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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Éducation scientifique et citoyenneté

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Academic year: 2021

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ÉDUCATION SCIENTIFIQUE ET CITOYENNETÉ

Brigitte FRELAT·KAHN

LU.F.M. de Versailles, G.H.D.S.O.-L.I.R.E.S.T. Uni. Paris-Sud

MOTSCLÉS: CITOYENNETÉ SCIENCE· ÉDUCATION SCIENTIFIQUE· SOLIDARITÉ -OBJECTIVITÉ - SÉCULARISAnON

RÉSUMÉ: Àune approche de la citoyenneté centrée sur une universalité abstraite répond une conception de la "cité savante" qui serait comme l'expression incarnée de la rationalité. La pensée contemporaine semble privilégier une acception "sociétale" de la relation politique et inviterà une conception libérale de la connaissance où doit prévaloir le débat libre et ouvert garanti par un jeu intitutionnel. Ainsi revisitée, l'éducation scientifique serait proprement éducation civique: elle contribueraitàune solidarité effective entre tous les membres d'une communautéàinstaurer.

SUMMARY : To an approach of citizenship whose core is an abstract universality, answers a conception of a "Savant City" which would be as the incarnated expression of rationality. Contemporary ways of thinking seem to prefer a "societal" sense to describe political bond and they induce to liberal conception of knowledge in which free and open debate and proceedings are prevailing. So reviewed, scientific education would properly be civic education: it would contribute to an actual solidarity between all the members of a community which has to be established.

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Crise de la citoyenneté, domination du relativisme en matière d'analyse de l'activité scientifique, remise en cause de l'idée de vérité: autant d'indices d'un même phénomène qui traverse la pensée contemporaine. Les orientations actuelles de l'éducation nationale enregistrent une transformation de notre représentation de la citoyenneté, mettant l'accent sur les aspirations propresà l'individualisme moderne et entendant satisfaireàl'intégration de tous en s'appuyant sur la prise en compte de la particularité de chacun. Parallèlement, s'il est vrai que la science garde prestige et position de domination, l'idée d'une anhistoricité d'un savoir absolu facteur de progrès pour l'humanité est contestée. Si la représentation du politique connaît la même crise que celle de la science, c'est pour les mêmes raisons car la pensée politique et la théorie de la connaissance sont animées par les mêmes principes recteurs:"Lemonde occidental est passé peuàpeu du culte de Dieuàcelui de la raison et de la science. Pour l'heure,il évolue vers un stade oùiln'adorera plus rien.Àce stade-là, on cessera de voir dans la "vérité" un principe d'émancipation ou une source de pouvoir qui, lorsque nous l'aurons atteinte, nous apportera le salut" (Rorty). La sécularisation de la culture ainsi achevée, loin de récuser toute légitimité de l'éducation scientifique, trouverait dans le fonctionnement de l'institution scientifique de quoi aideràredéfinir une position de la citoyenneté. La remise en cause d'une certaine acception de la scientificité serait le moyen d'une justification de la relation politique, de l'instauration d'une légitime communauté, au sens propre un commonwealth, une ré-publique. L'éducation scientifique s'affirmerait ainsi dans toute son importance, non pas tant par ses aspects méthodiques ou formels d'accèsàune vérité neutralisée que dans le processus même qui préside aux fonctionnement de l'institution scientifique. Elle pourrait pleinement jouer un rôle de formation civique dès lors que la science serait rétablie dans son exemplarité en tant que modèle de solidarité.

1. D'UN MODÈLE À L'AUTRE UNE SÉCULARISATION DE LA CULTURE

Rony distingue deux modèles de la relation socio-politique : "universitas" et "societas"

- Une approche centrée sur l'universalité abstraite, modèle "théologico-politique", qui trouve dans l'extériorité d'une loi commune de quoi fonder le lien social. Tous les sujets sont unis au sein d'une "universitas". Les relations interdiscursives impliquées sont celles d'un groupe uni par des intérêts mutuels et une fin commune. Dans cette perspective la représentation du savoir est celle d'un savoir un, dont le paradigme se situe dans l'unicité de la rationalité scientifique, articulé sur une analyse des éléments premiers, fondements de toute connaissance.

