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Le silence des archives sur les origines

1. Les archives de l’AADJF

Interrogée par écrit au sujet de la chronologie du terme indiquée dans l’entretien précédemment cité, et surtout des sources venant l’attester, Annette Wieviorka me renvoya à son ancien doctorant, Olivier Lalieu112, en précisant que « les sources sont pour l’essentiel les écrits des survivants de la déportation dans la presse de leur association113 ». Il était ainsi confirmé que les premières occurrences de l’expression provenaient de ce groupe social.

L’enquête a donc commencé aux archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) du Mémorial de la Shoah, qui comprend un fonds très important d’associations d’anciens déportés, ont été consultées directement. Devant une masse de sources considérable, le choix des recherches s’est porté sur un corpus spécifique, celui des archives de l’association de l’Amicale des anciens déportés juifs de France (AADJF), conformément à l’hypothèse induite par les discours d’autorité, pour y trouver les premières occurrences de devoir de mémoire.

Fondée en septembre 1945, dirigée par Nahum Fansten jusqu’en 1967 puis par Henry Bulawko, cette association avait l’intérêt de situer son action spécifiquement auprès des Juifs, à partir de l’expérience génocidaire de la Seconde Guerre mondiale. L’AADJF se donnait alors pour but de « resserrer les liens de tous les anciens déportés juifs, combattants des Ghettos, internés, familles de disparus, et victimes du nazisme de tous les pays d’Europe occupés et vivant en France depuis la fin de la guerre, de défendre les droits des victimes du nazisme, de lutter contre le retour du fascisme pour qu’il n’y ait JAMAIS PLUS D’AUSCHWITZ, de perpétuer le souvenir de nos martyrs 114». Ses responsables qui organisaient également l’aide aux familles des disparus et aux « rescapés », revendiquèrent à maintes occasions la nécessité de « faire ressortir le caractère exceptionnel du martyrologue

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Olivier Lalieu est actuellement « responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projets externes du Mémorial de la Shoah » au sein de la commission, présidée par Annette Wieviorka, « Mémoire et Transmission », de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS). Information recueillie sur le site de la FMS, consulté le 11 mai 2012.

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Courriel du 16 janvier 2009.

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juif. Des déportés de toutes origines ont été acheminés sur Auschwitz, mais (à l’exception des tsiganes) seuls les juifs devaient y être voués à la destruction totale. Des familles, des communautés entières y périrent dans les chambres-à-gaz et dans les fours crématoires. Le seul crime de ces innocentes victimes était d’appartenir au peuple juif115 ». L’AADJF représentait ainsi un cas particulier par rapport aux principales associations de déportés de l’époque en France, qui abordaient leurs activités et leurs discours sous l’angle de la déportation politique et non raciale116.

Cette recherche de devoir de mémoire dans les archives de l’AADJF, couvrant une période allant de 1945 aux années 1980, a été l’occasion de consulter le journal de l’association, Le Déporté juif117, mais également des journaux d’autres associations de déportés, que l’AADJF recevait épisodiquement118. D’autres documents ont été également examinés, notamment les discours commémoratifs, les brochures officielles et les correspondances de l’association. De nombreux documents venant d’autres associations et adressés à l’AADJF ont aussi été parcourus119. L’attention portée au vocabulaire utilisé dans ce corpus a permis de relever l’omniprésence des mots « devoir » et « mémoire », qui pouvaient être parfois présents à l’intérieur d’une même phrase : « Notre devoir, à nous, les survivants des camps d’extermination, est d’œuvrer pour défendre la mémoire de nos camarades disparus et de leur martyre120 ».

La présence dans les discours d’un « devoir » pour le « survivant » de rendre hommage à la « mémoire » des disparus, correspond à une composante essentielle de l’identité du « témoin oculaire » de la déportation121. En travaillant sur les journaux des

115 Extrait d’une lettre du Président de l’Amicale, Nahum Fansten, adressée le 4 décembre 1963 aux membres du

Comité International d’Auschwitz qui doivent alors créer un monument à Auschwitz-Birkenau, AADJF, 928/13.

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Voir les travaux d’Annette Wieviorka et en particulier sa thèse : Déportation et génocide. Entre la mémoire et

l’oubli, rééd., coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 2008 [1992].

