Thesis
Reference
Les coulisses de l'échec scolaire : étude sociologique de la production des décisions d'orientation de l'école enfantine et primaire
vers l'enseignement spécialisé
GREMION-BUCHER, Lise Madeleine
Abstract
La recherche est conduite sur le modèle de l'interactionnisme symbolique et de sa méthodologie multi variée. Elle a pour objectif de comprendre comment et par quels processus des élèves ordinaires sont progressivement orientés vers les structures spécialisées. L'observation directe durant près de deux ans dans une école primaire ainsi que la collecte exhaustive de données concernant dix ans de signalements permettent de trianguler les résultats qui ne sont plus focalisés sur l'échec scolaire, mais sur sa mise en scène par des acteurs qui, dans l'espace confiné des salles des maîtres et des séances scolaires, participent à sa production, loin du regard et du débat public. L'étude montre que cette part de l'échec scolaire ne doit rien aux difficultés des élèves, mais qu'elle se construit avec la duplicité du système scolaire lui-même contribuant, en particulier, à la disqualification des enfants de familles socioéconomiquement défavorisées, des garçons et des élèves étrangers.
GREMION-BUCHER, Lise Madeleine. Les coulisses de l'échec scolaire : étude
sociologique de la production des décisions d'orientation de l'école enfantine et primaire vers l'enseignement spécialisé. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2012, no.
FPSE 499
URN : urn:nbn:ch:unige-228477
DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:22847
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:22847
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
Sous la direction de Jean-‐Paul PAYET, Professeur
Les coulisses de l’échec scolaire
Etude sociologique de la production des décisions d'orientation de l'école enfantine et primaire vers l'enseignement spécialisé
THESE
Présentée à la
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’éducation
Par
Lise Madeleine GREMION-‐BUCHER
De Gruyères/FR Thèse No 499
Membres du jury:
Abdeljalil AKKARI, Université de Genève; Gisela CHATELANAT, Université de Genève;
Pierre-‐André DOUDIN, Université de Lausanne; Frédérique GIULIANI, Université de Genève; Eric PLAISANCE, Université de Paris Descartes.
GENEVE Juin 2012 87-‐301-‐859
leurs écrits, leur savoir-‐faire, leurs réflexions, leurs engagements ont contribué, sans aucun doute, à sa réalisation.
Trois d’entre eux, présents au départ de cette thèse, n’ont pu en voir le terme. Ils auront été, pourtant, tout au long de son élaboration, sources d’inspiration et de courage par la générosité des échanges et par le souvenir et l’exemple de leurs propres engagements. Je dois à Soledad PEREZ, chercheure en éducation comparée, d’avoir osé entreprendre un premier travail de thèse, à Gérard PIQUEREZ, physicien et chercheur en psychologie de l’éducation, la curiosité et l’audace de m’engager dans ce projet, à Jean-‐Pierre WENGER, inspecteur des écoles primaires et spécialisées, de m’avoir plusieurs fois réitéré sa confiance malgré nos points de vue parfois divergents en m’ouvrant, le premier, les portes de l’école et de son bureau.
Ma reconnaissance va à Jean-‐Paul PAYET, mon directeur de thèse, qui a accueilli et accompagné ce second projet en orientant finement ma démarche et en stimulant ma propre réflexion par ses apports et ses critiques pertinentes et toujours constructives. Je lui suis très reconnaissante non seulement de m’avoir fait confiance mais d’avoir su me le montrer. Mes remerciements vont à Jallil Akkari, pour m’avoir encouragée à réécrire et présenter un nouveau projet de la thèse et offert son amical soutien dans ce temps particulier; à Jean-‐Claude Kalubi, ami et guide éclairé, pour ses conseils experts dès les premières incursions de recherche ; à Maria Eugênia Nabuco et Eric Plaisance pour leur stimulation amicale et généreuse, leur lecture critique et attentive ; à Camille Adam, pour son accueil généreux, son aide précieuse et ses nombreuses contributions; à Sophie Willemin et Jean-‐François Wälchli pour la finesse et le doigté de leurs corrections, à Sandra Muller et Jean-‐Bernard Grüring pour leur aide et compétences techniques.
J’adresse des remerciements chaleureux aux membres du jury, Gisela Chatelanat ; Frédérique Giuliani ; Abdeljalil Akkari ; Pierre-‐André Doudin ; Eric Plaisance qui, par leurs propres recherches, leurs apports, leurs réflexions, leur souplesse et leurs critiques ont contribué, chacun en particulier, à l’enrichissement, à l’élaboration et à la finalisation de cette recherche. Je suis particulièrement honorée de leur implication dans ce jury de thèse.
Ma gratitude va également aux compagnons de ma propre réflexion, à ceux qui, tour à tour, m’ont soutenue, encouragée, aiguillonnée, écoutée, conseillée ou lue : Anne-‐
Lise Caso ; Myriam Gremion ; Sabine Kahn ; Marie-‐Paule Matthey ; Line Numa Bocage ; Tania Ogay ; Catherine Probst ; Patricia Rossi ; Marie-‐Jeanne Schoeni ; Jean-‐
Luc Bernabé ; Marzio Broggi ; Alain Houlfort ; Michele Mainardi ; Charly Maurer ; Yves Prêteur ; José Rodriguez-‐Diaz.
Finalement, je remercie François Gremion, mon compagnon de route et de dialogue pour sa disponibilité sans faille, pour son intégrité intellectuelle qui a si souvent alimenté nos échanges fructueux et décisifs et pour ses encouragements constants tout au long de ce cheminement.
