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Le football à l'épreuve de l'école, l'école à l'épreuve du football. Enquête sociologique à propos de l'inconscient structural du système d'enseignement genevois

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Master

Reference

Le football à l'épreuve de l'école, l'école à l'épreuve du football.

Enquête sociologique à propos de l'inconscient structural du système d'enseignement genevois

PAIXAO MONTEIRO, Daniel

Abstract

Inscrite dans la section des Sciences de l'éducation et plus précisément dans la didactique disciplinaire de l'éducation physique, cette recherche de mémoire questionne le monde de l'éducation et les mécanismes structuraux qui le commandent. Grâce à la théorie sociologique de Pierre Bourdieu, on sait que le système d'enseignement est guidé par des phénomènes profondément invisibles et enfouis dans les consciences des individus. Pour les révéler, il faut un objet dans les faits scolairement incompatible. À l'occasion de notre recherche, nous avons alors sélectionné le football. Il est une discipline sportive complexe, sophistiquée, qui regroupe l'ensemble des classes sociales et, bien qu'il soit formellement compatible avec le champ scolaire, il est exclu des pratiques enseignantes au premier niveau du système d'enseignement (école primaire). Pour cette raison, et parmi d'autres que nous aurons l'heur de découvrir dans ce travail, les sports collectifs, et en ce qui nous concerne ici le football, fonctionnent comme un puissant révélateur de l'inconscient structural du champ scolaire.

PAIXAO MONTEIRO, Daniel. Le football à l'épreuve de l'école, l'école à l'épreuve du football. Enquête sociologique à propos de l'inconscient structural du système d'enseignement genevois. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:123317

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Le football à l’épreuve de l’école. L’école à l’épreuve du football.

Enquête sociologique à propos de l’inconscient structural du système d’enseignement genevois

MEMOIRE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA

MAITRISE UNIVERSITAIRE EN ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

REALISE PAR Daniel PAIXAO MONTEIRO

SOUS LA DIRECTION DE

M. Adrian CORDOBA, Université de Genève

MEMBRES DU JURY

M. Pierre ESCOFET, Université de Genève Prof. Benoît LENZEN, Université de Genève

SOUTENU LE Genève, le 02.09.2019

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DECLARATION SUR L’HONNEUR

Genève, le 19.08.19

Je déclare que les conditions de réalisation de ce travail de mémoire respectent la charte d’éthique et de déontologie de l’Université de Genève. Je suis bien l’auteur de ce texte et atteste que toute affirmation qu’il contient et qui n’est pas le fruit de ma réflexion personnelle est attribuée à sa source ; tout passage recopié d’une autre source est en outre placé entre guillemets.

Daniel PAIXAO MONTEIRO

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RESUME

Inscrite dans la section des Sciences de l’éducation et plus précisément dans la didactique disciplinaire de l’éducation physique, cette recherche de mémoire questionne le monde de l’éducation et les mécanismes structuraux qui le commandent. Grâce à la théorie sociologique de Pierre Bourdieu, on sait que le système d’enseignement est guidé par des phénomènes profondément invisibles et enfouis dans les consciences des individus. Pour les révéler, il faut un objet dans les faits scolairement incompatible.

À l’occasion de notre recherche, nous avons alors sélectionné le football. Il est une discipline sportive complexe, sophistiquée, qui regroupe l’ensemble des classes sociales et, bien qu’il soit formellement compatible avec le champ scolaire, il est exclu des pratiques enseignantes au premier niveau du système d’enseignement (école primaire). Pour cette raison, et parmi d’autres que nous aurons l’heur de découvrir dans ce travail, les sports collectifs, et en ce qui nous concerne ici le football, fonctionnent comme un puissant révélateur de l’inconscient structural du champ scolaire.

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Alors que le mauvais joueur est toujours à contretemps, toujours trop tôt ou trop tard, le bon joueur est celui qui anticipe, qui va au-devant du jeu. Pourquoi peut-il devancer le cours du jeu ? Parce qu’il a les tendances immanentes du jeu dans le corps, à l’état incorporé : il fait corps avec le jeu.

Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action.

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REMERCIEMENTS

Ce mémoire est l’aboutissement de deux ans de travail. À notre avantage, nous avons bénéficié d’une certaine liberté. Nous la devons essentiellement à notre directeur de mémoire Monsieur Adrian Cordoba. Il a su être le garant du temps et de l’espace dans lequel nous avons évolué sans jamais interrompre ce travail de longue haleine.

Notre dette est également grande à l’égard de celui qui a « la sociologie à l’estomac ». Il fut un puissant moteur de notre enquête. Sans lui, notre pensée serait restée à l’état d’impensé. Sans lui, les conditions de possibilité de ce mémoire n’auraient pu être toutes réunies.

Aussi, nous tenons à remercier Monsieur le Professeur Benoît Lenzen, directeur du groupe de recherche en éducation physique à l’Université de Genève et ancien footballeur professionnel, qui a accepté d’examiner notre enquête et de faire partie du jury.

Enfin, il y a ceux que nous comptons sur les doigts d’une seule main et qui ont œuvré à la concrétisation de ce travail par un soutien affectif à toute épreuve et à qui nous disons sincèrement merci.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ... 12

PROBLEMATIQUE ... 14

CADRE THEORIQUE ... 17

LA THEORIE DES CHAMPS DE PIERRE BOURDIEU ... 18

L’espace social ... 18

Champs, habitus et capital : le triptyque conceptuel ... 21

Le champ scolaire ... 28

Le champ sportif ... 33

Synthèse ... 43

LA THEORIE DES SYSTEMES DYNAMIQUES ... 44

Quelques propriétés générales des sports ... 44

Les systèmes dynamiques ... 46

L’intelligence tactique ... 53

Les sports collectifs à l’école ... 56

Le cas du football ... 57

QUELQUES ELEMENTS DE DISCUSSION ... 60

METHODOLOGIE ... 64

LE TRAVAIL DE TERRAIN ... 64

Éclairages méthodologiques ... 64

Techniques d’enquête ... 66

Contexte ... 74

ANALYSE DES DONNEES ... 78

CATEGORIE 1.LE CHAMP SCOLAIRE ... 79

Catégorie 1.1. Réminiscence des public schools ... 79

Catégorie 1.2. Les conditions institutionnelles ... 81

Catégorie 1.2.1. L’effet de commodité ... 84

Catégorie 1.2. Stratégie de condescendance ... 85

Catégorie 1.3. La situation scholastique ... 90

Catégorie 1.4. L’évaluation ... 95

CATEGORIE 2.SYSTEME DE VALEURS ... 100

Catégorie 2.1. Le plaisir sportif ... 100

Catégorie 2.2. Un sport populaire ... 106

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DISCUSSION ... 109

LA SCOLARISATION DU FOOTBALL ... 110

CONCLUSION ... 112

QUELQUES RAPPELS ... 112

UNE QUESTION DANGLE ... 115

APPORTS DE CONNAISSANCES ... 117

PERSPECTIVES ... 118

BIBLIOGRAPHIE ... 119

ANNEXES ... 122

ANNEXE 1 ... 122

Familles d’APSA et APSA enseignées ... 122

ANNEXE 2 ... 123

Situation de jeu en football ... 123

ANNEXE 3 ... 124

Système didactique ... 124

ANNEXE 4 ... 125

Plan d’études romand ... 125

ANNEXE 5 ... 126

Guide thématique de l’entretien ... 126

ANNEXE 6 ... 127

Compte-rendu des observations – enseignant spécialiste ... 127

Compte-rendu des observations – enseignant généraliste ... 136

ANNEXE 7 ... 141

Entretien avec l’enseignant spécialiste ... 141

Entretien avec l’enseignant généraliste ... 152

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INTRODUCTION

À quelles conditions un sport peut-il entrer à l’école ? Ou comment se fait-il que certaines disciplines sportives franchissent la barrière scolaire et d’autres pas ?

