BIOTECHNOLOGIES ET CITOYENNETÉ
PROBLÈMES DIDACTIQUES
Michelle DUPONT, Christian SOUCHON Association DJ.R.E.S
MOTSCLÉS: ENVIRONNEMENT BIOTECHNIQUE DIDACfIQUE O.G.M. S.T.S. -ÉTHIQUE
RÉSUMÉ: Dans le domaine des biotechniques, les progrès récents de la biologie moléculaire etde la génétique, ont ouvert un champ énorme d'applications, dont certaines posent des problèmes tant sur le plan de l'environnement, que de la santé et/ou de l'éthique. À partir d'activités d'analyse, sur des textes de vulgarisation relatifs aux O.G.M. (Organismes Génétiquement Modifiés), des débats ont permis de mettre en relief d'une part, les difficultés conceptuelles que posent ces biotechniques au plan scientifique, d'autre part les problèmes didactiques soulevés par l'approche S.T.S. (Sciences, Techniques, Société).
SUMMARY : In the scope of biotechnology, recent progress in molecular and genetics have created an large field of applications. Sorne are problematic both for environment, health and / ethics. By an analysis of non-specialist texts on G.M.O. (Genetically Modified Organisms) discussions have highlighted the conceptual difficulties posed by these biotechnologies, on the one hand on the scientific level, and have shown on the other, educational problems raised by S.T.S. approach (Science, Technique, Société).
1. INTRODUCTION
Dans le domaine des biotechniques, les progrès récents de la biologie moléculaire et dela génétique,
ont ouvert un champ énonne d'applications. Mais la mise en
œuvre d'un grand nombre d'entre elles pose des problèmes difficiles tant sur le plan de l'environnement, que dela santé et/ou de l'éthique. Envisager une éducation citoyenne de type S.T.S. suppose donc une réflexion didactique appropriée, proposée dans cet atelier, en traitant du cas des O.G.M. (Organisme Génétiquement Modifié). En effet, les O.G.M. se situent au niveau des animaux, des plantes et des microorganismes, avec d'une part, des conséquences sur les systèmes de productions agro-alimentaires, médico-pharmaceutiques, (conséquences au niveau des techniques d'obtention et des produits obtenus), d'autre part des risques potentiels qui sur la santé et l'environnement.2. DIFFICULTÉS CONCEPTUELLES DANS LA LECTURE D'UN TEXTE SCIENTIFIQUE
2.1 "Enquête" : mots posant problème à des participants non spécialistes
Les difficultés ont été repéréespartird'un texte grand public"Lettre de PICARD surgelés", dans lequel Marc Chambolle (I.N.R.A.) essaie de répondre, par une vulgarisation scientifique au niveaula plus large, à plusieurs questions portant surla nature des O.G.M., les techniques, les exemplesde tmnsgénèse réussie, mais aussi les risques, la résistance aux antibiotiques, etc... Le texte a été proposé aux participants de l'atelier, pour une lecture libre, etilest apparu que les mots en cause, pour des non biologistes, n'ont pas été nombreux, mais lourds de contenu! Cellule, gène, génome, gène marqueur, transgène, protéine, résistance aux antibiotiques, A.D.N., bactérie, toxine. Un texte rappelant quelques données scientifiques de base a été alors distribué aux participants.
2.2 Données scientifiques proposées pour la compréhension du texte a. Qu'est ce qu'un O.G.M. (Organisme Génétiquement Modifié) ?
Prenons pour exemple, le cas du Maïs. C'est un végétal qu'on reconnaît à un certain nombrede caractères, communs à toutes les variétés de Maïs:
- forme des feuilles, des fruits (en épis), des grains etc... - composition chimique des grains,
- besoins biologiques vis-à-vis de l'environnement (température, eau, etc...). • Les caractères du Maïs sont contrôlés par des gènes
- Tous les Maïs possèdent les caractères de l'espèce Maïs, mais parmi eux on peut faire des sous-groupes qui présentent un petit nombre de variations, qui permettent de les reconnai"tre: couleur des grains, taille de la plante etc...: ces sous-groupes sont des variétés d'une espèce, l'espèce Maïs. C'est comme pour l'espèce Chien, ou l'espèce Humaine.
que s'expriment, par exemple pour un grain de Maïs, la forme caractéristique du grain, la couleur, les produits de réserves...
