• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : LE CONCEPT D’OBLIGATION

C) Stanley Hoffmann

Dans son ouvrage consacré aux problèmes de justice distributive internationale

“Duties beyond borders”, Stanley Hoffmann défend une position intermédiaire sur tous les problèmes liés aux obligations de l’Etat vis-à-vis des autres Etats, mais aussi vis-à-vis de l’individu en général. Selon lui, le problème de l’injustice internationale soulève des questions d’ordre aussi bien moral que politique et économique. Il se pose la question de savoir quelle est la portée des obligations de l’Etat vis-à-vis des autres Etats.

Hoffmann, à travers la portée des obligations, soulève trois visions principales : les minimalistes, les maximalistes et la position intermédiaire dont il se réclame.

Les minimalistes correspondent aux communautariens chez O’Neill. D’après les minimalistes, il n y a pas d’obligation concernant la justice distributive envers les autres Etats.323 La justice ne concernerait que les individus et pas les Etats.

Une autre raison fournie pour réfuter toute obligation envers les autres Etats mais aussi envers les autres individus qui ne font pas partie de notre communauté est justement le concept de communauté.324 Les minimalistes estiment qu’entre les Etats il y a une pure relation d’interdépendance et non de communauté. L’interdépendance fait appel à des facteurs matériels alors que la communauté fait appel à un facteur moral. Ils estiment que les fondements de la

323 A ce propos, Hoffmann Affirme: “The minimalist position consists in saying that we have no duties toward states or people other than our own, that our duties are to our own community only. In other words, it may be a matter of self-interest or prudence or charity to watch over conditions in the rest of the world, but it is not a matter of moral obligation.” HOFFMANN, Stanley, Duties beyond borders, New-York, Syracuse University Press, 1981, p. 151.

324 Ibid., p. 152.

158

communauté nationale n’existent pas au plan international. Ainsi sur le plan international, il n’y aurait que les intérêts des Etats, cela prime sur toute autre chose. Les précurseurs de cette tendance sont des théoriciens célèbres de l’Etat comme Machiavel, Bodin et Hobbes. A la place des principes universels du droit naturel, ces auteurs soutiennent la « raison d’Etat » comme la plus grande norme gouvernant le comportement des Etats.

Il y a en outre une raison fournie par les minimalistes, à savoir que même si on admet qu’on a un devoir ou une obligation envers les autres Etats ou les autres individus, on ne devrait pas faire de discrimination entre les « bons » étrangers et les « mauvais », entre ceux qui le méritent et ceux qui ne le méritent pas.325 Une autre raison fournie par les minimalistes et qui est d’ordre psychologique est que personne ou aucun Etat ne peut répondre complètement à toute la misère du monde.326 Cette position de Hoffmann est partagée et plus développée par O’NEILL sous le concept de « finitude humaine ».

Les maximalistes chez Hoffmann, qui correspondent aux cosmopolitiques chez O’Neill, ont une position tout à fait opposée à celle des minimalistes.327 Leur plus grand défenseur est Charles Beitz qui parle d’un « scepticisme moral international » pour désigner la tendance qui nie toute moralité dans les relations entre Etats et qui estime que les jugements moraux ne sont appropriés que dans

325 Ibid.

326 Ibid., p. 156. Critiquant la position minimaliste, Hoffmann affirme : « The minimalist view, logically, would deny obligations of justice even toward people who live on one’s community’s soil yet are not part of it, such as refugees or immigrant workers, except perhaps for providing a minimal level of subsistence. And, as others have pointed out, one can, after all, positively find a beginning of a sense of duty toward people in other countries, especially in matters such as famine or natural disasters.”

327 Ibid., p. 155.

159

les communautés politiques souveraines. Les maximalistes affirment donc que l’obligation concernant la justice est universelle et que malgré l’existence de nations et d’Etats différents, nous avons des devoirs envers toute l’humanité.

