• Aucun résultat trouvé

L’obligation : un concept différent du concept de contrainte

CHAPITRE I : LE CONCEPT D’OBLIGATION

A) L’obligation : un concept différent du concept de contrainte

Le concept d’obligation soulève la question des relations entre individus dans la vie en société. Mais il faut d’ores et déjà affirmer que l’obligation se situe au dessus du social empirique. L’obligation morale non seulement suppose la liberté, mais en est la révélation. Il faut ici partir du postulat que c’est la liberté qui fonde la morale, et donc l’obligation. Toute définition exacte du concept d’obligation doit mettre en liaison directe ce concept avec le concept de liberté.

L’obligation, ne peut en effet pas exister sans la liberté202. On peut aussi affirmer que c’est par l’obligation morale que l’être humain découvre sa liberté. Il est dès lors indispensable d’être tout à fait au clair sur ce concept. Pour avoir une idée assez claire de ce concept d’obligation, il est indispensable de le comparer à un autre concept qui est la contrainte. L’obligation est en effet tout à fait différente de la contrainte.

« La notion de contrainte implique que les êtres qui lui sont soumis ne sont pas déterminés à faire ce qu’elle demande. Être contraint signifie pour l’être humain

202 Cette position est défendue par Kant qui estime qu’il ne peut pas y avoir d’obligation sans liberté. Dans la Doctrine de la vertu, la définition que Kant donne de la vertu témoigne de l’importance de cette liberté. Dans ce passage, il affirme : « La vertu n’est pas seulement une contrainte personnelle, mais encore une contrainte suivant un principe de liberté intérieure, par conséquent suivant la simple représentation de son devoir d’après la loi formelle de celui-ci…La contrainte impliquée par les devoirs éthiques ne peut être liée qu’à une législation intérieure, tandis que celle impliquée par les devoirs de droit peut être liée à une législation extérieure…Aussi peut-on nommer vertu la faculté morale d’exercer une contrainte sur soi, et action morale (éthique) l’action qui résulte d’une telle intention. » Cf, KANT, Emmanuel, Doctrine de la vertu, Paris, J Vrin, 1996, Introduction, Chap IX.

110

d’être poussé à des actions auxquelles il n’est induit par aucun déterminisme naturel. »203

La contrainte existe donc lorsque certaines exigences vont à l’encontre d’une tendance naturelle ou désirée ou quand ces exigences s’opposent directement à notre liberté. La contrainte, nous dit Fragnière, peut être individuelle ou sociale.

La contrainte individuelle est soit interne, soit externe. Elle est externe lorsqu’on empêche un individu d’agir librement, en lui imposant par exemple des entraves physiques (emprisonnement). Elle est interne lorsqu’elle conditionne par exemple l’individu souffrant de déficiences mentales ou physiques qui affectent sa responsabilité.

Quant à la contrainte sociale, elle existe et organise la société. En effet, toute société exige que les individus qui la composent se conforment à certaines règles de conduite sans lesquelles la vie en société ne serait pas possible. La contrainte sociale s’impose à chaque individu pris individuellement, mais aussi à tous les individus pris collectivement. On peut ici distinguer la contrainte sociale organisée de la contrainte sociale diffuse. La contrainte sociale organisée est fondée sur des lois, règlements, codes rationalisés de moralité, constitutions, etc…204 Elle suppose donc vraisemblablement l’existence d’un Etat. Elle est organisée dans la mesure où elle manifeste explicitement les fins que l’action individuelle doit poursuivre pour réaliser la vie en société sous forme de lois,

203FRAGNIERE, Gabriel, L’obligation morale et l’éthique de la prospérité, Bruxelles, Presses Interuniversitaires Européennes, 1993, p. 159.

204Ibid., pp. 163.

111

règlements et codes. Il y a dans la contrainte sociale une tendance à faire participer tous les individus de la société, une collaboration de tous les membres concernés par cette contrainte205. Ainsi, au sein de l’Etat, c’est à travers la loi que les individus découvrent ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils ne doivent pas faire. La société doit recourir à la contrainte, de façon légale, pour atteindre son but, elle se voit obligée d’établir un système de contrainte et de sanction qui s’impose à tous les individus. Elle impose donc ses lois et ne les propose pas206. On parle ainsi de contrainte sociale dès lors que les infractions aux normes de la société sont punies ou sanctionnées. On peut donner l’exemple de l’Etat gendarme, dans lequel les normes et règles de la vie en société sont respectées par peur des sanctions de leur infraction. La contrainte sociale organisée, dans la mesure où elle organise la vie en société, définit les règles de l’exercice de la liberté.

Quant à la contrainte sociale diffuse, elle concerne principalement les mœurs, les coutumes non codifiées, les opinions communes généralement et spontanément admises, les tabous de toute sorte auxquels les individus obéissent sans même savoir pourquoi207. Malgré l’existence de l’Etat et de la contrainte sociale organisée, on constate toujours de nos jours l’existence de cette contrainte sociale mais diffuse dans toutes les sociétés. Fragnière constate que ces mœurs et coutumes se présentent souvent de façon beaucoup plus

205 Pour une explication détaillée du concept de contrainte, voir ibid.., pp. 159-171.

206 Ibid., p. 165.

207 Ibid., p. 167.

112

contraignante que les lois208. L’absence de sanction officielle et codifiée, ne signifie ainsi pas que la contrainte diffuse ne connaisse pas de sanction. La sanction se situe donc dans la désapprobation d’autrui, dans la culpabilité imputée par le jugement d’autrui209. Il semblerait que cette sanction soit même plus forte que la crainte de la condamnation de justice. Dans la vie en société, notre action est soumise au jugement de valeur qu’autrui porte sur elle. Cette action est approuvée ou rejetée au regard des valeurs que partage la communauté. Dès lors, chaque individu faisant partie de la communauté, est contraint d’agir dans le but de voir son action approuvée par autrui. Agir autrement entraînerait la désapprobation d’autrui dont les conséquences néfastes sont développées dans ce passage :

« La désapprobation d’autrui nous rejette hors du groupe, nous coupe du lien qui nous rattache au groupe, et la peur de la solitude créée par cet ostracisme moral nous pousse à jouer le jeu, pour ainsi dire, que la société nous demande de jouer.»210

La contrainte sociale, diffuse ou organisée, n’est donc finalement qu’une illusion d’obligation dans la mesure où les motivations qui poussent l’individu à respecter les règles établies lui viennent de l’extérieur et non de son for intérieur.

C’est là où se situe la différence fondamentale entre la contrainte et l’obligation.

208 Ibid., pp. 167-168.

209 Ibid. Fragnière soutient : « Cette sanction se trouve simplement dans la désapprobation d’autrui, dans l’exclusion morale et psychologique qu’elle implique, dans la culpabilité imputée par le jugement d’autrui, et il semble à première vue que cette désapprobation, souvent non- verbale et dès lors non justifiée, soit beaucoup plus fortement crainte que la condamnation de la justice. »

210 Ibid., pp. 168-169.

113

L’obligation morale, à l’opposé de la contrainte, est totalement et entièrement libérée de tout déterminisme211. L’obligation se trouve dès lors au-delà de la contrainte212. Elle demeure illusoire si on essaie de la fonder dans une réalité extérieure ou même supérieure à l’individu. Elle se situe dans la réalité intérieure à l’individu, dans le moi individuel. L’obligation est ainsi étroitement liée à la liberté. C’est à travers sa liberté, que l’individu se sent obligé213. On peut parler d’obligation dans la mesure où il s’agit d’une contrainte qui ne vient pas du dehors et qui n’est pas liée à une influence extérieure214.