- L'ensemble des gènes d'un organisme forme le génome de cet organisme. Au moment de la reproduction sexuée, le génome de l'espèce se transmet intégralement, et il ne peut pas y avoir transfert de gènes d'une espèce à une autre (sauf à de rares exceptions près) : c'est la barrière des espèces. C'est ce qui permet en particulier de distinguer espèce et variété: on peut croiser entre elles des variétés de Chien ou entre elles des variétés de Chat, mais on ne peut croiser un chat avec un chien!
• Nature et localisation des gènes
- Les gènes sont de nature chimique (A.D.N.) localisée dans les chromosomes. Leur information est codée, et ce code est universel, valable pour TOUS les organismes vivants, virus, bactéries, champignons, végétaux, animaux! C'est un code à 4 lettres ! L'A.D.N. est une grosse molécule complexe, et les gènes sont disposés linéairement sur cette molécule. Les cartes chromosomiques permettent de connaître avec de plus en plus de précisions, la localisation des différents gènes sur les chromosomes d'une espèce.
- L'ensemble de tout l'A.D.N. d'une cellule est énorme: par ex., dans chacune des cellules humaines il y a plus d'un mètre d'A.D.N., ce qui donne pour l'ensemble de notre organisme une longueur égale à la distance terre1soleil! Et le génome humain possède de 50 000 à 100 000 gènes! • Expression d'un gène
Si l'œuf au départ contient la totalité du nouveau génome, dans une cellule donnée de l'organisme qui en sera issu, seuls un petit nombre de gènes vont fonctionner (on dit qu'ils s'expriment), c'est-à-dire transmettre leur information, c'est-à-c'est-à-dire provoquer la synthèse de telle ou telle protéine, et donc faire que le caractère que chaque gène contrôle devienne visible.
- Pour reprendre l'exemple du Maïs, le gène qui contrôle la couleur du grain, celui de sa forme, de sa composition chimique, sont présents dans toutes les cellules de la plante, dans les feuilles, les racines, la tige, mais ils ne s'expriment que dans les cellules du grain en formation. Ailleurs ces gènes sont silencieux, ils sont inhibés.
b. Les mécanismes de la transgénèse
Pour apprécier la nature et l'importance des avantages et des risques des a.a.M., en discuter avec objectivité, il faut partir des techniques mises en œuvre au cours des transgénèses : elles sont nombreuses, et nous n'en analyserons que certaines.
- Depuis 1970 environ, différentes techniques (génie génétique) permettent de modifier le génome d'une espèce en y introduisant un gène étranger à cette espèce (transgène). Sans ces "manipulations" la banière des espèces n'aurait jamais permis naturellement ce transfert. Ces techniques sont complexes et font souvent intervenir des microorganismes (le code est universel). Quand une espèce est ainsi modifiée génétiquement, on dit qu'elle est transgénique.
1 G1 G2 G3 G4 GS G6 G7
ToGe
G9
MOLÉCULAIRES
.
=
on enlève ce gène, on le remplace par un autre, d'une autre espèce ou d'un autre règne
r::·:·:····g·i#i#iBlilfb.···;.··:·:·:·:···:.:.:.;.:. ;.. :.:..•:... :.:...:::.:t.ADN étranger on Isole le gène étranger
/ \ ,ADHÉSIFS MOLECULAIRES
TRANSGÈNE ADN MODIFIË
_Pour que le transféré puisse être transmis aux générations futures. ilest indispensable quele transgène ait été transmis aux cellules reproductrices, ce qui représente une difficulté supplémentaire. _ Les transgènes peuvent être puisés dans n'importe quelle espèce. de n'importe quel règne. pour n'importe quel organisme! Lespossibilités sont infinies !l!! C'est enthousiasmant. mais cela peut aussi faire peur. Attention aux apprentis sorciers!
c. Intérêts des O.G.M. : les avantages de ces organismes sont nombreux Amélioration des plantes pour les producteurs et les industriels:
_ Obtenir des organismes résistants: à un insecte (Maïs). à un champignon (Colza), à un herbicide (Soja).àdes microorganismes. etc...
_ Obtenir des modifications chimiques des substances produites par certaines plantes: disparition de facteur d'allergie.parexemple.
_ Obtenir des produits agricoles plus faciles à gérer. moins fragiles: résistance à des conditions environnementales extrêmes comme le froid (gène de poisson transféré à des fraisiers). ou murissement retardé du melon et de la tomate. ce qui permet une meilleure conservation etc... Mais tous ces avantages s'inscrivent dans une logique productiviste
A vantages pour la santé :
_ Augmentation de la qualité nutritionnelle de certaines plantes: composition en acides aminés des protéines de réserve des graines de Soja ou de Colza. ou encore modification des proportions des différentes graisses pour augmenter la proponion de graisses insaturées.
