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Les obligations de l'Etat vis-à-vis des étrangers et le circuit de l'exigence éthique

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Thesis

Reference

Les obligations de l'Etat vis-à-vis des étrangers et le circuit de l'exigence éthique

DIEYE, Papa Arona

Abstract

Quelles sont les obligations de l'Etat vis-à-vis des étrangers au regard du circuit de l'exigence éthique? C'est la question fondamentale qui fait l'objet de cette recherche. La première partie est consacrée à l'historique des relations entre droit et morale (Hobbes, Kant). On aborde dans la deuxième partie la théorie des sous-systèmes sociaux (Luhmann, Teubner). La troisième partie est consacrée à la théorie générale des obligations de l'Etat (Kant, Vattel, O'Neill), tandis que la quatrième partie qui est une étude de cas sur la politique d'asile suisse de la seconde guerre mondiale à nos jours, permet de vérifier et d'appliquer les théories développées dans les parties précédentes. A travers cette étude, on développe des concepts essentiels tels que l'obligation étatique, l'obligation parfaite, l'obligation imparfaite, l'obligation générale, l'obligation spéciale, la dignité humaine. On démontre aussi l'idée selon laquelle l'obligation parfaite qui est l'obligation que l'Etat a vis-à-vis de ses citoyens, prime sur l'obligation imparfaite, qui est celle que l'Etat a vis-à-vis des [...]

DIEYE, Papa Arona. Les obligations de l'Etat vis-à-vis des étrangers et le circuit de l'exigence éthique. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2010, no. SES 723

URN : urn:nbn:ch:unige-120869

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:12086

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12086

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LES OBLIGATIONS DE L’ÉTAT VIS-À-VIS DES

ÉTRANGERS ET LE CIRCUIT DE L’EXIGENCE ÉTHIQUE

LES OBLIGATIONS DE L’ÉTAT VIS-À-VIS DES

ÉTRANGERS ET LE CIRCUIT DE L’EXIGENCE ÉTHIQUE

Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève

Par Papa Arona DIEYE

Thèse présentée pour l’obtention du grade de Docteur ès sciences économiques et sociales mention : science politique

Membres du jury de thèse :

M. Claudio Bolzman, professeur, Haute Ecole de travail social, Genève et chargé de cours, Université de Genève

Madame Marie-Claire Caloz-Tschopp, professeure, Université de Lausanne M. William Ossipow, professeur, Université de Genève, directeur de thèse M. Frédéric Varone, professeur, Université de Genève, président du jury

Thèse N° 723

Genève, le 16 Février 2010

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La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 16 Février 2010

Le doyen

Bernard MORARD

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PLAN

INTRODUCTION...1 PARTIE I : HISTORIQUE DES RELATIONS ENTRE DROIT ET

MORALE………...6 CHAPITRE I : LES ORIGINES DE L’ETAT ET DU DROIT : HOBBES…….6 CHAPITRE II : LA CONCEPTION TRANSPOSITIVISTE DES

RELATIONS ENTRE DROIT ET MORALE………18 CHAPITRE III : LA CONCEPTION POSITIVISTE DES RELATIONS

ENTRE DROIT ET MORALE………...31

PARTIE II : THEORIE DES SOUS-SYSTEMES SOCIAUX………..42 INTRODUCTION : QU’EST-CE QU’UN SYSTEME SOCIAL ?...42 CHAPITRE I : LES CARACTERISTIQUES DES SYSTEMES SOCIAUX…47 A- LACOMPEXITE………..47 B- LA DIFFERENCIATION FONCTIONNELLE………..54 C- LE CARACTERE AUTOPOIETIQUE DES SYSTEMES

SOCIAUX………58 D- CLÔTURE ET COUPLAGE CHEZ LUHMANN……… 61 CHAPITRE II : LE SYSTEME JURIDIQUE………84

A- LE DROIT : UN SYSTEME AUTONOME ET AUTOPOIETIQUE…...85 B- LA REGULATION DE LA SOCIETE PAR LE DROIT………..99

PARTIE III : THEORIE GENERALE DES OBLIGATIONS DE

L’ETAT………..……….109 CHAPITRE I : LE CONCEPT D’OBLIGATION………109

A- L’OBLIGATION : UN CONCEPT DIFFERENT DU CONCEPT DE CONTRAINTE……… …109

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B- L’OBLIGATION : UN CONCEPT ETROITEMENT LIE A LA

LIBERTE (KANT)……….113

C- LA PERFECTION PERSONNELLE ET LE BONHEUR D’AUTRUI COMME ELEMENTS DETERMINANTS DE L’OBLIGATION CHEZ KANT……….... .120

CHAPITRE II : L’OBLIGATION MORALE ETATIQUE……….….124

A- VATTEL………124

1- L’OBLIGATION PARFAITE………..………130

2- l’OBLIGATION IMPARFAITE………...132

B- O’NEILL : OBLIGATIONS UNIVERSELLES ET OBLIGATIONS SPECIALES……… ……138

1 : UNE APPROCHE PAR LES OBLIGATIONS……….……...138

2 : JUSTICE ET OBLIGATION PARFAITE CHEZ O’NEILL..……..145

3 : VERTU ET OBLIGATION IMPARFAITE CHEZ O’NEILL…...150

C - STANLEY HOFFMANN………..157

D- OBLIGATIONS SPECIALES CHEZ ROBERT E GOOGIN…………161

CONCLUSION………...177

PARTIE IV : ETUDE DE CAS : LA POLITIQUE DE L’ASILE EN SUISSE : DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE A NOS JOURS………..181

CHAPITRE I : RAPPEL HISTORIQUE DE LA POLITIQUE D’ASILE EN SUISSE : DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE A NOS JOURS…….181

CHAPITRE II : UNE EVOLUTION SEMANTIQUE DE CONCEPTS AYANT TRAIT A L’ASILE………205

A- LA CONTRAINTE MORALE OU PRESSION PSYCHIQUE INSUPPORTABLE……….……208

B- ADMISSION TEMPORAIRE ET PROTECTION PROVISOIRE……218

C- LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES ABUS ET DE DISSUASION A TRAVERS LES NON ENTREE EN MATIERE (NEM)………..………...231

1- HISTORIQUE DES NEM ...231

2- LE REGIME JURIDIQUE DES NEM………...238

3- LES CONSEQUENCES JURIDIQUES ET SOCIALES DE LA DECISION DE NEM ET DE REJET D’ASILE……….254

CHAPITRE III : APPLICATION DE LA THEORIE DES SYSTEMES SOCIAUX ET DES OBLIGATIONS A LA POLITIQUE D’ASILE SUISSE………..258

A- LA RATIFICATION DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES

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SUR LE STATUT DES REFUGIES : UN CHANGEMENT DE NATURE D’OBLIGATIONS IMPARFAITES VERS DES

OBLIGATIONS PARFAITES ………...260

B- LA NAISSANCE DE LA LOI SUISSE D’ASILE ET SES IMPLICATIONS………276

C-LES NEM ET LA QUESTION DE LA DIGNITE HUMAINE………..296

1- LES OBLIGATIONS DE L’ETAT SUISSE VIS-A-VIS DES NEMS….297 2- HOSPITALITE ET DIGNITE HUMAINE………...336

CONCLUSION GENERALE……….347

BIBLIOGRAPHIE………..358

LISTE DES DOCUMENTS.……….…….368

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INTRODUCTION

Les évolutions de la société moderne ont largement consacré la dissociation du droit et de la morale. Les théories du droit positif qui expriment l’éthos dominant du système juridique des sociétés occidentales modernes traduisent parfaitement cette tendance. D’un autre côté cependant, on ne peut que constater la force et la permanence des exigences morales qui, sans cesse, sollicitent le système politique. L’objet de ce travail sur « les obligations de l’Etat vis-à-vis des étrangers et le circuit de l’exigence éthique » vise donc avant tout à voir quelles relations existent entre le droit et la morale car, les obligations de l’Etat vis-à-vis des étrangers concernent essentiellement les relations entre la politique, le droit et la morale.

