UNIVERSITE PARIS VI – PIERRE ET MARIE CURIE UFR SAINT ANTOINE
N°
THESE
Pour obtenir le grade de DOCTEUR EN MEDECINE
Médecine générale
Présentée et soutenue publiquement le 5 Juillet 2006
Par
Mathilde HABERT
Née le 06/08/1973 à Evry (91)
Titre
Aspects spécifiques de la souffrance morale liée aux conditions de travail : enquête en vue d’une réflexion sur
une prise en charge par le médecin généraliste.
Directrice de thèse : Madame le Dr TARAVELLA
JURY :
Monsieur le Professeur FERRERI, président du jury Monsieur le Professeur PERETTI
Monsieur le Professeur CABANE
REMERCIEMENTS
Je remercie ma Directrice de Thèse, le Docteur Taravella, pour ses précieux conseils et plus particulièrement pour la qualité d’écoute extraordinaire dont elle fait preuve dans l’exercice de son art, qualité dont j’ai été témoin lors de mon stage chez le praticien et qui a donné un souffle nouveau à ma vocation.
Je remercie mon Président de thèse, le Professeur Ferreri et les membres de mon Jury, les Professeurs Peretti et Cabane.
Je remercie infiniment mes parents, pour leur sagesse, la justesse de leurs conseils tout au long de mes études et pour l’équilibre qu’ils m’ont donné.
Je remercie mon frère, Antoine, pour son intelligence, son originalité, son ouverture d’esprit et son aide à la réalisation de mon site web.
Je remercie ma belle-sœ ur, Florence de m’avoir aidée à alléger mes souffrances statistiques !
Je remercie Annabelle, parce que chaque jour, je suis heureuse qu’elle soit avec nous. Je remercie ma co-sœ ur Nadine, car notre amitié m’est indispensable.
Je remercie toute ma famille, grand-mères, grands-pères, oncles, tantes,
cousins, cousines, en espérant pouvoir toujours se réunir comme au bon vieux temps.
Je remercie Claudio, mon carioca, car le monde est pour nous deux un village
ou nous avons fait de notre petite Alice une reine au pays des merveilles.
TABLE DES MATIERES
1. I NTRODUCTION ...6
2. H ISTORIQUE ...9
3. L E STRESS AU TRAVAIL EST - IL UNE FAUSSE MALADIE OU UN VRAI SYMPTOME EN MEDECINE GENERALE ? ...13
3.1. Qu’est ce que le stress ?...14
3.2.Particularités du stress lié au travail ...18
3.2.1. Une approche à 4 dimensions...18
3.2.2. Deux situations particulières : burnout et harcèlement moral ...20
3.2.3.A t-on besoin d’une certaine dose de stress au travail pour vivre ? ...23
3.3. Les différents aspects rencontrés au cabinet du médecin généraliste...24
3.3.1. Le stress chronique ...24
3.3.2. Le burnout ...25
3.3.3. Le harcèlement moral ...26
3.4. La relation médecin généraliste-malade ...28
3.5. Alors, fausse maladie ou vrai symptôme ? ...30
3.6. Les données de la littérature ...33
3.7. Les différences de prise en charge avec les pays d’Europe du Nord et les pays anglo-saxons ...36
4. M ETHODE ...39
4.1. Elaboration d’un questionnaire...39
4.2. Diffusion du questionnaire ...42
4.3. Les réponses au questionnaire ...43
4.4. Analyse des résultats ...44
4.4.1. Nombre de questionnaires reçus...44
4.4.2. Analyse du profil des médecins...44
4.4.3. Analyse globale de la situation du patient ...52
4.4.4. Repérer la souffrance morale au travail dans ses différents aspects...55
4.4.5. Identifier les causes de la souffrance morale au travail en rapport avec les
conditions de travail ...60
5. DISCUSSION AUTOUR DES RESULTATS ...72
5.1. Les limites de mon enquête ...72
5.2. Les atouts des médecins généralistes...74
5.2.1. La relation médecin-malade propre à la médecine générale ...74
5.2.2. L’apanage de l’expérience...74