- L'approche contemporaine est dit-on plus centrée sur une priorité accordée à la société civile. Elle pose que l'union des membres du groupe relève de la "societas", qu'elle tient aux chemins existentiels, aux engagements des personnes qui le constituent. Ce qui règle la relation socio-politique, ce n'est plus un terrain d'entente préexistant fondée sur des valeurs extérieures, transcendantes, mais la discussion, la "courtoisie".

Àces modèles répond un sens de la citoyenneté et une représentation sociale de la rationalité et de la science, et donc une conception des exigences et des déterminations de l'éducation scientifique.

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1.1 Éducation scientifique et modèle de ('universitas

Àce modèle répond très explicitement une certaine acception de la citoyenneté, acception juridique qui s'organise sur l'opposition du particulier et de l'universel. L'universalité est conçue non comme addition des particularités, ni comme extension, modélisation d'une particularité parmi d'autres mais par oppositionàla particularité comme telle, Elle est abstraite, définie par l'intérêt commun, lequel, pour être commun, ne saurait être autre que rationnel. Dans cette définition de l'organisation socio-politique comme corps d'associés vivant sous la loi commune, le statut de citoyen apparaît comme une relation. La citoyenneté est ce qui organise et ce qui résulte de la relation d'égalité et d'universalité. Dès lors, non seulement le privilège est exclu, mais la considération de la particularité, de la différence n'a pas de place. Ce qui est pris en compte, ce ne sont pas les termes qualitativement définis de la relation, mais la relation des droits eux-mêmes. Liéà cette conception de la citoyenneté -exemplairement réalisée dans l'idée de république en France -, le modèle culturel qui préside tautant à la forme de l'organisation scolaire - la laïcité - qu'aux contenus de l'enseignement dispensés est celui del'arrachement..La culture est un effort d'arrachement du sujet à la particularité (d'une nature, d'une tradition) pour accéder, par la médiation des œuvres, et surtout par l'intégration d'une méthode et d'un esprit, à l'universalité des savoirs et des valeurs. Ce qui prévaut c'est la décontextualisation. Une forme de décontextualisation existe certes dans les humanités classiques et c'est en ce sens que l'enseignement des langues mortes est formateur et que l'antiquité gréco-romaine a constitué en Europe un référentiel privilégié de la formation. C'est justement qu'elle a affaire à un monde disparu ou qui ne subsiste plus que dans la tradition de langues mortes ou de ruines archéologiques. Il reste que la volonté de substituer à l'enseignement "classique" une éducation scientifique, achève le projet de décontextualisation ; elle inscrit les objectifs de la scolarisation sur une universalité rationnelle et sociale au lieu de maintenir une approche nécessairement sélective et individuelle. L'éducation scientifique répond alors avec prédilection aux exigences d'une telle citoyenneté.

- Par contraste à l'égard de la formation aux lettres qui n'échappe pas au relativisme, l'unité de la vérité trouve son articulation dans une unité de la raison qui seule peut correspondreà l'égalité affirmée des esprits et des intelligences humaines.

- La rationalité scientifique est inséparable de la notion de savoir "public", de critères publics de validation et de réfutation. La pensée scientifique et savante est capable non seulement de transcender les particularités individuelles. Une proposition scientifique n'appartient plus à personne en particulier. Décontextualisée, dé-psychologisée, la logique de la recherche scientifique, qui de ce point de vue s'oppose radicalement au contexte de découverte, à la psychologie de la science, transcende les corporatismes, les clientélismes et les collectivismes aussi bien que les individualismes intellectuels. La "cité savante", réductible niàune communauté niàune société, relève de la stricte universalité humaine, expression incarnée de sa rationalité. L'École républicaine et laïque qui entendait n'être assimilable ni à une famille, ni à une ethnie, ni à une association, se devait alors de prendre pour méthode et pour principe de fonctionnement ce prototype de la rationalité qu'était l'éducation scientifique, ou, plus exactement, la formationàcette représentation de la science.