L’intérêt de ce sujet se situe donc dans le fait qu’il touche à des questions aussi bien d’ordre éthique, que juridique et politique. Le concept de « circuit de l’exigence éthique », d’inspiration luhmannienne, témoigne de cette situation.

Dans toute société, il existe différents sous-systèmes. Le «circuit de l’exigence éthique » est ce circuit que traversent les différents sous-systèmes du système social. On peut dire que la morale, la politique, le droit et l’économie sont les systèmes principaux de la société. L’exigence éthique part, par exemple, du système moral et pour avoir des chances d’être prise définitivement en charge par la société, elle doit passer par le système politique avant de devenir du droit.

L’exigence éthique traverse donc un circuit avant de devenir une préoccupation

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officielle. Elle peut cependant rencontrer des obstacles en traversant ce circuit, mais lorsqu’elle parvient à passer, elle devient une disposition juridique.

Notre travail s’inspire tout particulièrement de l’œuvre de Niklas Luhmann, qui, aborde le droit comme un système autopoïétique. Les normes juridiques sont réinterprétées chez lui de façon à permettre une analyse purement fonctionnelle.

Sa conception positiviste du droit est traduite en termes fonctionnalistes dans un modèle de système juridique différencié entièrement autonome. L’autonomie du système juridique tient selon lui, entièrement à sa capacité à se réguler lui-même réflexivement et à se délimiter par rapport à la politique et à la morale. Il estime ainsi que « le système du droit acquiert sa fermeture opérationnelle grâce au fait qu’il est codé par la différence entre le légal et l’illégal et qu’aucun autre système n’est régi par ce code là.»1

Luhmann, à travers son approche systémique, défend l’autonomie du système juridique, mais aussi, de façon générale, l’autonomie des systèmes sociaux. Les systèmes sociaux sont donc indépendants les uns des autres et le droit ne peut en aucun cas être dépendant de la morale.

Le droit est-il réellement autonome ? Autrement dit, ne dépend-il pas de la morale ? Une analyse de son évolution historique permet de démontrer qu’il y a

1 Cité par HAYOZ, Nicolas, Société, politique et Etat dans la perspective de la sociologie systémique de Niklas Luhmann, Genève, Université de Genève département de Science Politique, Etudes et recherches n°25, 1991.

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une conception des relations entre morale et droit qui fait de ce dernier un instrument au service de la morale dont il dépend exclusivement.

Luhmann définit cependant les relations entre la morale et le droit comme des relations de couplage.

Dans le cadre de ces relations, il faut se poser la question de savoir si les obligations de l’Etat vis à vis des étrangers appartiennent au domaine du droit ou à celui de la morale. La théorie des obligations morales de l’Etat chez O’Neill nous est à ce niveau d’un apport capital. En effet, O’Neill, outre qu’elle définit les différents types d’obligations que l’on peut distinguer déjà chez Vattel et Kant, intègre un autre type d’obligations qu’elle nomme par le concept d’obligations spéciales pour les différencier des obligations générales. Son approche nous semble déterminante dans le cadre de ce travail car fondamentalement, elle est basée sur les obligations que peut avoir l’Etat vis-à- vis de ses ressortissants et vis-à-vis des étrangers, et non sur les droits que peuvent revendiquer les ressortissants d’un Etat ou les étrangers vis-à-vis d’un Etat tiers.

Les théories de Vattel, Kant et O’Neill nous permettent d’approfondir la relation entre obligation parfaite et obligation imparfaite. On peut dorénavant affirmer que l’obligation parfaite prime sur l’obligation imparfaite et que les Etats ont une obligation morale d’accorder la priorité à leurs citoyens. Il faut cependant ajouter que cette priorité ne doit en aucun cas être un prétexte pour tout Etat de négliger ses obligations, imparfaites, vis-à-vis des autres.

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La relation entre obligation parfaite et obligation imparfaite permet de définir le concept de défaillance étatique. La situation de défaillance arrive lorsque l’Etat n’arrive pas / ou plus à remplir ses obligations parfaites vis-à-vis de ses citoyens.

La politique suisse d’asile qui est riche d’événements entrainant différents types d’obligations vis-à-vis des étrangers, nous permet d’appliquer concrètement les théories développées dans le cadre de cette étude.

Ce travail est divisé en quatre parties.

Dans la première partie, il est question d’analyser l’historique des relations entre morale et droit. L’étude des origines de l’Etat et du droit à travers l’œuvre de Hobbes, permet de voir quel est le rôle principal du droit dans l’Etat. Il faut ensuite analyser la conception transpositiviste des relations entre morale et droit avant d’en venir au positivisme juridique qui considère le droit comme une discipline purement autonome.

La deuxième partie est consacrée à la théorie des systèmes sociaux et s’inspire particulièrement de l’œuvre de Luhmann. Après la réponse à la question de savoir qu’est ce qu’un système social, il est question de définir les caractéristiques des systèmes sociaux et de voir comment est ce qu’ils parviennent à entretenir des relations à travers le couplage. L’étude du système juridique permet de voir concrètement comment ce phénomène de couplage entre la morale et le droit fonctionne.

La troisième partie développe la théorie des obligations de l’Etat. A travers, Vattel, Kant, O’Neill, mais aussi Hoffman et Goodin, on est au clair sur les

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obligations de l’Etat vis-à-vis de ses ressortissants, mais aussi vis-à-vis des étrangers.

La quatrième partie est une étude de cas consacrée à la politique suisse des réfugiés, de la fin de la seconde guerre mondiale à nos jours. Cette étude permet de vérifier et d’appliquer les théories développées dans les parties précédentes.

Dans ce cadre, on analyse les décisions politiques essentielles ayant trait à l’asile qui ont été prises au lendemain de la seconde guerre mondiale et l’adoption par la Suisse de la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés constitue un repère incontournable.

Un moment fort de la politique suisse sur les étrangers est le 24 septembre 2006 où la dernière révision de la loi sur l’asile, comme la nouvelle loi sur les étrangers, a été approuvée par le peuple à une très large majorité (près de 70%).

A travers ces moments clés, il faudra analyser sur le plan éthique l’attitude de la Suisse vis-à-vis des réfugiés, comment elle a pu concilier ses obligations envers ses propres citoyens et celles qu’elle a vis-à-vis des étrangers au regard du circuit de l’exigence éthique.

Au final, on peut affirmer l’idée selon laquelle les obligations de l’Etat vis-à-vis des étrangers concernent aussi bien le droit que la morale.