- Production de protéines thérapeutiques : Les plantes transfonnées deviennent de véritables usines biochimiques, des bioréacteurs, avec des coûts de production très abaissés par rapportàceux des laboratoires: protéines antibiotiques produites naturellement par des insectes, ou des enzymes (amylase) etc..
- Production de vaccins : un Tabac transgénique est capable de produire un vaccin anti-carie. On met auusi au point des "vaccins comestibles", comme des Bananes transgéniques àusage vaccinal contre le choléra.
d. Risques liés aux O.G.M. Risques pour l'environnement
Cas du Mais, O.G.M. résistant àun insecte (la Pyrale, papillon dont la chenille caus de gros dégagts, 30% de pertes dans les cultures):
Au lieu d'utiliser des insecticides, on transfonne la plante en organisme insecticide. C'est la plante elle-même qui synthétise un substance toxique pour l'insecte. Dans le cas du maïs Bt, le maïs modifié synthétise une toxine sécrétée nonnalement par une bactérie(Bacillus thuriengensis= Bt), substance non toxique pour l'homme et utilisée dans de nombreux insecticides.
Le risque principal potentiel envisagé par la C.G.B. (Commission du Génie Biomoléculaire), est l'apparition et la sélection d'insectes résistantàcette toxine Bt : il faudrait utiliser d'autres pesticides. Mais un autre risque est à envisager, c'est celui de la persistance dans la plante modifiée du gène "marqueur" antibiotique (ampicilline) qui y a été introduit pour des raisons techniques de sélection des plants modifiés: ne pourrait-il pas être transmis àdes bactéries du tube digestif d'animaux qui consomment le maïs cru (l'A.D.N., très fragile, est détruit par la cuisson), ou bien encore à d'autres microorganismes du sol? C'est un exemple d'application du principe de précaution.
Cas des O.G.M. résistants aux herbicides
Parmi les herbicides actuels, le glyphosate ("Round-up") est l'un des produits le moins toxique pour l'Homme et les animaux. Rapidement dégradé par les microorganismes du sol, il agit en interférant avec la synthèse de certains acides aminés des plantes qui y sont sensibles.fi serait certes intéressant pour un cultivateur de pouvoir l'utiliser pour détruire "les mauvaises herbes" d'un champ sans pour autant atteindre la plante cultivée. Le risque majeur est la disséminantion de cette résistance à d'autres espèces, pour lesquelles il faudra alors retrouver de nouveaux herbicides, peut-être moins inoffensifs!
Risques pour la santé
- Dans le cas du gène marqueur (gène associé au gène d'intérêt pour en petrnettre le repérage), ne faut-il pas envisager des risques potentiels d'allergie, non pas à la substance nouvelle synthétisée, mais à ses produits de dégradation?
- S'il est facile de repérer dans un organisme la présence d'une substance toxique connue,ilest par contre beaucoup plus difficile d'y repérer des substances nouvelles qui seraient toxiques ! Seule
- Il ne faut pas oublier non plus, les risques liés à l'insenion du transgène: compte tenu des connaissances, cette insenion se fait actuellement au hasard !Orle transgène pourrait activer des gènes normalement silencieux, et pouvant coder pour des protéines toxiques.
- Enfin, l'étiquetage des O.G.M.
est irréaliste. Comment accéder à d'éventuels gènes d'intérêts, introduits frauduleusement dans une plante ? Les techniques permettant une telle identification sont souvent impuissantes actuellement à les déceler.Risques pour la recherche scientifique
- Le système de la recherche scientifique est actuellement soumisàune double dynamique : celle de la découvene, mais aussi celle des lois du marché.
- L'objectif prioritaire de nombreux secteurs de la recherche devient celui de la mise au point d'applications directes des nouvelles découvenes et le financement (partenariats) devient un moyen de pression pour les laboratoires.
- Enfin les lois de la concurrence s'opposent à la diffusion des résultats (ce qui empêche les confrontations indispensables) etàcenains contrôles (pene de temps) :etle principe de précaution? et l'indépendance du chercheur? et la rigueur des contrôles?
2.3 Bilan
L'accès aux connaissances et aux techniques de base n'est pas apparu un obstacle difficile à surmonter : rien ne peut être sérieusement considéré comme susceptible d'empêcher un citoyen motivé de rentrer dans le débat!