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- L'éducation à la rationalité est alors posée comme exigence morale. Normer l'enseignement selon la seule règle de la vérité,lelimiter au démontrable, en écarter dogmes et croyances: l'éducation à la rationalité est alors le moyen de rendre effective la laïcité qui définit la nature d'une école publique. - Dans cette entreprise de décontextualisation, on peut trouver une extraordinaire coïncidence entre une représentation de la connaissance et de la démarche scientifique - l'inductivisme - et l'injonction faite aux individus d'arrachement à leur particularité et à leur inscription empirique singulière.La leçon de choses achevait l'entreprise d'unité intellectuelle et de légitimation. Présentée comme l'application à l'enseignement de la méthode intuitive, c'est-à-dire de la méthode inductive, elle était érigée au rang de méthode naturelle, une méthode propre à l'ordre de notre raison et celui des choses. Inscrite dans la nature de la rationalité humaine, l'induction était ce qui règle à la fois la méthode scientifique et le cours de l'histoire des sciences. Les temps de la méthode inductive (observation, hypothèse, expérimentation...) scandaient la démarche du savant, l'histoire du savoir,leprocessus d'apprentissage. On commence par ce qui est le plus ancien pour n'aborder qu'en fin de cursus ce qui constitue la contemporanéité : l'ordre historique et l'ordre pédagogique se répondent.

1.2 La remise en cause et la nécessité d'un autre modèle

Ce modèle est attaqué de toutes parts. Quant à l'analyse de la scientificité et à la théorie de la connaissance, il suffit de rappeler quelques points.Lacritique de l'inductivisme conduit à une remise en cause radicale de l'idée de vérification des propositions de la science. L'histoire des sciences ne présente pas cette continuité tranquille d'une accumulation de résultats: la pensée contemporaine y voit au contraire le lieu de ruptures dont l'articulation est si problématique qu'il s'agit d'élaborer une reconstruction rationnelle de l'histoire du savoir (Lakatos). En conséquence, la définition de la science normale en termes de paradigmes distincts porte atteinte à la notion même de vérité. Est remise en cause l'affirmation d'une objectivité transcendante aux sujets qui entendent l'atteindre. Surleplan socio-politique, les remises en cause sont de même ampleur. Tout rapportà une transcendance des droits qui fondait la citoyenneté et la laïcité est soumis à déréliction. Les droits tendent, en se multipliant, à relever de plus en plus de la particularité. Passant de l'ordre formel, de l'ordre de l'idéal à l'ordre de l'effectivité et de la revendication, les droits sont relativisés. Dans le premier sens qui nous a occupé jusqu'à présent, la citoyenneté est une donnée, juridique certes, dépendant d'une adhésion consciente, mais on n'a pas à faire la preuve de la citoyenneté dont tout homme est porteur dès l'instant où il est dans un rapport de communauté sociale, c'est-à-dire dès l'instant où il est homme. On naît citoyen. Dans la seconde acception, l'assignation de la citoyenneté est liée à un ensemble de contenus. Les droits vont donner un ensemble de conditions à partir desquelles on pourra dire qu'un citoyen en en jouissant est un citoyen à part entière.Lacitoyenneté n'est plus un absolu, elle admet des degrés et des particularités. On peut être différemment citoyen, on peut être plus ou moins citoyen selon que l'on peut on non jouir des droits auxquels on entend prétendre. Les droits sont alors autant de biens, objets de consommation pour des individus qui exigent leur application, chacun pour soi. L'individualisme contemporain passe ainsi par ce rapport de séparation de soi d'avec l'autre, d'atomisation des relations entre sujets, puisque précisément toute relation à un bien commun extérieur et supérieur qui fonderait la communauté est remis en cause.

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Mais précisément ces remises en cause trouvent leur articulation dans leur soumissionà des principes identiques et tiennent à notre rapport au savoir. Ce qui est en critique ? l'affirmation d'une extériorisation, d'une objectivation du savoir et de la rationalité.