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PREMIERE PARTIE :

HISTORIQUE DES RELATIONS ENTRE DROIT ET MORALE

A travers Hobbes et les origines de l’Etat, on peut mieux comprendre le rôle du droit dans l’Etat. Après cela, nous insisterons sur la conception transpositiviste des relations entre morale et droit avant de développer le positivisme juridique.

Chapitre I : Les origines de l’Etat et du droit : Hobbes

Etudier les origines de l’Etat et du droit nous permet d’insister sur les théories de la convention (les théories du contrat politique et les théories du contrat social) mais aussi les théories de la fondation (chez les juristes) qui fournissent toutes des explications différentiées sur la naissance de l’Etat et le droit.

Il y a deux théories de la convention : la théorie du contrat politique développée essentiellement par John Locke et Thomas Hobbes, et la théorie du contrat social développée par Jean Jacques Rousseau. La théorie du contrat politique repose sur l’idée qu’il y aurait une convention entre le détenteur du pouvoir politique et les membres de la collectivité humaine considérée. Il convient ici d’insister sur l’œuvre de Thomas Hobbes. En effet, c’est d’abord cet auteur qui dans son ouvrage le Léviathan a proposé une présentation d’un tel contrat. C’est l’Etat qui représente le Léviathan dont l’empire total aliène toute liberté

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individuelle. C’est un Etat qui est né de la peur et qui dissipe la crainte en imposant son ordre. Ainsi, pour vivre en paix, l’homme doit se dépouiller de son droit sur toute chose, mais avec la condition d’un comportement analogue de ses semblables. Et le pouvoir de l’Etat est transféré à un seul individu, ce qui explique l’instauration d’un absolutisme monarchique.2

Il est important ici d’examiner les conditions dans lesquelles ce contrat est conclu. Le concept d’ « état de nature » est essentiel dans l’œuvre de Hobbes.

Dans son ouvrage consacré au Léviathan Hobbes affirme :

« Dans un tel état, il n y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n’en est pas assuré : et conséquemment il ne s y trouve ni agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importées par mer ; pas de constructions commodes ; pas d’appareils capables de mouvoir et d’enlever les choses qui pour ce faire exigent beaucoup de force ; pas de connaissance de la face de la terre ; pas de computation du temps ; pas d’arts, pas de lettres ; pas de société ; et ce qui est le pire de tout, la crainte et le risque continuels d’une mort violente ; la vie de l’homme est alors solitaire, besogneuse, pénible, quasi animale et brève. »3

Cette époque, pourrait-on dire, constitue le moment pré -juridique ou pré –civil de l’histoire humaine. Dans l’état de nature, les individus vivent dans des conditions de précarité totale et Hobbes soutient cette idée lorsqu’il affirme :

« La compétition dans la poursuite des richesses, des honneurs, des

2 HOBBES, Thomas, Leviathan, Paris, Sirey, 1971.

3 Ibid., pp. 124-125.

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commandements et des autres pouvoirs incline à la rivalité, à l’hostilité et à la guerre, parce que le moyen pour un compétiteur d’atteindre ce qu’il désire est de tuer, d’assujettir, d’évincer ou de repousser l’autre. »4

Dans cet état, la condition naturelle des hommes se caractérise donc par l’omniprésence de la violence. La lutte et la compétition sont d’autant plus âpres qu’il existe une « égalité des aptitudes » entre les individus. Franck Lessay souligne que « l’homme le moins vigoureux a toujours la ressource de s’allier à d’autres pour triompher d’un plus robuste que lui »5. Dans l’état de nature, chacun est donc conduit à craindre les autres et à chercher à s’en protéger par l’accroissement de son pouvoir. Et Hobbes ajoute ainsi que « tout bien considéré, la différence d’un homme à un autre n’est pas si considérable qu’un homme puisse de ce chef réclamer pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui. »6

Aussi, chaque homme a intérêt à « se rendre maître, par la violence ou par la ruse, de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible, jusqu’à ce qu’il n’aperçoive plus d’autre puissance assez forte pour le mettre en danger. »7

La vie dans l’état de nature est insupportable dans la mesure où tout un chacun y jouit d’une liberté totale de poursuivre ses propres fins en l’absence de toute contrainte autre que la puissance des autres individus. Le concept de droit de

4 Ibid., p. 96.

5 LESSAY, Franck, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, Paris, PUF, 1988, p. 73.

6 HOBBES, Thomas, op., cit., p.121.

7 Ibid, p. 123.

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nature employé par Hobbes a une importance capitale car signifie tout simplement « la liberté qu’a chacun d’user comme il le veut son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature, autrement dit, de sa propre vie. »8 C’est donc dans ces conditions que naît l’état du Léviathan. Les hommes sortent, à travers ce pacte conclu avec le Léviathan, de l’état de nature pour entrer dans la vie civile. Ce passage est ainsi essentiel pour comprendre le rôle de l’Etat mais aussi du droit à travers lequel la sécurité, la propriété, la paix, sont garanties et respectées par et pour tout individu faisant l’objet de ce pacte.

Louis Roux estime dès lors que selon Hobbes le salut de l’homme se trouve dans

« le passage du monde de la nature au monde de la culture »9 ou encore que « le passage de la naturalité à l’humanité apparaît comme l’éducation de la volonté. »10

Quelles sont les conséquences de ce transfert du pouvoir vers la personne ou l’autorité du Léviathan ? Il convient de rappeler ici que la théorie de Hobbes constitue aussi l’une des plus brillantes théories sur les fondements de l’autorité dans l’Etat ou encore les théories de la souveraineté. La conclusion de ce pacte entre le Léviathan et les membres de sa collectivité entraîne ainsi une conséquence majeure décrite dans ce passage par Hobbes :

« Il est donc tout à fait clair, à nos yeux, tant d’après la raison que d’après l’Ecriture, que le pouvoir souverain, qu’il réside en un seul homme, comme dans

8 Ibid, p. 128

9 Cité par LESSAY, Franck, ,op., cit., p. 79.

10 Ibid.

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une monarchie, ou dans une assemblée, comme dans les républiques populaires ou aristocratiques, est tel qu’on ne pourrait imaginer que les hommes en édifient un plus grand. Et, encore qu’on puisse imaginer maintes conséquences mauvaises d’un pouvoir à ce point illimité, néanmoins, bien pires sont les conséquences de son absence, laquelle s’identifie à la guerre de chacun contre son voisin. »11

Deux conséquences sont à tirer de cette citation. D’une part la conclusion de ce pacte entraîne un pouvoir absolu de son bénéficiaire, d’autre part ce pouvoir absolu se justifie par les besoins de protection.

D’après la théorie hobbesienne, rien ne saurait en effet limiter ou borner le droit du souverain. Hobbes est ainsi considéré comme l’un des plus grands défenseurs de l’absolutisme. La conclusion du pacte social donne au souverain un pouvoir absolu et légitime à la fois. L’étendue de ses pouvoirs découle nécessairement de la volonté d’échapper aux maux de l’état de nature. Le souverain peut tout faire parce que les termes du contrat social lui en ont donné le droit. Il possède ce pouvoir absolu parce qu’il est le seul à s’être vu reconnaître la faculté de continuer à agir comme bon lui semblerait après la conclusion de ce pacte. Ce pacte constitue une alternative inéluctable car il oppose l’état de nature où tout est légitime puisque chacun est son propre souverain et l’état civil où cette souveraineté et cette légitimité appartiennent exclusivement au Léviathan.

