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Une revue des dynamiques de sécurisation des migrations et leurs concrétisations dans le contrôle des migrants à Genève

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Une revue des dynamiques de sécurisation des migrations et leurs concrétisations dans le contrôle des migrants à Genève

FAVRE, Maël

Abstract

Une revue des dynamiques de sécurisation des migrations et leurs concrétisations dans le contrôle des migrants à Genève

FAVRE, Maël. Une revue des dynamiques de sécurisation des migrations et leurs concrétisations dans le contrôle des migrants à Genève. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:114197

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Université de Genève

Faculté des Sciences De la Société, Maîtrise en Science Politique

La sécurisation des enjeux migratoires

Une revue des dynamiques de sécurisation des migrations et leurs concrétisations dans le contrôle des migrants à Genève

Travail de Mémoire de

Mael Favre

Sous la direction de Matteo Gianni

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Table des Matières

1.Introduction, Problématique et Plan du travail p.3

1.1 Introduction p.3

1.2 Plan du Travail p.9

2. Cadre Epistémologique : Sécurité, Discours, Migrants p.12

2.1 Discours et tournant linguistique p.12

2.2 Performativité des discours, historique et actualité p.16 2.2.1 La sécurité comme énoncé performatif p.18

3. Cadre Théorique p.22

3.1 Le Champ médiatique, Représentations des migrants et (néo)libéralisme p.23 3.2 Redéfinition de la question de la sécurité

dans les approches des relations internationales p.26 3.3 La sécurisation des migrations, acteurs et structures p.35 3.3.1 Acteurs et dynamiques d’altérisation p.35

3.3.2 La biopolitique et les migrations p.40

4. Cas d’étude : Discours, Hospice Général et aide d’urgence :

un dispositif de sécurité ? p.50

4.1 Les discours des migrations en Suisse :

Proximité culturelle et hausse des demandes p.51

4.2 L’agencement institutionnel de la gestion des migrations

en Suisse et à Genève p.55

4.3 Résistances et discussions p.63

5. Conclusion p.65

6. Bibliographie p.68

7. Annexes : Les permis de séjour en Suisse p.75

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1. Introduction, Problématique et Plan du travail

1.1 Introduction :

La question des migrations concernant les pays du sud vers l’Europe a pris une ampleur médiatique et politique qui semble avoir dépassé, en volume, le nombre de ces migrants1. L’écho qui est donné aux discours articulant les migrations comme un enjeu prépondérant est sans commune mesure avec les chiffres des migrations. L’espace médiatique francophone et le contexte français notamment, est régulièrement saturé par cette thématique. Dernièrement, le ministre français de l’intérieur utilisait le terme de “submersion“ pour parler des personnes entrées sur le territoire2. Si les échos médiatiques qui sont donnés à ce genre d’intervention participent sans doute à la diffusion d’un imaginaire de la catastrophe dans la population, les chiffres concernant le total de ces mouvements parlent, eux, de quelques dizaines de milliers de personnes3. Reporté à la population des pays concernés dans l’union européenne ou à la France plus directement, ces chiffres ne représentent qu’un pourcentage minime d’une population prise dans son ensemble4.

1 Les chiffres de ce qui est régulièrement déclaré en Europe comme une vague migratoire de grande ampleur -une submersion dans les mots du ministre de l’intérieur français- semble être en inadéquation avec le rapport à la population européenne dans son ensemble.

2 Les propos du ministre sont résumés dans cet article de Libération http://www.liberation.fr/france/2018/04/04/loi- asile-pour-collomb-certaines-regions-sont-submergees-par-les-flux-de-demandeurs-d-asile_1640929

3 En France notamment, les statistiques l’INSEE pour l’année 2013 par exemple font état d’un solde migratoire de +33’000 personnes. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1521331

4 Lorsque reporté à l’ensemble de la population Européenne, l’ensemble des migrants qui arrivent en Europe chaque année ne dépasse pas 0.5 % de la population autochtone. Dans le cas de la France brièvement évoqué ici, le solde migratoire de l’année 2013 rapporté à la population française totale ne représente pas 0.1 %. La submersion semble donc être relativement limitée. Ces chiffres se retrouvent dans un passé plus récent, les chiffres de l’INSEE font état d’un solde migratoire de moins de 70’000 personnes en 2017 ce qui représente de nouveau plus ou moins 0.1 % de la population française. Les chiffres sont disponibles sur le site de l’INSEE.

https://www.insee.fr/fr/statistiques/3305173.

En Suisse la structure d’accès à la nationalité rend le nombre d’étrangers résidents beaucoup plus important qu’en France et cela a des répercussions sur le solde migratoire. Malgré cela, les 65’000 personnes venues gonfler le solde migratoire Suisse en 2017 ne représentent que 0.77% de la population vivant en Suisse.

https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/aktuell/news/2016/2016-01-280.html

Notons qu’au vu des politiques d’accès à la nationalité très différentes, notamment sur le fait que la France applique un droit du sol là où la Suisse applique le droit du sang les pourcentages de population dans les deux pays sont très différents , 6.4 % de la population résidant en France au 1er janvier 2014 est étrangère contre 25 % en Suisse pour la même période. A titre de comparaison et pour relativiser la hauteur de la vague migratoire en Suisse et en France, l’Allemagne recevait en 2016 (après les discours migratoires très volontariste de la part du gouvernement) 746’000 demandes d’asile ce qui représente près de 10 fois le nombre de demandeurs en France pour une population relativement comparable. (chiffres de l’HCR, de l’IGC et d’Eurostat trouvés dans le Rapport sur la Migrations 2016 Suisse, en bibliographie)

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Effectivement, au-delà des ONG et des acteurs venant en aide aux migrants qui tentent de contextualiser les chiffres dans le cadre large de la population d’un continent entier, une arithmétique rudimentaire permet de souligner de manière convaincante le caractère restreint de la vague migratoire censée s’abattre sur l’Europe. Nous pouvons donc, très succinctement, soulever l’antagonisme entre les chiffres - ce qu’ils représentent en termes de “submersion“, l’ordre de grandeur de la vague évoquée - et leur mise en rapport avec la population. Après une mise en perspective, il semble cohérent de parler d’une attitude quasi-paranoïaque ou du moins irrationnelle vis-à-vis de l’image des migrants en Europe par rapport à l’ordre de grandeur représenté. Il est, dans le même temps, et cette fois ci dans le contexte spécifique suisse nécessaire de relativiser la métaphore de la barque pleine5 et de questionner le rôle des discours catastrophistes. Malgré le fait que le nombre des personnes arrivant dans les pays occidentaux est négligeable empiriquement, il reste que le constat qui peut être dressé vis-à-vis du vocable utilisé régulièrement en Suisse comme en France par un grand nombre de médias fait état d’une crainte par rapport à ce que représentent les migrants dans l’imaginaire blanc européen. Selon Didier Fassin, questionner la prise en charge des phénomènes migratoires nous renseigne sur les rôles et les légitimations que s’attribuent les états au niveau national :

“Immigration is a crucial issue in contemporary societies as well as a major object of modern governmentality. The considerable moral and political investment in what remains a marginal phenomenon in demographic terms calls for an

explanation. On the one hand, immigration is related to the construction of borders and boundaries, in other words, of sovereignty and identity, {...} On the other hand, it is located at the crux of what constitutes the three pillars of

governmentality, that is, economy, police, and humanitarianism“ (Fassin, 2011 : 221).

