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Redéfinition de la question de la sécurité dans les approches des relations internationales

3. Cadre Théorique

3.2 Redéfinition de la question de la sécurité dans les approches des relations internationales

Comme nous l’avons évoqué relativement implicitement dans l’amorce de la problématique, ce travail peut être envisagé comme au carrefour de la science politique et des relations internationales.

Il navigue entre les deux domaines de recherche au sens où il rend compte d’une mise en tension des questions de sécurité, il articule les migrations comme un construit social menaçant ou tout du moins comme un objet qui est construit dans la réthorique étatique comme menaçant22.

pitié risquent de remplacer les réponses juridique face aux inégalités.

22 Les migrations vues comme une menace n’est pas explicitement évoqué dans les journaux, par contre le relai médiatiques des opinions politique qui parlent des migrations comme d’un danger ou une menace suivent la logique que nous avons discuté dans l’organisation du champ médiatique. Les titres qui font le plus vendre sont souvent ceux qui sont le plus “scandaleux“ ou le plus “franc-parler“ en ce sens les journaux n’hésitent pas à relayer des points de vue qui ne sont pas le leur mais qui se diffusent de cette manière dans la société. Les journaux locaux sous influence politique peuvent aller très loin comme à Bezier https://www.arretsurimages.net/articles/migrants-beziers-photomontage-lafp-saisit-son-service-juridique mais certains grand journaux nationaux comme le Figaro sont également des relais des inquiétudes face aux migrations https://www.acrimed.org/Le-Figaro-Magazine-s-interroge-Serons-nous-encore-francais-dans-30-ans

La prétention à rendre compte de la construction de l’objet “migration“ comme menace est complétée par un jugement normatif sur ce qui doit être compris comme partie intégrante du champ de la sécurité et des pratiques sécuritaires. En soi, le questionnement des catégorisations sociales au prisme des techniques de gouvernement fait partie de l’attitude critique et c’est en ce sens que la remise en question des catégories de la sécurité est comme un point de vue normatif, partie prenante de cette recherche.

La première chose qu’il semble important de mettre en emphase est l’entrée des questions migratoires dans le champ de la sécurité des états. Pour tenter d’apporter un éclairage à ces questions, il est important de les lier intrinsèquement aux relations internationales qui, dans leurs développement récents, tentent de rendre compte de la question de la migration en en faisant une évaluation critique (Columba & Vaughan-Williams, 2014). Les migrations, en tant que phénomène qui met en tension des souverainetés nationales de manière globale, semblent effectivement être un objet prédisposé pour les approches des relations internationales. Nous verrons que cette prédisposition n’est pas une évidence à priori.

À partir du constat de la saillance des questions migratoires, notamment dans le contexte européen actuel, il est nécessaire de dresser un bref historique des relations internationales, des approches qui tentent d’en rendre compte et de l’historique de la notion de sécurité dans ces différentes approches.

Les migrations en tant que mécanisme mettant en jeu des mouvements inter-étatiques sont directement intégrables aux approches des relations internationales et un historique de leurs développements récents montre l’intérêt qui doit leur être accordé et les enjeux qu’elles semblent soulever au niveau tant des souverainetés nationales que des identités.

Dans une tentative de résumer, dans un lexique emprunté à la psychanalyse, ce qui serait le “désir-maître“ de notre époque et des sociétés occidentales qui en forment le cadre, Wendy Brown parle du

« désir de murs » comme d’un universel occidental excluant (Brown, 2009). Les murs dont il est question comprennent aussi bien les murs physiques de la protection qu’un Etat revendique offrir à sa population que les murs symboliques qui se comprennent comme la stabilisation des identités à l’intérieur des états et la mise à l’écart des cultures altérisées. La langue française regroupe ces deux définitions sous le terme de frontière. La distinction entre frontière nationale et frontière identitaire est d’emblée nécessaire. L’anglais permet de saisir cette distinction de manière plus subtile à travers les termes de “border“ qui se comprend comme la frontière physique délimitant le territoire et de

“boundary“, notion plus vague, qui pourrait s’appliquer à définir la frontière identitaire qui délimite la population. Didier Fassin rend compte de cette distinction :

“borders were generally viewed as territorial limits defining political entities (states, in particular) and legal subjects (most notably, citizens), whereas boundaries were principally considered to besocial constructs establishing symbolic

differences (between class, gender, or race) and producing identities (national, ethnic, or cultural communities).“

(Fassin, 2011 : 214 )

Les deux niveaux de frontière dont il est question se rapportent au pouvoir que peut exercer un Etat vis-à-vis premièrement de son territoire et aussi de la segmentation de la population qui le compose.