Hobbes résume cette situation en affirmant que « tous les gouvernements

11 HOBBES, Thomas, op, cit, p. 219.

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auxquels les hommes sont tenus d’obéir sont purs et absolus. »12 La théorie de Hobbes est capitale pour comprendre ce que c’est que l’Etat, ses caractéristiques. En effet, il dégage ici l’une des caractéristiques fondamentales de l’organisation politique qu’est l’Etat : l’autorité. Tout Etat, qu’il soit monarchique, aristocratique ou démocratique a besoin de cette autorité, de cette puissance pour pouvoir exister et remplir ses missions. A travers le pacte octroyé par les membres de la collectivité, l’Etat acquiert comme le disent les juristes le monopole de la contrainte physique légale. Autorité, puissance, souveraineté sont donc des caractéristiques majeures de l’Etat.

Il faut aussi ajouter que le droit dont le moyen d’expression est la loi, constitue la prérogative principale de l’Etat pour régir la vie en société. Hobbes affirme ainsi que « la loi civile est, pour chaque sujet, l’ensemble des règles dont la république, par oral, par écrit, ou par quelque autre signe adéquat de sa volonté, lui a commandé d’user pour distinguer le droit et le tort, c'est-à-dire ce qui est contraire à la règle et ce qui ne lui est pas contraire. »13 A travers le respect des lois, les membres de la collectivité obéissent aux règles qui régissent la vie en société. Par ce pacte conclu entre le Léviathan et les membres de la société, ces derniers doivent obéissance au souverain.

Le deuxième trait fondamental de la théorie de Hobbes et qui constitue la contrepartie de ce pouvoir illimité et de cette obéissance totale peut se lire à travers le concept de protection. Il faut en effet affirmer que si les citoyens se

12 Ibid., p. 572.

13 Ibid, p. 282

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sont engagés à obéir complètement au souverain qu’ils se sont donné, c’est parce qu’ils trouvent dans cet engagement un grand nombre d’avantages beaucoup plus importants que les inconvénients. En effet, si le souverain jouit d’un droit illimité, c’est uniquement parce qu’il lui est assigné une action avec une finalité bien précise qui est d’œuvrer pour la sécurité et le bien-être des sujets. On peut affirmer que le souverain a lui aussi des obligations vis-à-vis de ses sujets. Par ce pacte, il est tenu de respecter ses engagements, de protéger ses sujets, d’assurer leur sécurité et leur bien-être. Il est dès lors obligé de réaliser les aspirations des membres de sa collectivité qui ont décidé de se débarrasser de leur liberté naturelle au profit de la vie civile sous certaines conditions. On peut dès lors affirmer que la protection est la contrepartie de l’obéissance.

A lire attentivement l’œuvre de Hobbes, on ne pourrait guère avancer que ce pouvoir absolu pourrait signifier pouvoir sans fin ou tyrannie. Le souverain est tenu de respecter ce pour quoi les membres de sa collectivité ont accepté de renoncer à leur liberté naturelle. Hobbes soutient cette idée en affirmant que « la fonction du souverain (qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée) est contenue dans la fin pour laquelle on lui a confié le pouvoir souverain, et qui est le soin de la sûreté du peuple : il y est obligé par la loi de nature. »14 Dès lors, il convient de dire que le contrat politique lie la soumission au souverain à l’obligation que reçoit ce dernier de pourvoir à la « sûreté du peuple ». Pour appuyer cette idée, François Rangeon affirme que si « Hobbes est, sans conteste,

14Ibid., p. 357

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un défenseur de l’absolutisme, le pouvoir souverain que dessine sa théorie est sans limite, à condition de viser le bien commun et de ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine. »15

Cette théorie sur l’origine de l’Etat a le mérite de dégager les différents éléments caractéristiques de l’Etat comme organisation politique. En effet, à travers ce contrat, les trois éléments clés qui composent l’Etat se trouvent réunis : l’autorité, le territoire et la population.

L’autorité, le pouvoir ou encore la puissance étatique soulève un certain nombre de questions. En effet qui détient ce pouvoir ? Cela pose le problème de la souveraineté dans l’Etat mais aussi de la souveraineté de l’Etat, souveraineté qui lui donne une indépendance totale vis à vis des autres Etats. La principale caractéristique de cette souveraineté c’est la contrainte physique et légale dont le pouvoir étatique est le seul bénéficiaire. L’Etat a ainsi le monopole de la contrainte physique légale, ou encore la « compétence de la compétence ».

Cette compétence s’exerce cependant sur un territoire exclusif et déterminé.

C’est le deuxième élément de l’Etat.

Cette compétence s’exerce aussi sur une population déterminée, c’est le troisième élément de l’Etat. Ce troisième élément qu’est la population de l’Etat soulève aussi un certain nombre de questions à savoir qui sont les ressortissants de l’Etat ? Quels sont leurs droits ; autrement dit, quelles sont les obligations de la puissance étatique vis-à-vis de ses ressortissants.

15 RANGEON, François, Hobbes, Etat et droit, Paris, Albin Michel, 1982, p. 108.

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Autre question étroitement liée à celle-ci : quelles sont les obligations de l’Etat vis-à-vis, non pas cette fois de ses ressortissants mais des étrangers qui sont dans ses limites territoriales, et subsidiairement, ses obligations vis-à-vis des étrangers tout court.

Toutes ces questions sur l’Etat montrent une chose essentielle, à savoir que l’Etat a des obligations, qu’il a des missions à remplir. On pourrait dès lors avancer que l’Etat est un instrument téléologique. Cependant comment parviendra-t-il à remplir ses missions ? On peut dire que l’Etat remplit ses missions en se dotant d’une organisation cohérente et structurée dont le système juridique constitue le noyau central. A travers le droit, l’Etat régit la vie en société. Cependant, à travers ses objectifs et notamment ce contrat politique, l’Etat se prévaut d’une certaine moralité qui pourrait-on dire, sous-tend ses actions.

Il convient dès lors de voir en quoi consiste le droit et quelles sont ses relations avec la morale. L’œuvre de Hobbes est aussi fondamentale pour comprendre les relations qui existent entre morale et droit.