INTRODUCTION : TRILOGIE DE QUESTIONNEMENTS AU
DEPART DE LA PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE 3
1. DE L’ETONNEMENT EN OBSERVANT LES ELEVES DE CLASSE SPECIALE 3 2. DES DOUTES QUANT A L’EFFICACITE DES CLASSES SPECIALES 6 3. DES REFORMES LEGISLATIVES QUI PEINENT A SE CONCRETISER 7
4. PLAN DE LA THESE 8
PARTIE 1 : CONTEXTE DE LA RECHERCHE 11
1. LA PROBLEMATIQUE DANS LE CONTEXTE DU SYSTEME SCOLAIRE SUISSE 11
1.1. UN SYSTEME SCOLAIRE MULTIPLE ... 11
1.1.1. Les structures ... 11
1.1.2. L’hétérogénéité des classes ... 12
1.1.3. Les structures de l’éducation spécialisée ... 12
1.1.4. L’intégration scolaire : un mouvement international ... 13
1.1.5. Des statistiques qui interrogent ... 15
2. ELEMENTS SOCIO-‐HISTORIQUES 19 2.1. LA QUESTION DE LA DIFFERENCE DANS L’HISTOIRE DES IDEES ... 19
2.2. LA MESURE DE L’INTELLIGENCE ... 22
2.3. L’ECOLE OBLIGATOIRE ET GRATUITE ... 24
2.4. OUVERTURE DES CLASSES SPECIALES ET MEDECINE SCOLAIRE ... 30
2.5. L’ENSEIGNEMENT SPECIALISE DANS LA REGION JURASSIENNE ... 32
3. DES RECHERCHES REPONDENT A UN CERTAIN NOMBRE DE QUESTIONS 35 3.1. QUI SONT LES ELEVES DES CLASSES SPECIALES ? ... 35
3.1.1. Le genre : un premier constat ... 36
3.1.2. La nationalité : un deuxième constat ... 38
3.1.3. L’appartenance sociale : un troisième constat ... 40
3.2. COMPARAISON DES TYPES DE POPULATION SCOLAIRE ENTRE CLASSES ET ECOLES SPECIALISEES .... 42
3.3. JUGEMENTS SCOLAIRES ET EFFET-‐MAITRE ... 46
3.4 QUELLES CONSEQUENCES POUR LES ELEVES ? ... 49
4. QUESTION DE RECHERCHE ET ANCRAGE THÉORIQUE 51 4.1. UN SCHEMA POUR S’Y REPERER ... 52
4.2. AVENEMENT DE L’UNIVERSITE DE CHICAGO ET DE SON DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE ... 56
4.3. L’ECOLE DE CHICAGO ... 60
ii
4.4.3. Ecole de Chicago : deuxième génération ... 65
4.4.4. Ecole de Chicago : troisième génération ... 67
4.4.5. L’héritage de l’Ecole de Chicago ... 67
4.5. LA PLACE DE L’ECOLE DANS CES RECHERCHES ... 69
4.5.1. Un intérêt particulier pour l’école ... 69
4.5.2. Impact des attentes des enseignants ... 71
4.5.3. Étiquettes posées sur les élèves ... 71
4.6. PARTICULARITES DES RECHERCHES SUR LES SIGNALEMENTS ... 74
4.6.1. Les recherches sur les signalements et leurs limites ... 75
4.6.1.1. Deux problèmes récurrents, la population cible et les implicites 75 4.6.1.2. Une recherche comme exemple des limites rencontrées 76
PARTIE 2 : TERRAIN ET METHODOLOGIE DE RECHERCHE 81
1. CONTEXTE DE L’ENQUETE ET TERRAIN 83 1.1. BERNE, UN CANTON BILINGUE AU CŒUR DE L’EUROPE ... 831.1.1. Hétérogénéité culturelle : répartition en Suisse et dans le canton. ... 85
1.1.2. Différence entre ville et campagne ... 88
1.2. BILINGUISME ET HETEROGENEITE DE LA VILLE DE BIENNE ... 89
1.2.1. Géographie urbaine ... 95
2. CONTEXTE GEOGRAPHIQUE ET POLITIQUE DU SYSTEME SCOLAIRE BERNOIS 99 2.1. UNE PERIODE DE CHANGEMENTS ... 101
2.2. CHANGEMENT DE TERMINOLOGIE DANS LES TEXTES OFFICIELS ... 102
2.3. L’ECOLE PRIMAIRE ... 105
2.4. L’ENSEIGNEMENT SPECIALISE DANS LE CANTON DE BERNE ... 106
2.4.1. Qualification des enseignants spécialisés ... 108
2.4.2. Les élèves dans l’enseignement spécialisé ... 110
2.4.3. Les mesures et les classes spéciales dans le canton ... 115
2.4.4. Procédure de signalement ... 117
3. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 119 3.1. ENQUETES CONCERNANT LES ELEVES EN DIFFICULTE SCOLAIRE ... 120
3.2. DONNEES DE TERRAIN ... 123
3.2.1. Le choix des feuilles de signalement ou « feuilles jaunes » ... 124
3.2.2. Terrain d’enquête ... 124
3.2.3. L’entrée sur le terrain : rencontre de l’informateur central ... 127
3.3. DIVERSITE METHODOLOGIQUE ... 129
3.3.1. Un outil essentiel: le journal de bord ... 131
3.3.2. Observation directe ... 132
iii
3.4. TRIANGULATION DES DONNEES ... 137
3.5. POPULATION D’ENQUETE ET BASE DE DONNEES ... 139
3.5.1. Construction de la base de données ... 140
3.5.2. Variables en lien avec les données personnelles de l’élève ... 141
3.5.3. Variables en lien avec le signalement fait par l’enseignant ... 142
3.5.4. Procédés et critères pour la collecte et le dénombrement ... 144
3.5.5. Critères de choix des dossiers ... 145
3.5.6. Dénombrement et vérification ... 145
3.5.7. Contenus des dossiers ... 145
PARTIE 3 : ANALYSE 147
A. L’ECHEC SCOLAIRE AU SEUIL DE L’ECOLE PRIMAIRE 149 1. SIGNALEMENTS ET PREMIERS CONSTATS 150 1.1. ASPECTS JURIDIQUES DES SIGNALEMENTS ... 1511.1.1. Confidentialité et voies de droit ... 153
1.2. L’ECOLE ET SES SIGNALEMENTS ... 155
1.2.1. Proportion des élèves du primaire dans les classes spéciales ... 156
1.2.2. Proportion des élèves signalés à l’école enfantine ... 159
1.2.3. Taux de signalements par degrés scolaires ... 163
1.3. LA DIFFICULTE SCOLAIRE ETIQUETEE ... 167
1.4. L’ECHEC SCOLAIRE, NOMENCLATURE RECENTE ... 174