5.2.3. Connaissance de la personnalité de leurs patients ...76
5.3. Leurs points faibles...80
5.3.1. Des idées reçues...80
5.3.2.Le manque de connaissances ...81
5.3.3. Les médecins généralistes ont des difficultés pour évaluer la toxicité du stress professionnel sur la santé de leurs patients...85
5.3.4. Le concept de stress a peu de validité scientifique aux yeux des médecins généralistes ...85
5.4. Les difficultés concrètes rencontrées...88
5.4.1. Les difficultés de prise en charge pluridisciplinaire ...88
5.4.1.1. Avec le médecin du travail ...88
5.4.1.2. Avec les psychothérapies...89
5.4.1.3. Avec les psychiatres ...90
5.4.1.4. Pénurie en consultations spécialisées « souffrance et travail » ...91
5.4.1.5. La difficulté du diagnostic pour le médecin généraliste isolé ...92
5.4.2. Le manque de temps ...92
5.4.3. La pression liée au souci de l’économie des moyens ...93
5.4.4. Les difficultés liées à la patientèle...94
5.4.5. Stress des médecins +++attention au burnout ...95
5.5. Les alternatives possibles ...97
6. REFLEXION POUR UNE PRISE EN CHARGE ADAPTEE AUX MEDECINS GENERALISTES ...101
6.1. FORMATION et INFORMATION ...101
6.1.1. Sensibiliser les futures générations de médecins généralistes...101
6.1.2. Désamorcer les idées reçues ...102
6.1.3. L’empathie et l’écoute des médecins joue un rôle essentiel...102
6.1.3.2. En amont, la prévention : une écoute orientée ...103
6.1.3.3. Pour ce qui est du dépistage ...104
6.1.3.4.Plaquette dans les salles d’attente avec questionnaire type : utile ? ...105
6.2. Si stress, évaluer son mode d’exposition et sa durée pour en mesurer l’impact
probable 106
6.3. La prise en charge...108
6.3.1. Suite au dépistage d’un stress chronique ...108
6.3.2. Suite au dépistage d’un harcèlement moral ...113
6.3.3. Suite au dépistage d’un épuisement professionnel ...114
6.3.4. Stress, anxiété, dépression : démêler pour mieux traiter ...114
6.4. Pourquoi et comment dynamiser les échanges entre médecins généralistes et médecins du travail ? ...116
6.5. L’arrêt de travail : laisser le choix au médecin généraliste ...118
6.6. CAS CLINIQUES COMMENTES ...119
7. CONCLUSION ...126
8.BIBLIOGRAPHIE...129
9. INDEX ...133
10.ANNEXES ...134
1. I NTRODUCTION
« Le travail, c’est la santé ». Ce refrain fait partie du passé. La pénibilité au travail a augmenté au cours des vingt dernières années car aux risques anciens se surajoutent des risques nouveaux. En trente ans, il y a eu d’importantes mutations économiques et l’émergence d’une nouvelle logique financière intensifiant le travail malgré une amélioration globale: travail en flux tendus, logique de service, travail dans l’urgence privant l’individu de temps nécessaire à l’élaboration de stratégies de défense, précarisation du travail (intérim, CDD, sous- traitance), individualisation des contrats de travail. Tout cela est à replacer dans un contexte de chômage de masse, d’isolement des salariés et de perte de repères collectifs.
Le rapport européen de 2000 sur les conditions de travail en Europe
(1)révèle que 60 % des européens estiment que le travail affecte leur santé. 23 % des travailleurs font état d’une fatigue générale. 28% se déclarent stressés par le travail. En France, 8% font état d’absences dues à des problèmes de santé liés au travail au cours des 12 derniers mois et un travailleur sur 10 dit avoir été victime d’intimidations sur son lieu de travail. Il en coûte 20 milliards d' Euros à l'Union Européenne (en temps de travail perdu et en coûts de santé).