La gestion gouvernementale des migrations est selon nous conditionnée par sa définition comme une menace, il s’agit donc en premier lieu de rendre compte de cette menace et de sa construction comme telle. Nous tenterons de comprendre dans un cadre d’interprétation constructiviste le caractère contingent des objet sociaux. D’autre part, l’articulation des migrations comme une mise en tension des concepts de souveraineté appelle une clarification dans le champ des relations

5 L’expression “la barque est pleine“ est attribuée à Heinrich Rothmund, ancien chef de la division de police fédérale.

L’image de la Suisse comme un îlot de prospérité qui serait envahit par des personnes étrangères qui viendrait étouffer cette prospérité dès lors qu’ils seraient présents en trop grand nombre est une représentation relativement diffuse et qui est régulièrement rappelée à l’imaginaire collectif lors de débats autour des migrations et des seuils d’immigrés. Ce qui était le cas à l’origine pour les réfugiés pendant la deuxième guerre mondiale (voir le film en Bibliographie “Das Boos ist Voll“ de Markuf Imhoff) est régulièrement convoqué de manière métaphorique dans certains discours de partis politiques comme l’UDC plus récemment à propos des migrants en méditerranée. L’idée que la Suisse a pris sa part et que la place est limitée continue d’avoir des échos non-négligeable dans les élites et dans la population en général.

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internationales et la question de l’identité soulève des questionnements vis-à-vis des pratiques d’altérisation.

Si les migrants sont finalement peu nombreux lorsque rapporté à la population et qu’ils ne concernent la Suisse surtout mais la France aussi que de manière marginale, il devient pertinent de poser la question des origines de la crainte exprimée par les relais médiatiques et une partie de la population. L’intégration des migrations au lexique alarmant des catastrophes climatiques comme celui des raz-de-marée ne semble pas, comme nous l’avons évoqué, avoir de pendant démographique dans les chiffres. La mise en tension des questions de sécurité culturelle et identitaire par les migrations alors même que leur nombre ne saurait pas représenter un danger appelle donc selon nous le questionnement du fondement de ces craintes à partir de la menace représentée par les migrations comme un “construit discursif“.

Cette image des migrations comme “menace“ ou comme “risque pour la sécurité“ trouve son origine dans les études en relations internationales où les migrations semblent être devenues petit à petit - et selon certains de manière auto-suggérée - un enjeu de sécurité (Huysmans, 2000, 2011 ; Ibrahim, 2005 ; Taureck, 2006). Le contenu des enjeux de la sécurité dans les relations internationales a été pendant longtemps dicté par les impératifs de préservation militaire du territoire. Il semble, depuis quelques dizaines d’années, que la possibilité de faire entrer dans les questions de sécurité des problématiques nouvelles comme les migrations, l’environnement ou le crime organisé (Williams, 2008) nécessite une redéfinition de ce champ d’étude. Le réagencement des questions de sécurité et la définition nouvelle des menaces sera développé pour donner sens à la gestion des migrations telle qu’elle est envisagée par ce travail, à savoir comme un enjeu progressivement sécurisé.

La question qui anime ce travail est donc double, il s’agit en premier lieu de tenter de tracer l’historique ou la genèse d’un discours qui articule les migrations comme un enjeu de sécurité, d’en questionner la construction à travers d’une part les acteurs qui composent le champ de la sécurité et de leurs dynamiques et d’autre part l’évolution des techniques de gouvernement qui prennent part au façonnement des objets sociaux. Nous tenterons de comprendre autant les jeux d’acteurs qui concourent à la définition des objets de la sécurité que les cadres et les structures narratives sur lesquelles ces négociations entre acteurs prennent pied. Il s’agit aussi, dans un second temps, de questionner les implications de cette construction discursive et donc ses implications concrètes sur les corps marginalisés dans le contexte Européen et Suisse plus précisément. A partir de ces questionnements, les lignes de forces qui traversent ce travail peuvent être articulées sous la forme

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de deux questions de recherche. La première appelle une argumentation théorique et s’articule de la manière suivante :

Quel agencement entre les acteurs de la sécurité et la structure dans laquelle ils interagissent permet l’émergence d’un discours qui construit les migrations comme “menaces“ ?

Une seconde question visant à contextualiser le raisonnement théorique dans un cas empirique plus concret peut s’articuler de la manière suivante :

Comment s’incarne ce discours et quelles conséquences a cette construction discursive sur les personnes migrantes dans le contexte genevois ?

Les deux questions qui animent cette recherche ont pour but premièrement de faire émerger des pistes d’interprétation d’un agencement particulier des questions de sécurité à un niveau global en questionnant l’articulation d’un discours migratoire largement diffusé en occident de manière théorique. Et aussi, de tenter de saisir ce discours dans un contexte plus local et palpable, le contexte genevois. Il s’agit également, à travers ces questionnements, de poser la question plus large mais plus introspective aussi : que menacent les migrants ? Et donc de manière diffuse : quel est le référent de la sécurité dont il est question ? Cette dernière question sera traitée en arrière plan.

Prise de manière large, la question des migrations semble laisser entrevoir un phénomène relativement nouveau. Si les sentiments mitigés à l’égard des migrants dits économiques (ceux qui viendraient en Europe pour profiter d’une meilleure condition économique, dans l’espoir d’obtenir un meilleur salaire et des prestations sociales plus avantageuses) peuvent être entrevus comme une constante dans les politiques migratoires et dans les affects de la population, notamment en Suisse, les raisons de ce rejet sont aujourd’hui axées essentiellement sur une crainte civilisationnelle plus que sur la peur d’un excès de main d’oeuvre, de dumping social ou d’une pénurie d’emploi pour les travailleurs nationaux6. Les vagues migratoires des années 50 et 60 en Suisse concernaient essentiellement des travailleurs du sud de l’Europe et la politique migratoire Suisse était axée sur l’image du travailleur saisonnier regagnant son pays une fois la tâche accomplie. La politique Suisse à l’égard des migrations a été pendant longtemps axée autour de l’idée d’une immigration

6 Le rejet et les sentiments vis-à-vis des migrants économiques en Suisse s’est considérablement modifié au gré des conjonctures économiques, si dans les années 50 et 60 les syndicats patronaux avaient comme objectif de permettre une entrée facilitée de la main d’oeuvre étrangère pour palier à la pénurie, cette dynamique change avec le

ralentissement de l’économie dans les années 90 et laisse la place aux acteurs politiques tenant un discours xénophobe axé sur le rejet des migrations invoquant des raisons identitaires. (Mahning, 2005)

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d’embauche et du retour au pays. Cela pour éviter l’accumulation, dans les frontières nationales, d’une population étrangère qui aurait le potentiel d’ébranler culturellement et démographiquement la pérennité de l’exception Suisse. Gianni D’Amato, dans un passage en revue des migrations en Suisse depuis la fin du dix-neuvième siècle, résume à grands traits ce constat vis-à-vis de la politique Suisse de l’immigration jusque dans les années 2000 :

“L’immigration devait respecter les intérêts moraux et économiques du pays et tenir compte du degré de «surpopulation étrangère». Pendant des décennies, le consensus politique qui régna autour de la xénophobie culturelle et démographique a empêché la Suisse, jusqu’à l’entrée en vigueur en 2008 de la nouvelle loi sur les étrangers (LEtr), de

mener une politique d’immigration cohérente, axée sur l’intégration des étrangers. Une fois leur travail accompli, les travailleuses et les travailleurs immigrés étaient censés quitter le pays“ (D’Amato, 2008 : 171).