2. LE SIGNALEMENT : UNE SELECTION PRECOCE CORRELEE A L’OBLIGATION SCOLAIRE 181 2.1. SIGNALEMENTS ET PROPOSITIONS D’ORIENTATION A L’ECOLE ENFANTINE ... 182
2.2. DATES DE NAISSANCE ET MAUVAIS MOIS ... 186
2.2.1. Impact de l’âge d’obligation scolaire ... 190
2.2.2. Quelques recherches qui confirment l’effet des mois de naissances ... 193
2.3. CE QUE DISENT LES ENSEIGNANTES DE L’ECOLE ENFANTINE ... 194
3. SIGNALEMENTS ET SAVOIR INEGAL DES FAMILLES FACE A L’INSTITUTION SCOLAIRE 201 3.1. RESSOURCES STRATEGIQUES INEGALES DES FAMILLES ... 201
4. LE SIGNALEMENT ET SES RISQUES 211 4.1. DECISIONS ET IMPACT SUR LE CURSUS SCOLAIRE DES ELEVES ... 213
4.1.1. Quelles suites selon les décisions ? ... 216
4.1.2. Comparaison de deux situations ... 217
4.2. PROCUSTE A L’ECOLE ... 220
iv
1.1. LES ETAPES DE LA TRAJECTOIRE DU FORMULAIRE DE SIGNALEMENT ... 227
1.2. LA FEUILLE JAUNE ET SES RUBRIQUES ... 229
1.2.1. Contenu de la première rubrique du rapport de l’enseignant ... 232
1.2.2. Le contenu des rubriques 2 et 3 du rapport de l’enseignant ... 234
1.2.3. Le contenu de la rubrique 4 ... 237
1.3. DES RAISONS DE SIGNALEMENT DISTINCTES ENTRE EE ET EP ... 238
1.3.1. Spécificité des raisons des signalements à l’école enfantine ... 239
1.3.2. Spécificités des raisons des signalements à l’école primaire ... 241
1.2.3. Comparaison ... 243
1.4. DIRECTIVES DES SIGNALEMENTS, REVISITEES ... 244
2. LES ENSEIGNANTS: DES ORDRES PROFESSIONNELS MULTIPLES 251 2.1. DES STATUTS VARIES ... 256
2.2. LA « DIRECTION » ET LE SECRETARIAT ... 257
2.2.1. Les directeurs ... 258
2.2.2. La secrétaire ou la délégation d’une part de la direction de l’école ... 259
2.2.3. Le concierge ... 269
2.2.4. Salle des maîtres, lieu privé du « corps enseignant » ... 270
2.3. L’ECOLE ENFANTINE UN ORDRE SCOLAIRE QUI PEINE A ETRE RECONNU ... 273
2.3.1. L’école enfantine : une histoire en cours ... 275
2.3.2. Un intérêt récent de la recherche pour les premiers degrés scolaires ... 277
2.3.3. Les enseignantes enfantines ... 279
2.3.4. Signalements à l’école enfantine ... 283
2.3.5. Signalements à l’école primaire ... 287
2.4. L’IMPACT DES INTERACTIONS SUR LES SIGNALEMENTS ... 294
2.4.1. L’impact des interactions entre enseignantes de 1P et d’école enfantine ... 298
2.4.2. Signaler et se protéger ... 302
2.4.3. Signaler sous le regard des collègues ... 305
2.4.4. Signalements et enseignants ... 309
2.5. LES ENSEIGNANTS SPECIALISES ET LES CLASSES SPECIALES ... 312
2.5.1. L’utilisation des structures spécialisées ... 320
2.5.2. Le regard de l’école sur les classes spéciales ... 322
3. LES AUTORITES SCOLAIRES 325 3.1. LE DEPARTEMENT ECOLE ET SPORT ... 330
4. SPECIALISTES, PSYCHOLOGUES, PSYCHIATRES ET MEDECINS SCOLAIRES 331 4.1. REPARTITION DES SIGNALEMENTS ENTRE DIFFERENTS EXPERTS ... 336
4.2. LE ROLE DES PSYCHOLOGUES SCOLAIRES ... 338
4.2.1. Psychologues et enseignants, des regards différents ... 339
v
4.3.1.2. La caution du psychologue 345
4.3.1.3. Acte de subordination 347
4.3.2. Les situations de modération : calmer le jobard ... 348
4.3.3. Les situations d’opposition ... 353
4.3.4. Situation de coalition avec les familles ... 360
C. SIGNALEMENTS, JUGEMENTS ET TRAJECTOIRES SCOLAIRES 365 1. PARCOURS ET TRAJECTOIRES SCOLAIRES 224 1.1. TRAJECTOIRES DE ROUTINE OU PROBLEMATIQUES ... 367
2. LES JUGEMENTS DES ENSEIGNANTS ET LEURS EFFETS 369 2.1. APPORTS DES RECHERCHES SUR LES JUGEMENTS DES ENSEIGNANTS ... 371
2.1.1. L’exactitude du jugement des maîtres ... 372
2.1.2. Les effets des jugements sur les enseignants eux-‐mêmes ... 373
2.1.3. Les effets des jugements des maîtres sur le comportement des élèves ... 378
2.1.4. Jugements scolaires : les travaux américains et leur contexte ... 380
3. LA PART ESCAMOTEE DE L’ECHEC SCOLAIRE 387 3.1. DES STRATEGIES POUR GERER UN MALAISE ... 389
3.1.1. Des enseignants aux prises avec un « sale boulot » ... 390
3.2. DES ENSEIGNANTS EN DIFFICULTE MAIS PAS TOUS ... 393
3.2.1. Tous les enseignants ne signalent pas ... 395
3.2.2. Les Filières et l’effet « salle des maîtres » ... 398
3.3. DIVISION MORALE DU TRAVAIL : GESTION DU MALAISE DE L’ENSEIGNANT ... 402
3.3.1. Les enseignants se protègent ... 406
3.3.2. Documenter un dossier ... 407
3.3.3. Appel à témoins et déplacement de la responsabilité ... 415
3.3.4. Entre routine et urgence : contentieux avec les psychologues ... 419
3.3.5. Laisser une trace ... 422
3.4. L’UTILISATION DE LA CLASSE SPECIALE ET SES AMBIGUÏTES ... 425
3.4.1. La classe spéciale comme menace ... 430
3.4.2. La classe spéciale comme salut ... 431
3.4.3. La classe spéciale pour éviter les « pertes de temps » ... 436
3.4.4. La classe spéciale entre besoin et rejet ... 438
3.5. LE SILENCE DE L’ECOLE ... 439
3.5.1. Le « corps-‐enseignant » et la peur de dire ... 441