Hobbes serait le précurseur de la doctrine du positivisme juridique. Dans son ouvrage célèbre, il affirme en effet que « la loi civile est, pour chaque sujet, l’ensemble des règles dont la république, par oral, par écrit, ou par quelque autre signe adéquat de sa volonté, lui a commandé d’user pour distinguer le droit et le

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tort, c'est-à-dire ce qui est contraire à la règle et ce qui ne lui est pas contraire »16 La loi serait donc l’expression de la volonté du souverain, le commandement du souverain indépendamment de tout système de valeurs. Hobbes serait ainsi le premier positiviste juridique. La loi elle-même, en tant que commandement du souverain, n’est que l’expression d’une volonté. Le « volontarisme » de Hobbes ne semble avoir aucune limite…Et si, par ailleurs, le droit ne tire pas sa qualité légale de son contenu intrinsèque, mais uniquement de la volonté du souverain, il n y a manifestement aucun moyen de faire dépendre sa valeur d’une mesure objective, que ce soit de la « justice » ou de la loi naturelle, ou même de la moralité positive. »17

Il convient cependant de dire que notre interprétation de l’œuvre de Hobbes permet tout au contraire d’affirmer que si la dimension formelle de la loi comme volonté du souverain est essentielle dans sa théorie, le contenu de la loi est tout aussi essentiel. La loi ne peut guère avoir n’importe quel contenu. Hobbes donne véritablement une dimension morale à la loi. Il convient de citer certains passages de son ouvrage pour étayer ces propos. Il affirme dans le Béhémoth :

« quelles sont ces lois dites fondamentales ? Je ne comprends pas en effet, comment une loi peut être plus fondamentale qu’une autre, excepté cette loi de nature qui nous oblige tous à obéir à celui, quel qu’il soit, auquel nous avons légitimement et pour notre propre sécurité promis d’obéir ; ni quelle autre loi fondamentale il peut y avoir pour un roi que le salus populi , la sécurité et le

16 HOBBES, Thomas, op. cit. p. 282

17 Cité par LESSAY, Franck, op. cit. p. 179.

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bien-être de son peuple. »18 On retrouve encore ici cette dimension obéissance/protection qui montre d’une part que par le contrat les individus sont tenus à l’obéissance et que par le droit, le souverain dispose de la contrainte et de la sanction qui sont des éléments clés du droit ; mais aussi d’autre part que le souverain ne peut guère donner n’importe quel contenu à la loi civile. En effet cette loi civile doit avoir pour fondement comme le dit Hobbes le salut public, la sécurité et le bien-être. En outre, la définition que donne Hobbes de la loi de nature et la différence qu’il y a entre loi de nature et loi civile montrent aussi cette dimension purement morale de son œuvre. Chez Hobbes, le droit naturel occupe une place essentielle. Voici la définition qu’il donne de la loi de nature :

« Les lois de nature n’ont donc aucun besoin d’être publiées ou proclamées ; elles sont en effet contenues dans cette unique sentence, approuvée par tout l’univers : ne fais pas à autrui ce que tu estimes déraisonnable qu’un autre te fasse. »19

Dans le Léviathan, il affirme que « la loi de nature et la loi civile se contiennent l’une l’autre et sont d’égale étendue ».20 Or les lois de nature consistent dans l’équité, la justice, la gratitude et les autres vertus morales dépendant de ces premières. Et toutes ces qualités dans l’état de nature ne sont que des dispositions qui permettent aux individus d’œuvrer à la paix. Mais ces dispositions ne deviennent obligatoires ou effectives que dans l’état civil. Une

18 HOBBES, Thomas, Behemoth, pp. 67-68.

19 HOBESS, Thomas, De Cive, p. 290.

20 HOBBES, Léviathan, op. cit. p. 285

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fois le contrat civil adopté, ces qualités que l’on retrouve dans l’état de nature deviennent ainsi des lois civiles. Hobbes termine en observant que « la justice, autrement dit l’exécution des conventions et le fait de rendre à chacun ce qui lui revient, est un précepte de la loi de nature ; or tout sujet d’une république s’est engagé par convention à obéir à la loi civile (…) ; l’obéissance à la loi civile est donc également une partie de la loi de nature. »21

Il faut dès lors dire que le droit de nature est composé de deux éléments, d’une part ce sont les vertus et qualités telles que la justice, l’équité et la gratitude, qui disposent les hommes à œuvrer dans la paix. C’est ce que Hobbes appelle donc par le concept de loi de nature. Mais il y a dans ce droit de nature d’autres dispositions qu’on pourrait dire négatives car incitant l’homme à agir dans l’unique but de sa conservation propre au détriment des autres personnes. La loi civile est donc cette loi obligatoire pour tous les membres de la collectivité et qui officialise la loi de nature au détriment des autres droits négatifs dont on a fait allusion. On peut dès lors affirmer que dans l’œuvre de Hobbes le droit positif s’inspire véritablement du droit naturel.

Pour autant, doit-on dire que le droit doit être soumis à la morale ? Doit-il suivre aveuglément cette discipline au point de ne disposer d’aucune autonomie ? Cette interrogation nous permet d’aborder la conception transpositiviste des relations entre morale et droit.

21 Ibid.

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Chapitre II : La conception transpositiviste des relations entre droit et morale

Dans sa Métaphysique des mœurs, Kant entreprend une distinction entre le droit et la morale. Alors que les lois juridiques portent sur l’exercice extérieur de la liberté, s’assurant de la conformité des actions au droit, les lois éthiques évaluent la pureté morale des mobiles de l’action, c’est à dire leur accord intérieur avec la forme universelle de la loi : la moralité. Il affirme que « la doctrine du droit et la doctrine de la vertu se distinguent donc bien moins par des devoirs différents que par la différence de législation qui associe à la loi un mobile plus qu’un autre». Il définit le droit comme « l’ensemble des conditions auxquelles l’arbitre de l’un peut être accordé avec l’arbitre de l’autre d’après une loi universelle de la liberté »22. Le politique qui est le support institutionnel de ce pouvoir de contrainte, doit être caractérisé essentiellement comme l’instrument de la plus grande liberté possible pour chacun et pour tous, sans rien préjuger ni du bonheur ni de la vertu des citoyens. Le trait le plus propre du droit n’est toutefois pas son principe, qui le rapproche par le concept de liberté de la morale, mais son moyen. Kant affirme ainsi que « le droit et l’habileté à contraindre signifient donc une seule et même chose »23. Il parle ici de droit strict qui est formé pour les besoins de la cause et n’a d’existence que par le pouvoir de contraindre. En étudiant ces idées kantiennes, Olivier Dekens

22 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, première partie, Doctrine du droit, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1971, p. 104.

23 Ibid.

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constate qu’on pourrait reprocher à Kant un pragmatisme trop poussé, qui en excluant la morale du domaine politique, permettrait toutes les dérives. Mais il constate aussitôt qu’ « en réalité, sa définition du droit n’est pas univoque, et il maintient à côté de la puissance de contrainte un principe rationnel à la fois moral et juridique, qu’il appelle significativement lois naturelles, dont la légitimité est reconnue immédiatement par la raison »24. La définition du droit chez Kant éclate en deux pôles : l’un tourné vers l’application de la loi et déterminé par la force ; l’autre plus proche de l’impératif catégorique moral.25 Selon lui, le principe général du droit, objectivement sous-jacent à toute législation, résulte de l’impératif catégorique Cet impératif signifie qu’une norme morale adoptée par un individu à l’égard d’un autre ne saurait être contradictoire par rapport à celles qu’il applique à un troisième, etc., ni par rapport à celles qu’il voudrait que l’on observe vis-à-vis de lui-même.

D’Entrèves constate lui aussi que Kant est un fervent défenseur du droit naturel :

« Kant was indeed the most forceful exponent of natural law theory in modern days, when he maintained that the jurist should turn « to pure reason for the source of his judgments in order to provide a foundation for all possible legislation. »26

Habermas estime que chez Kant, le droit positif conserve un caractère essentiellement moral, aussi dit-il : « chez Kant, le droit naturel ou moral, déduit

24 Voir DEKENS, Olivier, Le devoir de justice, Paris, Armand Colin, 2004, pp. 34-50.

25 Ibid.

26 D’ENTREVES, A. P., Natural Law, An Introduction to Legal Philosophy, London, Hutchinson University Library, 1961, p. 115.