117 AADJF, 928/7.

118 Le Patriote résistant (Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes, FNDIRP),

L’Amicale de Mauthausen (Amicale des déportés et familles de Mauthausen), Après Auschwitz (Amicale des

Anciens Déportés d’Auschwitz), N’oublions jamais ! (Amicale de Neuengamme), AADJF, 928/16, 17, 18, et 22.

119 La correspondance avec les autres associations et Comités est considérable. Citons l’Amicale des Déportés

d’Auschwitz et de Haute-Silésie, l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance (ANACR), la Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes (FNDIRP), l’Union des Engagés Volontaires et Anciens Combattants Juifs, l’Amicale des Juifs Anciens Résistants (AJAR), le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF), le Consistoire israélite de France, le Comité national du Souvenir des fusillés du Mont-Valérien, le Comité international d’Auschwitz, la Fédération Internationale des Résistants (FIR), AADJF, 928/30.

120 Michel Simon, « Pour que leurs sacrifices ne soient pas oubliés », Amicale de Mauthausen, n° 54, octobre

1956, p. 1.

121 Sur la fonction du témoignage, en particulier écrit, pour le témoin survivant, de très nombreux travaux ont été

produits depuis plusieurs années. Citons la partie consacrée à Primo Levi dans Renaud Dulong, Le Témoin

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associations d’anciens déportés de l’après-guerre, Olivier Lalieu avait, de même, constaté la présence du terme « devoir » « qui revient sans cesse122 ». Cependant, malgré la fréquence de ces deux mots dans le vocabulaire des anciens déportés, aucune trace de devoir de mémoire n’a été retrouvée. Pas la moindre occurrence. Il était prématuré d’affirmer qu’elle ne se trouvait pas dans d’autres journaux d’associations d’anciens déportés. Le service de documentation de la FNDIRP, principale association des anciens déportés, a été sollicité123. L’archivage numérisé du Patriote Résistant, journal de l’association créé en 1946, a mentionné des occurrences de devoir de mémoire, mais elles apparaissaient seulement dans les années 1990, ce qui ne pouvait constituer son point d’origine.

La question de l’évolution socio-sémantique du terme mémoire commençait à poindre à la lecture du vocabulaire utilisé par ces associations : pouvait-on, dans cette période des années 1945-années 1980, déjà concevoir et formuler une telle expression ? N’était-elle pas le fruit d’une configuration langagière postérieure concernant mémoire, qui ne pouvait pas appartenir au vocabulaire des acteurs de ces milieux associatifs à ce moment-là ?

Dès lors, il devenait aventureux de poursuivre cette recherche dans le corpus désigné. Vérifier la présence ou l’absence de l’occurrence sur la totalité des journaux des associations d’anciens déportés constituait, de fait, le travail de plusieurs années. Un choix s’imposait car le projet de recherche n’était pas l’étude de l’origine de devoir de mémoire mais bien de l’histoire de ses usages. Autrement dit, il paraissait vain de passer un temps infini dans des archives innombrables pour attester d’une absence alors même que c’est sa présence dans le discours qui devait être analysée.

Confronté à cette absence de traces dans des archives dépouillées couvrant la période 1945-années 1980, il apparaissait nécessaire de revenir aux discours des contemporains sur la genèse de devoir de mémoire. Ainsi, la référence donnée par Annette Wieviorka pour attester sa chronologie de l’expression, c’est-à-dire le renvoi vers le travail d’Olivier Lalieu sur les associations des anciens déportés, se révéla un indice précieux pour comprendre la provenance de l’assertion de l’historienne.

Chiantaretto, « Le témoignage et la figure du survivant témoin. Une approche plurielle : réflexions à partir de Primo Levi », L’évolution psychiatrique vol. 66, n° 3, 2001, p. 436-447.

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Olivier Lalieu, « L’invention du “devoir de mémoireˮ », op.cit., p. 84.