3.5.2. Elèves difficiles ou atteinte narcissique? ... 449
3.5.3. Traitements différenciés selon que les élèves gratifient ou non l’enseignant ... 452
3.6. L’ELEVE OUBLIE ... 454
3.6.1. Les tensions entre adultes éludent les difficultés réelles de l’élève ... 455
vi
CONCLUSION 467
1. REGARD RETROSPECTIF 469
2. SCENOGRAPHIE DE L’ECHEC SCOLAIRE 471
2.1. L’ELEVE MIS EN SCENE ... 472
2.1.1. Trois éléments qui font barrage à l’échec scolaire ... 473
2.1.2. Les jugements des maîtres ... 475
2.2. LES ACTEURS SCOLAIRES ET LEURS ROLES ... 478
2.3. LES STRUCTURES SCOLAIRES ... 479
2.3.1. Deux postures induites par les structures ... 480 3. L’ECHEC SCOLAIRE N’EST PAS UNE FATALITE 483
BIBLIOGRAPHIE 487
ANNEXES 512
vii
Figure 2 : Répartition des langues en Suisse, situation de Bienne sur la frontière des
langues allemande et française. ... 84
Figure 3 : Population résidente selon la langue principale 1990: Langues slaves méridionales / OFS 2002 ... 86
Figure 4 : Population résidente selon la langue principale 1990: Portugais / OFS 2002 ... 86
Figure 5 : La communauté italienne est la communauté étrangère la plus importante de Suisse ... 87
Figure 6 : Population italienne résidente en Suisse / OFS 2000 Recensement fédéral de la population. ... 88
Figure 7 : Proportion des classes hétérogènes du point de vue interculturel dans le canton /Statistiques de la formation, DIP, 2008. ... 90
Figure 8 : Population suisses/étrangers de la ville de Bienne de 2000 à 2006 / Office de la statistique Bienne ... 91
Figure 9 : Répartition des lieux d'habitation des familles suisses et étrangères en 2004 à Bienne voir http://ourednik.info/segregEtrangersCH/villes/bienne.htm ... 96
Figure 10 : Organigramme de l'OECO / Etat au 1.11.2010 ... 100
Figure 11 : Répartition de l'enseignement spécialisé entre la DIP et la DSPS, 2009. ... 101
Figure 12 : Répartition des leçons consacrées aux mesures spécialisées dans le canton de Berne / août 2006/ (Mussi 2007). ... 111
Figure 13 : Pourcentages des élèves scolarisés dans les classes spéciales dans le canton de Berne / Sources : Mussi (2007). ... 112
Figure 14 : Organigramme de fonctionnement de l’Ecole primaire française de Bienne construit à partir des observations. ... 128
Figure 15 : Eléments méthodologiques constitutifs de la recherche. ... 130
Figure 16 : Triangulation des diverses sources méthodologiques ... 138
Figure 17 : Extrait du PPT présenté par la DIP à tous les enseignants du canton ... 297
Figure 18 : Indiana Evening Gazette, Tuesday, Sept. 7, 197 ... 384
viii
Tableau 2 : Effectifs des élèves dans les classes primaires, D, A et B alémaniques et
francophones en 2008-‐2009. ... 94
Tableau 3 : Taux d'élèves étrangers dans les classes des deux communautés linguistiques de la ville en 2008-‐2009. ... 94
Tableau 4 : Répartitions de la totalité des signalements répertoriés dans la base de données ... 155
Tableau 5 : Récapitulatif de la population scolaire dans l'école primaire française de Bienne ... 156
Tableau 6 : Population scolaire selon les années et les degrés scolaires ... 160
Tableau 7: Orientations proposées par les enseignantes EE et finalisation selon décision de la CS ... 184
Tableau 8 : Dates d'entrée à l'école obligatoire dans les cantons en Suisse avant HarmoS. ... 191
Tableau 9 : Base de données pour les 58 élèves orientés vers un redoublement de l’EE. ... 204
Tableau 10 : Variables EE3 croisées avec CSP du père / Test de Khi-‐deux ... 207
Tableau 11: Répartitions des décisions suite aux propositions des enseignantes EE. ... 212
Tableau 12 : Exemplaire de la feuille jaune de 2006 ... 229
Tableau 13 : Proximité des acteurs scolaires. Moyenne sur NE/GE/TI ... 254
Tableau 14 : Comparaison de l'intentionnalité des signalements à l'EE et à l'EP ... 295
Tableau 15 : Organigramme du DIP du Canton de Berne en 2010 ... 333
Tableau 16 : Extrait de l'Ordonnance sur le service psychologique pour enfants et adolescents (OSPE) ... 336
Tableau 17 : Type de comportement déviant (selon Becker, 1985, p. 43) ... 475
ix
spécialisées de Suisse de 1990 à 2006 ... 16 Graphique 2 : Pourcentage des élèves dans les classes spéciales selon le canton en
2006 /Source: OFS ... 17 Graphique 3 : Evolution des taux de fréquentation des classes et écoles spécialisées
selon le genre de 1980 à 2006 (Sources OFS) ... 37 Graphique 4 : Part des élèves dans les classes spéciales de 1980 à 2000 (Tiré de
Lischer 2003) ... 38 Graphique 5 : Pourcentage des élèves scolarisés dans les école ou les classes
spécialisées (source: OFS 2010). ... 39 Graphique 6 : Pourcentage des élèves fréquentant les écoles spécialisées selon la
nationalité, de 1991 à 2009 (source: OFS 2010). ... 40 Graphique 7 : Pourcentage des classes hétérogènes du point de vue culturel dans les