Pour ce qui est du football, nous constatons d’entrée de jeu que la popularité n’est pas un critère d’admission aux yeux de l’école.

Dans le contexte du système d’enseignement genevois qui nous concerne plus directement ici, nous disposons d’un état des lieux de ce qui est effectivement enseigné relativement à la discipline de l’éducation physique (Lenzen & Deriaz, 2012)1. Même s’il n’explique pas les raisons de l’absence2 ou de la très faible présence du football dans les pratiques enseignantes, il a au moins le mérite de la révéler.

À partir de cette simple description, nous pouvons nous faire une idée suffisamment représentative de ce qui est, en matière de sports, scolairement compatible.

Plus précisément, sur la base d’un corpus de 149 compte-rendu de leçons qui recense un total de 36 enseignants3 observés, « soit plus de la moitié des enseignants intervenants dans l’école primaire », le football n’a été enseigné qu’une seule fois, alors que les jeux dits

« traditionnels » ont été observés 28 fois sur un total de 65 occurrences (Cf. Annexe 1), toutes activités confondues dans la catégorie « coopération et opposition » dont les sports collectifs font partie (ibid.). Relevons également que dans la catégorie des « activités gymniques », qui dominent toutes les activités physiques et sportives recensées, la discipline des agrès a été enseignée 30 fois sur un total de 34 occurrences (ibid.).

1 Bien que le corpus auquel se réfère cette recherche ne permette pas d’englober l’ensemble des enseignants de l’école primaire genevoise, nous pensons disposer « d’une « photographie » intéressante » (Lenzen & Deriaz, 2012, p.124) et suffisamment représentative des pratiques enseignantes en termes d’enseignement des sports dans la discipline scolaire éducation physique.

2 Formellement, le football et bien d’autres disciplines sportives apparaissent dès les premières éditions des manuels fédéraux d’éducation physique en Suisse à la fin du 19e siècle. Si la représentativité curriculaire est indéniable, nous cherchons ici à comprendre pourquoi le football est absent des pratiques enseignantes, relativement à l’ensemble des autres disciplines sportives effectivement enseignées à l’école primaire (voir Lenzen & Deriaz, 2012, p.129).

3 Le masculin utilisé dans le texte est purement grammatical. Il renvoie à des collectifs composés aussi bien d’enseignants que d’enseignantes, d’hommes que de femmes.

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En définitive, indépendamment d’être pratiqué occasionnellement au cours d’une leçon d’éducation physique, d’être présent sous la forme d’un tournoi scolaire annuel ou bien même encore d’une activité récréative pratiquée par les élèves, le football n’est pas enseigné et donc pas représenté à l’école.

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PROBLEMATIQUE

L’absence du football dans les pratiques enseignantes à l’école fait question. Elle nous invite à questionner les processus de validation pour qu’une discipline sportive entre à l’école.

D’où il suit trois autres questions qui donnent un angle à notre recherche : - Pourquoi le football n’est-il pas enseigné à l’école ?

- L’école prise comme système d’enseignement sélectionne-t-elle les sports qu’elle enseigne ?

- Comment didactiser le football à l’école ?

Pour rendre intelligible le problème ici posé, nous construisons d’abord un corps d’hypothèses dont l’ordre d’exposition va, selon nous, des plus générales aux plus concrètes, c’est-à-dire du plus éloigné au plus proche de l’intuition première relative à notre mode de saisie du phénomène dont nous traitons ici.

Puis, les propositions subséquentes à ces hypothèses viennent alimenter le problème de telle manière à guider le chercheur dans leur mise à l’épreuve empirique. Toutes n’ont pas souffert à cet exercice, insurmontable pour nos seuls forces, mais, étant donné qu’elles entretiennent des liens organiques, elles n’ont cessé de corriger l’orientation théorique et l’application méthodologique de la recherche.

Ainsi :

1. Le système scolaire a son propre environnement.

1.1. Il sélectionne ce qui est digne d’être enseigné de ce qui ne l’est pas.

1.1.1. Implicitement, si une discipline sportive comme le football n’est pas représentée dans les pratiques enseignantes à l’école, on peut penser qu’elle n’est pas digne d’être enseignée.

1.2. Le fait d’évaluer une discipline la pose comme importante ou non.

Proposition I. Le champ scolaire, au sens où l’entend Bourdieu (1984, 1994), dispose de sa propre logique en tant qu’il fonctionne comme un filtre à perception de la réalité sociale qui

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dirige ses choix en matière d’objet à didactiser. Pour que l’école didactise un objet, deux conditions doivent être remplies : la première, l’objet doit être scolairement attrayant ; la deuxième, les conditions de la didactisation de l’objet doivent être acceptables aux yeux de l’école.

Proposition II. Moins une discipline est importante, moins elle est évaluée. En ce qui concerne les sports, si la didactique est possible, c’est que le sport en question peut être évalué. Or, la question se pose pour les sports collectifs : l’école a beaucoup de peine à les évaluer. Elle isole des gestes et des techniques d’une pratique sportive totale, dynamique et complexe (Gréhaigne, 2009, 2014) en éléments distincts, simples et cumulables : les buts marqués au football ou les lancers-francs au basket-ball par exemple.

2. Le processus historique de légitimation des disciplines scolaires montre que l’école a toujours plus ou moins retenu ce qui venait d’en haut.

2.1. L’école ne questionne pas la complexité des objets qui viennent d’en bas en tant qu’ils sont marqués socialement comme venant d’en bas.

2.1.1. Parce que le football est marqué socialement comme venant d’en bas, l’école n’a jamais pensé à l’introduire.

2.1.1.1. Le football ne sert le système scolaire qu’en tant qu’activité d’animation et non comme une discipline sportive complexe et cognitive.

2.1.2. Le football en tant que sport populaire illustre le système de censures implicites de l’institution scolaire.

Proposition I. Si le football n’est pas enseigné à l’école (Lenzen & Deriaz, 2012), c’est parce que l’institution scolaire fait état d’une tradition de la transmission des savoirs (Vincent, Lahire

& Thin, 1994) à l’opposé de la tradition dominante dans le champ sportif (Bourdieu, 1984) : l’école a partie liée avec l’écrit – de la théorie à la pratique ; les disciplines sportives ont partie liée avec « la mimesis »4 (Vincent, Thin & Lahire, 1994, p.26), i.e. la tradition orale – de la pratique à la pratique (Bourdieu, 1987).

4 « La mimesis » est un concept emprunté par Vincent, Thin & Lahire (1994, p.26) à la théorie de la pratique de Pierre Bourdieu (1980) que lui-même emprunte à Platon : « Le processus d’acquisition, mimesis (ou mimétisme)

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Proposition II. Relativement au football, les professionnels qui agissent dans le champ sportif ont donné une assise théorique et une validité scientifique à leur discipline en s’adressant aux sports énergétiques : l’apprentissage du football se fait à partir de la condition physique et non à partir du football lui-même et des « outils théoriques » qui lui appartiennent (Escofet, 2016a, p.3).