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2. Les origines comme preuve étymologique

Olivier Lalieu avait commencé une thèse sous la direction d’Annette Wieviorka, à la fin des années 1990, sur les associations d’anciens déportés après la Seconde Guerre mondiale124. Il avait, dans ce cadre précis, publié un article dans la revue d’histoire contemporaine

Vingtième siècle en 2001, qui avait pour titre : « L’invention du “devoir de mémoireˮ125 ». Le

chercheur faisait le constat, en préambule, que l’expression devoir de mémoire appartenait dorénavant, en France, « au langage courant 126». Pointant la banalisation de ses usages et la multiplicité de ses implications, l’auteur associait devoir de mémoire à « un slogan » utilisé par exemple pour le génocide arménien ou le sort des Poilus durant la Première Guerre mondiale. Olivier Lalieu indiquait que ce slogan « dans son acception première, s’applique avant tout au génocide juif et au système concentrationnaire nazi ». C’est pourquoi, il lui avait « semblé nécessaire de revenir sur l’origine du “devoir de mémoireˮ sur son sens comme sur sa légitimité historique. Car si de nombreux auteurs se sont penchés sur ses usages, analysant la présence de la Shoah dans notre quotidien, ils n’ont pas cherché à retracer l’émergence de cet impératif. Or une analyse des groupes sociaux dont la vocation est de préserver ce souvenir révèle à la fois la constance et les mutations du “devoir de mémoireˮ ». L’auteur prenait soin de distinguer le terme devoir de mémoire, « formulé dans les années 1990127 », de la « notion » qui remontait, selon lui, au discours des anciens déportés après 1945. Dans le même temps, son usage des guillemets entourant le terme, effectué également dans le titre de l’article, pouvait prêter à confusion. L’usage des guillemets indique que l’on a justement pour intention d’évoquer un terme.

L’article d’Olivier Lalieu se proposait de démontrer que cette notion de « devoir de mémoire » avait été inventée -d’où le titre de l’article- par ce groupe social des déportés chargés de préserver le souvenir de la Shoah au lendemain de la Seconde Guerre mondiale128. L’auteur faisait également référence au procès Barbie de 1987 qui « révèle au grand public la

124 Information donnée dans la présentation de l’auteur, à la fin de son article publié en 2001 : O. Lalieu,

« L’invention du “devoir de mémoireˮ », op.cit., p. 94.

125 Ibid., p. 83-94. 126

Ibid., p. 83.

127 Ibid., p. 93.

128 Car si de nombreux auteurs se sont penchés sur ses usages, analysant la présence de la Shoah dans notre

quotidien, ils n’ont pas cherché à retracer l’émergence de cet impératif. Or une analyse des groupes sociaux dont la vocation est de préserver ce souvenir révèle à la fois la constance et les mutations du “devoir de mémoireˮ »,

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notion de “devoir de mémoireˮ, c’est-à-dire la légitimité, plusieurs années après les faits invoqués, d’en demander réparation et d’en tirer les leçons 129».

La chronologie, mais aussi le vocabulaire et le discours d’Annette Wieviorka, dans son entretien de 2009, prenait donc vraisemblablement appui sur le travail de son ancien doctorant. Je retrouvais, de fait, entre les deux auteurs, une dénomination semblable (devoir de mémoire comme « slogan »), la même périodisation (parole des déportés, rescapés de la Shoah, comme point d’origine, procès Barbie de 1987 comme tournant dans l’espace public), et un jugement similaire sur l’évolution actuelle de l’expression, en des termes différents (« fourre-tout » chez Annette Wieviorka, banalisation, « vacuité » chez Olivier Lalieu)130. La différence entre ces deux assertions se situait dans le fait que les propos d’Annette Wieviorka renvoyaient à l’expression, là où Olivier Lalieu avait bien établi une distinction entre l’expression et la notion. Il apparaissait ainsi qu’une circulation de savoirs entre un doctorant et sa directrice de thèse avait eu pour effet de confondre par la suite le mot de la notion qu’il était susceptible de recouvrir. Il faut toutefois noter que le résumé même de l’article, à la fin du numéro de la revue Vingtième siècle en 2001, confondait déjà les deux :

« L’expression “devoir de mémoireˮ, si courue aujourd’hui, s’est affichée dès après la Libération dans le mouvement associatif des déportés. L’appel à la jeunesse (concours de la résistance, interventions dans les établissements scolaires) que celui-ci organisa après 1954 relevait tout à fait de ce terme. Mais tout a changé depuis la fin des années 1970, quand une mémoire de la Shoah a pris son autonomie, en particulier sous l’action de Beate et Serge Klarsfeld, et a été inscrite à l’épicentre de ce « devoir ». Les médias ont vulgarisé l’expression, jusqu’à aboutir à l’élaboration d’une sorte de religion civile d’hommage aux victimes qui tente d’orchestrer le culte des valeurs résistantes131 ». Concernant la recherche sur la genèse du terme, l’article d’Olivier Lalieu relevait par ailleurs une information importante. La période couverte par son article allait de 1945 jusqu’aux années 1980. Son texte prenait essentiellement appui sur les journaux des associations d’anciens déportés de cette période, qui constituaient la source principale de sa recherche doctorale. Or, l’auteur ne citait, dans cet article consacré au « devoir de mémoire », aucune occurrence du terme provenant de ces sources dans ces années-là. La première

