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1. Discours enseignant

Dans le cadre du Master 2 sur le devoir de mémoire à l’école, une enquête avait été réalisée pendant l’année scolaire 2007-2008 auprès de vingt enseignants du secondaire et du primaire en région parisienne207. Il s’agissait d’interroger les professeurs, au cours d’un entretien semi-directif, sur les représentations qu’ils avaient du devoir de mémoire, et sur les pratiques pédagogiques qu’ils associaient eux-mêmes à cette injonction. L’une des premières questions posées au cours de l’entretien était : « Reliez-vous ce terme à une période d’histoire précise ? ». En réponse, le génocide juif fut l’événement le plus cité par les enseignants (55%)208. Huit d’entre eux l’ont évoqué par le terme « Shoah », deux par « extermination des juifs », un par « déportation des juifs ». Tandis que les enseignants interrogés étaient libres de citer spontanément plusieurs périodes dans leur réponse, le génocide juif a été, pour sept d’entre eux (35% de l’ensemble), l’unique fait historique qu’ils ont associé au devoir de mémoire. Il s’agit, de plus, du seul fait qui ait été évoqué de façon exclusive. Par ailleurs, les formulations et commentaires implicites et explicites entendus lors de leur réponse ont été un bon indicateur du lien perçu comme consubstantiel entre le terme et ce passé :

207 Les résultats de cette enquête ont été publiés dans S. Ledoux, Le « devoir de mémoire » à l’école. Essai

d’écriture d’un nouveau roman national, op.cit.

208 Les autres périodes évoquées ont été la Seconde Guerre mondiale (35%), le fait colonial ou la Guerre

d’Algérie (30%), la Première Guerre mondiale (25%), l’esclavage (25%), et le génocide arménien (5%), ibid., p. 68.

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-« Ce qui vient spontanément à la mémoire, c’est la Shoah, spontanément ». Puis, il lui a été demandé: « Et après, est-ce que vous voyez d’autres périodes ? ». Perplexité de la personne qui répond, embarrassée : « C’est-à-dire...devoir de mémoire...vous me parlez...des juifs…ou pas ? 209

».

-« Spontanément le devoir de mémoire en tant que telle, la définition, parce que moi, la définition, elle est relativement cadrée, c’est la Shoah. En revanche, si on entend le devoir de mémoire dans l’histoire, c’est deux ou trois générations avant soi. Les souvenirs pour moi, la transmission familiale. Mais le mot lui-même au départ est rattaché à la Shoah210 ».

-« Pour moi, c’est né essentiellement de la Shoah. Après, je me suis rendu compte personnellement, parce que je vis à Nantes, que ça pouvait renvoyer à des débats que je n’aurais pas imaginés, parce que à Nantes, il y a Olivier Pétré-Grenouilleau. Son bouquin sur l’esclavage au XVIIe siècle me paraissait assez…non dénué d’enjeux actuels, mais assez apaisé. Et de voir qu’il a dû avoir une protection policière parce que des associations de mémoire de l’esclavage ont été très virulentes avec lui, là, je me suis rendu compte que c’était un enjeu beaucoup plus crucial que ce que je pouvais imaginer jusqu’à présent. Quand je vois le foin qu’on a fait de la commémoration du baptême de Clovis, je me dis finalement qu’on en est à faire un devoir de mémoire sur toute la période historique, et que ça a quitté le champ de départ qui était celui de la Shoah, j’ai l’impression 211».

Un autre enseignant ira même jusqu’à indiquer :

« Par rapport à la période, clairement c’est la Deuxième Guerre mondiale, clairement c’est la Deuxième Guerre mondiale. Et dans la Deuxième Guerre mondiale, l’extermination des juifs. C’est très clair que c’est ça. Et d’ailleurs en dehors de ça, je vois mal le terme exister en dehors de ça212 ».