La souffrance morale liée aux conditions de travail (en excluant la souffrance liée aux conditions physiques, à la sécurité, au harcèlement sexuel et aux agressions extérieures) a un dénominateur commun : le stress. Un stress néfaste pour la santé apparaît quand l’individu ne ressent pas la capacité de pouvoir faire face à la situation imposée sur son lieu de travail sur une période longue et continue. Ce stress génère, à terme, de l’anxiété, une augmentation des conduites addictives, des dépressions. Il induit ou favorise tout un cortège de maladies psychiques et organiques largement documentées, d’une grande variabilité . Un stress néfaste pour la santé participe notamment au processus d’épuisement professionnel et aux conséquences d’une situation de harcèlement moral.
Certains facteurs de risque de stress au travail sont identifiés, plusieurs
modèles ont été créés et validés pour mettre en avant la conjugaison à haut
risque de certains facteurs liés aux conditions de travail sur la santé (exemple : modèle de Lazarek).
Le Conseil Economique et Social met l’accent sur le rôle central du Médecin du Travail et la mise en place de stratégies de prévention de la souffrance morale au travail dans les entreprises.
Le Dr Sterdyniak, (président de la Metranep
1), lors de la journée des 4 Médecines du Travail de Paris du 6 Décembre 2005, insiste sur le fait que la souffrance morale au travail est individuelle mais que les solutions sont collectives. Pourtant, les médecins généralistes subissent de plein fouet toutes les conséquences individuelles de la souffrance morale liée aux conditions de travail.
Dommage, car ils ne sont pas formés pour répondre à ce type de souffrance « de masse » : pas de formation à la Faculté, pas de recommandations de bonne pratique spécifiques, tout au plus quelques formations médicales continues depuis quelques années traitant du sujet.
Il apparaît dans la littérature comme un intervenant « subalterne », à qui l’on confie pourtant des rôles fondamentaux : écoute des patients, identification de la souffrance morale en rapport avec les conditions de travail, prescriptions thérapeutiques et d’arrêts de travail si nécessaire (dans un contexte d’intensification des contrôles des arrêts maladie et de remise en cause du bon usage des psychotropes), mise en œuvre d’une prise en charge interdisciplinaire si besoin tout en sachant qu’il n’existe en France que vingt neufs centres de consultation de pathologies professionnelles, que les psychiatres sont souvent débordés et les psychothérapies coûteuses et non prises en charge, pour la plupart, par la Sécurité Sociale.
Il est le seul acteur de santé qui prend en compte les aspects à la fois
médicaux, mais aussi psychologiques et sociaux (le modèle global, Engel, 1980)
de la personne, tous essentiels pour appréhender la souffrance morale liée aux
conditions de travail. Il peut mettre en avant des signes d'alerte, piocher des
renseignements intimes et instaurer au fil des consultations une relation de
confiance.
Or, un médecin ne trouve que ce qu'il cherche et qu’il connaît, notamment ce à quoi il va pouvoir apporter des solutions. Il dépend beaucoup de ce qu'est venu chercher le patient aussi.
Alors, qu’en est t-il de ses connaissances et de sa prise en charge ? Est ce, comme je le pense, le fruit d’une méthode empirique ? Est-il le médecin de premier recours qui va, dans la majorité des cas, gérer seul la souffrance de son patient ? Quelle est sa tactique dans la prise en charge du harcèlement moral en particulier ? Quelles solutions propose t-il aux patients en souffrance ? Quels rapports entretient-il avec ses confrères médecins du travail et psychiatres dans la pluridisciplinarité éventuelle de la prise en charge ?
J’estime qu’il est temps de le considérer comme chef de file de la prise en charge de la souffrance morale liée aux conditions de travail . A ce titre, il est nécessaire qu'on s'interroge sur ses possibilités et ses limites, ses difficultés quotidiennes concrètes et sur les moyens dont il pense disposer actuellement.
C’est ce que je me propose d’étudier à l’aide d’une enquête réalisée auprès de
médecins généralistes.
2. H ISTORIQUE
Alertée comme tout le monde par les médias, confortée de l’importance du sujet par plusieurs cas dans mon entourage proche, j’avais décidé dans un premier temps d’aborder le harcèlement moral au travail.