2. TROIS PRÉSUPPOSÉS EN DISCUSSION POUR UNE MISE EN QUESTION 2.1 Le premier présupposé consiste dans l'affirmation que l'objet du savoir est immuable et que cette immutabilité garantit son universalité et sa transmissibilité. On saitlerôle qu'a dans l'enseignement la métaphore de la vision. C'est qu'on suppose une extériorité et une immutabilité d'un objet par rapport à un sujet. L'objet vrai, l'approche du vrai, la méthode seraient absolus de telle sorte que celui qui cherche et/ou qui sait serait au bout du compte un spectateur. (Rorty, L'Homme spéculaire). Dans cette définition de la connaissance, le rôle de l'enseignant est celui de médiateur entre la chose, l'objet inébranlable, et le regard du sujet. Les T.P. prennent tout leur sens: l'enseignant donneà voir la raison en acte. Mais il en est de même de la parole de l'enseignant, de sa pratique, des protocoles préparés pour les observations des élèves: elles orientent le regard des élèves vers un objet dont la stabilité constitueàla fois le bien commun et le pouvoir pour tous. Tous peuvent y avoir accès parce que l'objet est en soi, identique.À cet égard la représentation que l'on donne de la science dans la publicité serait significative: voir, visualiser c'est comprendre et mettre en image c'est démontrer. On suppose ainsi que le "savoir de" est premier par rapport au "savoir que" :le savoir et la science sont conçus comme relation entre des sujets et des objets et non pas entre des personnes et des propositions. Cette conception est attachée au présupposé que la certitude tient aux relations causales que nous entretenons avec les objets. De ce point de vue la leçon de choses est significative qui suppose que le fait d'avoir une impression est en lui-même un acte de connaissance. Or il est clair que plus on a affaire à un domaine de technicité scientifique, plus on doit centrer l'analyse de la science et l'éducation scientifique sur les propositions et le langage de la science. Et l'on s'attachera d'autant plus au statut théorique des énoncés de connaissance que l'éducation scientifique entendra transmettre des contenus scientifiques et non seulement pratiques.

2.2 Le second présupposé est, d'un terme barbare, suivant toujours Rorty, l'affirmation du caractère "atomistique" de l'édification de la connaissance. Qu'il s'agisse de la construction des programmes scolaires ou de la conception qu'on se faisait de l'observation et de l'expérimentation en matière d'enseignement, on postulait possible, en matière de savoir, une décomposition analytique. Cela est si vrai que l'analyse était pensée comme outil propre à installer les conditions d'une réduction de l'inconnu au connu, répondant à l'idéal de citoyenneté à instaurer. Toute connaissance aurait ainsi été faite de la combinaison et de la complexificationàpartir de données isolables: la décomposition des savoirs scientifiques en leurs éléments ultimes constitutifs pût être envisagée comme le moyen de parveniràla réussite de l'apprentissage. De ce point de vue on peut noter que le modèle unitaire continuiste sous-jacentàl'idée de programmes scolaires. On suppose que certains types de représentations, d'expressions, certains processus sont fondamentaux, que l'on peut les

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dégager et édifierà partir de ces représentations privilégiées l'ensemble des connaissances possibles. On sait que l'enseignement des sciences ainsi conçu a conduitàdonner aux élèves l'image de la scientificité comme accumulation de faits sans perspectives et comme une série de recettes, de formules relevant de l'apprentissage mécanique. Loin de permettre une maîtrise de l'environnement naturel et social, de concourir à l'exigence d'émancipation, de connaître par soi-même, l'enseignement dispensé donnait l'image d'un savoir qui se donneà croire sans comprendre. Affaire de spécialistes, la science tendrait ainsi à relever de l'argument d'autorité. L'idée qu'il est possible d'avoir affaire à des données pures, isolables et atteintes dans un rapport direct relevant de l'expérimentation est largement abandonnée. Les analyses que notre siècle a pu élaborer de la scientificité montrent combien il est difficile, voire impossible, d'isoler parmi nos représentations lesquelles sont des données pures, lesquelles sont des représentations conceptuelles, bref, d'isoler ces données de tout halo culturel et global. C'est ce que prend en compte une éducation scientifique d'aujourd'hui, qui rattache l'analyse des propositions de la science à l'ensemble de la compréhension de l'univers, qui envisage davantage dans une dynamique de sens les phénomènes étudiés que dans la juxtaposition des résultats et des lois, qui exige que l'on comprenne les représentations que les sujets ont des concepts scientifiques.