Ce matériau de l’enquête n’avait pas été suffisamment exploité lors du Master 2. Ce n’est qu’inséré dans une lecture théorique en analyse du discours, et articulé à la réfutation de l’hypothèse de recherche de départ, qu’il constitua l’indice d’un fait : la mémoire individuelle des enseignants interrogés, dans leur majorité, avait stocké l’opération de référence qui, au cours de la circulation du terme dans différents champs discursifs (médiatiques, institutionnels), avait conduit à associer devoir de mémoire à l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Le mot était donc compris par l’interviewé selon une dénomination censée être partagée collectivement, y compris par l’intervieweur : « C’est-à-

209 Entretien n°20, mai 2008. 210 Entretien n°11, mars 2008. 211

Entretien n°9, avril 2008.

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dire...devoir de mémoire...vous me parlez...des juifs…ou pas ? ». Par ailleurs, les réponses indiquaient parfois une interprétation de l’énoncé selon différents niveaux de mémoire, suivant la classification d’Alain Berrendonner : mémoire immédiate, mémoire à court terme, mémoire à moyen terme213. Les réponses désignant la Shoah semblent provenir d’une mémoire à moyen terme. D’autres réponses s’ajoutaient ensuite, provenant d’une mémoire à court terme : « Après, je me suis rendu compte personnellement, parce que je vis à Nantes, que ça pouvait renvoyer à des débats que je n’aurais pas imaginés, parce que à Nantes, il y a Olivier Pétré-Grenouilleau ».

Concernant les sources orales, il s’agit là de la seule étude quantitative réalisée pour des membres d’un groupe social précis (les enseignants). L’autre partie du corpus des sources orales est, en fait, plus composite puisqu’il est constitué d’entretiens semi-directifs menés au cours de l’enquête ou d’observations réalisées dans le champ académique. Alerté par l’existence d’une mémoire interdiscursive du terme, la question de sa généalogie (chronologie, auteur éventuel, référence historique) a été intégrée dans les entretiens. Le choix des personnes interviewées s’est fait de manière empirique, suivant l’itinéraire de la recherche, au fur et à mesure des « premières » occurrences de l’histoire de devoir de mémoire retrouvées dans différents corpus.

Ces sources ont été classées selon les champs auxquels appartenaient les personnes interrogées : acteurs scientifiques et acteurs politiques.

2. Acteurs scientifiques

Philippe Némo214

Je cherche à contacter Philippe Némo en septembre 2009 car la première occurrence de devoir de mémoire se situe alors en 1980, en titre d’un article que celui-ci a publié dans la revue Commentaire215. Interrogé par téléphone, Philippe Némo dit ne pas du tout se souvenir de cet article, ni du titre, ni du contenu. Il indique ensuite qu’« à l’époque, c’est une problématique [le devoir de mémoire] sûrement dans l’air, peut-être lié à la Shoah216 ». Or, le contenu de son article n’est absolument pas lié à cet événement qui n’est ni mentionné, ni évoqué de quelque que façon que ce soit. Il est question de la défense du libéralisme dans un

213 A. Berrendonner, « La phrase et les articulations du discours », op.cit. 214

Né en 1949, Philippe Némo est actuellement professeur de philosophie politique à « ESCP Europe », et membre du conseil scientifique de l’Institut Turgot. La plupart de ses travaux concernent l’histoire des idées politiques, et en particulier celles du libéralisme : Philippe Némo, Histoire du libéralisme en Europe, Paris, PUF, 2002.

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Philippe Némo, « Le devoir de mémoire », Commentaire, n° 11, automne 1980, p. 392-400.

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contexte de fin d’idéologie communiste217. Alors que le souvenir de ce texte n’est pas présent dans la mémoire individuelle de son auteur, c’est la référence collective, construite par la mémoire interdiscursive du terme, qui est ici mobilisée par Philippe Némo.

Pierre Nora218

Je contacte Pierre Nora également en septembre 2009 à un moment de la recherche où l’usage qu’il fait de devoir de mémoire apparaît comme la seconde occurrence dans la chronologie du terme, après celle de Philippe Némo en 1980. Il s’agit d’un passage de son texte introductif du premier tome des Lieux de mémoire, « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux », qu’il publie en 1984 : « Le passage de l’histoire à la mémoire a fait de chaque groupe l’obligation de redéfinir son identité par la revitalisation de sa propre histoire. Le devoir de mémoire fait de chacun l’historien de soi. L’impératif d’histoire a ainsi dépassé, de beaucoup, le cercle des historiens professionnels219 ».

