaboré à partir de plusieurs bases de données numériques : .Google Ngram Viewer81 :

Ce nouveau programme de numérisation d’ouvrages publiés dans le monde depuis 1800 a été une aide très précieuse pour retrouver des occurrences de l’expression.

. INA :

Les archives numérisées de l’INA ont permis de relever et d’analyser les usages de devoir de mémoire à la radio (depuis 1933) et à la télévision (depuis 1949).

. Europresse82 :

Le site d’Europresse rassemble les différentes bases d’archives numériques de la presse nationale et régionale en France. Il propose un moteur de recherche très efficace dans la recherche par « mot-clé » qui a favorisé la construction du corpus pour la presse écrite. . AFP83 :

Le site de l’AFP dispose d’un corpus numérisé de ses dépêches depuis 1980. Son moteur de recherche fonctionne par mots et expressions, mis entre guillemets, de façon très efficace ce qui a permis de repérer les occurrences du terme étudié.

. Refasso84 :

Le site refasso a constitué une base de données numériques recensant la totalité des statuts déclarés et/ou modifiés des associations en France depuis 195985. Le site du journal officiel86, journal-officiel.gouv.fr, donne libre accès à ces déclarations depuis 1997. Ces deux bases de données ont permis d’élargir le corpus des occurrences du terme au vocabulaire employé par les associations auprès des pouvoirs publics lorsqu’elles se créent ou modifient leurs statuts.

. Persée87 et Cairn88 :

Le site Persée est le résultat d’un programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales de langue française dont certaines datent du XIXe siècle. L’intégralité des collections imprimées de revues est numérisée et mise en ligne

81

Site books.google.com/ngrams, accès gratuit.

82 Site http://www.europresse.com, accès payant. Plusieurs universités françaises ont établi un partenariat avec

europresse pour permettre à leurs chercheurs un accès libre.

83 Site afp.pressedd.com, accès payant. 84

Site refasso.fr, accès payant.

85 Je remercie vivement Patrick Semerdjian, responsable du site refasso.fr, de m’avoir donné accès à la base de

données pour les occurrences des termes mémoire et devoir de mémoire.

86 Url de la page concernée : www.journal-officiel.gouv.fr/association/index.php 87

Site www.persee.fr, accès gratuit.

Figure

Graphique n°7  Source : europresse.com
Graphique n°8  Source : archives Le Monde.fr
Graphique n°9 Source : europresse.com
Graphique n°12  Source : europresse.com
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