Ce qui est condensé ici sous la qualification de “surpopulation étrangère“ est un point important de la représentation des migrations en Suisse. La métaphore de la barque dont il était question plus haut est une constante dans l’imaginaire suisse, la Suisse est volontiers représentée comme un îlot de prospérité en Europe mais un îlot qui doit être constamment défendu contre les déstabilisation et ceux qui tentent de profiter de ses attraits7. La Suisse comme Sonderfall, une exception jalousement gardée car vulnérable. La question des migrations extra-européennes et d’installation soulèvent depuis quelques années des polémiques nouvelles et des craintes civilisationnelles alimentées par des acteurs politiques dont l’écho fait mouche dans l’opinion publique suisse. En témoigne les résultats des dernières initiatives de l’UDC, notamment celle de 2014 dite “contre l’immigration de masse“ et les scores des partis qui axent leurs campagnes sur les questions identitaires. L’enjeu de l’immigration est devenu très saillant dans la politique intérieure suisse et semble être “détenu8“ par les partis les plus à droite de l’échiquier politique.

L’agencement international des migrations ainsi que les représentations des migrations venues des pays du Maghreb et d’Afrique dans les discours occidentaux blancs sont constitutifs des arguments mobilisés par les acteurs de la politique et de la sécurité et influencent de manière directe les positions exprimées également en Suisse. Si le rôle des acteurs politiques qui jouissent d’une rente

7 La tendance au Status Quo régulièrement évoquée dans la littérature en comportement éléctoral en Suisse tend à souligner ce phénomène dans le sens où la relative bonne santé de la Suisse par rapport à ses voisins est

régulièrement comprise dans l’argumentaire des tenants de l’immobilisme ou de la défense du territoire. Eric Kaufmann s’intéresse par exemple à la construction d’un “nationalisme suisse“ théorisé autour de cette idée d’exception au coeur de l’Europe. Il montre qu’une multitude de variable concours à créer des dispositions favorables à l’émergence d’un fort sentiment de fierté et de patriotisme.

8 Si la thématique et les enjeux autour de la migration semblent bel et bien être détenus par certains partis politiques en Suisse (Udris, 2012), il faut ajouter que la détention de ces enjeux s’est doublé ces dernières années d’une perception de compétence très forte de ces partis dans la gestion des enjeux détenus.

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définitionnelle sur les migrations ne fait pas de doute quant aux choix gouvernementaux mis en place, il est important de mettre en exergue, en amont de ces mobilisations rhétoriques, le cadre épistémique que lequel ces discours prennent pied. Il nous semble que la trame sur laquelle se dessine ces discours est intimement liée à une évolution des techniques de gouvernement qui met en jeu la population comme le motif prépondérant de la raison gouvernementale9. La question de la population comme élément clé de l’action gouvernementale légitime tout un enchevêtrement de techniques et de dispositions qui concourent à en assurer la pérennité et le bon fonctionnement productif et sanitaire. Nous verrons que les menaces exprimées de manière manifeste ou latente dans les discours sur les migrations font appel à une notion relativement nouvelle de sécurité culturelle et humaine. L’interprétation des menaces évoquées lorsqu’il est question de migrations sont intimement liées à la question de la population (nationale) et de son identité postulée, questionner la gouvernementalisation des migrations implique en ce sens une brève généalogie des modes de gouvernement afin de comprendre cette gestion de l’altérité dans son contexte.

Les conditions d’émergence de certains discours et leur remise en question impliquent donc plusieurs niveaux, d’une part le jeu des interactions entre acteurs de la politique et de la sécurité permet la compréhension de la mise en tension des questions migratoires, de la définition et de la négociation de ces questions. D’autre part, ces interactions prennent place dans un contexte qui conditionne la possibilité de ces interactions. C’est les imbrications et les interdépendances de ces niveaux qui doivent être questionnées pour tenter de répondre à notre problématique.

Une place importante de ce travail sera consacrée à la construction du cadre d’intervention biopolitique de l’Etat et à l’implication des techniques de gouvernement sur la prise en charge des migrants. L’émergence d’une rationalité gouvernementale moderne qui appuie sa légitimation sur la préservation de la vie et de la population alimente dans tout le fil de ce travail une lecture foucaldienne critique. La perspective qui est mobilisée doit être comprise en gardant à l’idée que les relations de pouvoir doivent, pour fonctionner, s’appuyer sur une économie discursive de la vérité.

En ce sens, une large part du questionnement présent dans ce travail est laissée à l’explicitation et à l’interprétation de la trame de fond qui conditionne l’émergence et la reformulation d’objets sociaux

9 Le développement de la notion de population est un élément fondamental dans les techniques de gouvernement modernes (Foucault, 2004a, 2004b) le gouvernement moderne est focalisé sur le bon fonctionnement productif de la population qu’il prétend gouverner et cet élément a des implications vis-à-vis des migrations qui seront développées dans ce travail de manière détaillée.

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comme : la sécurité, les migrations, la population et le sens qui leur est donné dans le discours médiatico-politique.

1.2 Plan du Travail :

La définition des migrations comme enjeux de sécurité et les conséquences de cette inscription à l’agenda sécuritaire en Europe brasse un ensemble de dynamiques qui ne seront pas toutes explorées dans ce travail. Le changement d’échelle et les parallèles récurrents qui seront fait au cours de ce travail entre les niveaux européens, suisses et français se légitiment à travers le constat de la montée des ressentiments à l’égard des migrations de manière relativement diffuse en Europe, d’une “crise migratoire“ de niveau européen et d’un agencement paradigmatique vis-à-vis de la rationalité gouvernementale relativement homogène entre les pays traités. Si la Suisse est un cas relativement exceptionnel dans ses structures de décision, dans son multiculturalisme ou dans son accès à la nationalité, elle semble être relativement en adéquation (voir en avance) vis-à-vis de ses voisins sur les questions de rejet identitaire. Les résultats des partis xénophobes sont parmi les plus hauts d’Europe10 et la rationalité étatique est sur le même axe que les régimes libéraux environnants. En ce sens et en fonction de ces variables, Suisse et France notamment nous semblent être comparables de par leur proximité géographique et les influences mutuelles qui y sont à l’oeuvre.

Le travail est agencé de la manière suivante : Il s’ouvre sur des considérations d’ordre épistémologique. Le sujet traité et la manière dont sont envisagées les différentes variables demandent une clarification, il sera donc question des approches prises à notre compte dans ce travail et de ce qu’elles impliquent pour le reste du questionnement. Il y sera question de la notion de discours et de la théorie des actes de discours. Ces éléments prenant place dans un cadre plus large que nous pourrions dire constructiviste, il sera également question de la diffusion de cette

10 La Suisse se situe parmi les plus hauts résultats de la droite xénophobe en Europe (https://www.monde-

diplomatique.fr/cartes/extremedroiteeurope). La France, dont il sera beaucoup question dans ce travail, est depuis les années 2000 dans une dynamique de droitisation de ses élites qui permet à une part de la droite traditionnelle de relayer de manière tout à fait sereine les propos et arguments autrefois réservés à une extrême droite dont les scores sont relativement hauts dans les urnes à en juger par les dernières élections. (près de 34% lors du 2ème tour de la présidentielle 2017).

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théorie et de son influence dans le champ des études des relations internationales et des études de la sécurité. La question du discours et du rôle productif du discours est mis en avant dès le début du travail, la raison tient à la perspective épistémologique dans laquelle s’inscrit en partie ce travail. De la même manière, les objets sociaux que sont les migrations et la manière de les considérer dans la suite du travail demandent une clarification en amont, ceci justifie la chronologie mise en place.