Ma première lecture, le best-seller de Marie France Hirigoyen (« Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien »)
(2)m’ouvrait les yeux sur ce sujet « à la mode » et je décidais de la rencontrer. Elle semblait intéressée par ma démarche en tant que médecin généraliste mais elle mettait le doigt sur un autre aspect, plus ambigu : selon elle, le problème n’était pas le concept du harcèlement moral en soi mais plutôt le gouffre à plaintes qu’il était devenu, une sorte de fourre-tout dans lequel tous les problèmes de communication, tous les conflits, tous les problèmes liés à l’organisation au travail trouvaient écho.
Je voulais traiter de l’importance du médecin généraliste dans la prise en charge du harcèlement moral au travail et je me retrouvais avec l’idée que Marie- France Hirigoyen, spécialiste de la question, elle même, était encombrée de plaintes pour harcèlement moral qui n’en étaient pas.
C’est lorsque je suis devenue médecin remplaçant que j’ai compris ou se situait la problématique en ville. Tant de gens stressés, tant de demandes d’arrêts de travail pour surmenage, pour conflit au travail, pour « harcèlement moral ».
Et puis un jour, un jeune homme vient consulter, il allègue une rhinopharyngite en plein été. Il a l’air de se ficher pas mal de sa rhinopharyngite, il a l’air las, il se dit fatigué.
Je l’interroge sur son mode de vie, il me répond qu’il boit une bouteille de vin
tous les soirs en rentrant du travail, que c’est devenu une habitude. Ca n’a pas
l’air de le contrarier, il en rigole presque. C’est pourquoi le médecin paternaliste
surgit en moi, je lui signifie clairement que je trouve son comportement enfantin et
j’en profite pour lui demander si il a une compagne et des activités extra-
professionnelles. Il me répond non puis abrège la consultation et s’en va.
Je réalise lorsqu’il est parti que j’ai eu un comportement déplacé et que je ne le reverrai probablement jamais.
Une semaine plus tard, le même jeune homme revient en consultation, il a changé totalement d’attitude. Ses traits sont figés, il a l’air amaigri et sans défense. Il m’explique que, comme je le pressentais, ma réaction lors de la précédente consultation et ma « morale » l’ont agacé mais il n’a pu se détacher de l’idée qu’effectivement il buvait, et qu’il ne savait pas pourquoi, ce qui le faisait culpabiliser.
Nous avons alors discuté ensemble afin de comprendre : la famille, les amis, le travail … Le travail : passionnant, gros investissement personnel, un chef admiré comme un père. Pourtant un malaise : une surcharge de travail depuis plusieurs mois, des ordres contradictoires, un chef aux deux visages : parfois méprisant, sec et cassant, parfois chaleureux et le traitant comme un fils, des notes de services de plus en plus fréquentes, le sentiment qu’on vous considère comme un incapable alors que vous êtes quelqu’un de fondamentalement attaché à votre travail. Alors, c’est vrai que quand on rentre du travail, pour oublier les tensions de la journée, on se noie un peu dans l’ivresse. Pour se cacher que ça ne va pas.
J’estimais avoir assez d’éléments pour envisager la mise en place d’un harcèlement moral. Je lançais l’idée au patient, qui parut très surpris (ce qui me conforta encore davantage). Je lui expliquais brièvement en quoi consistait le harcèlement moral. Et tandis que son visage s’illuminait comme à l’annonce d’une révélation, je lui conseillais quelques lectures, et lui prodiguais quelques conseils.
Une dizaine de jours plus tard, il m’appelait en catastrophe, me demandant de
lui fournir un arrêt maladie car il avait quitté brutalement son lieu de travail. Je le
trouve en consultation, agité, cerné, il m’explique qu’il a lu les livres que je lui ai
conseillé , que ça a été une révélation pour lui, qu’il a pu mettre un mot sur ce mal-
être qu’il refusait de regarder en face. Il m’explique que la situation a dégénéré au
travail, qu’on l’accuse par des notes de services de faits qu’il n’a pas commis et
qu’on l’a traité d’incapable, qu’il a tout le monde à dos et qu’il est parti à bout de
nerfs.
