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L’obligation : un concept étroitement lié à la liberté (Kant)

CHAPITRE I : LE CONCEPT D’OBLIGATION

B) L’obligation : un concept étroitement lié à la liberté (Kant)

C’est envers lui-même que l’homme se sent obligé. La source de l’obligation se trouve en l’homme lui-même. Par sa liberté, son libre pouvoir, l’homme découvre parallèlement son obligation, donc pas d’obligation sans liberté. Cette affirmation est soutenue avec force par KANT qui va plus loin en estimant :

« La liberté et l’obligation sont deux formes différentes de la même chose, la

211 Ibid.., pp. 171-174.

212 Ibid., p. 171 Fragnière soutient avec force cette affirmation et dans ce passage, il affirme : « Si l’obligation morale authentique non seulement suppose la liberté, mais en est la révélation, nous dirons que la morale de la contrainte est une morale de passage, un lieu intermédiaire où le moral et l’amoral se rencontrent et se mêlent, là où l’action n’est pas encore totalement libérée des déterminismes qui la conditionnent et n’est pas encore parvenue au niveau de la moralité totale. » Fragnière affirme par ailleurs que « pour passer au stade supérieur, à celui de la vraie morale dans laquelle l’obligation se manifeste pleinement, il faut que la contrainte soit mise en échec, que la société- objet fasse place à une société transformée. »

213 A ce propos, on peut citer Kant dans ce passage où il donne une définition de la liberté : « La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants, en tant qu’ils sont raisonnables, et la liberté serait la propriété qu’aurait cette causalité de pouvoir agir indépendamment de causes étrangères qui la déterminent ; de même que la nécessité naturelle est la propriété qu’a la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d’être déterminés à agir par l’influence de causes étrangères. » KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Fernand Nathan, 1989, 3e section, p. 73.

214FRAGNIERE, Gabriel, op. cit., p. 172. Il ajoute aussi que « l’obligation qui naît ainsi de l’échec de la contrainte et de son dépassement, est d’une autre nature, et doit être considérée comme authentiquement morale. »

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liberté se manifeste uniquement par l’obligation, l’obligation n’a pas d’autre explication légitime que la liberté »215.

Cette relation dialectique entre l’obligation et la liberté est essentielle et importante à comprendre dans le cadre de ce travail. En effet, l’obligation de façon particulière, et la loi morale de façon générale, doit être consentie de façon volontaire. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de contrainte extérieure en matière de morale.216 Toute contrainte doit venir de l’intérieur, qu’il s’agisse de l’individu qui agit par devoir217 ou de l’Etat qui remplit ses obligations morales.

C’est la raison pour laquelle on peut dire que la bonne volonté doit être l’un des fondements majeurs de l’obligation.

L’obligation, avant de concerner les relations dans le cadre d’un groupe de personnes, des relations entre les membres d’une famille, d’une communauté ou dans un Etat, concerne avant tout l’individu en lui-même. L’individu a des obligations vis-à-vis de lui-même avant d’avoir des obligations vis-à-vis des autres.218 Il en est de même pour l’Etat qui a des obligations vis-à-vis de lui-même et donc de ses propres ressortissants, mais aussi des obligations vis-à-vis des autres219. Cependant comme on a pu le constater, le fondement de

215 Kant est cité ici par Georges Fulliquet. Cf. FULLIQUET, Georges, Essai sur l’obligation morale, Paris, Ancienne Librairie Germer Baillière et Cie, 1898, p. 294.

216 Cf, KANT, Emmanuel, Doctrine de la vertu, Paris, J Vrin, 1996, Introduction à la doctrine de la vertu, Chap.

IX, pp. 66-67.

217 Ibid.

218 Ibid.

219 VATTEL, Le Droit des Gens ou Principes de la Loi Naturelle, Washington, Carnegie Institute of Washington, 1916, Livre I.

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l’obligation de façon générale c’est la liberté. Avec la liberté, nous découvrons notre obligation, avec notre pouvoir, nous découvrons aussi notre devoir220. Il est essentiel d’insister sur l’œuvre de Kant car à travers ses ouvrages, on peut comprendre la dimension fondamentale de l’obligation en général. Chez Kant, la dimension individuelle de l’obligation est primordiale. Toute obligation doit découler du for intérieur de l’individu. Il faut dès lors comprendre l’individu, la personne humaine pour comprendre l’obligation. Dans l’œuvre de Kant, chez l’individu il existe deux mois : le moi sensible et le moi intelligible. L’individu est aussi phénomène quand il correspond au moi sensible et noumène quand il correspond au moi intelligible.221 La source même de l’obligation se trouve ainsi dans ce moi intelligible ou dans le noumène. Au dessus du moi sensible ou des phénomènes qui est entièrement tourné vers des activités causales, déterminées, il y a le moi intelligible, domaine de la véritable liberté et de l’obligation.