écoles des différents cantons en 2009 (source: OFS 2010) ... 44 Graphique 8 : Pourcentage d'élèves étrangers dans les classes spéciales selon le
canton en 2009( source OFS 2010) ... 45 Graphique 9 : Gadeau et Billon-‐Galland, 2003, répartition des signalements en
fonction de l'âge des enfants concernés ... 78 Graphique 10 : Répartition suisses/étrangers dans les communautés linguistiques
de Bienne en 2000 ... 92 Graphique 11 : Répartition de la population suisse et étrangère dans la communauté
francophone de Bienne de 2000-‐2007 ... 93 Graphique 12 : Population biennoise par communautés linguistiques de 1990 à 2003
/Office statistique Bienne. ... 93 Graphique 13 : Distribution des élèves dans les classes de l'école primaire française
de la ville de Bienne selon les orientations ordinaire ou spécialisée. ... 139 Graphique 14 : Comparaison de la population scolaire de l’école primaire et de la
population des classes spéciales (classe d’accueil non comprise) de 1998 à 2008 ... 158 Graphique 15 : Taux de fréquentation des classes et écoles spéciales selon les
cantons suisses en 2005 ... 159 Graphique 16 : Moyenne du nombre d'élèves par volées de 2002-‐2009 ... 161 Graphique 17 : Signalements en 2e EE durant les années 1998 à 2006 ... 162
x
propositions d'orientation des enseignants / N= 520 ... 164 Graphique 20 : Répartition des 280 signalements de l'école enfantine en fonction des
orientations proposées par les enseignantes. ... 183 Graphique 21 : Orientations des élèves signalés en EE après décisions finales de la CS
/ N=280 ... 185 Graphique 22 : Croisement des variables "dates de naissance" et "retardement de
l'entrée scolaire", soit N= 271 ... 186 Graphique 23 : Répartition des 280 signalements de l’école enfantine en fonction des
mois de naissance des élèves concernés ... 187 Graphique 24 : Comparaison des maxima de naissances sur trois quinquennats en
Suisse. ... 188 Graphique 25 : Variations des maximas de naissances par mois dans la ville entre
1990 et 2000 ... 188 Graphique 26 : Signalements à l’école enfantine / N= 280 ... 189 Graphique 27 : Taux de redoublement en Suisse en 2006 ... 192 Graphique 28 : Occurrences des raisons principales évoquées pour signaler les
élèves / N= 280 élèves. ... 195 Graphique 29 : Répartition du total des élèves signalés à l’EE selon leur date de
naissance / N=280 ... 199 Graphique 30 : Répartition Filles/Garçons selon leurs mois de naissance / N= 280 ... 199 Graphique 31 : Répartition des élèves signalés à l’EE selon leur nationalité et leurs
mois de naissance / N=280. ... 200 Graphique 32 : Répartition suisse, double nationalité et étrangers des signalements
EE (N=280) ... 202 Graphique 33 : Répartition suisse/double nationalité et étrangers des orientations
pour une 3e EE (N=58) ... 202 Graphique 34 : Répartition des dossiers EE selon CSP (N=280) ... 203 Graphique 35 : Répartition des dossiers prévoyant une 3EE selon CSP (N=280) ... 203 Graphique 36 : Répartition des orientations après décision de la Commission
scolaire (N=280) ... 213 Graphique 37 : Impact final des signalements sur les trajectoires scolaires (N= 280) .. 214
xi
Graphique 39 : Répartition croissante des raisons des signalements juste avant
l’entrée à l’école ... 240 Graphique 40 : Occurrences exprimées en% des raisons évoquées par les
enseignants ... 241 Graphique 41 : Occurrences des raisons des signalements comparées entre EE et EP . 244 Graphique 42 : Répartition des signalements du premier cycle soit 1P-‐2P et classes D
(N=136) par enseignantes ou duos d’enseignantes (N=27) ... 310 Graphique 43 : Nombres de signalements répartis entre 1/3 et 2/3 des enseignantes 310 Graphique 44 : Pourcentage des signalements selon les groupes d'enseignantes ... 310 Graphique 45 : Répartitions du nombre de signalements par enseignants et duos
d’enseignants ... 311 Graphique 46 : Nombres de signalements répartis entre 1/3 et 2/3 des enseignants
5P-‐6P ... 311 Graphique 47 : Pourcentage des signalements selon les d'enseignants : 1/3 des
enseignant pour 2/3 des signalements, cycle 3 ... 312 Graphique 48 : Répartition des élèves signalés en EP selon l'origine culturelle /
N=90 (données de recherche ... 473 Graphique 49 : Répartition des élèves signalés en EP selon l'origine sociale / N=90
(données de recherche) ... 473 Graphique 50 : Conséquences des signalements EE sur la trajectoire scolaire des
élèves /N=210, sans 2005-‐2006 ... 482 Graphique 51 : Conséquences des signalements EP sur la trajectoire scolaire des
élèves ... 482
Le type de sociologie que j’évoque ici, enseignée par l’observation mutuelle sur le terrain et par la
découverte de secrets de la vie des autres, repose sur l’hypothèse que les hommes sont égaux, égaux en humanité.
(Hughes, 1996, p. 328)
INTRODUCTION : TRILOGIE DE QUESTIONNEMENTS AU DEPART
DE LA PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE
Il n’y a pas de « handicap, de « handicapés » en dehors de structurations sociales et culturelles précises ; il n’y a pas d’attitude vis-‐à-‐vis du handicap en dehors d’une série de références et de structures sociétaires.
(Stiker, 1997, p. 18)
1. DE L’ETONNEMENT EN OBSERVANT LES ELEVES DE CLASSE SPECIALE
Au départ de cette thèse, il y a mes élèves de classe spéciale A, classe dont personne ne voulait, moi y compris, par crainte de la confrontation aux comportements d’élèves dont la rumeur scolaire, par des histoires rocambolesques et inquiétantes, avait alimenté les stéréotypes et nourrit les appréhensions de chacun en salle des maîtres. Après cinq ans de fermeture, la classe allait s’ouvrir à nouveau et chacun avait de bonnes raisons pour ne pas s’y intéresser. Même celui qui venait d’être nommé à ce poste avait aussitôt renoncé pour une classe « normale ». L’étrangeté, l’imprévisibilité, la dangerosité supposées de ces élèves nous emmuraient tous dans nos préjugés. Il a fallu, ce jour-‐là, qu’au hasard des discussions, leurs noms soient mentionnés pour que leurs visages nous reviennent en mémoire et que les peurs s’estompent.
En acceptant d’échanger ma classe de petits contre cette classe d’élèves de 8 à 16 ans, je ne savais pas ce qui avait présidé à la décision de leur placement dans cette nouvelle classe. Mis à part deux d’entre eux, aucune mention à une pathologie ou déficience avérée ne figurait dans leur dossier. Les rapports psychologiques1 qui m’avaient été communiqués indiquaient une « intelligence dans la norme ou légèrement inférieure aux enfants du même âge ». Certains dossiers évoquaient leur « lenteur », presque tous leur
1 Les textes entre guillemets décrivant les élèves correspondent à des extraits de rapports de psychologues.
« retard scolaire » et la nécessité « d’une aide particulière » respectant « leur rythme » ce qui, forcément, devait être possible dans cette classe à effectif réduit. Dans les rapports des psychologues le placement en classe spéciale était justifié par différentes raisons : -‐ socioculturelles : l’enfant « jouit de capacités intellectuelles normales (…), ne peut pas être aidé dans son travail par ses parents, qui sont très occupés professionnellement et se sentent assez démunis culturellement ».
-‐ culturelles : « nos examens ont démontré une intelligence dans la norme ; néanmoins les épreuves concernant le langage ont été mal réussies, la fille ne disposant que d’un vocabulaire restreint. (…) Dans un cadre strictement francophone, elle aurait probablement pu suivre normalement l’enseignement primaire ».
-‐ familiales : « le passage en classe spéciale ne pourra être fructueux que si cet élève arrive à dégager un désir personnel, hors des intrications familiales. À cet effet, il me paraît essentiel de lui signifier que son passage en classe spéciale se fait indépendamment de l’accord ou du désaccord de ses parents, et que le travail qu’il aura à y accomplir ne concerne que lui ».
-‐ scolaires : selon plusieurs rapports, des élèves semblaient avoir vécu un blocage scolaire et/ou perdu le fil du programme.
Ces rapports ne disaient pas comment ces élèves avaient été désignés et quels critères avaient présidé à leur orientation en classe spéciale. Selon leurs enseignants, ils étaient en échec dans les classes primaires, ce qu’avaient confirmé les psychologues dans leurs rapports, sans plus. Par contre, et malgré le fait que personne ne pouvait prédire de mes compétences d’enseignante en la matière, les uns et les autres s’accordaient à dire que le transfert en classe spéciale serait favorable à chaque élève et lui permettrait de
« s’épanouir dans une activité scolaire dont le rythme serait plus adapté à ses retards, lui permettant par là de renouer des rapports avec l’école plus enrichissants ». La nouvelle classe spéciale était présentée comme une cour des miracles dont je détenais les clés par je ne sais quel prodige et où les élèves allaient résoudre toutes leurs difficultés. L’élève allait se sentir « moins dévalorisé », y recevoir « un soutien individuel qui lui permettra, comme relève un enseignant, d’exister davantage et de prendre un peu confiance en lui ».