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à priori de la raison pratique, prend à tel point le dessus que le droit risque de se ramener à la morale ; en d’autres termes, le droit est presque rabaissé au rang d’un mode déficient de la morale ».27

Habermas critique aussi les idées développées par les positivistes (notamment Max Weber) sur la relation du droit et de la morale. Il aboutit ainsi au résultat selon lequel la légitimité de la légalité ne peut pas s’expliquer à partir d’une rationalité autonome inhérente à la forme juridique et dès lors indépendante de la morale ; mais qu’il faut bien plutôt la renvoyer à une relation interne entre droit et morale.28 Les qualités formelles du droit ne présentent selon Habermas des raisons légitimantes qu’à la lumière de principes ayant un contenu moral.

Habermas défend ainsi l’hypothèse selon laquelle la légitimité par la légalité est possible dès lors que les procédures qui président à la production des normes juridiques sont conformes à la raison à la fois en elle-même (y compris au sens d’une rationalité procédurale pratico-morale) et dans la manière dont elles sont menées.29 La légitimité de la légalité vient du fait que les procédures juridiques s’entrecroisent avec une argumentation morale qui obéit à sa propre rationalité de procédure.

27 HABERMAS, Jürgen, Droit et morale, Tanner lectures, Paris, Seuil, 1986, p. 82.

28 Ibid., p. 28.

29 Cette idée est défendue avec force par Habermas qui affirme : « Il faut tenir en compte du fait que les discussions juridiques, si elles sont bien sûr toujours tenues de respecter le droit en vigueur, ne peuvent pas pour autant se dérouler dans un univers clos de règles juridiques fixées de manière univoque D’où la stratification du droit moderne en règles et en principes. Nombre de ces principes, ainsi qu’on peut facilement l’établir en droit constitutionnel, sont de nature à la fois juridique et morale. Les principes moraux du droit naturel sont devenus le droit positif des Etats modernes constitutionnels. Pour cette raison même, les formes de justification institutionnalisées par la procédure juridique restent, du point de vue de la logique argumentative, ouvertes aux discussions morales. » Ibid, pp. 29-30.

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Il affirme ainsi que «l’ambivalence irritante de la prétention à la validité sous- jacente au droit positif ne s’explique que par le lien interne entre les procédures judiciaires et des argumentations qui se régulent elles-mêmes suivant des principes d’universalisation et d’adéquation. »30

Pour définir le droit naturel, on peut citer Henri de Page, dans une conférence donnée à la Faculté de droit de l’Université de Bâle, le 16 décembre 1935.

« La position fondamentale du droit naturel, qui subsiste nonobstant les formules si diverses qui en ont été proposées, peut se caractériser comme suit : il existe un droit supérieur, issu de la nature des choses, objectif, immuable, dont les droits positifs ne sont que les réalisations. Il existe en d’autres termes, un modèle, un archétype de la notion de droit, dont les différentes réalisations positives ne sont que des transpositions dans l’ordre humain, quelque lointaines et détournées qu’elles puissent, de prime abord, paraître. »31

Dans son article intitulé « La justice et le droit », André Wautier range les différentes doctrines auxquelles a donné lieu la philosophie du droit en deux catégories : les doctrines subjectivistes basées sur la volonté (de l’individu ou de l’Etat) et les doctrines objectivistes basées sur l’existence d’une règle supérieure indépendante de la volonté des sujets, l’idée de justice. Parmi ces dernières, il distingue :

30 Ibid, p. 91.

31 DE PAGE, Henri, L’idée de droit naturel, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1936, pp. 17-18.

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Celles qui voient en cette règle supérieure une règle de nature purement juridique ; c’est le positivisme illustré notamment par Carré de Malberg pour qui c’est l’Etat qui crée le droit.

Il distingue ensuite celles qui voient en cette règle supérieure une règle de caractère sociologique : l’idée de justice consiste en ce que la masse ressent comme tel. Cette tendance a été illustrée par Duguit, Politis, Scelle.

Wautier distingue enfin parmi ces doctrines objectivistes celles qui voient en cette règle supérieure une règle d’essence philosophique : c’est ce que soutiennent notamment les partisans du droit naturel, comme Grotius, Geny, Hauriou et Dabin.32 Ces derniers ont cependant des conceptions du droit naturel assez différentes car pour certains l’idée de justice est celle qui est définie par la religion, tandis que pour d’autres elle dérive d’une notion purement philosophique, voire métaphysique : le Juste. Wautier se range parmi ces derniers et pour définir le droit naturel, il définit d’abord le droit. Il affirme :

« Le droit est une technique qui consiste à trouver de bonnes formules pour énoncer les règles qui doivent régir la vie en société de façon à sauvegarder l’ordre public…Le droit n’est, en effet, ni un art, ni une science, puisqu’il n’a pour objet ni le beau, ni le vrai. C’est une technique de la justice, tout comme la logique est une technique de la recherche de la vérité. »33

32 WAUTIER, André, La justice et le droit, Bruxelles, Chez l’auteur, 1970, p. 9.

33 Ibid., p. 6.

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Quant à la justice, il estime que la meilleure définition reste celle du célèbre jurisconsulte romain Ulpien qui conclut que « c’est la volonté d’attribuer effectivement à chacun ce qui lui revient, ce à quoi il a droit »34

Wautier constate aussi que tout le problème revient à savoir comment déterminer ce qui revient à chacun ; et c’est ce que les législations des différents peuples s’efforcent de faire. L’ensemble de ces législations constitue le droit positif.

Pour aboutir au droit naturel, Wautier se pose une question importante :

« N’existe-t-il pas cependant certaines règles générales communes à tous les hommes, indépendantes des conditions de temps et de lieu, mais dont les règles consacrées par le droit positif ne sont que les applications particulières en un temps et en un endroit donnés ? Le droit naturel, constitue ainsi « cette partie de la philosophie qui a pour objet le Juste »35.

Le droit naturel existe donc indépendamment des variations du droit positif et il n’est pas rare que le droit positif se réfère implicitement au droit naturel.36

En soutenant des idées du doyen François Geny, Wautier estime que le droit positif est régi dans son élaboration comme dans son interprétation par des principes tirant leur origine d’une science plus haute, qui est la science de l’homme et de la vie de l’homme en société. Dès lors, le droit ne saurait être le

34 Ibid., (C’est lui qui souligne).

35 Ibid., pp. 6-7.

36 Comme le constate Wautier, « nombre de dispositions législatives prévoient que, dans certains cas, on aura recours à l’équité, c'est-à-dire, en fait, à ce qui est considéré comme juste par la plupart des hommes à un moment donné ou dans une société donnée, au-delà de tout texte légal, donc par référence à un droit non écrit, ni même coutumier, qui ne peut être que le droit naturel. » Ibid., p. 10.