L’obligation concerne donc l’action du moi intelligible sur le moi sensible.222 De ce constat, on peut déduire que l’individu a deux facultés : une faculté inférieure de désirer qui produit une impulsion instinctive et aboutit à des impératifs hypothétiques ; et une faculté supérieure de désirer qui est le domaine de l’obligation et de l’impératif catégorique. On peut conclure qu’au sein de tout individu, il y a une lutte entre ces deux mois, entre ces deux facultés. Si la

220 Voir aussi sur le pouvoir et le devoir KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Fernand Nathan, 1989, 3e section.

221 Ibid.

222 Pour une explication approfondie des concepts d’obligation, de liberté, de noumène et de phénomène chez Kant, voir aussi FULLIQUET, Georges, Essai sur l’obligation morale, Paris, Ancienne Librairie Germer Baillière et Cie, 1898, troisième partie, chapitre 1e.

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faculté supérieure seule existait, il n y aurait dès lors pas d’obligation car elle ne rencontrerait pas de résistance de la faculté inférieure qui est aussi présente chez l’individu. Si ce moi sensible n’existait pas chez l’individu, il n y aurait pas d’obligation, il y aurait juste direction. On peut donc dire que de cette contradiction entre le moi sensible et le moi intelligible, naît l’obligation.

L’homme est soumis à des besoins et des causes sensibles de mouvement et trouve ainsi dans son organisation beaucoup d’antagonisme contre l’impératif catégorique. C’est à travers cette lutte que naît l’obligation.

Le fondement de l’obligation c’est donc l’impératif catégorique. Cet impératif est essentiel chez Kant, car il est le fondement de toute loi morale. La formule de l’impératif catégorique s’établit comme suit :

« Agis suivant une maxime dont les fins soient telles que ce puisse être pour chacun une loi universelle que de se les proposer. »223

L’universalité constitue la base et le fondement de toute activité morale chez Kant. L’individu doit obéir à une législation universelle ou universalisable224. La loi morale n’est que cette réalité qui fait que l’homme appartient à un univers moral soumis à des lois égales pour tous. C’est dans le moi intelligible que l’individu découvre ses lois universalisables. Cette loi morale qui sous-tend l’obligation se trouvant dans le moi intelligible, est donc découverte à priori.225 La raison est ici essentielle chez Kant car la loi morale et son universalité se

223 KANT, Emmanuel, Doctrine de la vertu, op. cit., p. 67.

224 KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, op. cit., 2e section, p. 50. Kant affirme

« Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. »

225 « Est à priori, dit Kant, toute affirmation portant que quelque chose existe universellement et nécessairement. » Cité par FULLIQUET, Georges, op, cit, p. 303.

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découvrent à l’homme à travers sa raison. Aussi, si la loi morale doit s’appuyer sur la réalité d’un absolu qui puisse la fonder sur un caractère obligatoire, ce n’est pas en dehors de la raison elle-même qu’il faut la chercher. L’homme prend conscience du problème moral et de son obligation en tant que doué de rationalité et soumis aux mêmes lois que tous les êtres raisonnables et non en tant qu’individu placé dans une nature ou dans des circonstances empiriques particulières. La raison est donc un concept clé chez Kant, mais aussi la volonté226 car c’est de la volonté que viennent les actions, c’est la volonté qui fait agir l’individu. C’est dans la volonté qu’il faut chercher si notre action est conforme à l’obligation. D’où il en découle que la volonté doit être une bonne volonté. A ce sujet, Kant affirme que « de tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n’est seulement une bonne volonté. »227 Il ajoute par ailleurs que « ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir ; c'est-à-dire que c’est en soi qu’elle est

226 A propos des concepts de volonté et d’autonomie qui sont essentiels chez Kant, on peut citer ce passage :

« L’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi. Le principe de l’autonomie est donc : de toujours choisir de telle sorte que les maximes de notre choix soient comprises en même temps comme lois universelles dans ce même acte de vouloir…Mais que le principe en question de l’autonomie soit l’unique principe de la morale, cela s’explique bien par une simple analyse des concepts de la moralité. Car il se trouve par là que le principe de la moralité doit être un impératif catégorique, et que celui-ci ne commande ni plus ni moins que cette autonomie même. » KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs.