2.3 Le dernier présupposé est plus radical encore et met en question l'exigence de reformulation que l'on pose aux élèves et -àun degré moindre - l'idée de transposition didactique. Ce présupposé est celui qui touche au plus près la relation au politique et à la citoyenneté: c'est l'''hypothèse de la commensurabilité des discours". On suppose en effet que la rationalité renvoieàla soumissionà un ensemble de règles énonçant comment il est possible de s'accorder sur ce qui est susceptible de clore un débat en chaque point où des langages ou plus exactement des énoncés semblent entrer en conflit. "L'idée-force est ici qu'être rationnel, être pleinement homme, faire ce que l'on doit, c'est être capable de trouver un terrain d'entente avec les autres" (Rorty, L'homme spéculaire). L'enseignement, l'éducation comme rapport à la transmission, et fondamentalement une acception républicaine de la pédagogie, supposent cette commensurabilité. Entre le savoir de l'enseignant et celui de l'élève il y a commensurabilité parce que le rapport qui règle leur relation est l'égalité. Dans cette perspective, toute relation dialogique, qu'elle s'effectue sous l'espèce de la reformulation par l'élève, ou de la transposition par l'enseignant d'un savoir dit "savant", repose sur l'espoir d'un accord témoignant de l'existence d'un terrain d'entente réunissant tous les participants au sein d'une rationalité commune. L'universalité estàce prix d'une identité de référent extérieur et communà

l'ensemble des membres. Telle est précisément la relation pédagogique de l'école républicaine qui, en ce sens, s'oppose à l'organisation du "curriculum" à l'anglaise: c'est l'extériorité de l'objet à connaître à l'égard de l'enseignant et à l'égard de l'élève qui rend possible la relation du maîtreà

l'élève. Le rapport dialogique n'est justifié qu'à cette condition que chacun des deux pôles de la relation puisse se référer à quelque chose d'extérieur, de telle sorte qu'aucun des deux ne soit dans la limitation de l'autre, dominée par l'autre, assujetti. De manière plus générale, de ce point de vue, seul le rapportà un objet extérieur et immuable, seule la correspondance avec la réalité permet, pense+ on, d'obtenir le consensus rationnel. L'usage qu'on fait du terme "objectif' en témoigne:

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- Est objective toute conception à laquelle on adhère en raison de l'argumentation qui la sous-tend. - Mais est objective aussi une représentation qui, pense-t-on, nous montre les choses telles qu'elles sont réellement.

On comprend que cette assimilation entre rationalité et commensurabilité est au principe de la bonne formulation, la bonne réponse, seule proposition attendue et prévue par l'enseignant. C'est très profondément surtout ce qui motive toute entreprise réductionniste, c'est-à-dire cette idée qu'il y aurait un seul langage dans lequel toute contribution du savoir devrait pouvoir se formuler, un seul langage,logos, auquel devrait se réduire ou dans lequel devrait se traduire tout autre langage. C'est en ce point que théorie de la connaissance et rapport au politique se rejoignent. Qu'il s'agisse des analyses de l'histoire et du fonctionnement du savoir scientifique ou des aspirations sociales à la différenciation et à l'individualisation, on pense l'intersubjectivité, ou plus exactement l'interdiscursivité surlemodèle d'une conversation qui ne s'établit pas sur le présupposé que l'on peut trouver un terrain d'entente préexistant mais qui joue sur l'espoir que l'on finisse par se mettre d'accord, ou bien que l'on aboutisse à un désaccord intéressant et fructueux. L'homme de notre modernité se donne comme individuellement responsable des transformations et des passages. Parce qu'elle nierait toute transcendance de l'idéal et des valeurs, notre société contemporaine perdrait tout rapport à un lien qui l'instituerait, de l'extérieur, en une communauté. La science quantà elle semble être historicisée et par là relativisée; elle est envisagée dans son fonctionnement institutionnel. Rien d'étonnant alors à ce qu'elle soit traversée par les considérations qui animent le politique lui-même, et de manière exemplaire par des préoccupations éthiques. La moralisation, la recherche de valeurs est nécessaire dans un fonctionnement démocratique alors même que l'on pense que rien ne préexiste comme absolu et immuable, alors même que ce qui caractérise la démocratie est la capacité de toujours reconsidérer les valeurs et les buts qu'on se propose.

