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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Silverlake life, the view from here : Donner son corps au cinéma

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

SILVERLAKE LIFE, THE VIEW FROM HERE :

DONNER SON CORPS AU CINÉMA

Francis GAST

Université Marc Bloch, Strasbourg

MOTS-CLÉS : CORPS – SIDA – MORT – CINÉMA – ENGAGEMENT – ART – POLITIQUE

RÉSUMÉ : Le film Silverlake Life : The view from here présente le témoignage d’un couple d'hommes séropositifs qui, en Californie en 1993, filment leur propre histoire. Le film est une description minutieuse et concrète non seulement d'une maladie dans son évolution, mais surtout du vécu du malade. Il se situe ainsi aux frontières de l’observation médicale, de l’art et de la politique.

ABSTRACT : Silverlake Life : The view from here is a film about a gay seropositive male couple in California who film their everyday life in 1993. It describes in minute detail and concretely the evolution not only of an illness but in particular how this is experienced by the patient. The film is very much a political, artistic and medical statement.

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1. INTRODUCTION : DE L’INDIVIDU AU POLITIQUE

Le film Silverlake Life1 présente le témoignage d’un couple d'hommes séropositifs en Californie, en 1993. Tom Joslin et Mark Massi, deux cinéastes, filment leur propre histoire. Lors de sa diffusion sur Arte, ce film était précédé du commentaire suivant : "Lorsque Tom Joslin et Mark Massi apprennent qu’ils sont séropositifs, ils décident de fixer avec leur caméra au jour le jour l’évolution de leur maladie. Si le film est d’une certaine façon la chronique d’une mort annoncée, il est aussi une histoire d’amour ou des moments d’humour et de tendresse alternent avec d’autres marqués par la douleur et le désespoir". Ce commentaire assez limitatif cantonne le film dans une dimension d'histoire individuelle. Mais il en occulte la portée politique revendiquée par les auteurs et son importance culturelle : le sida a bousculé notre culture et l'a marquée avec force et le cinéma a joué un rôle considérable dans cette provocation. La question du corps y devient centrale. Le contexte de l'épidémie va forcer la parole face aux tabous : parler est désormais vital. Le silence, la morale apparente, les discriminations n'entraînent plus seulement des injustices et leur cohorte de vies gâchées ; elles deviennent mortelles.

2. QUEL CINÉMA ?

Le film se présente comme un journal vidéo. Mais il dépasse largement les limites de ce qui pourrait n'être qu’un reportage d'une situation de crise : c'est une véritable œuvre dramatique où les personnes filmées deviennent leurs propres personnages dans le cadre d'une mise en scène documentaire qui le rapproche d'une fiction. Il met en scène la souffrance, le corps malade, l'humain qui va mourir. En cela, il s'apparente à une tradition séculaire des arts de l'image : Christ crucifiés ou au tombeau, gisants, victimes des grandes épidémies, cadavres sur les champs de bataille, leçons d'anatomie ou scènes médicales, corps douloureux et torturés contrastant avec les représentations de la beauté, de la jeunesse, de l'harmonie. Mais, ici, ce sont les malades eux-mêmes qui se filment et s'offrent au regard d'autrui dans le cadre d'une œuvre marquée par la sobriété.

Pourquoi mettre ainsi en spectacle et exposer publiquement leurs corps malades et leur vie commune ? Quel impact recherchent-ils ? Quelle urgence y a-t-il derrière ce geste cinématographique ?

Ce film intimiste, loin de l'exhibitionnisme auquel il aurait pu succomber, ne cède ni à la complaisance ni au désespoir. Le refus du pathos permet à l'émotion vraie de surgir. C'est un regard

1 Silverlake Life : The View from Here, 1993, 99', documentaire. Réalisation : Tom Joslin, Peter Friedman. Production : Peter Friedman, Tom Joslin. Participation : Channel 4. Les citations en français proviennent des sous-titres du film.

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triste et tendre sur une vérité inattendue qui vient ravager des existences heureuses, mais une vérité qu'il faut regarder en face et nommer, pour mieux l'affronter. En se mettant en scène, Tom et Mark affrontent leur propre pudeur, la transgressent parfois, concentrés sur l'objectif et le sens de leur film : montrer la vérité afin qu'elle soit connue et reconnue.

C'est donc sans apitoiement ni sentimentalisme qu'ils vont nous raconter une histoire d'aujourd'hui, l'histoire de leurs corps, une tragédie intense et déjà banale, vécue par deux amis, deux amants, qui se recentrent sur l'essentiel car le temps est compté. Chaque moment, chaque geste, chaque parole prend alors un poids particulier, une importance démesurée, un sens que le quotidien des existences ordinaires ne permet plus d'appréhender. Leurs corps qui s'altèrent les plongent dans un autre rapport au temps, à l'espace, au savoir ; ils ne partagent plus les enjeux communs. Déjà, ils commencent un deuil. Le film peut ainsi se déployer en longues séquences au rythme lent, à l'encontre des modes en cours, dans cet accompagnement vers la mort où le moins malade aide l'autre à mourir. D'une certaine manière, ils sont libérés des limites que les enjeux quotidiens nous imposent et accèdent ainsi à un stade au-delà des limites, sublime selon l'étymologie même du mot, où l'homme affronte son histoire en refusant qu'elle soit destin.

La représentation n'est pas simplement celle d'une maladie dont le cinéma manifesterait les symptômes : c'est avant tout celle d'humains malades, de leur vécu, de leur vie affective, psychologique et sociale. C'est aussi la représentation d'un drame collectif à travers une histoire singulière, une histoire de corps, un documentaire à valeur exemplaire proche d'une fiction, voire d'un mythe. Rappelons le contexte, 1993 : pour les séropositifs, l'époque est rude. Médicalement d'abord : la maladie est repérée depuis treize ans environ. Elle marque le corps comme territoire envahit et ravagé par un ennemi intime et insaisissable. Aucun traitement n'existe, le monde scientifique et médical est désarçonné. On tâtonne. L'humanité se retrouve devant une grande épidémie comme celle qui l'avait déjà décimée au XXe siècle, la grippe espagnole, responsable de 30 à 40 millions de morts, le chiffre actuel des séropositifs dans le monde. On avait cru l'époque des grandes épidémies révolue.

Elle est rude aussi humainement parce que la maladie équivaut à une condamnation à mort, lente et cruelle, où le patient et ses proches sont confrontés au spectacle de leur propre dégradation physique. Le corps s'affaiblit, s'amaigrit, tombe malade, le sarcome de Kaposi le marque, comme un tatouage : c'est une décomposition. Une lèpre plutôt qu'une peste, même dans sa transmission : par contact, essentiellement sexuel, et non par la propagation de miasmes pestilentiels. Après les années heureuses de la "révolution sexuelle", un obstacle inattendu vient réintroduire des limitations là où les censures étaient abolies.

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Mais la transmission se fait aussi par transfusion sanguine et de mère à enfant. C'est donc une maladie qui engage la relation, le couple, la famille, le cercle d'amis, autant que la société. Elle en tire son importance culturelle, celle précisément qui va marquer notre époque de manière décisive. Rude encore parce que l'épidémie provoque des réactions de panique qui se traduisent par la résurgence des vieux démons : discrimination, mise au pilori. La chasse aux sorcières s'ouvre et les sorcières sont d'abord les homosexuels et les Africains qui deviennent des figures de la contamination. La société cherche à se protéger d'une maladie d'autant plus dangereuse qu'elle est invisible à ses débuts et connotée par les catégories du déviant et de l'étranger.

Les milieux religieux conservateurs s'y mêlent avec leurs litanies de prêches et de malédictions. Ils semblent trouver là une revanche sur cette libération des corps qu'avaient permis la contraception, l'IVG, les unions libres, l'homosexualité revendiquée et de manière générale tout comportement libéré du modèle traditionnel. Ils entravent violemment les campagnes de prévention au nom de leur morale qu'effraye le préservatif. Le séropositif contaminé par voie sexuelle est considéré comme responsable de ce qui lui arrive ; il est puni. Pire, la contagion devient une agression que des corps nuisibles, toxiques, exerceraient contre les corps sains. Le sida devient une maladie délinquante, le corps une arme de destruction. La terreur inhibe les facultés rationnelles et livre les consciences aux croyances ; le sida défie l'Etat de droit en agissant comme révélateur des pulsions totalitaires latentes et violentes qui hantent la société et se manifestent avec une force surprenante. C'est l'époque où des politiciens populistes exploitent la terreur. Ils parlent de sidaïques et ou de sidatoriums, ces léproseries où l'on pourrait concentrer et isoler, renouant ainsi avec les techniques de renfermement2 les plus archaïques et les plus cruelles : ensevelir des corps vivants.

Que peut opposer à cela un couple accablé par l'annonce de sa séropositivité ? Un défi à relever. Celui d'opposer à ces préjugés un nouveau regard sur l'humain et ses comportements. Car l'époque s’ouvre aussi à la conquête d'un nouvel espace de liberté. Et l'arme de ce défi sera leur corps, précisément, sous la forme d'un don, un don fait par ces hommes qui se mobilisent, au nom d'une solidarité avec les autres séropositifs, et au nom d'une volonté transformatrice qui cherche à engager le monde vers plus de civilisation. Leur démarche est altruiste. Ils vont faire ce geste, ils vont donner leur corps, non à la médecine dont ils ont bien des raisons de se méfier, mais au cinéma. Ils trouveront ainsi dans le cinéma, leur métier, une raison de lutter, la possibilité de partager leur culture, l'arme d'un combat politique. Ils choisissent de faire face ainsi et non de se retirer dans une solitude accablée, désinvestissant le monde extérieur. Ils s'engagent dans la construction d'une image positive de leur couple et, du même coup, de tous les couples homosexuels. En donnant leur corps au cinéma, ils le donnent aussi à la communauté.

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3. CAMÉRA AU CORPS

Le cinéma précisément s'occupe beaucoup des corps. Une caméra ne peut pas, en effet, filmer la tristesse, mais elle peut filmer une larme qui coule sur une joue. Elle ne peut pas filmer l'amour, mais elle peut filmer deux regards échangés, un baiser, une main sur la peau. Elle ne peut pas filmer la violence, mais elle peut filmer un coup porté ou un homme enfermé. Le corps au cinéma est la fois signe et sens. "Un corps n'existe que traversé par les trajets du plaisir et de la douleur, c'est cela qui se perçoit et qui se communique. Il n'existe que dans l'entrecroisement des marques mobiles qui forment son gestuel et l'expression de son visage3."

Le cinéma devient un trait d'union, le support par lequel se concrétise une information, une émotion, une intuition, une raison de penser et de méditer. C'est la quête d'un équilibre difficile devant l'indicible, la volonté de laisser une trace. Ou tout simplement l'humain, tel qu'il apparaît et que Tom et Mark vont mettre en scène. Ces corps qu'ils veulent nous faire connaître, c'est leur personne, leur histoire, leur raison, leurs émotions, leurs mots, leur engagement, leur fragilité et leur force. Et ces deux hommes ont bien des raisons de donner ainsi leur corps au cinéma : ils ne demandent pas un baiser au lépreux mais un regard sur leurs corps en vie, en relation, en amour, en métamorphose et en souffrance. C'est sur leur être et leur existence, qui ne se limitent pas aux avatars biologiques d'une maladie mortelle, que se porte un regard global. Les représentations qu'ils entendent ainsi construire sont marquées par la complexité de l'humain et ne sauraient se réduire à quelques stéréotypes univoques. De leur film, cette œuvre ultime où se confondent la vie et la création, on peut retenir plusieurs images emblématiques.

Le film commence sur l'image de la solitude. Mark est seul. Il est celui qui reste, celui qui a accompagné son ami jusqu'à la mort mais qui n'aura pas, en retour, le même "privilège". Il évoque avec nostalgie leur relation devant les cendres de son compagnon. En regardant la caméra il précise que la vie n'est pas le cinéma, invitant le spectateur à un regard distancié. Il délimite ainsi nettement les rôles : s'ils sont cinéastes, ils sont surtout acteurs autobiographiques et ce qu'ils mettent en scène, ils l’éprouvent et le vivent jusqu'au tréfonds d'eux-mêmes, sans fard ni protection.

Et pour ne pas en douter, cette image fantomatique, cette silhouette qui apparaît soudain. On y voit l'ombre d'une tête qui bouge lentement derrière un rideau, anonyme. Décharnée, les oreilles et le nez saillants, elle se meut lentement, cherchant à fixer désespérément un point d'ancrage quelconque. Un corps plombé par l'asthénie. Une image qui nous renvoie immédiatement à des réminiscences sans concession : celles des déportés, celle encore des affamés des grandes famines et guerres du siècle, visages émaciés à mi-chemin entre la vie et la mort, profils de momies

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vivantes. Des corps qui perdent leur chair. Mais, précisément, ni la faim, ni la guerre, ni la déportation ne sont des phénomènes naturels. Leur caractère éminemment politique en fait des situations déterminées par les conduites humaines. Et le sida, s'il est maladie provoquée par un virus, ne saurait se limiter à un malheur naturel : sa dimension politique et culturelle est d'emblée affirmée par cette image vacillante qui place le film dans un contexte historique et social.

Des séquences les montrent entre les mains de la médecine. Tom est pris en charge par des médecins visiblement gênés. Ils n'ont aucune réponse convaincante. Probablement sûrs de l'issue fatale ils font, au mieux, semblant de soigner. Ces soins palliatifs laissent l'illusion agir quelques moments encore. Mark, plus écologiste, est pris en charge par des herboristes qui lui concoctent d'infâmes bouillies et tombe entre les mains de vrais escrocs, gourous invoquant des esprits dans un Miracle Manor, tellement caricaturaux qu'aucun scénariste n'oserait les intégrer à une fiction. Un autre passage les montre vingt ans auparavant, quand tout cela a commencé, et que Tom et Mark avaient décidé d'affronter le regard de leur famille : déjà, ils avaient utilisé le cinéma, s'étaient mis en scène, pour annoncer leur projet de vie commune. Renonçant au pacte de l'hypocrisie, ils ont choisi d'affirmer leur identité : une affirmation, pas un aveu. Leur sexualité y est présentée et assumée. "Je ne veux plus mentir, je veux faire ce film". On y voit leurs corps jeunes et beaux, les corps de deux amoureux qui regardent la caméra pour dire des choses aussi simples que le sentiment et le désir mutuel qui les réunit. Et cela provoque des réactions affolées auprès de la famille : une mère, désespérée mais résignée et finalement assez bienveillante ; un père horrifié, mais qui se résigne également et ne coupe pas les ponts avec son fils. Une tragédie banale sur les tabous qui entourent les corps et leurs actes. Mais aussi les paroles amicales d'une belle-sœur empathique qui permettent de mesurer l'évolution du regard. Les fêtes de familles, auxquelles ils participent, se poursuivent. Mais en mettant en scène leur vie commune, Tom et Mark s'exposent. Ainsi ils revendiquent un droit, un droit clairement et fortement affirmé par la description de cette vie partagée. "Gay is Revolution" dit Mark. "Le sida est apparu comme un moyen de renforcer la conscience identitaire homosexuelle"4.

Mais quand la maladie arrive et la caméra retrouve sa fonction de confidente, les corps, filmés vingt après, sont émouvants et terribles : affaiblis, amaigris, se déplaçant lentement, le regard intense, un sourire triste flottant sur leurs visages. Ils luttent contre un épuisement sans fin. Le regard est direct, le spectateur pris à témoin et impliqué, le scandale manifeste : la mort dans la jeunesse.

Une scène-clé les montre dans la piscine d'amis. Tom nage avec difficultés. Mark exhibe son corps marqué par le sarcome de Kaposi. Bien que la propriétaire de la piscine ait une attitude éclairée et généreuse, Mark est irrité : "Elle veut que je garde ma chemise pour ne pas faire peur, mais cela

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renforce ce mauvais côté en moi, le fait de rejeter mon corps". Il montre alors son dos en déclarant : "I'm being political", l'affirmation d'un geste politique. C'est un moment essentiel du film.

Leur vie quotidienne se poursuit ainsi lentement jusqu'à l'inéluctable. Bientôt Tom est défiguré, un œil fermé. On doit le nourrir comme un enfant. Le 25 juin, il gît, nu et décharné : il vient de mourir. Mark filme en pleurant. La mise en scène de la mort, ultime tabou, est forte lorsqu'elle est, comme ici, image documentaire5. Ce statut la différencie de l'image de fiction : elle ne renvoie pas à ces morts innombrables jouées pour le cinéma et son culte de la violence spectaculaire ; entre le spectateur et l'image s'insinue alors le simulacre, le trucage qui rend supportable le spectacle d'une mort simulée. Elle est différente, surtout des images peintes. Elle n'est pas la trace du geste d'un peintre qui représente la douleur à travers un objet manufacturé : elle est l'empreinte directe, du corps souffrant, trace réelle de cette souffrance, image conservée d'un moment véritable qu'un humain à vécu et montré et dont la vidéo garde la mémoire, condamnant ce corps à exposer éternellement sa douleur. Aucun doute sur cette souffrance ; il n'y a pas controverse comme pour le Suaire de Turin. Voilà le don fait par ces hommes, le don de leur corps au cinéma. "Il est beau, non ?" dit Mark, égaré, se forçant encore à filmer.