Voir sur ces concepts mais aussi sur les concepts de devoir et liberté, PHILONENKO, Alexis, L’œuvre de Kant, Tome II, Paris, J Vrin, 1972.

227 KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Fernand Nathan, 1989. 1e section, p.

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bonne. »228 On est donc en présence ici d’une morale de l’intention. Mais ce qui est essentiel c’est que la volonté, qu’elle soit bonne ou non, est tout à fait autonome. Or, cette autonomie fonde la liberté. Le rôle de la raison est à ce niveau d’influencer et de guider la volonté vers l’obligation, vers la bonne direction. C’est ainsi que Kant affirme qu’il faut que la vraie destination de la raison « soit de produire une volonté bonne, non pas comme moyen en vue de quelque autre fin, mais bonne en soi-même.»229 Pour déterminer la volonté à être bonne, la raison doit se prévaloir de l’impératif catégorique ou en tout cas de principes universalisables. Et le premier principe, condition de toutes les autres maximes, est d’ « agir de telle façon que ce qui détermine la volonté puisse toujours être proposé comme principe d’une législation universelle.»230

Le concept de devoir qui est fondamental dans le cadre de cette étude, l’est aussi dans l’œuvre de Kant. Ce concept est étroitement lié à l’universel chez Kant. Le devoir est ainsi la forme que doit revêtir la détermination de la volonté pour que celle-ci soit bonne. Le devoir, dès lors qu’il est universel, devient aussi le fondement de la moralité. Il est la forme sous laquelle la raison pure s’applique à l’activité humaine.231

On ne peut pas être au clair sur les obligations morales et juridiques de l’Etat vis-à-vis de ses ressortissants et vis-à-vis des étrangers si on n’est pas au clair d’abord sur les obligations de l’individu. Ce sont en effet les individus qui

228 Ibid., 1e section, p. 24. A la 3e section de cet ouvrage, Kant ajoute aussi qu’ « une volonté absolument bonne est celle dont la maxime peut toujours enfermer en elle-même la loi universelle qu’elle est capable d’être. »

229 Ibid., p. 27.

230 Sur l’impératif catégorique voir KANT, ibid., 2e section.

231 FRAGNIERE, Gabriel, op., cit., p. 60.

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composent l’Etat, ce sont aussi les individus qui consentent à vivre en société sous certaines conditions acceptées par tous. Il est donc essentiel de savoir quelles sont les obligations de l’individu vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis de son prochain pour pouvoir en tirer les obligations de l’Etat vis-à-vis des individus qui le composent ou vis-à-vis des autres. On sait à travers l’œuvre de Kant que le devoir est universel, mais aussi que l’individu a avant tout des devoirs ou obligations envers lui-même, et ensuite envers autrui. Dans la doctrine de la vertu, Kant insiste sur ces devoirs. Le devoir c’est cette obligation universelle, mais aussi on emploie ce concept de devoir pour exprimer cette contrainte morale que l’on exerce sur soi-même en repoussant les obstacles apportés en nous-mêmes par les penchants de notre nature à l’accomplissement d’une loi. C’est à travers cette force intérieure que nous puisons dans le sentiment de notre liberté que s’exprime le devoir. Le devoir appartient donc à la doctrine de la vertu232 dans la mesure où il échappe à tout principe de contrainte extérieure. Contrairement à la doctrine du droit qui s’occupe de l’exercice extérieur de la liberté, la doctrine de la vertu s’occupe de ces devoirs et obligations dont le principe est la liberté intérieure de l’individu. Kant estime que l’individu doit poursuivre deux fins principales pour assumer ses devoirs de vertu : il s’agit de la perfection de soi-même et du bonheur d’autrui. Ces deux fins que doit poursuivre tout individu sont importantes dans le cadre de ce

232 Pour un approfondissement du concept de vertu, voir KANT, Emmanuel, op., cit., Introduction, chap XIVoù Kant définit la vertu comme « la force morale de la volonté d’un homme dans l’accomplissement de son devoir : et c’est là une contrainte morale exercée par sa propre raison législatrice, en tant que cci se constitue elle-même comme une puissance exécutive de la loi. »

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travail car il s’agira aussi de voir comment les transposer de l’individu à l’Etat qui a certaines obligations vis-à-vis de lui-même en tant que personne morale, vis-à-vis de ses ressortissants et vis-à-vis des étrangers.

C- La perfection personnelle et le bonheur d’autrui comme éléments