Pierre Nora avait accepté l’entretien tout en précisant qu’il ne croyait « pas pouvoir dire quoi que ce soit d’utile sur le devoir de mémoire220 ». À quoi pouvait être associée l’expression dans l’esprit de l’historien ? Au début de l’entretien, Pierre Nora donne un premier indice en citant Primo Levi comme référence d’auteur au devoir de mémoire sous une forme interrogative, demandant implicitement confirmation. Sans y répondre, l’extrait de son texte dans lequel figure devoir de mémoire est cité. Selon toute apparence, il ne se souvenait pas de cet usage du terme sous sa plume. Pierre Nora évoque alors longuement la généalogie du projet des Lieux de mémoire au cours des années 1970, avant de revenir ensuite à son emploi de devoir de mémoire en 1984 :

« C’était le sentiment que, entre l’impératif d’un avenir qui nous surplombait mais ne commandait pas nos choix du passé, et un passé, où il devenait très difficile de faire un choix, de ce qui devait être retenu pour affronter un avenir devenu incertain, qui devenait omniprésent, et « omnimémorable ». Tout était promu à la dignité potentielle du mémorable. On ne savait pas de quoi il fallait se souvenir, et du coup, le tout- mémoire s’imposait. Tout ça menait à ce que l’expression devoir de mémoire vienne spontanément sous ma plume. Dans un sens qui n’était pas, ou qui était indirectement commandé lui-même, par ce qui probablement était déjà dans l’air, et auquel j’avais tendance peut-être à recourir mais à lui donner un sens plus général, plus mécanique, et plus impératif que devoir au sens…au sens, les camps, au sens éthique, lié à un

217

Voir le deuxième chapitre.

218 Né en 1931, historien et éditeur, Pierre Nora publie sous sa direction Les Lieux de mémoire entre 1984 et

1992 : Les Lieux de mémoire, op.cit.

219 P. Nora, « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux », dans P. Nora (dir.), Les Lieux de

mémoire, t.1, op.cit., p. 32.

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événement précis qui était la Shoah […] Très naturellement pour moi, ça s’est focalisé sur la Nation221 ».

Dans l’effort d’explicitation de son propre usage du terme, Pierre Nora se sent obligé de le distinguer de ce qu’il pense être la référence originelle du terme, à savoir la « Shoah ». Cette référence fait, évidemment, écho à son hypothèse suggérée en début d’entretien concernant l’auteur possible du terme, Primo Levi. L’historien relie ainsi l’origine de devoir de mémoire d’abord au génocide des Juifs. Selon lui, il recourt au terme en 1984 dans son introduction des Lieux de mémoire, alors que ce terme est déjà, pense-t-il, requis pour évoquer « les camps » de la mort. Pierre Nora souhaite ainsi expliquer à partir de quels cadres conceptuels et de quel cheminement personnel il a pu employer un terme dans une autre acception que sa « référence originelle ». Ses remarques, dans la suite de l’entretien, vont dans ce sens :

« Troisième fil conducteur qui se nouait pour moi dans tout ça, c’était que…- et là on arrive au devoir de mémoire- c’était que cet obscurcissement de l’avenir et cette perte conjuguée rapide du passé se commandait l’une l’autre pour nous faire un devoir de mémoire. Non pas au sens moral, éthique- encore que je devais ressentir indirectement le fait que ce problème, la Shoah, me revenait, et je pense que tout ça, c’est quand même en profondeur le fait que j’étais juif. Je pense que c’est lié. Je me mets en relation avec deux personnes avec lesquels j’étais intime, c’est Vidal-Naquet et Lanzmann. Tout ça c’est de la reformulation, mais je suis quand même frappé que c’est à peu près au même moment que Vidal fait ses mémoires, que Shoah paraît et que mes Lieux paraissent222 ».