Proposition III. En tant qu’il est un sport populaire et pratiqué par des individus qui ont peu été à l’école, le football appartient à ses propres pratiquants. Les individus les plus scolarisés ne s’intéressent pas au football en tant que discipline sportive complexe et cognitive (Escofet, 2016a).

Avant de mettre à l’épreuve du réel notre « perspective théorique » (Campenhoudt, Marquet

& Quivy, 2017, p.146), il nous faut construire un « modèle d’analyse » (ibid., p.152) à même de rendre possible la comparaison entre nos deux objets de recherche, à savoir : l’école et le football. Et aussi parce que la particularité des sciences sociales est « d’étudier des phénomènes dont chacun a déjà, le plus souvent, une expérience préalable, sinon directe, au moins indirecte » (Campenhoudt, Marquet & Quivy, 2017, p.30), il nous faut littéralement rompre avec ce que Durkheim appelle « les prénotions » (1937, p.31) ou ce que Bourdieu nomme « l’inconscient culturel » (1967, p.372) à travers lequel nous percevons le monde social.

supposant l’effort conscient pour reproduire un acte, une parole ou un objet explicitement constitué en tant que modèle, et le processus de reproduction qui, en tant que réactivation pratique, s’oppose aussi bien à un souvenir qu’à un savoir, tendent à s’accomplir en deçà de la conscience et de l’expression, donc de la distance réflexive qu’elles supposent. Le corps croit en ce qu’il joue : il pleure s’il mime la tristesse. Il ne représente pas ce qu’il joue, il ne mémorise pas le passé, il agit le passé, ainsi annulé en tant que tel, il le revit. Ce qui est appris par corps n’est pas quelque chose que l’on a, comme un savoir que l’on peut tenir devant soi, mais quelque chose que l’on est. Cela se voit particulièrement dans les sociétés sans écriture où le savoir hérité ne peut survivre qu’à l’état incorporé. Jamais détaché du corps qui le porte, il ne peut être restitué qu’au prix d’une sorte de gymnastique destinée à l’évoquer, mimesis qui, Platon le notait déjà, implique un investissement total et une profonde identification émotionnelle : comme l’observe Eric A. Havelock, à qui cette analyse est empruntée, le corps se trouve ainsi continûment mêlé à toutes les connaissances qu’il reproduit et qui n’ont jamais l’objectivité que donne l’objectivation dans l’écrit et la liberté par rapport au corps qu’elle assure » (pp.122-123).

C’est aussi en ce sens que Bourdieu (1987) explique dans son programme pour une sociologie du sport que « les problèmes que pose l’enseignement d’une pratique corporelle me paraissent enfermer un ensemble de questions théoriques de la première importance, dans la mesure où les sciences sociales s’efforcent de faire la théorie des conduites qui se produisent, dans leur très grande majorité, en deçà de la conscience, qui s’apprennent par une communication silencieuse, pratique, de corps à corps, pourrait-on dire. Et la pédagogie sportive est peut-être le terrain par excellence pour poser le problème qu’on pose d’ordinaire sur le terrain de la politique : le problème de la prise de conscience » (p.214).

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CADRE THEORIQUE

Si les disciplines sportives à l’école passent par un processus de sélection, ou à tout le moins, si le football n’est pas retenu et donc pas enseigné à l’école, les élèves quant à eux ne souffrent à l’entrée d’aucune sélection.

En effet, au premier échelon du système d’enseignement genevois, toutes les catégories sociales sont représentées : les élèves ne sont sélectionnés par le système scolaire que sur la durée et non à l’entrée. Alors que, relativement au champ sportif, le champ scolaire, au sens que Bourdieu (1984, 1994) donne à ce concept, n’est pas neutre socialement : la question se pose de savoir pourquoi une activité sportive entre à l’école et pas une autre.

À ce propos, le cas du football est paradoxal. Non représenté à l’école, il partage pourtant une complicité avec le champ scolaire. Elle est de deux niveaux. À un premier niveau, le football réunit en son sein toutes les catégories sociales. À un deuxième niveau, d’un point de vue cognitif, le football est un sport complexe où « les structures de coordination avec les coéquipiers et les structures d’opposition avec les adversaires sont difficiles à reconnaître tant elles sont mouvantes et interpénétrées » (Escofet, 2016a, p.4). Indépendamment de cette collusion que nous pourrions qualifier de structurale, le football ne passe pas l’épreuve de l’école, même s’il obtient tous les points.

Pour résoudre ce paradoxe, nous nous remettons d’abord à la théorie des champs de Pierre Bourdieu (1984, 1994). Elle rend possible la vision de l’école en tant que processus historique de légitimation des disciplines et elle permet de montrer que l’école, tout au long de ces différents échelons, sélectionne et exclut les agents sociaux à partir de critères inégalement détenus entre eux.

Ensuite, nous nous remettons à la théorie des systèmes dynamiques appliquée aux sports collectifs par Jean-Francis Gréhaigne (2009, 2011, 2014). Elle ouvre la voie à la catégorisation des activités sportives pour une part selon la classification de l’activité elle-même en tant qu’elle engage et mobilise les conditions motrices et cognitives des individus (Delignières, 1998) et pour une autre part selon le recrutement social de l’activité (Pociello, 1981, 1995 ; Defrance, 2012, 2015).

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La théorie des champs de Pierre Bourdieu

La théorie des champs montre explicitement que l’école est un monde à part ; un univers particulier qui dispose de ses propres lois de fonctionnement. Elle révèle aussi toutes les relations qui s’effectuent entre les nombreux espaces du grand monde social. Bref, elle est notre premier instrument de comparabilité en tant qu’elle constitue l’école en système d’enseignement : une construction qui n’a rien de naturelle ni d’atemporelle et dont on va ici rendre compte.

L’espace social

Le travail sociologique de Pierre Bourdieu accorde le primat, d’une part, aux « relations objectives » (1994, p.9) entre les espaces du monde social et les individus et, d’autre part, aux « potentialités inscrites dans le corps des agents et dans les structures des situations où ils agissent » (ibid.).

La manière de voir le monde social adoptée par Bourdieu s’oppose donc « aux routines de la pensée ordinaire (ou demi-savante) du monde social » qui considère les actions des individus ou des groupes en tant qu’intention délibérée et consciente, en dehors de tout effet de subordination et de relation à une structure objective supérieure au « sujet » (ibid.)5.

De fait, le modèle théorique conçu par le sociologue engendre une lecture relationnelle du monde social avec la notion d’« espace » (1994, p.15).

L’espace, nous dit Bourdieu, est « un ensemble de positions distinctes et coexistantes, extérieures les unes aux autres, définies les unes par rapport aux autres, par leur extériorité mutuelle et par des relations de proximité […] et aussi par des relations d’ordre » (1994, p.20).

En d’autres mots, ce qui est directement visible, des individus ou des groupes, n’existe et ne subsiste que « dans et par la différence, c’est-à-dire en tant que les agents occupent des positions relatives dans un espace de relations » (ibid.). Cet espace de relations, précise-t-il,

5 Plus précisément, dans l’introduction aux Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Pierre Bourdieu explique que « la philosophie de l’action désignée parfois comme dispositionnelle », qui fonde pour moitié l’essentiel de son travail et participe de l’établissement d’une théorie de la pratique, s’oppose aussi bien aux intellectuels qui

« au nom d’un rationalisme étroit […] considèrent comme irrationnelle toute action ou représentation qui n’est pas engendrée par les raisons explicitement posées d’un individu autonome, pleinement conscient de ses motivations » comme à une certaine forme du structuralisme qui « réduit les agents à de simples épiphénomènes de la structure » (1994, pp.9-10).

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est à comprendre comme une réalité invisible qui est « la réalité la plus réelle et le principe réel des comportements des individus et des groupes » (ibid.). Cette réalité a son atterrissage empirique.

Le schéma suivant (Cf. Figure 1, p.11) repris de La Distinction (1979, pp.140-141) et réduit à quelques indicateurs significatifs dans les Raisons pratiques (1994, p.21), donne ainsi une représentation relationnelle du réel et plus précisément de la distribution des agents dans le monde social selon, nous dit P. Bourdieu, « les deux principes de différenciation qui, dans les sociétés les plus avancées, et à nous d’ajouter capitalistes, sont sans nul doute les plus efficients, le capital économique et le capital culturel » (1994, p.20).

Tel qu’il l’explique, l’espace social permet de rendre compte des couples d’opposition entre agents et classe d’agents selon le volume global du capital global qu’ils possèdent sous ses différentes espèces et selon la structure de leur capital : « le poids relatifs des différentes espèces de capital, économique et culturel, dans le volume total de leur capital » (1994, p.22).

Le sociologue donne un exemple (ibid.) : pour une part les détenteurs d’un fort volume de capital global (patrons, membres de professions libérales et professeurs d’université) s’opposent à ceux qui en sont le plus démunis (ouvriers sans qualification, manœuvres, salariés agricoles), et pour une autre part les professeurs (plus riches, relativement, en capital culturel qu’en capital économique) s’opposent très fortement aux patrons (plus riches, relativement, en capital économique qu’en capital culturel).

Par surcroît, contre le mode de pensée substantialiste qui porte à inscrire les activités ou les préférences propres à certains individus ou certains groupes d’une certaine société dans une sorte « d’essence biologique ou culturelle » (Bourdieu, 1994, p.18), le concept d’espace social rappelle que :

« Il faut se garder de transformer en propriétés nécessaires et intrinsèques d’un groupe quelconque […]

les propriétés qui leur incombent à un moment donné du temps du fait de leur position dans un espace social déterminé, et dans un état déterminé de l’offre des biens et des pratiques possibles » (ibid., p.19).

Autrement dit, la métaphore spatiale joue sur deux plans : le premier, celui du monde social dans lequel chaque agent n’occupe qu’une seule position en référence à sa condition

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économique), et, le deuxième, celui des divers sous-espaces d’activités dans lesquels il intervient.

Figure 1 - Espace des positions sociales et espace des styles de vie (Raisons pratiques, 1994, p.21)

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Champs, habitus et capital : le triptyque conceptuel

Ces sous-espaces, que Bourdieu appelle des « champs » (1984, p.113), sont définis comme

« des microcosmes sociaux relativement autonomes qui sont le lieu d’une logique et d’une nécessité spécifiques et irréductibles à celles qui régissent les autres champs » (Bourdieu &

Wacquant, 1992, p.73).

Pour faire comprendre, le sociologue compare le champ à un jeu : nous avons ainsi au sein de l’univers social, des sous-univers (des champs) où l’on joue à un jeu particulier, avec des règles et des structures spécifiques, et qui retraduit l’état des influences externes. Et s’il y a jeu, il y a aussi des enjeux et un investissement dans le jeu de la part de joueurs intéressés au jeu.

C’est ce que Bourdieu appelle l’ « illusio » (1994, p.151) : « le rapport enchanté à un jeu qui est le produit d’un rapport de complicité ontologique entre les structures mentales et les structures objectives de l’espace social », soit « le principe réel des comportements des individus et des groupes » (ibid.). Si un agent social trouve intéressant un jeu qui lui importe, pour lequel il a de l’intérêt, c’est parce que ce jeu a été imposé dans son corps et dans sa tête sous la forme d’un « sens du jeu »6 (ibid.).

L’agent social doté de ce sens du jeu est doté d’un « habitus » (Bourdieu, 1984, p.34). Ce concept offre un caractère analogique que le sociologue a mis en évidence dans Questions de sociologie : on peut comprendre l’habitus comme « un programme générateur de pratiques » (1994, p.23) ou encore « une grammaire générative de pratiques » (1984, p.135).

À un niveau plus abstrait, P. Bourdieu définit le concept d’habitus en tant que « système acquis de préférences, de principes de vision et de division (ce que l’on appelle d’ordinaire un goût), de structures cognitives durables (qui sont pour l’essentiel le produit de l’incorporation des structures objectives) et de schèmes d’action qui orientent la perception de la situation et la

6 Le « sens du jeu » est la traduction métaphorique de la notion de « sens pratique » (Bourdieu, 1994, p.45).

Relativement au concept d’habitus, Bourdieu définit le « sens du jeu » (ibid.) en ces termes : « Avoir le sens du jeu, c’est avoir le jeu dans la peau ; c’est maitriser à l’état pratique l’avenir du jeu ; c’est avoir le sens de l’histoire du jeu » (1994, p.155). En d’autres mots, le « sens du jeu » est la réalisation pratique de la collusion entre un champ et un habitus : « Les agents sociaux qui ont le sens du jeu, qui ont incorporé une foule de schèmes pratiques de perception et d’appréciation fonctionnant en tant que principes de vision et de division de l’univers dans lequel ils se meuvent, n’ont pas besoin de poser comme fins les objectifs de leur pratique » (Bourdieu, 1994,

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réponse adaptée » (1994, p.23)7. Aussi, ajoute-t-il, l’habitus est un acquis historiquement incorporé8 sous la forme de « dispositions permanentes » (ibid.) qui orientent nos choix, nos goûts ainsi que nos positions et prises de positions dans un champ, ceci de manière « distincte et distinctive » (ibid.). Un champ qui a d’ailleurs sa dynamique propre, qui est le lieu d’ « un changement permanent » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p.79) et ceci notamment en raison des luttes et des rapports de force qui le forment en tant que champ.

Cultivons l’analogie du jeu. Étant donné que ce qui unit les joueurs d’un même jeu, auquel

« ils ont en commun d’accorder […] une croyance (doxa) [et] une reconnaissance qui échappe à la mise en question » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p.73) est une sorte d’entente secrète partagée par tous les joueurs qui « est au principe de leur compétition et de leurs conflits » (ibid.) – l’illusio -, les enjeux spécifiques d’un champ, dont la connaissance est un prérequis pour participer au jeu, sont le produit des rapports de force et des luttes que les agents entretiennent entre eux dans le jeu considéré, en tant qu’ils y occupent une position particulière selon qu’ils sont dominés ou dominants, hétérodoxes ou orthodoxes, et prennent position depuis leur position.

Chaque joueur dispose ainsi de ses propres cartes dont le volume et la structure évoluent dans le temps. Ces cartes n’ont pas toutes la même valeur ni la même validité selon que l’on joue le jeu des mathématiciens ou le jeu des sportifs par exemple.Dit autrement, un agent social détient différentes espèces de capital (économique, culturel et social)9, qui structurent le

7 La notion d’habitus « pose que l’individu, et même le personnel, le subjectif, est social, collectif » (Bourdieu &

Wacquant, 1992, p.101), qu’elle est « une subjectivité socialisée » (ibid.). L’habitus se définit aussi en tant que

« système de dispositions acquises par l’apprentissage implicite ou explicite qui fonctionne comme un système de schèmes générateurs » (Bourdieu, 1984, p.119).

8 Dans son livre qui met L’école à l’épreuve de la sociologie, Anne van Haecht relativement à l’histoire faite corps de l’habitus, précise que : « l’habitus se situe à la jonction du passé qu’il incorpore et du futur qu’il engendre » (2006, p.31).

9 Quand Loïc Wacquant interroge Pierre Bourdieu au sujet des différentes espèces de capital, voilà comment le sociologue les définit : « Le capital se présente sous trois espèces fondamentales (chacune d’elles ayant des sous- espèces), à savoir, le capital économique, le capital culturel et le capital social. À ces trois espèces, il faut ajouter le capital symbolique qui est la forme que l’une ou l’autre de ces espèces revêt quand elle est perçue à travers des catégories de perception qui en reconnaissent la logique spécifique ou, si vous préférez, qui méconnaissent l’arbitraire de sa possession et de son accumulation » (1992, pp.94-95).

Plus précisément, le capital culturel, aussi nommé « capital informationnel », existe sous trois formes, poursuit le sociologue (ibid.) : « à l’état incorporé (l’habitus culturel acquis par la socialisation), objectivé (les biens culturels définis par la quantité de science ou d’art dont ils sont les supports) et institutionnalisé (les titres scolaires, dont la mobilisation dans la division du travail renvoie à une valeur marchande) » ; « le capital social est la somme des ressources, actuelles ou virtuelles, qui reviennent à un individu ou à un groupe du fait qu’il

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volume global de son capital, de sorte que, nous explique le sociologue, « sa force relative dans le jeu, sa position dans l’espace du jeu, et aussi ses stratégies au jeu, les coups […] qu’il entreprend, dépendent […] du volume global de la structure de son capital » (Bourdieu &

Wacquant, 1992, p.74).

Précisons que les stratégies10 qu’un agent peut mettre en œuvre couvrent deux catégories. La première réunit tous les coups qui visent l’augmentation ou la conservation d’un capital

« conformément aux règles tacites du jeu et aux nécessités de la reproduction du jeu et des enjeux » (Bourdieu & Wacquant, p.75) ; la deuxième concerne les coups qui prétendent à « la transformation partielle ou totale des règles immanentes du jeu », ce qui revient à discréditer les atouts de ses adversaires et à valoriser l’espèce de capital dont un agent dispose (ibid.). À suivre Bourdieu :

« Un capital n’existe et ne fonctionne qu’en relation avec un champ : le capital confère un pouvoir sur le champ, sur les instruments matérialisés ou incorporés de production ou de reproduction dont la distribution constitue la structure même du champ et sur les régularités et les règles qui définissent le fonctionnement ordinaire du champ, et, par là, sur les profits qui s’y engendrent » (1992, p.77).

Et le sociologue n’a cessé de révéler les liens entre le champ et l’habitus.

Reprenons son raisonnement : si le champ est doté de sens et de valeur, s’il est un espace signifiant « dans lequel il vaut la peine d’investir son énergie » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p.103) et qui légitime l’enthousiasme des agents qui s’y trouvent pris, c’est parce que l’habitus contribue à le constituer comme tel. Et le champ conditionne l’habitus puisqu’il est « le produit de l’incorporation de la nécessité immanente de ce champ ou d’un ensemble de champs plus ou moins concordants » (ibid.)11. Précisons par surcroît que l’habitus, en tant que

possède un réseau durable de relations, de connaissances et de reconnaissances mutuelles plus ou moins institutionnalisées, c’est-à-dire la sommes des capitaux et des pouvoirs qu’un tel réseau permet de mobiliser » ; le capital économique prend la forme de biens économiques dont un individu dispose (salaire, rente, etc.).

10 En utilisant le mot « stratégie », fortement associé à la tradition intellectualiste et subjectiviste, l’intention théorique de Bourdieu est de « désigner des lignes d’action objectivement orientées que les agents sociaux construisent sans cesse dans la pratique et en pratique, et qui se définissent dans la rencontre entre l’habitus et une conjecture particulière du champ » (1992, p.104).

11 C’est ce qui fait dire à Bourdieu que « la réalité sociale existe deux fois, dans les choses et dans les cerveaux, dans les champs et dans les habitus, à l’extérieur et à l’intérieur des agents. Et, quand l’habitus entre en relation avec un monde social dont il est le produit, il est comme un poisson dans l’eau et le monde lui apparaît comme allant de soi » (1992, p.103). Les expressions du sens commun tels que cela va de soi et c’est évident trouvent

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système de dispositions ouvert, se révèle dans un champ ou plutôt « dans la relation à une situation déterminée » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p.109) et qu’il est « le produit de l’histoire »12 (ibid., p.108) sans cesse affecté et affronté à des expériences nouvelles et chargé

« de l’expérience accumulée au cours d’une trajectoire déterminée dans le champ considéré » (ibid., p.110)

L’histoire est inscrite dans les structures13 du monde social. Et un champ en est l’expression permanente. L’on peut déterminer la genèse d’un champ (en faire son histoire sociale) et établir ce moment du temps où il s’est cristallisé (où il a pris une forme particulière), en analysant les conditions historiques qui ont rendu possible sa constitution en tant qu’espace spécifique et relativement autonome à l’intérieur du grand monde social (Bourdieu, 1984, 2000). C’est en ce sens où il n’est l’invention de personne. Et plus encore, l’histoire d’un champ s’exprime aussi à travers les actes, les pratiques des agents sociaux. Qu’ils soient bien établis ou qu’ils soient de « nouveaux entrants » (Bourdieu, 1984, p.115), les individus doivent connaître le champ, le jeu particulier auquel on joue dans le champ considéré. La formule du sociologue est à ce sujet significative : « Connaître le jeu, c’est connaître l’histoire du jeu et sa problématique » (ibid., p.118).

En outre, chacun des microcosmes du monde social dispose de sa « logique spécifique » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p.73). P. Bourdieu explique que la « rationalité » propre à un champ est « le produit cumulé d’une histoire particulière » (ibid.). Plus un champ est capable

comprend ; c’est parce qu’il m’a produit, parce qu’il a produit les catégories que je lui applique, qu’il m’apparaît comme allant de soi, évident » (ibid.).

12 Dans Questions de sociologie, Bourdieu définit l’habitus en ces termes : « L’habitus est, pour aller vite, un produit de conditionnements qui tend à reproduire la logique objective des conditionnements mais en lui faisant subir une transformation ; c’est une espèce de machine transformatrice qui fait que nous « reproduisons » les conditions sociales de notre propre production, mais d’une façon relativement imprévisible, d’une façon telle qu’on ne peut pas passer simplement et mécaniquement de la connaissance des conditions de production à la connaissance des produits » (1984, pp.134-135).

13 La théorie de la temporalité que Bourdieu fonde à travers les concepts de champ et d’habitus permet de voir l’histoire inscrite dans les structures et dans les pratiques des individus ou des groupes du monde social et d’en faire l’histoire sociale ; de voir les processus historiques par lesquels les espaces du monde social se forment et aussi les processus historiques par lesquels les agents se socialisent (Bourdieu & Wacquant, 1992). Ce qui résonne avec la théorie de la pratique établit par le sociologue et lui fait dire que « l’activité pratique, dans la mesure où elle a du sens, où elle est sensée, raisonnable, c’est-à-dire engendrée par des habitus qui sont ajustés aux tendances immanentes du champ, transcende le présent immédiat par la mobilisation pratique du passé et l’anticipation pratique du futur inscrit dans le présent à l’état de potentialité objective » (Bourdieu & Wacquant, pp.112-113).

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d’imposer sa logique spécifique – son histoire –, nous dit-il, plus il est autonome et plus il est disposé à « réfracter » (ibid.) en son sein les déterminations du grand monde social sur les agents sociaux. Autrement dit, le champ retraduit les effets et les influences de l’extérieur (le filtre du champ s’affine ou s’élargit) relativement à son degré d’autonomie.

On trouve un exemple suggestif dans l’analyse du champ littéraire que Bourdieu livre dans ses Raisons pratiques et qui illustre les concepts d’autonomie relative et de réfraction :

« L’autonomie relative du champ se réalise toujours dans des œuvres qui ne doivent leurs propriétés formelles et leur valeur qu’à la structure, donc à l’histoire du champ, disqualifiant toujours davantage les interprétations qui, par un « court-circuit », s’autorisent à passer directement de ce qui se passe dans le monde à ce qui se passe dans le champ » (1994, p.77).

L’une des forces de ces deux concepts est de montrer sous quelles conditions s’ajuste le degré d’ouverture et de fermeture d’un champ au monde extérieur14 (ibid.).

Il existe également des « propriétés générales » ou « des lois invariantes de fonctionnement »15 communes à tous les champs (1984, p.113).

À la lecture des Propos sur le champ politique de P. Bourdieu (2000, pp.49-80), le sociologue genevois Pierre Escofet16 en propose une synthèse dans son enquête :

« Un champ repose 1) sur une coupure entre les « professionnels et les profanes » ; 2) sur la prétention au monopole de la diffusion des biens culturels [pour le champ scolaire] / politiques [pour le champ politique] ; 3) sur la capacité d’imposer cette prétention qui est un indicateur de l’existence du champ ; 4) sur un nomos17 spécifique ou critère de vision et de division stable mais souvent tacite qui agit aussi

14 Autre exemple, celui du champ des mathématiques : « l’un des plus autonomes qui soit puisque l’on y a comme clients que ses concurrents » (Bourdieu, 2000, p.60). Contrairement au champ politique, nous dit le sociologue, puisque « pour des raisons évidentes, le champ politique (mais aussi le champ scolaire) ne peut aller jusqu’à ces extrémités : ceux qui sont engagés dans ce jeu ne peuvent jouer entre eux sans faire référence à ceux au nom desquels ils s’expriment et devant qui ils doivent, périodiquement, rendre des comptes plus ou moins fictivement » (ibid.).

15 Dans le chapitre consacré aux « Quelques propriétés des champs » dans Questions de sociologie, Bourdieu explique que les caractéristiques communément partagées par les champs du monde social permettent de fonder une théorie générale des champs et donc de comparer les champs entre eux, de révéler des homologies :

« Il y a des lois générales des champs : des champs aussi différents que le champ de la politique, le champ de la philosophie, le champ de la religion ont des lois de fonctionnement invariantes (c’est ce qui fait que le projet d’une théorie générale n’est pas insensé et que, dès maintenant, on peut se servir de ce qu’on apprend sur le fonctionnement de chaque champ particulier pour interroger et interpréter d’autres champs, dépassant ainsi l’antinomie mortelle de la monographie idiographique et de la théorie formelle du vide) » (1984, p.113).

16 L’enquête de P. Escofet portait sur « la construction historique d’un « espace de corporéité » de la jeunesse et des implications « logiques » sur le degré « d’autonomie relative » ou « d’entropie » du système d’enseignement genevois » (2006).

17 Bourdieu définit la notion de nomos : « nomos vient du verbe némo qui veut dire opérer une division, un

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comme un coût d’entrée pour les candidats potentiels qui prétendent faire partie du champ (…) ; 5) tout champ a une genèse, c’est-à-dire une histoire sociale qu’on peut établir (…) ; 6) les champs ont des degrés variables d’ouverture et de fermeture sur leur environnement (…) » (2006, pp.213-214).

Le concept de champ a pour ainsi dire le double avantage de construire la réalité d’un jeu qui se joue dans un espace plus ou moins fermé au monde social et de rendre possible la comparaison avec d’autres champs grâce aux lois invariantes de fonctionnement (Bourdieu &

Wacquant, 1992). Soit dit en passant, ce sont ces mêmes lois qui rendent possible la pensée relationnelle des interactions entre les agents sociaux d’un même espace et entre agents appartenant à d’autres espaces.

Mais avant qu’un agent n’agisse dans l’un des espaces spécifiques du monde social, il faut d’abord qu’il y pénètre.

Pour ce faire, il doit franchir la barrière du champ, qui ne s’ouvre que sous certaines conditions. Cette métaphore renvoie au concept de « coût d’entrée » développé par Bourdieu (1984, p.115) : d’abord, une sélection ou une exclusion s’opère. Ensuite, les forces qui s’exercent sur l’agent sélectionné orientent sa trajectoire d’un côté ou d’un autre des pôles du microcosme. Il en va de même pour un objet telle qu’une discipline sportive relativement au champ scolaire, par exemple.

Dans Questions de sociologie (1984, pp.113-120), P. Bourdieu précise que les nouveaux entrants d’un champ doivent reconnaître la valeur du jeu qui s’y joue et connaître les principes de fonctionnement qui y sont en vigueur pour que le droit d’entrée leur soit accordé.

Autrement dit, ce qui légitime le droit d’entrer18 dans un champ, c’est la possession d’une

vision et de division fondamental qui est caractéristique de chaque champ […] » ; il ajoute à cela que « si le principe de division que je propose est reconnu de tous, si mon nomos devient le nomos universel, si tout le monde voit le monde comme je le vois, j’aurai alors derrière moi toute la force des gens qui partagent ma vision » (2000, p.63). Cette prétention à la détention et à l’imposition d’une vérité est un enjeu de luttes au sein de chaque champ.

18 Relativement au droit d’entrée, « des conditions sociales de possibilité d’accès à un champ doivent aussi être réunies » (Bourdieu, 2002, p.54). Prenons le cas du champ artistique : « Un des droits d’entrée tacites pour, par exemple, entrer dans le champ artistique tel qu’il est après les impressionnistes en France, est la connaissance d’un certain nombre de choses sur le mode de l’évidence, du cela va de soi. Celui qui ne les connaît pas, c’est le Douanier Rousseau, c’est le peintre naïf, celui qui ne sait pas ce que c’est que d’être peintre, qui est une sorte de peintre-objet » (Bourdieu, 2000, p.58)

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configuration particulière de propriétés19, soit la possession des formes du capital spécifique efficientes dans le champ considéré.

De manière générale, pour entrer dans un champ, « ce qui est important, c’est l’apprentissage de tous ces savoirs et de tous ces savoir-faire qui vous permettent de vous comporter normalement […] » (Bourdieu, 2000, p.59) : scolairement dans le champ scolaire ou sportivement dans le champ sportif.

Une fois que la barrière se lève et que l’accès au monde considéré est possible (que les conditions sont réunies), des forces vont agir sur l’agent ou l’objet qui est entré. Ces forces du champ vont le transformer et le faire tendre dans un sens plutôt qu’un autre. C’est ce que Bourdieu nomme l’effet de champ : « On peut concevoir un champ comme un espace dans lequel s’exerce un effet de champ, de sorte que ce qui arrive à un objet qui traverse cet espace ne peut être expliqué complètement par ses seules propriétés intrinsèques » (1992, p.76).

En d’autres mots, disons que lorsqu’un changement ou une transformation s’opère sur un objet ou un agent, l’on ne peut penser et expliquer les effets observés qu’en des termes structuraux et relationnels : les effets qui ont cours dans un champ sont irréductibles aux seuls effets individuels d’un objet ou d’un agent (Bourdieu, 2015)20.

Nous pouvons constater avec Pierre Bourdieu (2015) que la théorie des champs, autant que les concepts qu’elle mobilise (champ, habitus et capital)21, donne accès aux structures structurées et structurantes du monde social. Plus précisément, elle considère le monde social comme :

« Un univers de relations objectives qui peuvent n’être pas directement et immédiatement effectuées dans des interactions et qui orientent les pratiques, en particulier, les interactions directes et, du même coup, elle refuse la vision interactionniste, c’est-à-dire au fond psychologique, selon laquelle la vérité des

19 L’on peut déjà entrevoir ici le transfert possible au phénomène des disciplines sportives sélectionnées ou non par le champ scolaire, i.e. le système d’enseignement.

20 Nous renvoyons le lecteur au cours de Sociologie générale du 14 décembre 1982 dans lequel Pierre Bourdieu propose une définition rigoureuse du concept de champ relativement aux concepts d’habitus et de capital (2015, pp.530-568).

21 Bien qu’abstraits, les concepts de la théorie des champs de Pierre Bourdieu sont bien plus qu’une simple définition ou qu’une simple notion. Comme l’expliquent les auteurs du Manuel de recherche en sciences sociales, ces concepts impliquent « une conception particulière de la réalité étudiée, une manière de la considérer et de

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relations, conformément au sens ordinaire du terme, serait dans l’expérience que les gens en ont » (ibid., pp.550-551).

Poursuivons maintenant la construction de notre système conceptuel à un niveau moins élevé de généralisation théorique. En effet, nous proposons maintenant d’étudier les deux champs sociaux auxquels appartiennent nos deux objets de recherche : l’école au champ scolaire ; le football au champ sportif.

Le champ scolaire

Dans les années 1960-1975, d’importantes transformations scolaires conduisent en France à la massification de l’école moyenne. Dans ce contexte qui voit émerger des questions et préoccupations liées aux contenus et pratiques d’enseignement, Pierre Bourdieu publie un article théorique qui pose les bases d’un programme de sociologie de la connaissance :

« Systèmes d’enseignement et systèmes de pensée » (1967). Les aspects cognitifs des savoirs scolaires et les pratiques d’enseignement sont au centre de son analyse22.

Bourdieu développe deux idées fondamentales à la compréhension de tout système d’enseignement : les savoirs inculqués ne sont pas neutres socialement et ils sont constitutifs d’une culture de classe fondée sur la primauté de certains modes de pensée et d’expression (ibid.).

Aussi, il identifie deux fonctions qui incombent à l’institution scolaire : la première, « une fonction d’intégration culturelle » ; la deuxième, « une fonction de mise en ordre et de mise en valeur de la culture transmise » (1967, p.367).

Relativement à la première fonction, nous pouvons dire avec le sociologue qu’un système d’enseignement dote les individus d’« un programme homogène de perception, de pensée et d’action » de plus en plus complètement et exclusivement à mesure que les connaissances progressent (1967, p.369). En d’autres termes, les individus d’une même formation sociale

22 Dans Les lectures de Bourdieu, Bertrand Geay, dont le propos porte sur les œuvres de jeunesse du sociologue consacrées au système d’enseignement, précise que : « Bourdieu montre de quelle manière le système d’enseignement est aujourd’hui l’institution centrale dans la transmission des formes élémentaires de classification mobilisées dans la vie sociale. Car la culture scolaire inculque simultanément les principes d’analyse issus des différentes disciplines d’enseignement, les hiérarchies entre les savoirs et entre les manières d’être distinguées par l’école et un corps commun de catégories de pensée qui permet aux individus produits d’un même système d’enseignement de communiquer entre eux » (2012, p.102).

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doivent à l’École23 un « habitus cultivé » (1967, p.373) : « Un lot de lieux communs qui ne sont pas seulement discours et langage communs, mais aussi terrains de rencontre et terrains d’entente, problèmes communs et manières communes d’aborder ces problèmes communs » (1967, p.370). Et plus le niveau d’instruction d’un individu s’élève relativement au capital culturel hérité (dans la famille) et aux échelons de l’institution qu’il aura parcouru, plus il sera familier avec « l’univers organisé des œuvres » (ibid.) du monde social (art, musique, etc.) et agira dans certains champs et certains pôles de ces champs plutôt que d’autres. Le sociologue relève également que le niveau d’instruction d’un individu est caractéristique d’une époque et d’une formation sociale : c’est en ce sens que l’habitus cultivé acquis à l’école contient en lui une retraduction de la conjecture du monde social à un moment donné du temps (1967).

Relativement à la première fonction d’inculcation de cet habitus cultivé, les œuvres ou faits de culture transmis par l’institution scolaire subissent un aménagement particulier qui répond à la logique propre de son fonctionnement. C’est la deuxième fonction : la mise en ordre et la mise en valeur de la culture transmise. Et « pour transmettre ce programme de pensée nommé culture, l’École doit faire subir à la culture qu’elle transmet une programmation capable d’en faciliter la transmission méthodique » (Bourdieu, 1967, p.376). La littérature en est l’illustration typique : le souci est de créer des classifications (par genres et par auteurs), de hiérarchiser les œuvres et de distinguer les « classiques » dignes d’être conservés par la transmission scolaire (ibid.). D’ailleurs, les manuels scolaires qui cristallisent les objets d’une culture sont subordonnés à cette deuxième fonction (Bourdieu, 1967).

Reprenant les deux idées fondamentales du sociologue, les processus engagés dans l’accomplissement de ces fonctions ne sont pas imperméables aux influences du monde social ou dit simplement, ils ne sont pas neutres socialement.

Relativement au champ scolaire et à la fonction d’intégration culturelle de l’École, P. Bourdieu (1994) explique comment l’État s’est structuré en tant que champ :

« C’est surtout à travers l’École que, avec la généralisation de l’éducation élémentaire au cours du 12e siècle, s’exerce l’action unificatrice de l’État en matière de culture, élément fondamental de la

23 Nous utilisons le mot « École » pour désigner l’institution scolaire sans pour autant constituer l’ « École » en sujet historique capable de poser et de réaliser ses propres fins. D’où le recours, également, à l’expression

« système d’enseignement » ou encore « système scolaire » qui exclut tout type d’intentionnalité (d’après

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construction de l’État-Nation. La création de la société nationale va de pair avec l’affirmation de l’éducabilité universelle : tous les individus étant égaux devant la loi, l’État a le devoir d’en faire des citoyens, dotés des moyens culturels d’exercer activement leurs droits civiques » (p.115).

De plus, l’institution scolaire, par ses actes de classement, institue des différences scolaires convertibles en différences sociales de rang ou de position (un titre scolaire pour un poste dans le champ économique) puisqu’elle intronise dans une catégorie sacrée des individus

« marqués pour la vie par une appartenance » (Bourdieu, 1994, p.42). Pour ainsi dire, la séparation opérée consacre socialement des agents dotés de titres scolaires autant qu’elle consacre socialement des savoirs et des disciplines qu’elle transmet, et qui sont comme inscrits dans « une culture nationale légitime » (1994, p.115). En effet, comme le dit Bourdieu :

« Bien que l’École ne soit qu’un agent de socialisation parmi d’autres, tout cet ensemble de traits qui forment la « personnalité intellectuelle » d’une société – ou, plus exactement, des classes cultivées de cette société – est constitué ou renforcé par le système d’enseignement, profondément marqué par une histoire singulière et capable de façonner les esprits des enseignées et des enseignants, tant par le contenu et l’esprit de la culture qu’il transmet que par les méthodes selon les lesquelles il effectue cette transmission » (1967, pp.387-386).