129 Ibid., p. 93.

130 Au sujet du procès Barbie, précisons dès maintenant qu’au cours d’un travail effectué ultérieurement, aucune

occurrence de devoir de mémoire n’a été retrouvée dans les discours médiatiques (presse et audiovisuel), et politiques. Si quelques occurrences ont pu, bien évidemment, m’échapper, cette absence permet d’infirmer la thèse d’une popularisation du terme lors de cet évènement. Voir S. Ledoux, « Les témoins du procès Barbie, acteurs de mémorialisation », dans Frédéric Rousseau (dir.), Témoins et témoignages. Figures et objets du XXe

siècle, Actes du colloque de la FMD, 2015, à paraître.

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occurrence chronologique citée était due à Serge Barcellini, en 1986, évoquant « un devoir permanent de mémoire132 » lors d’un colloque de la FNDIRP. Olivier Lalieu observait lui- même d’ailleurs, que le terme fut « formulé dans les années 1990133 ». Ce qui n’avait pas été trouvé dans les archives de l’AADJF, le chercheur ne l’avait, manifestement, pas trouvé non plus dans son corpus d’archives des anciens déportés.

La démonstration d’Olivier Lalieu sur les origines du « devoir de mémoire » résultait d’un transfert couramment pratiqué lors de l’ « opération historiographique »134. La mobilisation d’un terme contemporain, pour rendre compte d’un passé, renvoie, en effet, plus généralement à la condition de subjectivité de l’historien décrite par Michel de Certeau et Paul Ricœur, et que résume ainsi François Dosse : « L’historien a ici pour tâche de traduire, de nommer ce qui n’est plus, ce qui fût autre, en des termes contemporains. Il se heurte là à une impossible adéquation parfaite entre sa langue et son objet et cela le contraint à un effort d’imagination pour assurer le transfert nécessaire dans un autre présent que le sien et faire en sorte qu’il soit lisible par ses contemporains135 ». Ce choix de dénomination d’Olivier Lalieu rejoint également la question plus générale pour les historiens d’une « pratique modérée de l’anachronisme136 » consistant à « aller du présent vers le passé avec des questions du présent pour revenir vers le présent, lesté de ce que l’on a compris du passé137 ».

Cependant, l’écriture d’Olivier Lalieu ne renvoyait pas seulement à une « opération historiographique », à un simple transfert de vocabulaire du présent vers le passé. L’intention de l’auteur consistait à apporter de l’intelligibilité à une notion qui, selon lui, avait alors perdu de son sens à travers les usages multiples de la fin des années 1990 (voir son introduction). Il s’agissait, ainsi, de restituer une mise en intrigue au « devoir de mémoire » par un travail d’historisation de la notion qu’elle recouvrait. Ce travail était ainsi animé par une intention « étymologiste » : retrouver le vrai sens de sa notion par un retour à ses origines ainsi statuées

132 O. Lalieu, « L’invention du “devoir de mémoireˮ », op.cit., p. 84. Serge Barcellini est alors directeur de la

Commission Nationale à l’Information Historique pour la Paix (CNIHP), au sein du Secrétariat d’État aux Anciens combattants et Victimes de Guerre.

133 Ibid., p. 93. 134

Pour la présentation de cette notion dans le travail de l’historien, voir Michel de Certeau, L’Écriture de

l’histoire, op.cit., et François Dosse, « Michel de Certeau et l’écriture de l’histoire », Vingtième siècle, n° 78,

avril-juin 2003, p. 145-156.

135 François Dosse, « Le moment Ricœur de l’opération historiographique », Vingtième siècle, n° 69, janvier-

mars 2001, p. 137-152.