Je réalisais à quel point mon rôle avait été important. Je n’avais pas réellement maîtrisé les évènements, pourtant j’avais eu le mérite de piocher des éléments et de faire réagir mon patient. Je décidais de l’arrêter une semaine sans parvenir à savoir précisément quel motif indiquer. Je me disais que le plus dur restait à venir pour le médecin remplacé qui allait devoir enquêter sur les conditions de travail de ce patient et assurer son suivi. Je réalisais que j’avais avancé un concept de harcèlement moral au patient sans m’être assuré auparavant de sa véracité.
Plus je réfléchissais à la situation professionnelle de ce patient qui m’intéressait beaucoup puisqu’elle rentrait en plein dans le sujet dans mon étude, plus je doutais de mon attitude.
A juste titre : et s’il s’agissait d’un stress professionnel lié à une organisation défaillante ayant pour conséquence une anxiété généralisée se traduisant par une conduite addictive ? Et s’il s’agissait d’une situation d’épuisement professionnel ayant généré, chez ce patient très engagé professionnellement, une bonne dose de cynisme par rapport à son environnement professionnel et par la même des conflits avec ses collaborateurs liés à un désinvestissement émotionnel ? Et si quand bien même il s’agissait d’un processus de harcèlement moral, je n’avais pas cerné quel type de harcèlement moral était mis en place : le harcèlement d’un pervers narcissique, son chef ? Un harcèlement institutionnel lié à une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel avec des objectifs irréalisables, rendant mon patient en position de faute permanente et vulnérable aux critiques ? Un harcèlement stratégique pour se débarrasser de ce patient en contournant les procédures légales de licenciement ?
Pourtant, ce patient était en souffrance et d’une manière détournée dans un premier temps puis franchement ouverte devant mon attitude compatissante, il me demandait des conseils pour comprendre cette souffrance sur laquelle il avait besoin qu’on mette des mots. Lourde tâche quand il ne s’agit pas de diagnostiquer une maladie à proprement parler ni de donner le médicament pour la guérir.
Lourde tâche quand on est seul dans son cabinet de ville.
La solution idéale aurait été de disposer de temps pour interroger longuement le patient, de le faire expertiser par un psychologue spécialisé dans ce type de souffrance, d’entretenir des rapports étroits avec le médecin du travail car lui seul a la capacité d’enquêter directement sur le lieu de travail.
Encore eût-il fallu que le patient accepte de se prêter au jeu de la psychothérapie, qu’il en ait les moyens financiers, que le médecin du travail ait une influence importante dans l’entreprise.
Je pensais que la plupart du temps, les médecins généralistes devaient faire
face, seuls, à la souffrance morale au travail, avec des moyens limités et un
manque de temps.
3. L E STRESS AU TRAVAIL EST - IL UNE FAUSSE MALADIE OU UN VRAI SYMPTOME EN MEDECINE GENERALE ?
La souffrance morale causée par les facteurs psychosociaux au travail (ensemble des contraintes psychologiques, mentales, relationnelles liées au travail à l’opposé des facteurs physico-chimiques de l’environnement de travail) a un dénominateur commun. Lorsque le concept de souffrance psychologique liée au travail a émergé, un autre concept plutôt abstrait s’est imposé : le stress ou distress.
Du latin « stringere » signifiant serrer, il est utilisé dans le langage courant pour désigner un sentiment d’obligation de répondre à des pressions internes ou extérieures. Les sensations éprouvées sont bien celles d’une pression, d’une tension parfois à la limite du supportable.
C’est une plainte qui recouvre une multitude de situations et un grand panel d’émotions. Seule certitude : derrière cette plainte qui, à priori ne veut ni tout dire, ni rien dire se cache parfois une réelle souffrance psychologique. Banalisé à l’extrême, le terme ne veut plus rien dire pour beaucoup et du coup, même la portée de ses conséquences est banalisée.
Pourtant, le stress a été minutieusement étudié sous tous ses aspects par des scientifiques de différents domaines. Il a désormais une signification précise en physiologie, biologie et psychopathologie. Les recherches continuent : le stress est un concept à multiples facettes en pleine évolution. Le stress causé par des facteurs psychosociaux au travail est intéressant par ses spécificités et par l’ampleur mondiale de ses retombées. Il a été absorbé, depuis les études de Christophe Dejours (« travail, usure mentale »)
(3), dans une appellation plus générale : la souffrance morale liée au travail mais il s’agit bien ici de l’œuf et de la poule.
Quelle est la valeur du stress lié au travail en médecine générale ? Est-ce une
fausse maladie ou un vrai symptôme ?
3.1. Qu’est ce que le stress ?
Nombreux sont les excellents auteurs qui ont élaboré des ouvrages entiers consacrés au stress sous ses différents aspects. Le concept a tellement évolué en 70 ans que lorsqu’on s’intéresse au sujet, il paraît au début difficile de résumer les grands axes de tous les travaux menés.
Je vais tenter de rappeler brièvement les points qui me paraissent essentiels pour la pratique quotidienne du médecin généraliste.
En 1936, Hans Selye
(4)décrit le « syndrome général d’adaptation » : une réponse stéréotypée du système hormonal en réponse à un agent stressant (menace d’agression extérieure), réponse héritée de nos ancêtres reptiliens pour assurer la survie de l’espèce, mobilisant les forces de l’organisme pour fuir la situation ou pour se battre (issue positive du stress).
Il distingue déjà 3 phases :
une phase d’alarme avec mobilisation des ressources, libération de catécholamines (adrénaline) et de glucocorticoïdes (cortisol).
Une phase de résistance avec activation de l’axe corticotrope.
Une phase d’épuisement avec défaillance des capacités d’adaptation (épuisement des surrénales en glucocorticoïdes)
Il prouve expérimentalement que seul un stress intense et prolongé aboutit à une pathologie d’adaptation et à la maladie.
Dans les années 70, des études internationales en médecine et en psychiatrie permettent de constater des niveaux de stress différents en réponse à un événement de vie stressant, qui sont fonction de facteurs propres au sujet lui même et à son environnement. Le contrôle que le sujet exerce sur les évènements stressants apparaît comme un élément important.
Les techniques modernes d’imagerie cérébrale utilisées en neurosciences ont
permis de mettre en évidence que la réponse physiologique à un événement
stressant implique à la fois le cerveau, le système nerveux sympathique, le
système neuroendocrinien hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien et le système immunitaire, d’ou sa grande variabilité.
Il apparaît que les influences du stress sur la santé dépendent des stratégies d’ajustement de l’individu, elles mêmes conditionnées par la représentation de la situation et des possibilités d’action sur celle-ci.
Richard Lazarus (psychologue américain)
(5), en 1984, redonne au stress sa composante émotionnelle en identifiant deux processus de la réponse au stress : l’évaluation et le coping ( stratégie d’adaptation).
L’évaluation primaire (automatique et instantanée) et l’évaluation secondaire (inventaire des ressources que possède le sujet pour faire face) vont générer une émotion qui peut influencer à son tour les évaluations.
Le coping centré sur le problème consiste à rechercher la meilleure solution au problème, à faire des efforts de diplomatie, à rechercher du soutien social.
Le coping centré sur l’émotion est scindé en deux : d’un côté les stratégies dites fonctionnelles qui sont qualifiées de positives, de l’autre les stratégies dites disfonctionnelles, lesquelles auront des conséquences néfastes sur la santé du sujet .
Stratégies fonctionnelles Stratégies disfonctionnelles Acceptation de la crise
Restitution du problème dans son contexte Recherche de support social
Partage des émotions négatives
Résolution des problèmes (solutions alternatives, réponses actives)
Auto-contrôle
Déni de l’événement Mise à distance Evasion
Evitement
Fuite (sommeil,
médicaments)
Répression des émotions négatives
Isolement
Plusieurs émotions liées à la réaction au stress apparaissent avoir un effet
EVALUATION
↓
1) PRIMAIRE (stress perçu)
- La situation comporte-elle un enjeu pour moi ? - Si oui, est-ce : une perte ? une menace ? un défi ? 2) SECONDAIRE (contrôle perçu)
- Que puis-je faire ?
- M’est-il possible de changer quelque chose à la situation compte-tenu de mes ressources ?
↓
ABOUTIT A DES STRATEGIES D’ADAPTATION (COPING) - centrées sur le problème
- centrées sur l’émotion
La théorie de la conservation des ressources est élaborée par Hobfoll
(6)(1989 et 2001). C’est une évaluation plus sociale du stress, mettant en avant que les évaluations du stress ne sont pas le résultat de particularités individuelles mais de processus collectifs; les membres d’une même collectivité produiront les mêmes évaluations et les mêmes réponses face à une menace.
Le postulat de cette théorie, c’est que les individus sont motivés à obtenir, maintenir, protéger et développer ce qu’ils valorisent, c’est à dire leurs ressources.
Les ressources sont de nature diverse. En occident, Hobfoll en a dénombré 74 (annexe 7) , qui vont de la possession d’un objet ( bijoux, voiture, vêtement …) à des caractéristiques personnelles (sens de l’humour, auto-discipline, qualifications
…) en passant par des conditions sociales (emploi stable, rôle de leader, santé de
la famille, des amis, vie de couple heureuse …), ou des éléments favorisant le
dynamisme (connaissances, soutien de ses collègues, endurance…). Elles
paraissent liées entre elles donc un gain dans une catégorie aura des répercussions positives dans d’autres catégories et vice-versa.
Selon Hobfoll, le stress apparaît dans 3 situations :
quand les ressources des individus sont menacées
quand les ressources des individus sont effectivement perdues
quand les individus investissent des ressources et ne reçoivent pas les retours prévus.
Pour la théorie de la conservation des ressources, l’analyse du stress et du coping ne doit pas se limiter aux réponses actives qui font suite à une menace ou une perte de ressources. Elle doit inclure le coping pro-actif, c’est à dire le fait que les individus se fixent des objectifs destinés à faire face aux futures menaces. Les individus font face de manière pro-active de 3 façons
(6):
en s’efforçant d’acquérir et de maintenir leurs réservoirs de ressources
en agissant dès qu’apparaissent les premiers signes d’un problème
en cherchant à occuper des positions qui s’ajustent à leurs ressources ou qui les placent, eux, leurs familles ou leur groupe social dans une situation profitable.
Pour le médecin généraliste, il conviendrait donc d’analyser les ressources de son patient au fil des consultations pour évaluer préventivement sa capacité à gérer en amont (coping pro-actif) et en aval (stratégie d’adaptation centrée sur le problème ou sur l’émotion) le stress perçu. Ces éléments lui permettraient d’apprécier plus finement les répercussions individuelles du stress lié au travail.
En effet, par exemple, la théorie de la conservation des ressources est utile pour
appréhender le concept d’épuisement professionnel car les ressources
disponibles et les stratégies de coping qui lui sont associées l’influencent
(« Epuisement professionnel et burnout » , Didier Truchot)
(7)3.2.Particularités du stress lié au travail 3.2.1. Une approche à 4 dimensions
Karasek (1979)
(8), chercheur américain, a proposé un modèle pour montrer comment les effets des appréciations du milieu du travail d’un individu interagissent avec les exigences professionnelles. Ils causent un stress entraînant des effets nuisibles sur la santé tant physique que psychologique. Il y a deux dimensions dans l’environnement de travail qui interagissent et peuvent induire un stress :
les exigences professionnelles (charge de travail et contraintes de temps élevées)
la latitude décisionnelle : c’est la capacité du travailleur de maîtriser son cadre de travail et de pouvoir y exercer une influence, d’utiliser ses compétences de manière créative, de prendre des décisions (utilisation de ses compétences, autorité de décision).
Johnson (1989) développe cette théorie et introduit la notion selon laquelle la qualité du soutien social (de la hiérarchie, des collègues) sur le lieu de travail peut servir de tampon, avoir une influence protectrice contre les effets nuisibles sur la santé .
Ainsi, il est implicite que des demandes professionnelles élevées, une latitude professionnelle restreinte et des tensions sociales créent une association possiblement très néfaste quant aux effets sur la santé. Ces facteurs peuvent faire partie intégrante de l’organisation du travail ou ils peuvent être prépondérants dans l’ambiance de contrôle au sein du travail.
DEMANDE PSYCHOLOGIQUE
LATITUDE DECISIONNELLE
Faible Elevée
Faible Elevée
"Travail passif" "Travail surchargé"
"Travail détendu" "Travail dynamique"