En d’autres mots, l’École a le pouvoir de façonner des structures mentales (un habitus), d’imposer un nomos, des principes de vision et de division caractéristiques d’une culture nationale et de légitimer des disciplines et des savoirs.

Ce pouvoir d’imposition et de légitimation d’une culture s’accomplit dans « un rapport de communication pédagogique » (Bourdieu & Passeron, 1970, p.37)24 qui institue la légitimité de ce qu’il transmet comme digne d’être transmis par le seul fait de le transmettre, par opposition à tout ce qu’il ne transmet pas.

La manière ou « les méthodes » (Bourdieu, 1967, p.387) que l’École utilise pour opérer la transmission de savoirs dignes d’être transmis tient à ce que G. Vincent, B. Lahire et D. Thin nomment (1994) « la forme scolaire de socialisation et de cognition » (p.13).

Elle est d’abord à comprendre comme une forme de relations sociales, i.e. « un mode socialisation » (ibid., p.14), qui est apparue à une certaine époque dans les sociétés

24 Nous nous remettons à la proposition 2.2.1 du livre premier de La Reproduction : « En tant que tout Action Pédagogique en exercice dispose d’emblée d’une Autorité Pédagogique, le rapport de communication pédagogique dans lequel s’accomplit l’Action Pédagogique tend à produire la légitimité de ce qu’elle transmet en désignant ce qui est transmis du seul fait de le transmettre légitimement, comme digne d’être transmis, par opposition à tout ce qu’elle ne transmet pas » (Bourdieu & Passeron, 1970, p.37).

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européennes relativement à d’autres transformations sociales. Elle se distingue ensuite de toutes les autres formes de relations sociales par quatre traits ainsi résumés par P. Escofet (2012) :

1. « L’école est un lieu séparé des autres pratiques sociales qui instaure les individus dans un rapport explicitement pédagogique. À l’école, l’apprentissage n’est plus cette chose diffuse dans les relations sociales et ne procède donc plus d’une simple observation du travail d’autrui.

2. L’école, en tant que lieu séparé, organise rationnellement le temps des élèves selon un certain nombre de scansions qui n’appartiennent qu’à elle.

3. L’école est le lieu du pouvoir impersonnelle médiatisé par la règle impersonnelle, elle-même garantie par une entité (État, Église, ordre public, etc.) qui transcende le maitre et ses volitions. (…). L’école est donc indissociablement le lieu du pouvoir impersonnel et de l’apprentissage de relations de pouvoirs impersonnels.

4. L’école, enfin, a partie liée avec l’écrit ou avec la maitrise d’instruments symboliques qui permettent de mettre à distance le monde » (pp.516-519).

Par opposition aux formes sociales orales, dans des sociétés où l’apprentissage n’est pas séparé des autres pratiques sociales par un lieu spécifique, clos et relativement autonome, la forme scolaire est « indissociable d’une scripturalisation-codification des savoirs et des pratiques » (Vincent, Lahire & Thin, 1994, p.36). Toutes les pratiques sociales qui entrent à l’école sont pédagogisées ou dit autrement, didactisées. Elles subissent un aménagement spécifique à la logique scolaire – en référence à la fonction de mise en ordre et mise en valeur qui incombe à l’école (Bourdieu, 1967). La « pédagogisation » (Vincent, Lahire & Thin, 1994, p.31) ou didactisation des pratiques sociales les constitue en pratiques scolaires propres d’un rapport au monde et au langage médiatisé par l’écrit. Comme le disent Vincent, Lahire et Thin :

« Une pédagogie du dessin, de la musique, de l’activité physique, de l’activité militaire, de la danse, etc.

ne se fait pas sans une écriture du dessin, une écriture musicale, une écriture sportive, une écriture militaire, une écriture de la danse. Écritures qui impliquent le plus souvent des grammaires, des théories des pratiques. Le mode de socialisation scolaire est donc indissociable de la nature scripturale des savoirs à transmettre » (1994, p.31).

Pour les besoins de la systématisation spécifique à un enseignement dans une forme de relations sociales scolaires, les pratiques et disciplines sont codifiées :

« Tout est objet d’écriture, de décomposition, de fixation des mouvements, des séquences […]. Et c’est parce que tout a été écrit, prévu, contrôlé, codifié d’avance dans une série fastidieuse de descriptions-

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prescriptions que des maitres bien formés peuvent s’effacer au profit de fonctionnements scolaires très stricts » (Vincent, Lahire & Thin, 1994, p.31).

Les auteurs signalent à notre attention que les activités sportives ne sont pas dépourvues des propriétés de la forme scolaire. Lorsqu’elles joignent l’éducation physique scolaire, c’est par opposition aux jeux libres, aux parties de ballon au pied des immeubles ou encore aux activités récréatives.

Outre le fait qu’elles soient assurées par des spécialistes de l’éducation physique, retenons que :

« Les activités sportives imposent un minimum de discipline et de règles dans l’acquisition des techniques […] et tendent à organiser cette acquisition selon une progression programmée sous forme de séquences successives donnant lieu à des exercices répétés. Elles sont, de plus, caractérisées par le fait qu’elles tendent à constituer des pratiques corporelles en pratiques « pour le corps » c’est-à-dire n’ayant d’autre fin que l’éducation, la formation des corps » (ibid., pp.41-42).

Pour que les activités sportives deviennent des exercices corporels qui n’ont d’autres fins qu’eux-mêmes, elles doivent être mises à distance du monde social, libérées des urgences de la nécessité et neutralisées de leurs intérêts et enjeux pratiques (spécifiques au champ sportif) : une condition que l’école remplie en tant qu’elle est le lieu par excellence de la skholè ou en d’autres mots du loisir studieux.

Pour l’historien L. Turcot (2016), la skholè permettait à l’époque de la Grèce antique de fixer les cadres de la vie ou plutôt d’une vie distincte de celle des esclaves dont le travail était majoritairement l’apanage. Les élites grecques entendaient se distinguer par la pratique des sports et des loisirs (musique, poésie, théâtre, gymnastique et compétitions sportives). Ainsi, la skholè, étrangère aux connotations de paresse et d’oisiveté, définissait le citoyen libéré de tout travail et qui avait le temps « de faire ce qu’il estimait important » (2016, p.42) : un temps alloué aux loisirs25.

25 Disons aussi que, dans un autre contexte sociohistorique, la civilisation romaine réinvestie la skholè grecque en otium : un temps spécifique d’abord alloué aux activités de paix, par opposition à la vie militaire des romains ; puis, un temps consacré aux activités privées, par opposition au temps des négoces (negotium). Enfin, relativement au processus de civilisation et de socialisation de la ville de Rome, l’otium devient synonyme d’un repos favorable à la réflexion et à une élévation de l’esprit des élites qui en font leur chose, leur identité : « un moment privilégié, dédié à l’homme (riche) pour qu’il se ressource, enrichisse son intelligence et apprenne à replacer tous les problèmes dans une perspective universelle » (Turcot, 2016, p.102).

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