136 Nicole Loraux, « Éloge de l’anachronisme en histoire » dans Les Voies traversières de Nicole Loraux. Une

helléniste à la croisée des sciences sociales, numéro commun Espaces Temps Les Cahiers, n°87-88 et CLIO, Histoire Femmes et Sociétés, 2005, p. 132. Voir également Jacques Rancière, « Le concept d'anachronisme et la

vérité de l'historien», L’Inactuel, n° 6, Calmann-Lévy, 1996, p. 53-68.

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scientifiquement. La tentation du discours scientifique sur l’origine du « devoir de mémoire » relevait en effet de la « preuve étymologique ». Comme le fait observer la linguiste Marie- Anne Paveau, « la preuve étymologique fait partie des autorités les moins contestables138 » car « toute étymologie est par elle-même un argument139 ». Ce sont donc des mots que l’on fait parler pour imposer scientifiquement « leur vrai beau, beau et bon sens140 ». Olivier Lalieu produisait ainsi un cadre « étymologiste » à la notion de « devoir de mémoire », en certifiant une « acception première », une « origine » -depuis dénaturée- que la notion recouvrait et qui se trouvait selon lui, du côté de la transmission de l’expérience concentrationnaire et génocidaire. Par ailleurs, porté par la revue scientifique Vingtième siècle, particulièrement visible dans le champ académique, cet article a justement fonctionné comme preuve étymologique pour devoir de mémoire, étant repris régulièrement ensuite dans des travaux scientifiques pour référer le devoir de mémoire, comme notion ou comme terme, à la déportation de la Seconde Guerre mondiale.

Ainsi, l’historien Jean-Pierre Rioux consacre en 2002 un article à la notion de « devoir de mémoire » en se référant explicitement à celui d’Olivier Lalieu :

« Il faudra bien écrire un jour -rassurons-nous : Olivier Lalieu s’y emploie- l’histoire sociale et culturelle en France de ce terme qui, prenant forme sur l’horreur des camps de la Seconde Guerre mondiale, a glissé des rescapés à tous les témoins, via leurs associations, puis a irrigué au fil des ans le dispositif médiatique, judiciaire et même civique, jusqu’à souhaiter devenir non seulement l’élément moteur d’une mémoire collective mais aussi une “nouvelle religion civiqueˮ (Georges Bensoussan) 141

».

Les sociologues Marie-Claire Lavabre et Sarah Gensburger, précisent en 2004, dès le début de leur article, que « produit d’un contexte spécifique –la commémoration du génocide des juifs d’Europe -, la notion [devoir de mémoire] s’est pour partie détachée de cette référence originelle 142», en citant l’article d’Olivier Lalieu.

En 2010, l’historien Olivier Wieviorka revient sur la production du terme dans son livre sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale:

138 M.-A. Paveau, Les Prédiscours, op.cit., p. 146.

139 Francis Goyet, « Le locus ab etymologia à la Renaissance », dans Jean-Pierre Chambon et Georges Lüdi

(dir.), Discours étymologiques, Actes du colloque international de Bâle, Bâle-Freiburg-Mulhouse, Max Niemeyer Verlag, 1991, cité dans M.-A. Paveau, ibid., p. 146.

140 M.-A. Paveau, Les Prédiscours, op.cit., p. 147.

141 Jean-Pierre Rioux, « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », op.cit., p. 163. 142

S. Gensburger et M.-C. Lavabre, « Entre “devoir de mémoireˮ et “abus de mémoireˮ : la sociologie de la mémoire comme tierce position », op.cit., p. 75.

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« Le “devoir de mémoireˮ ne constitue d’ailleurs qu’une injonction très récente. Le terme même date de 1995 et reprend le titre français de la publication posthume d’un entretien que Primo Levi avait accordé en 1983 à deux historiens italiens 143».

Pour attester son propos, l’historien met en note la page 83 de l’article d’Olivier Lalieu. Pourtant, l’extrait concerné n’indique pas une première occurrence, mais fait état d’une popularisation de l’expression suite au livre d’entretiens de Primo Levi qui conduit d’ailleurs, selon l’auteur, à un contre-sens :

« Le devoir de mémoire est le titre français donné en 1995 à un ouvrage posthume de Primo Levi, reprenant un entretien accordé en 1983 à deux historiens italiens. Cette publication, comme la redécouverte de l’œuvre de cet auteur, popularise l’expression, dans le contexte du 50e anniversaire de la libération des camps. Or, ce titre en forme de