Dans le développement conceptuel de ce travail, il sera question des migrations, de la notion de population et des dispositifs de sécurité. Les questions migratoires et la manière de les appréhender touchent selon nous à la manière dont elles sont diffusées dans la société, les conditions contextuelles et structurelles sur lesquelles se construisent les discours qui sont mobilisés pour parler des migrations sont intrinsèquement liées à la configuration du champ économico- médiatique, la variation des rapports de pouvoir et les reconfigurations opérées dans ce champ feront l’objet, sur un mode mineur, d’un premier développement. S’en suivra la clarification de ce qui est entendu tout au long du travail comme la trame de fond sur laquelle sont rendus possibles certains discours, à savoir le développement des techniques de gouvernement vers un mode d’intervention dit biopolitique. Ce développement sera l’occasion d’éclaircir les relations entre les questions de sécurité et de population, nous tenterons de faire les liens nécessaires entre le développement hygiéniste et productif de la question de la population et ce que ce niveau d’intervention nouveau implique en termes de décisions politiques dans la mise en place de dispositifs de sécurité. Nous verrons également dans cette partie du travail, de manière plus concrète comment les migrations en sont venues à être sécurisées, quels discours ont rendu cette sécurisation possible et quels acteurs ont pu mobiliser ces discours et les rendre opérants. La tentative de réponse à la première question exprimée dans la problématique de ce travail se fera donc de manière théorique-argumentative.

Dans la dernière partie de ce travail, nous tenterons de faire l’analyse, dans les termes de notre cadre théorique et épistémologique, d’un dispositif de sécurité opérant dans les migrations une scission entre les personnes qui ont vocation à intégrer les politiques de la vie et ceux qui sont renvoyés à la mort sous la forme de ce qu’Achille M’bembe a appelé une “nécropolitique“ ou ce que Giorgio Agamben décrit comme “la vie nue“11. Il sera question des migrations et de l’aide d’urgence dans le canton de Genève. Cette dernière partie sera l’occasion d’apporter une tentative de réponse plus empirique à la deuxième question qui a été soulevée plus haut. Une tentative

11 Les concepts de “vie nue“ et de “nécropolitique“ seront abordés de manière plus complète en fin de travail, ces deux concepts reflètent une mise en précarité extrême de la vie dans les camps pour Agamben et dans la violence colonail pour M’bembe (Agamben, 1997 ; M’bembe, 2003)

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d’ouverture critique sera également proposée par rapport aux questions de résistance aux discours hégémoniques par les personnes concernées, notamment dans les mouvements sociaux qui militent pour des conditions d’accueil plus digne en Suisse romande. Le travail se conclut avec une mise en perspective des techniques de gouvernement, leurs chronologies respectives et avec une ouverture sur les recherches à mener. Aussi, il nous semble important de souligner que le travail de déconstruction des catégorisations sociales à l’oeuvre dans la sécurisation actualise une forme de critique et peut être comprise en ce sens comme le point d’intervention normatif de ce travail.

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2. Cadre Epistémologique : Sécurité, Discours, Migrants

2.1 Discours et tournant linguistique

La notion de discours est un concept polysémique qui est rendu complexe par son utilisation et sa mobilisation très variée ce qui rend sa définition difficilement synthétisable. Les auteurs influents, des sciences sociales à la linguistique, qui s’y sont intéressés soulignent régulièrement que le recours théorique ininterrompu au concept de discours le vide de sa substance12. Nous pouvons néanmoins de manière très large dire que les discours consistent en des articulations de concepts et d’idées dictés par un contexte précis, qui énoncent des vérités. Ces vérités sont articulées dans un contexte donné et fonctionnent dans ce contexte, elles entretiennent avec leur contexte une relation co-constitutive. Les sujets parlants sont donc intégrés à l’intérieur d’un contexte discursif, leurs énoncés, ce qui est dit, résultent d’une articulation particulière dudit contexte. L’énoncé est toutefois inséparable des modalités et contraintes qui rendent possibles l’articulation énonciative, ce que Foucault nomme les conditions de possibilité du discours (Foucault, 1971), c’est à dire ce qui est dicible à partir d’une certaine position sociale.

Un discours fonctionne à partir du moment où il produit des effets et il peut fonctionner à partir du moment où l’agencement du contexte dans lequel il intervient – les conditions de possibilité du discours- le rendent possible. Les discours et leurs conditions d’émergence sont donc intrinsèquement liées.

Un passage par le langage comme média des interactions et de la construction de savoir est nécessaire pour comprendre l’articulation des discours et notamment le sens donné aux migrations dans la réthorique sécuritaire. Pour comprendre la lecture qui est faite des sens donnés aux objects sociaux que les acteurs de la sécurité manipulent, il est important de comprendre les dynamiques de différence à l’oeuvre dans le langage. Les pratiques d’altérisation fonctionnent de la même manière, sur le mode de la différence, et il importe donc selon nous de faire un retour rudimentaire mais indispensable sur son articulation.

12 Selon Van Dijk (1993), l’utilisation massive de la notion de discours politique et le remplissage de ce concept le rend relativement inutilisable analytiquement.

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Selon la logique structurale, les termes – qui sont appelés “signes“ - contiennent deux “faces“, le signifiant qui serait comme la transmission acoustique qui est produite, le son et le signifié qui serait en quelque sorte l’objet auquel on se réfère quand la transmission acoustique a lieu. Dans le cas d’un chat on imagine habituellement un animal à quatre pattes avec des oreilles pointues et une queue. Chez Saussure13, il n’y a pas de signifiant objectif, les termes se dissocient toujours des autres par ce qu’ils ne sont pas. Un chat n’est pas un chat en soi, par nature mais un chat est un chat parce qu’il n’est pas un chien ou un renard. Dans la grammaire sausurienne, les rapports entre le signifiant et le signifié ne sont donc pas “naturels“ ou “fondés“, ils n’existent qu’en termes de différences. Le sens donné à un terme n’a d’existence qu’en fonction de ses rapports de différence et de l’exclusion des autres possibles, c’est ce qui rend le sens des termes intrinsèquement dépendants les uns aux autres. La principale qualité de l’approche de la grammaire structurale chez Saussure est qu’elle remet en cause la naturalité du langage et déstabilise déjà l’essentialisme du langage en en soulignant le caractère arbitraire.

De plus, selon Derrida, les binarités qui sont régulièrement mobilisées dans le langage servent à stabiliser et à sécuriser des signifiants qui n’ont pas d’assise. Ainsi, les binarités classiques du type homme/femme, maître/esclave permettent de rendre compte d’elles même par opposition à leur

“ombre“ mais elles en sont en même temps dépendantes. La phrase d’Antonin Artaud : “Sans médecins il n’y aurait jamais eu de malades“ exemplifie cette idée, la mise en opposition radicale terme à terme permet de fixer le sens de signifiants jusqu’ici flottants14. Ce qui peut en être compris dans une lecture métaphorique c’est que les jeux de pouvoir qui dissocient des termes les uns des autres ne sont jamais neutres et innocents. Ils existent l’un par rapport à l’autre. Dans la phrase citée, il semblerait de prime abord que l’existence de médecins soit dépendente du fait qu’il existe objectivement des malades à soigner. Ce que nous dit Artaud c’est qu’il existe un rapport intrinsèque et définitionnel de l’un des termes sur l’autre. Ce sont en quelque sort les médecins qui jouissent du pouvoir de nommer l’objet sur lequel ils vont ensuite intervenir, la maladie. De la même manière, il y a selon Derrida un rapport hiérarchique dans les dichotomies, celui qui est cité en premier jouit le plus souvent d’un prestige social supérieur. De la même manière, tout ce qui est

13 Les principes de la grammaire structurale de Saussure ont été publiés à titre posthume et sont référencés dans la bibliographie de ce travail sous le titre de “Course in general linguistics“ (De Saussure, 2011)

14 Le terme de signifiant flottant est utilisé pour décrire une réalité du discours dans laquelle le signifiant n’a pas encore de contenu, il n’est pas solidement rattaché à son signifié. Sans son ombre le signifiant “médecin“ ne fonctionne pas, si il fonctionne c’est qu’il se détache de ce qu’il n’est pas et ce qui lui donne raison d’être, le malade. La phrase “sans médecins, il n’y aurait jamais eu de malades“ souligne l’idée d’un renversement de la production des objets dans le discours. Le contenu du signifiant “malade“ est dicté la plupart du temps par la médecine. Cette remise en question du rapport entre des oppositions souligne d’une part le rapport de construction de l’objet du discours (ici la catégorie “malade“ par la médecine) et le fait que cette construction discursive ne se fait pas de manière anarchique mais est ordonnée selon le rapport hiérarchique qui lie le médecin à son malade.