3. DIFFICULTÉS DU TEXTE AU NIVEAU SOCIÉTAL 3.1 Quels usages, et/ou quelles propriétés spécifiques ?
Partant de ce qui se fait et de ce qui se dit par les voies officielles, on doit procéder à la recherche des usages et des propriétés des O.a.M. :pas de difficultés de compréhension, mais nécessité de connaissances. Les principaux usages desO.a.M.sont:
- Pour les plantes génétiquement modifiées: ce sont des acquisitions de résistance aux maladies, aux insectes, aux herbicides, aux conditions climatiques.
- Pour les microorganismes non végétaux : ce sont des auxiliaires de fabrication, sources de médicaments, d'enzymes, d'acides aminés.
- Pour les microorganismes végétaux: souches lactiques et levures intervenant dans l'alimentation, la dépollution.
- Pour les animaux : interviennent par les productions (sang, lait), ou bien par leur propre modification (qualité nutritive, résistance aux maladies...).
3.2 Quels acteurs dans les processus et les débats ?
Dans un débat sur des problèmes de société, et donc dans une optique S.T.S., il est essentiel de repérer les acteurs qui interviennent dans ces problèmes : d'une part les acteurs au niveau des processus, d'autre part les parties prenantes d'un débat. Cet aspect sera développé dans les problèmes didactiques.
4. PROBLÈMES DIDACTIQUES
4.1 Quelles connaissances pour des non spécialistes ?
Les savoirs de base nécessaires, les éléments indispensables, semblent généralement faciles à acquérir pour un public motivé: ils ne paraissent pas constituer un obstacle insurmontable. TI ne s'agit pas d'une formation minimale scientifique et technique, mais plutôt d'une vulgarisation pragmatique Le débat reste ouvert.
4.2 Quels acteurs ?
Un des outils méthodologiques privilégiés en Éducation à l'Environnement et utilisable ici pour l'analyse, est l'approche systémique. En portant l'attention principalement sur les acteurs, il y a un jeu d'interactions dans l'information. En suivant le cheminement du processus technique, on a successivement par secteur : la recherche, en majorité du domaine public, mais aussi privé, en relation avec l'industrie (agro-alimentaire, médico-pharmaceutique...) ; l'agriculture ; le commerce et la distribution; le public consommateur. Interviennent aussi dans les relations dans la société: les pouvoirs publics, les médias et les associations. Ce jeu d'interrelations pourrait figurer sous forme d'un schéma systémique plus ou moins détaillé.
4.3 Comment mettre en place une pratique éducative ?
Au-delà de la fonnation des maîtres des éducateurs et des animateurs, pour laquelle des éléments de réponse sont présentés dans cet atelier, la mise en pratique d'une telle éducation poselaquestion de l'organisation d'activités pour des élèves, futurs citoyens. Quelles activités danscetesprit ? Sous quelle forme ? Avec quelles précautions déontologiques ? Avec quels liens avec les autres disciplines? Dans quel cadre? Quelle(s) formation(s) pour les maîtres?
On sera guidé principalementpar : la nécessité de maîtriser l'information (conception et mise au point d'une méthode d'analyse pour décoder les textes et les images) ; les exigences d'objectifs de changement des attitudes et des comportements, d'où des prises de position différentes de celles des disciplines qui se limitent généralement à l'expression de leurs concepts spécifiques.
5. CONCLUSION
De nombreux problèmes de société apparaissent à propos d'innovations techniques, d'applicationsde
découvertes scientifiques récentes. Les systèmes scolaires sont peu, ou pas adaptés à
la
mise
en œuvre d'une démarche S.T.S. d'ouvenureàune préparation au débat. Sans ignorer les problèmes institutionnels,ilsemble cependant possible de rechercher des processus didactiques appropriés qui reposent essentiellement sur une démarche d'analyse critique, sur un décloisonnement disciplinaire, sur l'utilisation d'outils permettant la maîtrise de l'information et l'analysedesituations complexes et sur une priorité accordée aux objectifs d'attitudes, de comportement, en référence à certaines valeurs (dont celle de responsabilité). Ceci contribuerait à une préparation à une éducation effective à l'exercice de la citoyenneté.BIBLIOGRAPHIE
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BRAC DE LA PERRIERE R. A., TROLLE A., Aliments transgéniques : des craintes révélatrices,Ed. Fondation Léopold Mayer, Paris, 1998.
BRAC DE LA PERRIERE R. A., TROLLE A., Le piège transgénique ?, Paris: Éd. Fondation Léopold Mayer, 1999,90 p.
FA VERGER M. H., Les plantes transgéniques en agriculture,Revue du Palais de la Découverte, 1998,26,259,21-46.
GIORDAN A., SOUCHON