3. L'ENJEU DÉMOCRATIQUE D'UNE ÉDUCATION SCIENTIFIQUE

On voit ici l'importance de l'éducation scientifique. Elle peut aideràdénouer la crise que connaît la société et son reflet pour nous, l'école. En effet l'école, en France, trouvait son fondement dans la notion de communauté nationale. On entend aujourd'hui que le système éducatif satisfasse les aspirations des individus. L'école prétendait ancrer la transmissibilité du savoir sur des référents objectifs extérieurs, garantie d'un terrain d'entente, d'un consensus entre tous les citoyens. Le système éducatif aujourd'hui exigeant la différenciation de l'accès à des savoirs pluriels entend respecter les idiosyncrasies des sujets prestataires d'un service public qui doit tenir compte des injonctions de la société civile, des insertions locales et des fluctuations du marché de l'emploi. En renvoyant la quête de l'intelligibilité du côté de l'éthique et des valeurs, on inviteàune conception libérale de la science où ce qui doit prévaloir est le débat libre et ouvert garanti par un jeu des institutions qui permette à la discussion de se dérouler sans contrainte. Une telle perspective, on le voit, s'installe sur une critique de toute extériorité fondatrice d'une communauté, laquelle serait toutà la fois produit et acte. Cette perspective fait de la formation et de l'instauration de soi le but même de

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la communauté. L'éducation est alors la condition fondamentale et plus exactement même l'éducation scientifique puisqu'il s'agit de construire, d'inventer, d'innover pour chercher toujours ce qui est plus fécond, plus intéressant. L'éducation, condition de construction de la communauté comme telle, garde pour modèle la démarche scientifique, hypothético-déductive, prédictive, démarche qui toujours se pense dans la fécondité de la concurrence d'hypothèses. Tout s'oppose bien alorsàce que l'éducation scientifique se réduiseàun pur et simple apprentissage des résultats et des méthodes de la rationalité normée et normale; elle entend s'instituer sur une plus grande liberté puisqu'elle répondàl'exigence que chacun puisse édifier la communautéàlaquelle il entend contribuer. Dès lors, éminemment morale, l'éducation à la rationalité est éducation à la civilité. Tolérance, respect des opinions de ceux qui nous entourent, capacité d'écoute, confiance placée dans l'argumentation et dans la persuasion plutôt que dans la force: telles sont les vertus morales que doit posséder tout membre d'une société civilisée pour que cette société soit supportable. En ce sens, la science peut être envisagée comme modèle de rationalité et donc ici aussi de citoyenneté. C'est que les institutions que les scientifiques ont développées et au sein desquelles s'effectue leur travail "permettent de donnerà

l'idée d'un "accord sans contrainte" une illustration précise et détaillée" (Rorty, 1994). L'éducation scientifique est alors proprement éducation civique en ce que, soucieuse de fonneràla culture scientifique, elle entend préparer à une attitude qui permettra à la vérité de l'emporter mais qui surtout établira les conditions d'une solidarité effective entre les membres d'une communautéà instaurer. En ce sens la référence au fonctionnement des institutions et de la culture scientifiques permet de penser que la meilleure façon de savoir ce qu'il y a lieu de croire c'est de se montrer attentif au plus grand nombre de propositions et d'argumentations possibles. L'éducation scientifique serait proprement éducation civique en ce qu'elle achèverait le processus de sécularisation de la culture.

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