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exclu de la dichotomie est constitutif de la dichotomie elle-même, si je suis un homme c’est que je ne suis pas tout le reste qui entre dans le champ du possible, en ce sens la langue fait violence en détachant et en figeant certaines catégories dans une définition articulée en antagonisme avec ce qu’elles ne sont pas. Déconstruire une dichotomie ou un texte ou un concept ou une évidence revient à en démontrer la violence, tout ce qui en a été exclu pour arriver à en dire ce que c’est. Le rôle du langage dans la construction des identités est selon nous fondamental pour comprendre les dynamiques d’altérisation qui concourent à la construction de l’imaginaire des migrations comme menaces.

Cette notion de discours contient plusieurs dimensions ; discours donc comme l’articulation de vérités par un sujet parlant dans un contexte donné mais surtout discours comme un ensemble d’énoncés contraint, pris dans une ramification de règles dont l’articulation est aussi restrictive que productive. Les conditions de possibilité du discours sont autant de limites pour une période donnée et une société donnée qui restreignent par qui le discours peut être formulé et ce qui est potentiellement dicible. Michel Foucault parle de procédures qui permettent le contrôle des discours et de leurs locuteurs. Dans notre cas, la question de savoir qui parle est d’une importance toute spécifique étant donné que le jeu des définitions des objets du discours sur les migrations est maintenu et gardé par ceux qui en détiennent le monopole définitionnel15. Le rôle de ces procédures permettant le contrôle des discours serait selon l’hypothèse de Foucault d’en maîtriser la portée :

“Je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les pouvoirs et les dangers, d'en

maîtriser l'événement aléatoire, d'en esquiver la lourde, la redoutable matérialité.“ (Foucault, 1971)

Ces conditions de possibilité des discours, comprises dans notre travail comme cadre de référence dans lequel peut s’articuler une vérité sur les migrations, sont importantes à mettre en exergue car elles façonnent l’espace dans lequel le jeu des acteurs peut se jouer. L’articulation du rôle du

15 Dans l’ordre du discours, sa leçon inaugurale au collège de France en 1971, Foucault souligne l’importance, de maîtriser qui a accès aux discours et prépare ainsi selon nous la possibilité d’une réappropriation de ces discours par les personnes concernées. “Il existe, je crois, un troisième groupe de procédures qui permettent le contrôle des discours. Il ne s'agit point cette fois-ci de maîtriser les pouvoirs qu'ils emportent, ni de conjurer les hasards de leur apparition ; il s'agit de déterminer les conditions de leur mise en jeu, d'imposer aux individus qui les tiennent un certain nombre de règles et ainsi de ne pas permettre à tout le monde d'avoir accès à eux. Raréfaction, cette fois, des sujets parlants ; nul n'entrera dans l'ordre du discours s'il ne satisfait à certaines exigences ou s'il n'est, d'entrée de jeu, qualifié pour le faire. Plus précisément. : toutes les régions du discours ne sont pas également ouvertes et pénétrables ; certaines sont hautement défendues (différenciées et différenciantes) tandis que d'autres paraissent presque ouvertes à tous les vents et mises sans restriction préalable à la disposition de chaque sujet parlant.“

(Foucault, 1971 : 26) La thématique de la sécurité est à ce titre une région du discours hautement défendue.

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gouvernement comme gestion de la notion nouvelle de population rend possible l’intégration des migrations à l’intérieur d’un agenda sécuritaire. La prise de conscience moderne, développée dans notre cadre théorique, selon laquelle l’intervention étatique doit avant tout permettre la pérennité de la seule variable qui ait un sens dans la grandeur des états, à savoir la population, sa bonne santé et son bon fonctionnement productif a été comme la condition de l’émergence du problème des perturbations extérieures à cette population. Les migrations, à travers ce qu’elles contiennent comme incertitude, ont pu être mises à l’agenda sécuritaire en s’appuyant sur le discours de l’État au service de la population.

D’un point de vue méthodologique, les contextes de possibilité des discours se retrouvent dans les représentations sociales des acteurs et jouent le rôle de “lien“ entre l’articulation d’un discours et les effets qu’il peut produire. Selon Van Dijk :

we need to examine in detail the role of social representations in the minds of social actors. More specifically we hope to show that social cognition is the necessary theoretical (and empirical) 'interface', if not the 'missing link', between

discourse and dominance (Van Dijk, 1993 : 251).

Ce que Van Dijk semble souligner avec cet aspect programmatique de l’analyse critique du discours est l’idée selon laquelle il y aurait une sorte de savoir sociétal partagé (Social cognition) qui permettrait de comprendre et de faire le lien entre les discours et la domination. Cet élément se retrouve dans notre interprétation des modes de fonctionnement des discours qui, pour être opérants, doivent être basés sur un ensemble de représentations sociales qui sont comme ce que Foucault appelle les conditions de possibilité du discours. Le questionnement des représentations sociales chez les acteurs implique une opérationnalisation relativement difficile à mettre en œuvre au niveau empirique. Selon nous, il est possible malgré ces difficultés d’extraire certaines de ces représentations. Premièrement, on les retrouve dans des textes et institutions qui régissent la prise en charge des personnes migrantes en Suisse. Ensuite, ces représentations peuvent être relayées par les médias qui relatent la prise en charge des migrants. C’est en partie ce que nous tenterons de mettre en avant dans l’étude du cas genevois présenté dans ce travail.

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2.2 Performativité des discours, historique et actualité:

Aborder la question migratoire comme un enjeu de sécurité implique la prise au sérieux de l’hypothèse selon laquelle la réalité sociale dépend des interactions entre les personnes qui peuplent cette réalité et des discours sur lesquels ils basent leurs valeurs. Il n’y a jamais de réalité objective mais toujours une réalité située, ce qui est considéré comme un enjeu de sécurité pour certains ne l’est sûrement pas pour d’autres, d’ailleurs si les migrations sont un enjeu à sécuriser pour certains acteurs il fait peu de doute que les personnes directement concernées verront cette intégration à la politique de sécurité d’un tout autre œil ne serait-ce qu’à cause des conséquences de l’inscription à l’agenda sécuritaire. En ce sens, l’auteur post-structuraliste Richard Devetak s’appuie sur ce qu’il semble dénicher chez Nietzsche comme les prémices des théories post-structuralistes pour dire :

“There is only a perspective seeing, only a perspective « knowing ». The modern idea, or ideal, of an objective or all- encompassing perspective is displaced in post-structuralism by the Nietzschean recognition that there is always more than one perspective and that each perspective embodies a particular set of values. Moreover, these perspectives do not

simply offer different views of the same « real world ». The very idea of the « real world » has been abolished in Nietzsche’s tought (Devetak, 2009 : 190).