Et Pierre Nora de poursuivre en revenant sur la fin des années 1970 :

« Le devoir de mémoire, ça a été probablement l’axe fédérateur, ou le lien qui a fédéré une discipline professionnelle, ou une pratique historienne avec une pression très très forte de l’actualité historique. Je pensais que je n’avais rien à vous dire sur le devoir de mémoire mais, c’est vrai que c’est l’axe non dit qui a fédéré tout le reste pour moi. Et c’est ce qui se passait autour de moi, avec les copains, à leur manière, avec la mémoire. L’histoire de Shoah, je me souviens des discussions avec Claude [Lanzmann], il disait “ Je ne veux pas faire de l’histoireˮ. Pour moi au même moment, ça a été pareil pour moi. On ne parlait pas de devoir de mémoire, mais on en parlait toute la journée quand même. Et lui, qu’est-ce que c’était sinon un devoir de mémoire pour lui? 223».

221 Entretien avec Pierre Nora, 22 septembre 2009.

222 Ibid. Pour rappel, le livre de Pierre Vidal-Naquet Les Juifs, la mémoire et le présent est publié chez François

Maspero en 1981, Les Lieux de mémoire en 1984, et Shoah sort dans les salles de cinéma en avril 1985.

223 Notons au passage qu’à l’occasion d’un forum-débat sur « Devoir d’histoire, devoir de mémoire », organisé

par le journal Libération à Rennes en avril 2011, Claude Lanzmann écrit « Je n’ai, quant à moi, jamais employé l’expression “devoir de mémoireˮ. Je la trouve révoltante et n’ai cessé de me battre contre les bureaucrates et les politiciens qui la ressassent ad nauseam », Cl. Lanzmann, « La mémoire n’est pas un devoir », Libération, 5 avril 2011, p. 24.

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Dans une lecture rétrospective, Pierre Nora inscrit ainsi son projet des Lieux dans un « devoir de mémoire » personnel. À la fin de l’entretien, Pierre Nora précise :

« Pour revenir à votre sujet [de thèse], il y a quelque chose qui a dépassé, à travers cette montée en puissance dans les années 80, du thème de la mémoire, quelque chose qui est totalement d’époque, et où le devoir de mémoire fleurit tout seul. Il y a une donnée démographique par rapport à l’Holocauste, c’était les premiers à mourir, donc c’était déjà les enfants. Il y a eu probablement rencontre entre la généralisation de la connaissance, le relais démographique des parents qui se disent “ je ne vais pas mourir avant d’avoir témoignéˮ, et leurs enfants224 ».

L’historien présente ainsi une généalogie de devoir de mémoire, consubstantielle à la « montée » de la mémoire de la Shoah dans les années 1980. Il confirmera, en quelque sorte, cette généalogie, en avril 2011, dans le cadre d’un forum-débat sur « Devoir d’histoire, devoir de mémoire », organisé à Rennes par le journal Libération :

« Devoir de mémoire, devoir d’histoire : deux expressions qui n’ont rien de symétrique. La deuxième est vieille comme le monde, la première ne date que d’une trentaine d’années. Elle est née avec Primo Levi, de la volonté des rescapés de rester fidèles au souvenir des morts dans les camps. Elle s’est popularisée à partir des années 1980 en réaction à l’offensive négationniste. Elle s’est depuis, dilatée jusqu’à devenir une particularité française comme pilier d’une véritable religion civile, ou civique 225». Dans ce texte, il défend par ailleurs la notion de « devoir de mémoire » en reprenant la même distinction que celle opérée lors de l’entretien, en des termes parfois identiques:

« Tout historien est, par définition, un officiant du devoir de mémoire, à condition de donner à l’expression un sens plus mécanique que moral, celui qui découle du changement croissant de toute chose, et de l’éloignement instantané du passé. C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’accélération de l’histoire : lorsque le devoir de mémoire ne relève plus de la dette, mais de la perte. Ce devoir-là est devenu d’autant plus indispensable que les années 1980 ont connu un brutal congé donné à l’histoire, une bascule de tout le passé dans un temps indifférencié […] Le seul devoir de mémoire d’un historien est de faire le “métierˮ qu’il a choisi226 ».