Une série de scènes montrent alors le traitement que subit ce corps privé de vie : empaqueté dans un plastique, placé dans un corbillard où la caméra de Mark le suit dans un ultime geste de fidélité, comme un premier pas vers son deuil, comme une raison de laisser exploser la colère. Un paquet arrive quelques jours plus tard. Dans un petit sac en plastique transparent, une matière : le corps en cendres de Tom. Il y a quelque chose d'une profanation dans cette réduction des cendres à une marchandise emballée et expédiée comme un produit quelconque du commerce. Mark se coupe en ouvrant le paquet, des cendres tombent sur le parquet. "Tu te répands partout, Tom", dit Mark. Il place les cendres dans une urne de style oriental, tentative pour solenniser ce traitement trivial du corps. Les obsèques sont l'occasion de mesurer combien le regard des autres a déjà amorcé une mutation : le prêtre a des paroles positives et ouvertes, les amis témoignent. Mais c'est surtout la mère de Tom qui a changé de regard. Témoin de l'affection et de la fidélité indéfectible de Mark pour Tom, de la force généreuse qui les a animés, elle a compris le sens et l'intensité de leur relation. Elle adopte Mark qui approche de sa fin et l'accompagne. Un geste pathétique qui est au cœur du projet de ce film. Comme cette mutation s'est manifestée chez Mary, elle se développe chez les amis, et jusque dans les institutions, ainsi que le montre le sermon progressiste du pasteur aux obsèques de Tom : "Le pire peut arriver aux meilleurs". Un film qu'un ami va finir quand Mark à son tour va mourir…

5 Barthes R. (1980). La Chambre Claire . Paris : Seuil, p. 120 : "J'appelle référent photographique, non pas la chose

facultativement réelle à quoi renvoie une image ou un signe, mais la chose nécessairement réelle qui a été placée devant l'objectif, faute de quoi il n'y a aurait pas de photographie. La peinture peut feindre la réalité sans l'avoir vue."

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4. FIN ?

Avec le sida, Tom et Mark prennent conscience de ce qui se joue. Le lien entre le sida et la sexualité implique une approche globale de tout leur vécu et de leur relation avec l'environnement social. Ils ne peuvent plus laisser les vieilles hypocrisies hypothéquer leur existence et tant d'autres. Ils savent que c'est le moment, maintenant. Alors ils témoignent et montrent. Désabusés, sans vindicte, mais radicaux. Avec colère. Ce geste cinématographique place la caméra face à leur corps, leur vérité, et représente un acte essentiel dans l'affirmation d'un droit : en témoignant directement Mark et Tom reconquièrent une position de sujet. Le film échappe aux contrôles institutionnels, aux scientifiques, aux médecins, aux éducateurs, à tous les "officiels du sida" qui parlent d'une maladie qui ne les frappe pas et dont les patients sont les objets. Ce statut d'objet, Tom et Mark le refusent. Grâce à la caméra, ils renvoient eux-mêmes le reflet de leur maladie, sans déléguer cette tâche à d'autres. Avec violence. Il n’y a plus alors dans ce film que des sujets libres saisissant les outils de l’ère moderne pour crier leur témoignage et l’intégrer dans le flux incessant des images qui nous assaillent, avec l’espoir que celles-ci vont, peut-être, nous toucher. Loin des euphémismes ou des consolations de circonstance, le film s'attaque avec force et détermination à la tentation de la dénégation. Face à l'épidémie d'indifférence, Tom et Mark proposent à toute une génération une quête de la conscience. Par la mise en spectacle des corps, de la maladie, de l'amour, de la sexualité et de la mort, le cinéma va se livrer à une description minutieuse et concrète d'une maladie et du vécu du malade, aux frontières de l’observation médicale, de l’art et de la politique. Son ambition ultime restera sans doute de susciter des identifications, de modifier les regards et d'ouvrir des dialogues. C'est l'impact revendiqué, la raison de leur engagement.

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