Sans s’aventurer aussi loin dans la nécessité d’aborder la réalité du monde comme infondé en nature, la compréhension du caractère socialement construit des phénomènes sociaux et des problèmes affiliés est un préalable à l’argumentation qui suivra dans ce travail.

Dans les années 1960, John Austin publie un livre fondateur dans les questionnements autour des actes de langages intitulé How to Do Things with Words (1962) et traduit en français sous le titre Quand dire, c’est faire. Dans cet ouvrage, Austin développe l’idée selon laquelle certains actes de langage sont simplement “constatifs“ dans le sens où il énoncent une sorte de vérité vérifiable, par exemple : “cette chaise est en bois“. Ils sont en quelque sorte “objectifs“ (encore faut-il que les termes auxquels ils se rapportent soient socialement partagés) et ils ne font que constater quelque chose qui semble une évidence. D’autres énoncés sont, à l’inverse, dotés d’un potentiel de performance. Performance dans le sens où ils impliquent une action, ils “font“ quelque chose. La force performative de l’acte de discours peut se réaliser ou pas dans le sens où le fait d’énoncer ce type d’acte de langage n’a pas de valeur de vérité mais peut être ou ne pas être effectif. Lorsque je dis : “Je t’emmène a la plage demain matin“, l’énoncé n’est pas vrai ou faux, par contre il peut avoir un dénouement heureux (nous allons effectivement à la plage) ou malheureux (nous n’y allons pas).

Les énoncés performatifs simples ont donc comme principal attribut de “faire“ quelque chose et

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dans ce cadre d’avoir un dénouement heureux ou malheureux. Dans les faits ce qui va nous intéresser sont des discours dont les conséquence mettent en jeu l’existence des personnes auxquels ils s’adressent de manière plus contraignante que le fait d’aller ou non à la plage. En ce sens, le caractère performatif des discours autour des migrations vient de l’idée que la menace posée par les migrations n’est pas vraie ou fausse, elle implique dans les faits une série de conséquences pour les personnes concernées. La politique d’accueil des migrants articulée en fonction de migrations entendues comme des menaces à la stabilité des nations pose une série de contraintes sur la vie des migrants qui n’ont pas lieu d’être lorsque ces même migrants sont envisagés comme une aide au développement économique et au déficit de main d’oeuvre comme ça a pu être le cas en Allemagne récemment.

La question du performatif est très dépendante de la question des sites d’énonciations. Dans son ouvrage Langage et Pouvoir Symbolique (2001), Pierre Bourdieu intervient en quelque sorte dans le débat du performatif et souligne l’importance du locuteur et de sa reconnaissance symbolique dans la réalisation des énoncés performatifs. Effectivement, en prenant l’exemple de l’union civile, si le mariage devient effectif une fois prononcé par le maire l’énoncé :“je vous déclare mari et femme“, il semble évident que la réalisation heureuse de cet énoncé ne sera pas la même si c’est le témoin du marié qui l’énonce. A travers cette intervention, Bourdieu souligne l’importance des sites d’énonciation dans la réalisation des énoncés performatifs. La personne, l’institution ou la norme qui énonce un certain acte de langage doit avoir été légitimée pour le faire afin que l’énoncé fonctionne et déploie ses effets.

A la suite d’Austin, dans les années 1990, c’est l’appropriation et la redéfinition du concept de performatif par Judith Butler qui a ouvert la porte à une compréhension plus large des potentiels d’application de la théorie de John Austin au champ de la théorie politique. Dans sa remise en question du caractère fondé en nature du genre dans Gender trouble (Butler, 1990), Butler introduit le concept de performativité du genre. Le genre doit désormais être compris comme une performance de tous les jours réalisée notamment par les femmes, dans la mise en scène de soi à travers des rituels quotidien qui font d’elles des femmes. Elle prend l’exemple des pratiques de drag qui, en s’appropriant des normes féminines, permettent à des hommes d’être femme et inversement permet à des femmes s’appropriant des codes masculins de subvertir l’identité d’homme. L’acte de travestissement réalise une identité. Ce décentrement du performatif permet d’entrevoir une application nouvelle non plus limitée au linguistique mais applicable et appliqué au quotidien aux corps et aux personnes qui les portent. La subversion des identités de genre par la théâtralisation opérée par les personnes qui pratiquent le drag déstabilisent également les sites d’énonciation de la vérité sur le genre et les fondements naturalisés du genre. Si l’identité d’homme peut être

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appropriée par des personnes qui n’appartiennent pas au genre social “homme“ et que l’ensemble des représentations rattachées à cette identité peuvent dépasser les corps qui les accompagnent c’est bien que les fondations de ces identités sont contingentes16. Rendre instable les discours de vérité sur des corps normés grâce à la subversion des identités de genre est une réappropriation de soi et constitue une pratique de résistance. Ces actes de résistance fondent une pratique critique en tant qu’elle questionne et déconstruit des catégorisations sociales en en démontrant le caractère contingent. La mobilisation de la théorie des actes de langage en théorie politique vient d’une réflexion sur l’inquestionné du postulat fondationnaliste et essentialisé de certains objets sociaux et la fécondité de cette théorie dans les sciences sociales souligne l’importance accordée à la remise en question des certitudes. Ces pratiques de résistance face au discours sont aussi à l’oeuvre dans le champ des études de la sécurité. Le questionnement visant à la réappropriation d’une vérité s’articule alors dans différents domaines dont les migrations. C’est cela dont il va être question dans la suite de cette partie du travail.

2.2.1 La sécurité comme énoncé performatif :

L’intérêt de mettre en exergue la théorie des actes de discours dans ce travail vient du fait que les années 1990 sont aussi le moment où la théorie des actes de discours et le caractère performatif des énoncés pénètrent le champ des relations internationales à travers plusieurs auteurs constructivistes, notamment européens, qui opèrent une critique relativement radicale de la question de la sécurité.

L’école de Copenhague, qui regroupe plusieurs auteurs et autrices encore influents aujourd’hui, pose au début des années 90 la question des fondements et de la naturalité des objets de la sécurité.

Comme Butler a pu le faire pour le genre et bien que l’entreprise lancée par l’école de Copenhague n’ait rien à voir sur le plan militant, il devient, dans les année 90, nécessaire dans le champ des relations internationales de questionner les fondements des objets propres de la sécurité.

16 L’interprétation du genre comme performance chez Butler est synthétisé de la manière suivante “Gender is always a doing, though not by a subject who might be said to pre-exist the deed. [...] Identity is performatively constituted by the very ‘expressions’

that are said to be its results“ (Butler, 1990 : 33). En ce sens ce n’est pas le sexe qui serait comme le fondement naturel sur lequel des attitudes de genre viendraient ou pas se greffer mais c’est le genre comme catégorie performée au quotidien qui donne son sens au sexe. Le sexe est le reflet corporel des régimes de savoir/pouvoir genrés dans la société.

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Cette école de Copenhague est regroupée de manière synthétisée sous le terme de securitization. En français le néologisme “sécuritisation“ laisse entrevoir le caractère dynamique de la sécurité dans cette approche. L’approche de la “sécuritisation“ (ci-après utilisé en alternance avec sécurisation) part du postulat constructiviste selon lequel il n’y a pas d’objets propres à la sécurité à priori mais qu’il y a des objets qui entrent dans le cadre de la sécurité d’un Etat à un moment donné selon une procédure donnée. Le caractère dynamique de l’approche se retrouve dans l’idée que lorsqu’un objet social entre dans le champ de la sécurité c’est qu’il y a été intégré par des acteurs du champ de la sécurité et/ou que des conditions structurelles ont permis son intégration au champ de la sécurité.

En ce sens, le lien avec la théorie des actes de langage de John Austin dont il a été question plus haut vient de l’idée que la construction des enjeux de la sécurité et des menaces qui pèsent dessus sont constitués à travers des discours qui sont produits et reproduits dans les interactions et les interventions des acteurs de la sécurité. Une fois ces discours sédimentés ils ont une fonction, ils deviennent opérants et légitiment le recours à des mesures spécifiques, au traitement des menaces à la sécurité. Un des auteurs fondateur de l’école de Copenhague, Ole Waever, dit à ce propos de manière très synthétique :

“It is by labelling something a security issue that it becomes one“ (Waever, 2004 : 13).

Les acteurs de la sécurité en Europe comme en Suisse produisent en ce sens des énoncés performatifs. A titre d’exemple, les discours qui ont souligné dès les années 1970 des problématiques climatiques et la nécessité de prendre garde à l’environnement ont été institutionnalisés au niveau européen, ils ont été introduits dans des textes législatifs et déploient désormais leurs effets à travers la définition de règles contraignantes. En plus du questionnement sur les conditions d’entrée d’un objet dans le champ sécuritaire, il est donc tout aussi important de questionner les conséquences de cette entrée dans la sécurité. Le caractère performatif des discours de sécurité vient de leur capacité à produire des effets, ils catégorisent et cette catégorisation devient tangible dans les réponses politiques qui lui sont apportées. Ce qui est décrété comme une menace pour la sécurité se verra la plupart du temps réserver un traitement différencié de manière à être contrôlé, surveillé, réprimé ou éradiqué. Ce qui est sorti du cadre politique “normal“ ou “ordinaire“

pour être intégré au champ de la sécurité entre dans un cadre de politiques d’urgence dans lequel les règles et les régulations démocratiques habituelles sont mises à l’écart. Selon R.Taurek, à partir du moment où un problème (ou un objet social) est constitué comme une question de sécurité il perd toute signification préexistante et devient ce que les acteurs de la sécurisation en disent (Taurek, 2006).

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Les auteurs de l’école de Copenhague s’appuient sur la construction discursive de l’objet de la sécurité pour expliquer la légitimité qui lui est donnée, ça peut être le cas pour une expédition guerrière notamment. L’intervention américaine en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 par exemple aura été possible en prenant pied sur une multitude de discours qui s’appuient sur une construction du régime irakien ou des talibans comme des menaces à la sécurité des USA. Si la construction de la menace à travers son potentiel belliqueux et militaire a sans doute été déterminante, elle a été accompagnée d’une série d’autres discours légitimant l’intervention qui touchaient plus à une sécurité d’ordre sociétale. L’intervention était par exemple rendue nécessaire pour libérer les femmes afghanes de l’oppression masculine qu’elles subissaient. Les fondements discursifs de la menace se retrouvent donc aux intersections de plusieurs dynamiques, préservation du territoire et intégrité des alliés directs se retrouvent mis en parallèle avec la construction d’un imaginaire colonial vis-à-vis des rapports de genre et de la culture à laquelle la population engagée militairement sera confrontée. L’articulation de la nécessité d’entrer en guerre s’est dans ce cas précis appuyée, en partie du moins, sur des représentations mettant en jeu un imaginaire binaire qui opposait l’archaïsme suggéré des cultures orientales au postulat de la modernité américaine légitimant du coup l’intervention au nom de la libération des opprimé.e.s. Les enjeux à sécuriser selon les auteurs de l’école de Copenhague peuvent être très variés, de la sécurisation comprise comme auto-préservation territoriale avec la défense du territoire à la sécurisation culturelle, comprise comme entreprise de préservation d’une culture dans une continuité téléologique de la modernité et qui doit être protégée d’un retour en arrière. Ce qui est nouveau dans l’approche de la sécurisation est qu’aucun objet qui est inclus dans le champ de la sécurité n’est destiné à s’y trouver à priori et que l’intégration au champ de la sécurité est toujours une construction politique motivée par des acteurs du champ selon une logique qui leur est propre et dans un contexte qui s’y prête. La logique de linguistique structurale qui a été expliquée au début de cette partie du travail se retrouve dans l’idée que la densité concrète du signifiant n’existe pas, il n’y a que des rapports de force qui tentent de construire une cohérence, un fondement à ce qui est postulé par certains acteurs en excluant ce qui n’en fait pas partie. La menace est toujours diffuse et les enjeux à sécuriser multiples.

Si le rôle des acteurs de la sécurité dans la désignation des menaces est bien souligné par les auteurs et autrices de l’approche de la sécurisation, il est fait finalement peu de place aux conditions de possibilité du discours qui est articulé par ces mêmes auteurs. Effectivement, il peut paraître pertinent de postuler, au même titre que la définition d’enjeux de sécurité dépend du jeu des acteurs

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qui font entrer certains problèmes sociaux dans le cadre de la sécurité, que ces problèmes sont rendus possibles par des dispositions facilitantes au niveau des cadres de pensée d’une époque et en ce sens que les problèmes sociaux soulevés peuvent devenir des problèmes par un agencement particulier des discours disponibles à une période donnée.

Dans la leçon inaugurale au collège de France de sa chaire sur les systèmes de pensées, Michel Foucault soulignait, comme il l’avait fait plus tôt dans les mots et les choses, que les discours qui structurent le social et qui dans notre cas constituent le socle légitimant la désignation de menaces dans la sphère de la sécurité ne sont pas disponibles de manière anarchique et qu’ils émergent au gré des évolutions épistémiques des sociétés (Foucault, 1971 ; Foucault, 2004c).

L’articulation des discours est, à ce titre, dépendante des conditions de possibilité propre à un contexte et une époque. Pour les migrations, la question des techniques de gouvernement à l’oeuvre articule des dimensions de contrôle au même titre que la sollicitude propre à la gestion biopolitique des populations. Nick Vaughn-Williams dit de la gestion “humanitaire“ des migrations au niveau européen :

“the discourse of « migrant-centered » border security constitue a biopolitical regime of governance : the bodies of

« irregular » populations - their basic needs and vulnerabilities - are targeted and managed by European border security authorities with ambivalent ethical and political effects.“ (Vaughan- Williams, 2014 : 3).

Ce qui est souligné ici résonne avec le souci d’intégrer la vie dans la raison d’Etat comme le point d’appui et la justification même de cette action gouvernementale et met, de manière implicite, en jeu le fait que la mort est devenue une réalité qui doit être repoussée le plus possible en dehors de la sphère d’influence de l’État, comme pour cacher un échec. L’ambivalence des effets dont parle Nick Vaughn-Williams se retrouve dans la double logique de garder en vie tout en s’assurant que l’existence soit aussi précaire qu’elle puisse l’être. Les plus indésirables jouissent donc et malgré leur statut d’une certaine forme de sollicitude qui permet de les exclure de la politique de la vie sans pour autant assumer clairement leur renvoi à la mort.

Nous verrons que cette ambiguïté entre les sphères sécuritaire-humanitaire et le contrôle-sollicitude qui s’exerce sur les populations migrantes se retrouve de manière concrète dans les dispositifs de l’aide d’urgence aux personnes déboutées du droit d’asile ou celles pour lesquelles l’État n’est pas entré en matière en Suisse et à Genève. Ce souci pour la vie fait entrer les migrants dans un cycle de surveillance-dépendance qui réactualise des régimes de gouvernementalité différenciés entre migrants et nationaux.