Ainsi, l’historien se situe, lors de l’entretien de 2009, dans la référence du terme construite dans les années 1990, alors même que son usage personnel de devoir de mémoire lui est antérieur, et n’avait pas le même sens. Il doit donc ensuite, lorsqu’il apprend qu’il est lui-même un locuteur de l’expression dans Les Lieux de mémoire, sans attache avec la référence commune de la Shoah, développer toute une argumentation sur la généalogie des Lieux pour justifier son emploi en 1984.

224 Entretien, op.cit.

225 Pierre Nora, « L’historien doit connaître et faire connaître », Libération, 5 avril 2011, p. 24.

226 Ibid. Pour la présentation du contexte dans lequel Pierre Nora inscrit son travail, lire également son

introduction « Les trois pôles de la conscience historique contemporaine », dans P. Nora, Présent, nation,

63 Serge Klarsfeld227

Je sollicite Serge Klarsfeld pour un entretien car, étonnamment, aucun usage du devoir de mémoire n’a été retrouvé chez celui qui, en 1994, était présenté comme « l’incarnation du devoir de mémoire228 » en France par le journaliste Éric Conan, à l’occasion de la parution du livre qu’il écrit avec l’historien Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas229. Il apparut donc nécessaire de l’interroger sur ce qu’il avait à dire concernant le terme. À la question de savoir s’il a le souvenir d’avoir rencontré pour la première fois cette expression devoir de mémoire et s’il connaît le moment de son apparition, Serge Klarsfeld répond :

« Aucun souvenir de cela. C’est-à-dire, je faisais le devoir de mémoire comme l’autre écrivait en prose. Je le faisais sans insister sur le côté…si, j’insistais sur le côté devoir de, de comprendre le destin… que le meilleur hommage à rendre aux victimes, j’ai toujours dit, depuis 1971, c’était d’expliquer comment cela s’est passé […] et donc d’écrire une histoire tout à fait rigoureuse des événements. […] Et puis en ce qui concerne les victimes de restituer pour chaque victime si c’est possible.[…] Je me suis dit, moi qui poursuis les criminels nazis qui ont déporté les Juifs de France, il faut que j’explique comment ça s’est passé, et puis il faut que je dise combien de victimes étaient là, et que les victimes soient là, parce que c’est un crime contre l’humanité, un crime de masse, et les parties civiles doivent être toutes présentes. Donc je ne peux pas aller à un procès si je n’ai pas comptabilisé exactement et retrouvé les identités des victimes de façon à ce que le crime paraisse dans son horreur. Donc, tout ça c’est un devoir parce qu’il fallait le faire. Et puis le devoir de mémoire, c’était d’obtenir aussi le procès, puisque que le procès, c’était l’authentification par la justice allemande de ce qui s’était passé en France avec les Juifs. Donc il y a avait plein de devoirs devant nous. Bon, je ne disais pas devoir de mémoire, mais je disais on doit faire ceci ou cela, etc. Et quand il y avait des réunions avec Beate [Klarsfeld] de mobilisations, je disais “vous devez partir avec nousˮ, je n’ai pas dit devoir de mémoire, mais “vous devez partir avec nous, vous devez militer. C’est difficile mais il faut le faireˮ. Qui a théorisé en devoir de mémoire ? Je ne peux pas le dire, finalement ça ne m’intéresse pas particulièrement. Que ce soit devoir de mémoire, travail de mémoire, l’histoire et la mémoire se mélangent indissolublement. Est-ce que c’est de la mémoire d’avoir fait apparaître les 80.000 victimes individuellement, est-ce que c’est de la mémoire ou de l’histoire ? 230».

227 Né en 1935, Serge Klarsfeld est avocat, historien, et président-fondateur de l’association des « Fils et Filles

des déportés juifs de France » (1979). Auteur de nombreux ouvrages sur la déportation des juifs de France dont

Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, FFDJF, 1978 ; Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans