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Oncologie : Article pp.143-145 du Vol.1 n°2 (2007)

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PETITES NOUVELLES DU CANCER

Parfum de femme

A. Langer

– J’espe`re que ce ne sera pas trop long, dit-elle en donnant son nom et l’heure de son rendez-vous a` la re´ceptionniste.

Je suis un peu presse´e aujourd’hui.

– Je pense qu’il ne devrait pas y avoir de proble`me.

C’est le de´but de l’apre`s-midi, et il n’y a pas de retard. Pour l’instant du moins, ajoute la jeune fille, se rappelant que les patientes arrivent parfois d’un coup, quatre ou cinq en meˆme temps, comme pour un rendez-vous secret – mais quel complot auraient pu tramer ces dames venues faire examiner leurs seins ?

– Asseyez-vous dans la salle d’attente, on ne tardera pas a` vous appeler.

Ce fut rapidement son tour. La compression des seins lui parut, plus que la fois pre´ce´dente, longue et douloureuse, et a`

chaque cliche´ elle e´mit un petit « aı¨e » le´ger comme une plume d’oiseau, mais suffisamment audible par la manipulatrice situe´e derrie`re le paravent plombe´.

– Je sais que c’est de´sagre´able, mais c’est presque fini, dit celle-ci lorsque la patiente se plaignit pour la troisie`me fois.

Le bilan de base ne comprenait en effet que quatre cliche´s.

Elle regarda la jeune fille qui plac¸ait ses seins, ses e´paules et ses bras, puis activait des boutons pour prendre les cliche´s. Un de ses pieds de´passait sur le coˆte´. Sa chaussure e´tait use´e, un peu e´largie, et on voyait au bout une ou deux petites de´chirures du cuir, mal camoufle´es.

– Patientez un peu sans vous rhabiller pendant que je de´veloppe les cliche´s.

Apre`s une attente qui lui parut tre`s longue dans cette cabine exigue¨, sans autre de´coration qu’un miroir rectan- gulaire non encadre´ et une affiche me´dicale expliquant les

avantages de la mammographie de de´pistage, elle entendit la voix fluette de la jeune fille de l’autre coˆte´ de la porte.

– Je vais vous refaire un cliche´ Madame.

– Ah bon, dit-elle froidement en ouvrant la porte.

« Il me semblait bien que cette jeune femme n’e´tait pas tre`s doue´e », pense-t-elle pendant que la manipulatrice place a` nouveau son sein droit avec un mate´riel apparemment plus volumineux que tout a` l’heure. Le cliche´ dure encore plus longtemps. La dernie`re fois c’e´tait une femme tre`s professionnelle qui avait fait l’examen : c¸a avait e´te´ rapide et efficace, elle n’avait pas eu a`

recommencer, et d’ailleurs elle ne lui avait pas fait aussi mal que celle-ci. Elle avait ensuite appele´ le me´decin qui e´tait venu, avec une belle cravate bleue, en blouse blanche impeccable d’ou` de´passait un stylo Mont Blanc a` la poche supe´rieure. Il l’avait examine´e dans sa cabine, lui avait dit que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de souci, et qu’il fallait refaire un bilan tous les deux ans. Il e´tait suˆr de lui, et son sourire inspirait confiance.

« Voila` l’ide´e que j’ai, moi, d’un me´decin », pense-t-elle pendant que le mammographe e´met son long sifflement aigu. « Il ne doute pas ».

La jeune fille s’approche pour de´gager le sein de l’appareil.

La patiente revoit de plus pre`s le visage banal, non maquille´ de la jeune fille, l’e´lastique blanc qui maintient ses cheveux en une queue de cheval, et ses talons dont la partie externe est amincie par l’usure.

« En marchant dans la rue, songe-t-elle fugacement, elle doit avoir froid aux pieds avec des semelles si fines » : – Je vais montrer c¸a au me´decin qui va venir vous voir.

Elle attend a` nouveau, torse nu, dans la cabine. Elle regarde sa montre : « Cela fait presque trois quarts d’heure que je suis arrive´e. C’est quand meˆme trop long.

J’avais pourtant pre´venu que j’e´tais presse´e » et elle essaie de se souvenir de tout ce qu’elle doit faire : des courses, l’e´pilation des sourcils – et c¸a, c’e´tait indispensable, vu qu’elle dıˆnait dehors ce soir – des coups de fil a` passer. Elle

Adriana Langer ()

De´partement de radiodiagnostic

Centre Rene´ Huguenin, 35, rue Dailly, F-92210 Saint-Cloud, France E-mail : adrianalanger@free.fr

Psycho-Oncologie (2007) Nume´ro 2: 143–145

©Springer 2007

DOI 10.1007/s11839-007-0009-1

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com

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s’impatiente, relit encore les avantages de passer une mammographie.

« La compression est ne´cessaire pour que le radiologue puisse interpre´ter correctement vos cliche´s, car elle e´vite le flou cine´tique ». Tout en dressant mentalement la liste des personnes qu’elle doit appeler cette apre`s-midi, elle se re´pe`te cette phrase machinalement, jusqu’a` la connaıˆtre par cœur.

La porte s’ouvre brusquement : le radiologue est la`, avec son badge rouge de me´decin accroche´ a` la poche de sa blouse. La patiente est de´c¸ue : c’est une femme d’une trentaine d’anne´es qui se tient devant elle, moins de quarante en tout cas. Malgre´ elle, elle pense qu’une femme – jeune de surcroıˆt – ne peut eˆtre qu’une remplac¸ante du radiologue qu’elle a connu et qui a duˆ s’absenter, une sorte de succe´dane´

de me´decin ; que si on a refait un cliche´, si on doit faire une e´chographie (comme elle est en train de lui expliquer) c’est parce qu’elle est moins suˆre d’elle, moins compe´tente.

Elles vont ensemble a` la salle d’e´chographie. La patiente enle`ve son chemisier et son soutien-gorge a` dentelles tout en regardant le me´decin qui inscrit son nom sur l’e´cran :

– Mon pre´nom s’e´crit en deux mots et sans Y : M, A, R, I, E, plus loin L, I, N, E. Elle e´pelle lentement, avec une infime ironie.

La radiologue corrige puis, parlant doucement : – Allongez-vous sur le dos, les mains derrie`re la teˆte.

Vous pouvez garder vos chaussures.

Elle palpe d’abord le creux de ses aisselles – et la patiente re´prime un sourire en sentant un chatouillement ; elle veut rester se´rieuse et maıˆtresse d’elle-meˆme. Puis le me´decin palpe ses seins, et s’attarde a` la partie interne de son sein droit.

« Qu’est-ce qu’il a ? » se demande la femme, qui sent, pour la premie`re fois depuis son arrive´e, une inquie´tude.

Il lui semble presque que les doigts qui l’examinent dessinent les contours d’une petite boule. Mais non, ce doit eˆtre une fausse impression. Elle-meˆme n’avait rien senti en lavant ses seins sous la douche ni lorsqu’elle appliquait dessus, en les massant, une cre`me raffermissante et hydratante.

La radiologue commence l’e´chographie mais, comme ses doigts, la sonde s’attarde sur la meˆme zone de son sein droit et parcourt rapidement le coˆte´ gauche. Elle prend des cliche´s, chacun signale´ par une sonnerie bre`ve mais de´sagre´able, et les chiffres, sur un petit boıˆtier pose´ a` coˆte´

d’elle, de´filent : 0, 1, 2, 3... une course qui ira jusqu’ou` ? La patiente re´fle´chit : « Elle est trop longue a` faire cet examen, elle ne doit pas bien le connaıˆtre. D’ailleurs elle est jeune, quelle expe´rience pourrait-elle avoir ? En mettant au mieux, le bac a` 18 ans, elle a fini sa me´decine a` 28, quatre ou cinq ans d’expe´rience professionnelle ? Alors que le me´decin de la dernie`re fois, dont le nom e´tait inscrit dans l’en-teˆte du compte-rendu et sur toutes les pochettes radiographiques, avait bien vingt ans d’expe´rience. De toute fac¸on, si jamais

elle me dit qu’elle trouve quelque chose, j’irai prendre un avis chez quelqu’un d’autre ».

Le me´decin mesure, entre deux petites croix, une sorte de trou noir sur l’e´cran gris. Ca ne ressemble a` rien. Elle refait, semble-t-il, plusieurs fois la meˆme photo. Enfin, elle s’arreˆte et lui donne un papier pour retirer le produit –

« vraiment collant » se plaint la patiente – puis essuie lentement la sonde impre´gne´e de gel, et la repose. La patiente se rassoit sur le lit, et regarde sa montre.

– Oh, je suis en retard !

– Vous savez, c¸a prend parfois un peu plus de temps que pre´vu, s’excuse le me´decin. Je vais pre´parer votre compte-rendu.