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3. Cadre Théorique

Le cadre théorique qui suit développe plusieurs points importants pour la justification de l’intervention de ce travail et l’interprétation qui est faite des phénomènes migratoires. Il développe très brièvement la question des fluctuations des représentations des migrations dans le champ médiatique et son rôle dans la réception des frames proposés. La justification de cette première partie et de son rôle dans le travail est liée avec ce qui a été développé dans la partie précédente au sujet de la médiation qui a lieu entre les discours produits et leur réception. Selon Tuen Van Dijk, le rôle de chaînon manquant entre la production et la réception des discours est joué par les médias qui structurent l’information :

“more than any form of public communication and discourse, the media {…} provide specially selected ‘facts’ and preformulate preferred meanings and opinions” (Van Dijk, 1991: 39)

Il faut rapidement souligner que si le rôle des médias dans la transmission des discours permet de structurer l’information, il ne faut pas leur prêter une magnitude démesurée, dans les mots de Greenberg :

“the role of the press is to organize the ‘field of social intelligibility’ within which news comes to ‘make sense’, not by telling people what to think, but telling them what to think about and how to think about it” (Greenberg, 2000: 251).

Cette partie du travail sur le champ médiatique s’explique aussi par l’exemple que les médias constituent vis-à-vis des implications concrètes des dynamiques et des changements à l’oeuvre dans les structures de communication. Le réagencement des schémas narratifs sur les inégalités et les affects déployés dans le cadre (néo)libéral y sont rendues tangibles et permettent de clarifier certains éléments théoriques.

Dans un second temps, ce cadre théorique contient un historique du développement des approches en relations internationales et du contenu qu’elles rapportent au concept de sécurité. Souligner dans le travail les mutations de la question de la sécurité permet d’entrevoir les réagencements à l’oeuvre dans la recherche stratégique et ses implications sur les phénomènes parlés. Comme nous l’avons mis en évidence plus haut, certains auteurs parlent de la responsabilité des académiciens dans l’intégration d’objets nouveaux aux questions de sécurité. La dépendance des objets à leur sujet souligne une fois encore l’importance des discours dans la construction des choses. En ce sens, il

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n’y a pas d’abord les choses puis les mots qui les exprimeraient ou les déformeraient, il y a les mots et les choses qui dépendent des mots. D’autres mots viendront dont dépendront d’autres choses17. Ensuite, il est question plus spécifiquement des acteurs de la sécurité et du jeu définitionnel de ces acteurs vis-à-vis de leurs objets. Nous mettons l’emphase sur la notion de “champ“ dans lequel se négocient les problématiques qui doivent être sécurisées. Les acteurs du champ sont multiples et nous verrons dans la partie empirique qui suit ce cadre théorique qu’ils peuvent être relativement inattendus et actualiser des pratiques a priori antagonistes de contrôle-sollicitude. .

Pour finir, nous développons la notion de biopolitique. L’intérêt de présenter l’approche foucaldienne des modes et techniques de gouvernement tient au fait que la sécurité qui s’applique aux migrations est construite sur un discours qui met en jeu la population. La population, sa bonne santé, les ingérences et menaces extérieures à son encontre sont en partie interprétables au travers d’outils proposés par Foucault. Sa mobilisation dans ce travail fait sens en résonance avec la sécurisation des migrations. Cette partie permet de cadrer l’intervention qui suivra et de donner des outils d’interprétation par rapport aux discours et à l’aide d’urgence à Genève.

3.1 Le Champ médiatique, Représentations des migrants et (néo)libéralisme :

Pour tenter de comprendre comment est rendu possible l’antagonisme entre l’ordre de grandeur des migrations reportés à la population autochtone et l’écho de la menace qui est évoquée chez certains commentateurs, questionner le champ médiatique et ses évolutions est important.

Effectivement, il faut souligner le rôle de la médiation dans la transmission des discours, l’organisation institutionnelle du champ médiatique a un rôle sur la diffusion des images et des représentation des discours sur la migration. La médiation a selon nous comme rôle de transmettre des représentations mentales. Selon le point de vue de Teun Van Dijk déjà évoqué dans ce travail, une approche socio-cognitive doit étudier le lien entre les discours et la société et est, selon lui, médié cognitivement. La structure des discours et les structures sociales sont de nature différentes et peuvent être relayées uniquement à travers les représentations mentales des individus pris comme

17 Cette dernière phrase a une paternité dont il nous est impossible de retrouver la filiation ni la tournure exacte, par soucis d’honnêteté intellectuelle il est donc fait mention qu’elle n’est pas de nous mais il est présentement impossible de la rattacher à un auteur précis et à une date précise...

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des utilisateurs du langage et membres de la société18. En ce sens, le rôle de framing joué par les médias est de nature à jouer comme un relai, dans la population, des cadre d’intelligibilité proposés par les acteurs de la sécurité dans leurs discours migratoires.

Dans le contexte européen, les études et les enquêtes d’opinion qui s’intéressent aux représentations des migrants dans la population ont régulièrement mis l’accent sur le shift qui s’est produit dans les années 1990-2000 quant au schéma narratif des grands médias. Plusieurs auteurs soulignent le passage d’un modèle plus ou moins étatisé de subvention à un champ médiatique dans lequel les subventions publiques ont été petit à petit remplacées par le modèle publicitaire privé. Selon certains auteurs, ce changement a eu comme conséquence une sensationnalisation des faits migratoires (Hericourt et Spielvogel, 2012). La transformation des mécanismes de production de l’information vers une mise en récit qui évoque les migrations sous un prisme émotionnel a été selon ces auteurs encouragée par une recherche de l’audience la plus large possible en abandonnant du même mouvement l’élaboration d’enquêtes approfondies sur les causes et les mécanismes de fond au profit de format court et de titres aguicheurs. Cette transformation de l’horizon médiatique se traduit notamment dans la focale qui est mise sur les migrations. Rodney Benson dans une recherche sur les changements médiatiques en France et aux Etats-Unis souligne, lui aussi, que le modèle du journalisme d’enquête qui prévalait dans les années 70-80, notamment en France, et qui était axé sur l’explication des mécanismes de l’exil et des variables macroscopiques qui permettaient de l’expliquer aurait laissé la place à une dramatisation individualisée du fait migratoire (Benson, 2017). Le passage d’une lecture macroscopique des événements et des mécanismes de la migration à une narration individualisée et microscopique des parcours de vie serait selon lui un des éléments qui concourent à un traitement émotionnel et sécuritaire de la migration. Dans un article du Monde Diplomatique de mai 2015, le même auteur disait de cette transformation du champ médiatique

“pour séduisante qu’elle soit, cette approche {de la narration personnalisée} ne permet pas de saisir les principaux ressorts du phénomène migratoire. Certes, le lecteur ressent dans les moindres détails les épreuves que traversent {les

migrants}. Mais il ignore comment il en est arrivé là, et s’il aurait pu éviter ce destin“ (Benson, 2015)19.

L’individualisation des épreuves traversées par les migrants et la mise en récit de ces épreuves dans le format du drame personnel semble être une méthode qui permet de sensibiliser les populations autochtones mais elle donne des phénomènes migratoires une image qui ne permet pas d’entrevoir des solutions politiques.

18 Dans les mots de l’auteur : “a sociocognitive approach claims that such relations are cognitively mediated.

Discourse structure and social structures are of differente nature, and can only be related through the mental representations of langage users as individuals and as social members“ (Van Dijk, 2015 : 64)

19 Cet article du Monde Diplomatique est référencé en bibliographie dans la section “Articles de journaux“.

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