Plusieurs rapports affirmaient même que les élèves, « ayant redémarré » et forts de leurs compétences retrouvées, pourraient ensuite reprendre le cours normal de leur scolarité.
Jeune enseignante, je n’avais que quelques années de pratique dans les petits degrés et ne me sentais ni plus compétente, ni mieux préparée que mes collègues pour assurer toutes les promesses faites à ces élèves et à leurs parents. Mais la classe m’intéressait par la formation en enseignement spécialisé que le titulaire avait l’obligation de suivre et qui me donnait, de cette façon, la possibilité d’ouvrir mon horizon professionnel. C’est donc de façon un peu téméraire que j’ai changé de classe, de collègues et surtout, d’élèves.
Lorsque j’observais dans la cour, durant les activités sportives ou hors cadre, mes nouveaux élèves décrits dans leurs dossiers comme « immatures », « en retard »,
« passifs », « bagarreurs », je m’étonnais de ne pas observer de différences entre eux et
les autres élèves de l’école. Aussi rapides dans les jeux, parfois plus, aussi inventifs que d’autres, parfois conciliants, parfois non, ils savaient comme les autres défendre leur territoire et rendre les coups si nécessaire. Dans la cour d’école, ils partageaient leurs jeux avec les élèves des classes primaires ordinaires, entre rires et chamailleries, puis entraient dans l’école en bousculades ou en discussions tranquilles. C’est en franchissant le seuil de la classe qu’ils devenaient des enfants différents des autres, des « élèves en difficultés », « pas capables de suivre le programme normal ». En les observant dans les activités scolaires, j’ai appris que leur lenteur n’était jamais que momentanée et généralement provoquée par un exercice de lecture, d’écriture ou de mathématiques pour lesquels ils avaient perdu toute appétence et intériorisé l’idée d’incompétence. Je découvrais leurs stratégies d’évitement face aux tâches scolaires qu’ils redoutaient. Ces mêmes enfants, curieux, astucieux, habiles dans mille situations quotidiennes, vifs et à l’aise dans les jeux et les contacts avec leurs pairs, performants dans le maniement d’un ordinateur, perdaient alors leur assurance, leur curiosité et jusqu’à leur sourire devant une feuille de papier à lire ou à écrire. Bien sûr, cette classe spéciale représentait pour l’un ou l’autre une aide momentanée ou, du moins, un espace où reprendre son souffle pour oser la lecture et l’écriture dans des conditions moins stressantes, parfois moins humiliantes. Bien sûr, la classe évitait un placement institutionnel à quelques élèves, leur assurant une sorte de proximité avec la norme scolaire. Bien sûr, il y avait des moments d’échanges différents qui permettaient de reprendre pied, d’apprendre la confiance en soi. Mais tout cela n’était-‐il pas possible dans une classe ordinaire ? Pour la plupart d’entre eux, appartenir à la classe spéciale restait une source de souffrance. Ils lisaient leur différence dans le regard des autres élèves de l’école, des copains, de la famille et jusque dans les propos des enseignants ordinaires menaçant leurs élèves de la classe spéciale : « Si tu continues comme ça, tu iras en classe spéciale ! ». L’étiquetage d’élèves « faibles », « en difficultés », d’élèves « retardés », d’enfants « pas comme les autres » se renforçait encore lorsqu’ils entraient en classe spéciale, classe des « idiots » pour les uns, des « anormaux » pour les autres. Leur frustration, leur déception s’exprimaient parfois par des bouderies, des colères ou des comportements de repli, de refus, de rejet qui, peut-‐être, avaient conduit à les disqualifier aux yeux de leurs enseignants précédents.
Les moqueries et quolibets entendus à l’école, la honte ou le malaise des parents d’avoir un enfant dans cette classe, la difficulté, au moment de la sortie de la scolarité, de trouver une place d’apprentissage et surtout la perte de confiance dans ses propres compétences sont un prix bien trop élevé pour refermer la question de l’échec scolaire en affirmant simplement qu’ils « seront mieux » dans cette classe parce qu’ils pourront
« suivre à leur rythme ». Pour ma part, je n’étais pas du tout convaincue de ce bénéfice avancé tant par mes collègues que par les psychologues. Ceci dit, je ne nie pas les besoins d’attention, de soin, d’outils pédagogiques particuliers pour certains élèves qui sont en situation de handicap et pour qui la question de la scolarité séparée ou intégrée se pose avec certaines ambivalences. Bless (1995) ainsi que Moulin (2005) rappellent que les synthèses de recherches n’apportent pas de réponses tranchées quant à la pertinence de l’intégration de tous les élèves dans le cursus ordinaire2.
2 A ce sujet, il sera intéressant de consulter les résultats de la recherche conduite par G. Bless et U.
Haeberlin dans cinq cantons auprès de 150 enfants de 8 à 9 ans entre 2007-‐2010 pour le FNS (Fond
Les questions qui m’ont accompagnée et conduite jusqu’à cette recherche concernent les élèves qui, à l’entrée à l’école, ne présentent aucune déficience ni aucun handicap mais qui, au cours de leur cursus scolaire, sont orientés dans les classes de l’enseignement spécialisé, voire vers les écoles et institutions spécialisées. Je me suis demandé pourquoi la majorité d’entre eux sont issus de familles ouvrières, souvent étrangères, et pourquoi les garçons plus souvent que les filles sont concernés par cette orientation.
2. DES DOUTES QUANT A L’EFFICACITE DES CLASSES SPECIALES
Ces classes spéciales3 destinées, dans l’école publique, aux « élèves en difficulté d’apprentissage ou de comportement » portent des noms différents selon les cantons et comprennent de petits effectifs. La plupart des élèves qui s’y trouvent ont commencé leur scolarité de façon tout à fait ordinaire, puis ont rencontré des difficultés de type divers et se sont vu proposer une orientation séparée du cursus ordinaire.
Les structures scolaires en Suisse ont, dans la plupart des cantons, adopté une forme séparative pour répondre aux besoins divers des élèves, soit une différenciation structurale qui a prévalu jusqu’à ce jour. Ce modèle postule que la performance scolaire sera augmentée si la structure est adaptée au type de difficulté ou de handicap de l’élève.
Les doutes que je formule quant au bien-‐fondé de la séparation des élèves sont aujourd’hui fortement renforcés par les résultats de nombreuses recherches. Par exemple, en comparant différentes études sur la qualité des apprentissages en classes ordinaires ou spécialisées, Pelgrims-‐Ducrey (2001) montre que les pratiques et conditions d’apprentissage différenciées, attendues au sein des structures séparées, ne sont pas au rendez-‐vous. Une autre synthèse de recherches (Katz & Mirenda, 2002a ; 2002b) indique qu’une scolarité séparée est moins efficace, apporte moins d’avantages qu’une scolarité ordinaire et que la vie avec les pairs est de loin la plus souhaitable pour les écoliers indépendamment de leurs difficultés scolaires. Doudin et Lafortune (2006) soulignent, quant à eux, le paradoxe d’un système de différenciation structurale qui propose d’aider l’élève en difficulté tout en l’excluant de la classe pendant quelques périodes, par des appuis ou du soutien scolaire, voire totalement par le placement dans une autre classe (redoublement), dans une classe spéciale ou une école spécialisée.
Malgré cela, les enseignants, dans leur majorité, continuent à penser que les mesures de
national suisse de la recherche scientifique) Effets de l’intégration d’enfants présentant des retards mentaux dans les classes primaires régulières pourvues du soutien d’un enseignant spécialisé.
3 En conformité avec les appellations utilisées en Suisse, le terme de classe spéciale désigne, dans ce texte, des classes qui dépendent des départements de l’instruction publique et qui accueillent différents publics d’élèves (classes pour élèves allophones, classe proposant un programme intercalé entre l’école enfantine et l’école primaire, classe de soutien ou de développement proposant un programme plus individualisé et en plus petits effectifs). Le terme d’école spécialisée désigne les établissements spécialisés pour répondre à des formes spécifiques d’apprentissage. Ces écoles dépendaient jusqu’à présent non pas du département de l’instruction publique mais du département de la santé ou de celui de la justice.
séparation sont nécessaires et utiles (Ramel & Lonchampt, 2009), ce qui explique probablement une partie des réactions vives émanant des enseignants lorsqu’il est question de fermer des classes spéciales. Ces recherches soulignent les attitudes plutôt défavorables voire opposées des enseignants face à l’intégration scolaire (Doudin, Curchod-‐Ruedi & Baumberger 2009).
Une autre étude longitudinale portant sur l’intégration d’enfants migrants (54 élèves suivis depuis leur 2e année) montre que les élèves immigrés, faibles scolairement, font davantage de progrès dans les classes régulières que dans les classes séparées de l’enseignement spécialisé (Kronig, Haeberlin & Eckhart, 2000b). Dans cette même recherche du FNS4, une étude portant sur plus de 2000 élèves de 2e année primaire souligne encore que les compétences des élèves des classes ordinaires et celles des élèves des classes spéciales se recoupent largement, ce qui interroge quant à la frontière entre enseignement ordinaire et enseignement spécialisé, mais également sur les critères de désignation de ces élèves.
Un des arguments fréquemment donnés en faveur des classes à petits effectifs consiste à défendre l’idée que les enseignants ont ainsi la possibilité de pratiquer un enseignement plus individualisé et donc plus spécifique aux besoins de chacun des élèves. Or, s’appuyant sur plusieurs études internationales, Rüesch (2001) souligne :
Qu’en ce qui concerne les enseignantes et les enseignants, la façon d’enseigner ne varie que fort peu en fonction de la dimension de la classe. (…) Sur le plan suisse également, les résultats (…) montrent que les enseignantes et enseignants interrogés appliquent dans les petites classes les mêmes modalités d’enseignement que dans les classes où les effectifs sont plus élevés. (p.11)
Quoi qu’il en soit, pour vérifier la pertinence de l’orientation des élèves dans les classes spéciales, on peut dire avec Kronig (2003) qu’ « il convient tout d’abord de se demander quelle est la netteté de la sélection entre classes ordinaires et classes spéciales pour ses élèves ayant des difficultés d’apprentissage ».
3. DES REFORMES LEGISLATIVES QUI PEINENT A SE CONCRETISER
Le mouvement visant l’intégration5 scolaire, soutenu depuis de nombreuses années par des déclarations internationales, a conduit à la modification des législations scolaires. Si ces changements n’ont pas toujours eu de réelles répercussions dans les pratiques scolaires, la votation populaire de 2004 sur la Réforme de la péréquation financière et de
4 Fond national suisse de la recherche scientifique
5 Pour plus de précision sur le contenu de cette terminologie, on peut se référer, entre autre, à Bélanger et Rousseau (2004) ; Bless (2004) ; Plaisance et al (2007) ; Plaisance et Schneider (2009) ; Gremion &
Paratte (2009). Le terme d’intégration scolaire, en référence à ces textes, est celui qui traduit le mieux le type de réponse proposée par l’école dans la région de l’étude.