Dans le cas de la frontière comme ligne de démarcation physique ou géographique, la question est celle de la protection des frontières politiques et leur défense semble être la raison d’être de la souveraineté. Dans les approches dites classiques, - dont le réalisme est la formulation la plus récurente - la souveraineté est avant tout liée à la question du territoire et sa défense est le rôle et l’objectif propre de l’État. Les approches réalistes et néo-réalistes des relations internationales soulignent particulièrement et de manière quasi-exclusive la frontière physique comme ligne à défendre dans la volonté de puissance des pays tiers (Columba & Vaughan-Wiliams, 2014). La sécurité a donc été longtemps confinée, dans le champ de la théorie des relations internationales, à interpréter les menaces dans des termes à filiation militaire, aux conflits ouverts et aux stratégies et tactiques à adopter face à des menaces envers un territoire. L’interprétation et les choix opérés par les acteurs du jeu international se fait principalement dans ces approches à travers les théories du choix rationnel, de la théorie des jeux et le dilemme du prisonnier. Dans ce cadre de pensée, le niveau d’analyse macroscopique pris en compte adopte une posture relativement homogénéisante des contextes nationaux. L’intérieur des états compris comme des entités autonomes est postulé ordonné et ce qu’il s’agit de mettre en équilibre est l’extérieur de cet Etat. Ce qui est constitutif des relations internationales est en premier lieu le désordre qui y règne, désordre compris comme une absence de commandement. En somme, l’intérieur des états, dans les approches réalistes, n’est pas réellement questionné, ce qui compte est de comprendre ou d’expliquer l’équilibre des puissances et les stratégies propres à adopter dans une optique d’auto-préservation. La définition de la sécurité donnée par l’approche réaliste pourrait se traduire dans les termes utilisés par Paul D. Williams comme :

“security as being virtually synonymous with the accumulation of power. From this perspective, security is understood as a commodity (i.e. to be secure, actors must possess certain things such as property, money, weapons, armies and so

on). In particular, power is thought to be the route to security: the more power (especially military power) actors can accumulate, the more secure they will be (Williams, 2008 : 6).

La sécurité en question est donc à priori celle de l’État lui-même ou du moins de l’intérêt national.

Les approches dites libérales dans le champ des relations internationales se détachent en partie de cette lecture hobbesienne. Les volontés de puissance des individus qui rayonnaient jusque dans les politiques extérieures des états semblent pouvoir être atténuées par la diffusion des échanges et l’apaisement qu’est supposé rendre possible l’interdépendance des pays dans le jeu international.

Ce changement de paradigme mobilise une lecture essentialisante propre au siècle des lumières, il s’agit avant tout de discuter de la “nature“ des états. Nature qui leur est inférée depuis une réflexion sur la nature des personnes, essentiellement celle des hommes, qui composent ces états. Au delà de ces débats quant à la nature des acteurs des relations internationales - sont-ils égoïstes et belliqueux ou sont-ils prompts à échanger dans un élan d’auto-préservation - la focale qui est portée sur l’État comme un ensemble homogène n’est pas vraiment remise en cause, l’État passe, trivialement, du statut d’acteur unique des relations internationales à un statut d’institution destinée à être construite et reconstruite en fonction des coalitions d’acteurs sociaux qui la composent (Williams, 2008). Ainsi l’approche libérale des relations internationales rend mieux compte des changements dans le domaine de l’international que l’approche réaliste qui a été discutée au dessus, elle n’entrevoit pas l’État comme un acteur figé.

Le libéralisme remet en cause le bien fondé de la guerre permanente, si le commerce peut, peut-être, apaiser les mœurs, il ne fait pas de doute que la guerre nuit au développement des échanges. En ce sens, le rôle de la théorie des relations internationales comprise comme études stratégiques plus que comme grille de lecture tend sans doute avec le développement du libéralisme à rendre possible et à créer les conditions d’émergence du monde apaisé qu’elle décrit. La sécurité serait en ce sens la perpétuation des échanges, l’assurance de la propriété et la préservation des liens commerciaux entre des états dont la puissance souveraine reste principalement orientée vers un centre nodal peu questionné.

Les raisons de cette hypertrophie du centre étatique dans les questions touchant à la sécurité dans le champ des relations internationales sont ancrées dans une lecture relativement monolithique de la souveraineté et du pouvoir. Si la sécurité est comprise avant tout comme celle du souverain ou de ses sujets et comme la capacité de cet ensemble à perdurer dans le temps, c’est dû en partie à la lecture du pouvoir comme “puissance“ à la main de quelqu’un ou de quelques uns. L’État comme un ensemble homogène est menacé à partir du moment ou le constat est fait qu’il pourrait être détruit par une autre puissance. En ce sens c’est l’annexion du territoire et la mort du souverain qui serait une menace pour la sécurité.