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produit de l’arbitraire ou de la force, quelle que soit la force de celle-ci. Le droit est œuvre de raison.37 Nous partageons cette idée car le droit ne peut en effet avoir n’importe quel contenu. Wautier défend ainsi l’idée qu’il existe un au-delà du droit positif établi – un droit transpositif ou raison juridique non écrite- dont le juriste doit s’efforcer de saisir les indications pour les faire pénétrer dans le droit positif.

Le droit positif est donc l’ensemble des règles obligatoires pour tous destinées à faire régner la justice telle qu’elle est conçue par une collectivité donnée à une époque déterminée ; tandis que le droit naturel a pour objet l’idée même de Juste. L’objet du droit positif est non pas directement la justice mais l’ordre public. C’est à travers l’ordre public que le droit positif pourrait atteindre la justice ou plutôt la conception que la grande majorité des individus de la collectivité se fait de la justice.

Pour mieux comprendre cette conception transpositiviste des relations entre droit et morale, il convient d’insister sur l’œuvre d’A.P. d’Entrèves. Il affirme :

“ If we admit that the very assertion of natural law is an assertion that law is a part of ethics, its essential function can appear only as that of mediation between the moral sphere and the sphere of law proper. The notion of natural law partakes at the same time of a legal and of a moral character. Perhaps the best description of natural law is that it provides a name for the point of intersection

37 Ibid., p. 11.

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between law and morals. Whether such a point of intersection exists is therefore the ultimate test of the validity of all natural law thinking.”38

Cet auteur considère donc que le droit naturel est le pont ou l’intersection entre la morale et le droit. La morale est considérée comme le fondement ultime du droit. “The lesson of natural law is that the logical character of law does not necessarily imply a denial that law is a part of ethics. What language is to thought, norms are to values. Ultimately, it is on the basis of these that man makes his choice and determines his action. The transformation of a norm into a command is essentially a matter of subjective appreciation. Surely there is no command where there is no obedience.”39

D’Entrèves peut donc être considéré comme un fervent défenseur du transpositivisme. A travers sa conception, on constate que le droit ne peut pas revendiquer une totale autonomie vis-à-vis de la morale. La morale constitue ainsi le fondement référentiel du droit et le droit naturel n’est rien d’autre que le point d’intersection entre ces deux domaines :

“This point where values and norms coincide, which is the ultimate origin of law and at the same time the beginning of moral life proper, is, I believe, what men for over two thousand years have indicated by the name of natural law.”40

Dans son article intitulé « La loi morale fondement du droit » Hervé Barreau va dans la même direction que d’Entrèves et arrive à la conclusion que ceux qui

38 D’ENTREVES, A.P., Natural Law, An Introduction to Legal Philosophy, London, Hutchinson University Library, 1961, p. 116

39 Ibid., pp. 120-121.

40 Ibid., p. 122.

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prennent la morale au sérieux ne la limitent pas à la sphère des intentions mais l’étendent à celle des responsabilités, c’est à dire des actions assumées et des comportements publics.41 D’un autre côté, ceux qui s’occupent du droit se refusent à faire de la loi un simple code de la conduite.42 Dès lors, il estime qu’une loi ou une sentence juridique ne doit pas seulement établir ou rétablir un certain équilibre social mais doit aussi rencontrer l’acquiescement moral de la plupart des personnes concernées. Il affirme ainsi que le droit naturel est précisément le pont exigé entre la morale et le droit positif ou encore l’incursion de la morale dans le domaine juridique.43 Il conclut que « l’existence humaine appelle la justice, qu’elle oblige à la moralité des actions, que son droit repose sur la loi naturelle, il n y a pas de raison d’opposer la morale et le droit, c’est la morale qui s’impose comme le fondement, non pas unique, mais principal du droit. »44

Dans sa critique de la conception strictement juridique du droit naturel, Barreau estime que les juristes qui s’accommodent d’une certaine séparation de la morale et du droit et trouvent dans Aristote l’initiateur d’une telle attitude, ont eu tort. Car dit-il, Aristote distingue bien la justice générale de la justice particulière, la première réglant toutes les actions humaines, la seconde s’attachant aux obligations particulières des citoyens dans une cité donnée ; et

41 Voir Ethique n°22, 1996/4

42 BARREAU, Hervé, « La loi morale fondement du droit », in Ethique n°22, 1996/4., p. 12.

43 Ibid., p. 15.

44 Ibid., p. 16.

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chez Aristote, c’est dans la justice générale que réside la sphère du droit naturel.45

Or chez les juristes, au contraire, qui suivent l’enseignement de Michel Villey, le droit naturel réside dans la justice particulière, qui, selon Aristote, s’exerce entre des particuliers qui échangent des biens, qui mènent leurs différends devant le juge, et qui, comme citoyens, se partagent les charges et les honneurs d’une cité.46

Il convient dès lors d’insister sur l’œuvre de Villey, dont la référence principale est Aristote. Il envisage le droit essentiellement « comme ce qui est juste », comme l’ensemble des bonnes relations entre les personnes et les « choses » (ce mot étant pris dans un sens très large, qui inclut les actes humains librement choisis, par exemple le fait d’indemniser autrui). Il souligne cependant que la connaissance de ce droit, de même que la connaissance du droit naturel en tant que différent du droit positif, provient non pas de la spécification des principes supérieurs de la raison pratique, mais de « l’observation de la nature » (y compris de « la nature des hommes » et de « sociétés elles-mêmes, données présentes dans la nature »). Il distingue rigoureusement entre la morale

45 A propos de cette distinction chez Aristote entre la justice générale et la justice particulière, il faut citer ce dans son œuvre Rhétorique : « Parlons d’abord des lois ; de l’usage qu’on doit en faire… Il est évident que, si la loi écrite est défavorable à notre cause, il faut avoir recours à la loi commune, à des raisons plus équitables et plus justes. Il faut dire que « dans le meilleur esprit » signifie ne pas appliquer à la rigueur les lois écrites ; que l’équitable demeure toujours et ne change jamais, non plus que la loi commune, laquelle est selon la nature, tandis que les lois écrites changent souvent ; d’où les paroles prononcées dans l’Antigone de Sophocle ; la jeune fille se défend en disant qu’elle a enseveli son frère contre la loi de Créon, mais point contre la loi non écrite : Loi qui n’est ni d’aujourd’hui ni d’hier, qui est éternelle… » ARISTOTE, Rhétorique, Paris, Les belles lettres, 1932, p. 1375 b.

46BARREAU, Hervé, op, cit, p. 17. Barreau conclut en affirmant que la loi morale doit inspirer en amont tout le droit positif, si la société dans laquelle on vit peut se dire humaine, et non une jungle régentée d’une façon arbitraire par une clique au pouvoir ». Ibid., p 18.