La femme se le`ve et va se rhabiller.

La radiologue reste sur son tabouret, he´sitante.

Comment annoncer a` cette femme froide, distante, apparemment indiffe´rente, qu’elle a un nodule qu’il faut biopsier ?

Elle sort de sa cabine dans son tailleur gris a` fines rayures, un foulard en soie rouge bombant entre les pans de son manteau a` col de renard. Elle porte a` sa main droite un petit sac en cuir rouge ; pas comme ces larges sacs surcharge´s de la radiologue capables de contenir cle´s, calepins, un ou deux livres, un peu de maquillage, et quelques courses rapporte´es en rentrant.

La patiente regarde le me´decin, encore assis devant l’e´cran noir :

– Tout va bien ? demande-t-elle, attendant une re´ponse bre`ve et positive.

– Et bien, il y a dans le sein droit un petit nodule qu’il faudrait pre´lever. Ca peut se faire facilement, avec une anesthe´sie locale, sous e´chographie.

La radiologue se sent soudain geˆne´e de rester assise : elle ne veut plus subir ce regard me´prisant, dirige´ vers le bas, de la patiente ; et aussi, elle se dit vaguement que ce n’est pas poli d’annoncer ce genre de chose en e´tant assise.

Elle se le`ve, mais la femme devant elle semble soupeser diffe´rentes possibilite´s.

– Mais c¸a n’est pas grave, quand meˆme ? Puis, pre´cipi- tamment, pour ne pas lui donner le temps de re´pondre : « La dernie`re fois tout e´tait parfait, et c’e´tait il y a moins de deux ans ». Le ton de sa voix est celui du reproche. « Vous savez, mon gyne´cologue m’a demande´ de passer cet examen pour un controˆle, mais il n’a rien palpe´ d’anormal. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de proble`me de sein dans ma famille ».

Elle prononce « proble`me de sein » comme si elle prenait entre ses mains, en le tenant e´loigne´ de son corps, quelque tissu souille´ ; comme si c’e´tait, pensa le me´decin, une maladie honteuse ou contagieuse qui ne pourrait pas touchersafamille.

– Bien suˆr, ce n’est qu’une pre´caution. Vous en parlerez avec votre gyne´cologue. L’autre possibilite´ serait de surveiller...

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A peine la radiologue a-t-elle e´nonce´ ces paroles qu’elle s’interrompt. Elle sait que c’est un cancer, petit mais invasif ; surveiller n’a pas de sens, il faut traiter. Elle regarde l’ordonnance, pose´e sur l’e´chographe, et lit le nom du prescripteur. C’est un me´decin qu’elle connaıˆt, elle l’appellera tout a` l’heure.

La surveillance, c¸a plaıˆt a` la patiente. Elle se dit qu’elle fera un nouveau controˆle, dans un autre cabinet, avec de bons me´decins ; mais qu’on ne lui raconte pas d’histoires de pre´le`vements, piquˆres, anesthe´sie...

– Merci beaucoup, docteur ; elle fait porter l’accent de sa phrase sur le dernier mot, ce qui lui confe`re une nuance plus moqueuse qu’elle ne l’aurait voulu.

Elle ouvre la porte, s’en va vite, fuit presque, vers l’accueil. Elle demande le prix de l’examen, et explique qu’elle enverra quelqu’un chercher les re´sultats demain. En remplissant son che`que elle regarde ostensi- blement sa montre. Comme la secre´taire en face d’elle ne

dit rien, elle de´cide de formuler clairement son me´con- tentement.

– C¸ a m’a pris une heure et demie. Je vais eˆtre en retard pour tout.

Elle se souvient alors qu’elle e´tait de´ja` arrive´e en retard chez l’esthe´ticienne la semaine dernie`re, et craint que celle-ci n’annule son rendez-vous. Or ses sourcils ont terriblement pousse´, et elle doit absolument les faire e´piler pour ce soir.

Avant qu’une re´ponse puisse lui eˆtre donne´e, sachant que de toute fac¸on le temps passe´ ne peut eˆtre rattrape´, elle conclut :

– Je sais, c¸a n’est pas de votre faute, vous n’y pouvez rien. Au revoir !

Et la femme sort du cabinet, laissant derrie`re elle un effluve d’un parfum subtil, fruite´ et pe´ne´trant, que les re´ceptionnistes admirent, et dont elles essaient pendant quelques minutes – sans succe`s – de deviner la marque.

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