Ces interprétations des relations internationales stato-centrées et de manière plus spécifique les approches regroupées sous le terme de réalisme ou de néo-réalisme se sont montrées particulièrement aptes à rendre compte de la situation internationale dans un contexte spécifique.

Pendant la période de la guerre froide, les questions les plus saillantes touchaient au comportement à adopter devant la menace que constituait le bloc adverse, d’où la pertinence de théories qui permettaient de donner une réponse aux incertitudes vis-à-vis des réflexes d’action ou d’inaction à envisager. C’est la fin de cette période de guerre froide mais aussi l’inaptitude des théories regroupées sous le terme “réalistes“ à la prévoir qui ont en partie permis de remettre en cause leur hégémonie dans le champ des relations internationales.

Frédéric Gros souligne d’ailleurs, en s’appuyant sur les chiffres du nombre de morts lors de conflits extérieurs des Etat mis en perspective avec les exactions intérieures au vingtième siècle, que ce serait plus l’État lui-même que les ennemis extérieurs qui auraient constitué la plus grand source d’insécurité pour les populations prises dans les frontières nationales durant le vingtième siècle :

“{…} Réellement, la sécurité d’État a pu signifier, au XXème siècle, l’insécurité généralisée des populations et une menace de mort perpétuelle planant sur les individus“ (Gros, 2012 : 187). La question de l’intégration de la population dans les questions de sécurité n’a donc pas toujours été une évidence mais semble permettre une redéfinition de ces questions de manière relativement radicale.

A partir de la remise en cause de l’hégémonie du réalisme à la fin de la guerre froide, ont émergé des approches plus critiques qui ont permis d’approfondir et d’élargir le champ des études sur la sécurité (Columba & Vaughan-Williams, 2014). L’influence d’approches philosophiques regroupées à postériori sous le terme de French Theory est un élément clé dans la naissance de perspectives critiques de l’international23. Cela sans doute pour plusieurs raisons mais la remise en question de la fixité du pouvoir est sans doute la plus fondamentale de ces raisons. Les commentateurs de l’influence de Michel Foucault dans les études de sécurité soulignent, bien après sa mort, son rôle iconoclaste notamment sur la question du pouvoir et notent dans le même temps la fertilité de certains concepts dans ce domaine des sciences sociales :

Foucault does not simply challenge the canon of the political theory of political modernity, however; he also detects new figures of truth in the early history of the politically modern, especially in its new mechanisms of power and in 23 Dans leur ouvrage Foucault on politics, security and war. Dillon & Neal soulignent l’importance de certains enjeux

soulevé par Michel Foucault dans le domaine des relations internationales notamment à travers les trois années de cours au collège de France (de 1977 à 1979) dans lesquels Foucault lie les questions de guerre et de libéralisme notamment. (Dillon & Neal, 2015)

how new problematisations of politics were also allied, from the very beginning of political modernity, with new problematisations of security and war as well.“ (Dillon & Neal, 2015 : 3)

La remise en question du pouvoir comme une entité a laissé la place à ce qu’il appelle lui-même une micro-physique du pouvoir (Foucault, 1976), à savoir un ensemble de relations qui imprègnent le social. Ce mode d’interprétation du pouvoir comme diffus et présent dans toutes les sphères du social a sans doute encouragé, dans le cadre des études de sécurité, une ouverture de la boîte étatique pour en questionner le caractère omnipotent, le pouvoir n’est plus une entité fixe aux mains de l’Etat24.

L’entrée d’objets nouveaux comme les migrations ou la sécurité humaine dans le champ des études de la sécurité est en ce sens très liée aux changements paradigmatiques dans la littérature mais aussi aux changements historiques dans le contexte politique global. La fin de la menace posée par des puissances adverse incarnée par des états ou des blocs aux idéologies radicalement distinctes marque en un sens la nécessité de définition de menaces nouvelles. Pour les acteurs du champ de la sécurité, la désignation des menaces en termes d’identités ou de civilisations là où elles étaient auparavant cantonnées à des coalitions inconciliables est comme une possibilité de reconversion pour garder une légitimité. La sécurité a donc un rôle instrumental en tant que concept mobilisé pour légitimer les Etats et les acteurs qui les composent dans leur course au pouvoir. Dans les mots de Barry Buzan, la sécurité est aussi :

“{Security is} a powerful political tool in claiming attention for priority items in the competition for government attention. It also helps establish a consciousness of the importance of the issues so labelled in the minds of the

population at large’ (Buzan 1991: 370).