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individuelle, qui peut, selon lui être correctement guidée par les principes et les préceptes de la loi naturelle et « le droit » (juridique) fondé sur la dite

« observation ». Si ce droit fondé sur l’observation est aussi appelé droit naturel, il faut bien faire la distinction entre ce droit naturel et la loi naturelle. Si ce droit naturel peut être considéré comme l’ensemble des relations entre des personnes, à propos d’une affaire quelconque, relations sur lesquelles la morale est habilitée à se prononcer, la distinction consiste ainsi à dire que la loi naturelle est en tant que telle, l’ensemble des raisons (de principe) qui justifient l’affirmation de tel droit naturel. Ce dernier n’est donc que l’application de la loi naturelle à telle ou telle situation. Il y a bien une distinction entre droit naturel tel que conçu chez Villey et loi naturelle, mais en aucun cas une opposition capitale.47

Dans sa distinction du droit et de la morale, il se réfère à Aristote et affirme : « il existe un art qui s’attache à la vertu subjective de l’individu, ou à lui prescrire des conduites, y compris des conduites justes, celles de l’homme juste ; nous pouvons l’appeler la morale. Mais de la morale, se détache une autre discipline, qui vise à dire ce qui est juste, ce qui appartient à chacun. Science du droit. »48 Il ajoute que l’affaire du droit n’est pas de surveiller la vertu de l’individu, ni même de régler sa conduite : « il n’importe pas au juriste que subjectivement je sois honnête et rempli de bonnes intentions à l’égard des finances publiques ; seulement que mon impôt soit payé, non pas même, préalablement- c’est là le

47 Sur tous ces aspects, voir VILLEY, Michel, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, 1983.

48 VILLEY, Michel, Philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1986, p. 68.

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rôle de la science du droit- que soit découverte et définie la part d’impôt qui me revient »49

Villey affirme aussi : « L’idée du droit est la fille de l’idée de justice, mais désormais fait chambre à part. Avec Aristote, le droit a conquis son autonomie. »50 Son souci principal est donc de consacrer le doit en tant que discipline autonome, mais en aucun cas, il ne nie les relations qu’il y a entre droit et morale. Dans ce sens, il souligne : « Les lois (instrument forgé par les Grecs au service de l’ordre universel- soit que leurs auteurs fussent des philosophes ou les fondateurs des cités), ne doivent pas être confondues avec l’ordre même, que nous notions être « l’objet » de la justice générale. Quant à cet ordre universel, était-il correct de le désigner par le mot « droit » ? Cela est possible. Il ne vous est pas interdit de nommer « droit » l’harmonie générale du monde. Mais, c’est un droit dont les juristes n’auront rien à faire, d’ailleurs indicible, indéfinissable. »51

François Vallançon, étudiant et disciple de Villey constate que ce dernier s’oppose à la fois aux positivistes et aux moralistes : « D’une part face aux positivistes qui tenaient alors, et encore assez largement aujourd’hui, le haut du pavé, Villey a voulu réaffirmer l’impossibilité de limiter le droit à la loi. D’autre part, Villey s’oppose également aux moralistes qui désirent faire du Droit un

49 Ibid.

50 Ibid.

51 VILLEY, Michel, Le droit et les droits de l’homme, op., cit., p. 44.

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instrument de direction des conduites, réduisant les règles juridiques à des normes morales prescriptives. »52

Jean Piaget dans son étude sociologique intitulé « les relations entre la morale et le droit » estime qu’il s’agit tout simplement du critère de la substitution possible des termes d’un rapport juridique et de la non-substitution des termes du rapport moral.53 Le droit constituerait alors l’ensemble des rapports normatifs

« transpersonnels » de la société, tandis que la morale serait l’ensemble des rapports normatifs personnels.54 Se pose cependant la question de savoir si opposer les rapports personnels à termes non substituables aux rapports transpersonnels avec substitution possible des termes, pour distinguer la morale du droit, est-ce que ce n’est pas sacrifier la première au second et rendre incompréhensible l’universel par lequel Kant définissait l’impératif catégorique ? Piaget dans son critère de différenciation entre le droit et la morale estime ainsi que le rapport moral consiste en un échange de valeurs désintéressées parce que chacun des partenaires se place au point de vue de l’autre en adoptant son échelle, tandis que le rapport juridique suppose une simple conservation des valeurs acquises du point de vue d’une échelle commune et générale. Il estime dès lors qu’il s’agit des mêmes propositions, mais exprimées en un autre langage : la réciprocité des points de vue qui rend le

52 Voir, HIEZ, David, « Michel Villey en question », in NIORT, J.F, VANNIER, G (Eds), Michel Villey et le droit naturel en question, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 23.

53 PIAGET, Jean, « Les relations entre la morale et le droit », in Mélanges d’études économiques et sociales offerts à William E. RAPPARD, Genève, Faculté des Sciences Economiques et Sociales de l’Université de Genève, 1944, p. 50.

54 Ibid.

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rapport moral désintéressé est impliquée par les rapports de respect personnels tandis que la reconnaissance transpersonnelle suffit à la conservation des valeurs du point de vue d’une échelle générale.55

Chapitre III : La conception positiviste des relations entre droit et morale Pour être au clair sur les relations qui existent entre le droit et la morale, il convient de comprendre ce que c’est que le positivisme juridique et sur quels fondements il base ses idées sur l’indépendance du droit par rapport aux autres phénomènes sociaux tels que la morale. Pour donner une définition claire du positivisme juridique H.L.A Hart l’un des éminents défenseurs de cette doctrine distingue cinq éléments56 :

1-le droit est constitué de commandements émanant d’êtres humains ;

2-il n y a pas de rapports nécessaires entre le droit et la morale ou entre le droit tel qu’il est et le droit tel qu’il devrait être ;

3-l’analyse ou l’étude de la signification des concepts juridiques, mérite d’être faite et se distingue à la fois des recherches sur les causes et les origines du droit, des enquêtes sociologiques sur les rapports du droit et des autres phénomènes sociaux, et de l’appréciation du droit en termes moraux ou en termes de buts sociaux, etc.

4-un système juridique est un système logique fermé dans lequel des décisions correctes peuvent être logiquement déduites des normes qui préexistent sans

55 Ibid.

56 Cf. HART, H.L.A., Le concept de droit, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1976.

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qu’il soit fait référence à des buts sociaux, des intentions politiques ou des buts moraux ;

5-les jugements moraux ne peuvent être établis ou défendus rationnellement comme les jugements de fait.

Hart souligne qu’entre ces cinq points, il n y a pas de lien nécessaire.57

On peut constater à travers ces cinq éléments que le positivisme juridique prône une indépendance totale du système juridique et donc du droit par rapport à la morale. Il n’est dès lors pas tolérable pour les positivistes qu’on puisse donner un fondement moral au droit.

La base fondamentale du positivisme juridique est donc l’idée selon laquelle l’essence de la loi se trouve dans sa forme et non dans son contenu. Cette idée est défendue par Hans Kelsen qui, dans son célèbre Théorie pure du droit estime que les règles juridiques se distinguent des règles morales en ce que les premières tirent leur validité de leur « forme », caractérisée par une construction créatrice continue, et les secondes de leur « contenu », statique et non constructif. Selon lui, le droit règle sa propre création, c’est une hiérarchie de normes, telle que chacune d’entre elles soit à la fois application par rapport aux normes supérieures et création par rapport aux normes inférieures.58

On appelle tout cela l’ordonnancement juridique du système de droit. L’Etat de droit fonctionne en effet en respectant scrupuleusement sa hiérarchie des normes. Le principe de la hiérarchie des normes est ainsi le principe

57Ibid., voir pages 223-252 où il expose les différences entre le droit naturel et le positivisme juridique.

58 KELSEN, Hans, Théorie pure du droit, Neuchâtel, Editions de la Baconnière, 1988, p. 131.

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