Beitz soutient que même si la société internationale est imparfaite, cela ne peut être une excuse. Selon lui, il n y a aucune raison qui puisse justifier la violation de la portée des principes moraux ayant trait à l’être humain.328 Le résultat de cette position est que les principes de justice domestique de Rawls doivent être appliqués au niveau mondial. C’est dans ce sens qu’il affirme:

“Each person has an equal prima facie claim to a share of the total available resources, but departures… could be justified…if the resulting inequalities were for the greatest benefit of those least advantaged by the inequality.”329

Hoffmann se situe dans une position intermédiaire entre les minimalistes et les maximalistes.330 Comme on a pu le souligner, la position maximaliste même si elle constitue un idéal de sagesse, est difficile à appliquer, ne serait-ce que pour des raisons d’ordre pratique. Une critique fondamentale de cette position de Beitz a été soulevée par Hoffmann ayant trait à l’application des principes de justice de Rawls au niveau transnational. Selon Hoffmann, cela voudrait dire qu’un Etat qui est juste sur le plan domestique, c'est-à-dire qui remplit dans ses

328 Beitz affirme : “It could be undermined only if one could prove that authoritative global institutions and a sense of global justice could never be attained or would have undesirable results. Secondly, while it is true that we have strong natal sentiments toward our community, we should not confuse natal sentiment with moral obligation. To put it bluntly, our obligation of justice toward the Bantus is exactly the same as our obligation of justice toward our immediate neighbours.” Cf Cité par HOFFMANN, ibid., p. 153.

329 BEITZ, Charles R, Political Theory and International Relations, Princeton, Princeton University Press, 1979, p. 141.

330 HOFFMANN, Stanley, op., cit., pp. 156-157.

160

frontières les principes rawlsiens, devrait être obligé de transférer des ressources à un Etat pauvre avec toutes les conséquences que cela pourrait engendrer, notamment si en faisant cela cet Etat risque de laisser en marge certaines catégories de sa propre population.331 Il cite ici une vieille notion kantienne qui stipule que « là où il y a infaisabilité, impossibilité, il ne peut y avoir d’obligation. »332 Cela veut tout simplement dire en termes de O’Neill que l’obligation spéciale constitue la règle et l’imparfaite l’exception ou encore que le droit de conservation prime sur le devoir d’assistance. Nous partageons l’idée de Hoffmann selon laquelle le fait qu’il y ait de fortes obligations envers nos compatriotes ne nous dispense pas des obligations envers les autres.333 Les problèmes de justice internationale concernent donc aussi bien les Etats entre eux que les individus.

Si O’Neill privilégie une approche pratique qui est plutôt cosmopolitique, Hoffmann estime quant à lui que la portée des obligations morales varie en temps et en espace. Il affirme à ce sujet:

« The scope of our obligation to individuals in other societies varies in time and in space… Our sense of obligation is of cause strongest in our own community, but it also exists within larger groups, communities intermediate between the

331 Ibid., pp. 155-156.

332 Ibid., p. 156 où Hoffmann affirme : « One is left with the old Kantian notion, that when there is unfeasibility, impossibility, there can be no obligation. »

333 Et Hoffmann aboutit à la conclusion suivante : “ Our duty is partly to states, partly to individuals. And our state of conscience is somewhere in between the argument that we owe nothing, except a dole, outside of our community and the argument that we owe the same thing, full justice, to all mankind.” Ibid., p. 164.

161

national one and mankind (let us say, the European community, for West Europeans), and it gets weaker as one goes farther away.”334

La remarque que l’on peut faire par rapport à cette position est dès lors de savoir si notre obligation envers les étrangers peut aussi dépendre d’un élément comme la distance, à savoir si cette obligation devient de plus en plus faible à mesure que l’on s’éloigne. Cela voudrait dire par exemple que l’obligation de l’Etat suisse envers des pays de l’est européen serait plus forte que celle qu’il aurait envers des pays africains. Chez Hofmann, la distance joue ainsi un rôle essentiel par rapport aux obligations de l’Etat X vis-à-vis des Etats tiers.335

D) Obligations générales et obligations spéciales chez Robert E Goodin