Il est néanmoins important de souligner que la succession des approches dans le domaine des études de la sécurité en occident ne se fait pas simplement sur un mode téléologique et que les remise en cause des approches classiques sont pour certaines antérieures à la fin de la guerre froide ou à la disparition du bloc soviétique, il reste que c’est dans cette période qu’est remise en cause de manière plus large l’hégémonie de ces approches dites “classiques“. (Williams, 2008 ; Columba &

Vaughan-Williams, 2014)

Dans un passé récent, l’approche constructiviste venue des science sociales est devenue prépondérante également dans le champ des études de sécurité à partir de son émergence à la fin des

24 La remise en question du pouvoir comme entité, comme puissance et son caractère relationel est appréhendé dans la volonté de savoir, tome 1 de l’histoire de la sexualité de Foucault référencé en bibliographie. Cette conception du pouvoir peut se traduire dans les mots de ses commentateurs comme “un faisceau ouvert, plus ou moins coordonné, de relations. On a trop souvent tendance à parler du pouvoir comme d’une entité, alors qu’il n’y a dans les faits que des dispositifs de pouvoirs, des relations de force, qui sont d’ailleurs créateurs ou producteur de réalité {…} En réalité, le pouvoir ne se donne ni ne se prend, il s’exerce et n’existe qu’en acte“ (Hortonéda, 2005 : 63)

années 1980. Le constructivisme social en matière de sécurité peut être compris comme une combinaison d’approches sociologiques et de théorie critique, les constructivistes voient la réalité comme constituée socialement à travers les interactions des acteurs qui composent le champ des relations internationales – les agents et les structures sont comprises comme mutuellement constituées. En ce sens, il n’y a pas de système international au-delà des états qui le compose. De la même manière, les facteurs dit “idéationnels“ comme les normes, les identités ou les idées sont comprises à part entière comme des éléments centraux de la constitution des dynamiques de politiques globales (Wiliams, 2008). L’approche constructiviste est revendiquée par les auteurs réunis dans la Copenhagen School dont il a été question plus haut, lesquels ont tenté d’articuler aux questions de sécurité la théorie des actes de discours de John L. Austin. Cette approche est détaillée dans ce travail en tant que fond épistémologique de la recherche mais il faut souligner qu’elle représente, dans le champ des relations internationales, plutôt un ensemble de préceptes de base hérité du constructivisme en science sociale qu’une réelle théorie pour rendre compte des relations entre les Etats. La définition de la sécurité dans une optique constructiviste pourrait se comprendre de manière triviale comme l’acte de faire entrer dans le champ de la sécurité un objet ou un sujet qui n’avait pas vocation à y être intégré. Le constructivisme appelle donc une légitimation des objets de la sécurité à travers des actes de discours et fait de la réalité tangible de la sécurité un construit discursif. Les acteurs de la sécurité font exister et persister les objet de la sécurité dans l’imaginaire collectif à travers leurs développement dans les discours, en cela ils façonnent des énoncés performatifs. La différence relativement fondamentale entre le constructivisme et les approches réalistes vient de la considération des menaces comme venant à exister de manière dynamique, sans essence et à travers l’action et les actes de discours des acteurs de la sécurité plutôt qu’existant après avoir rempli un ensemble de critères abstraits qui les feraient entrer dans ce qui compte comme question ou enjeu de sécurité. De la même manière, la définition des objets de la sécurité est toujours une négociation, les objets ne sont ainsi pas figés et peuvent changer de signification selon des contextes spécifiques ou selon des périodes spécifiques. Le constructivisme social en matière de sécurité a comme principal attrait et comme principale vertu de permettre d’ouvrir les questionnements. Etant donné que le jeu des interactions entre acteurs et structures peut faire entrer dans les politiques de sécurité tout ce qui est jugé utile d’y faire entrer, la question de qu’est-ce que la sécurité n’a plus de sens. La question pertinente à poser devient celle de la fonction jouée par certains objets dans le cadre de la sécurité, de leur possibilité d’existence dans un contexte précis et des conséquences de leur entrée dans les politiques de sécurité.

De la même manière, et c’est là que l’aspect normatif de ce travail est rendu visible, le constructivisme dans les relations internationales permet une remise en question radicale, l’idée

selon laquelle démontrer le caractère socialement construit des menaces permet de les déconstruire

selon laquelle démontrer le caractère socialement construit des menaces permet de les déconstruire