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Quand l'éthique marche à l'envers et tue l'enthousiasme de la recherche
GUYOT, Jean-Philippe, SIMON, Christian
GUYOT, Jean-Philippe, SIMON, Christian. Quand l'éthique marche à l'envers et tue
l'enthousiasme de la recherche. Revue médicale suisse , 2016, vol. 12, no. 533, p. 1643-1644
PMID : 28686373
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:99486
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Éditorial
www.revmed.ch
5 octobre 2016
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Quand l’éthique marche à l’envers et tue l’enthousiasme
de la recherche
Pr Jean-PhiliPPe Guyot Les premiers essais cliniques de l’implant co
chléaire, première neuroprothèse restituant une fonction sensorielle déficiente, datent du milieu des années 60. Ces premiers implants ne permettaient que la perception du bruit.
Vingt ans plus tard apparaissaient les implants modernes permettant la compréhension du langage. Comme les expérimentateurs avaient à peu près carte blanche, ce dé
veloppement a été rapide malgré les moyens techniques limités de l’époque. Jusqu’au milieu des années 90, la connexion entre le processeur électronique transfor
mant les signaux acoustiques en signaux électriques et les électro
des implantées dans la cochlée se faisait via une prise traversant la peau des patients. Par elle, on
pouvait envoyer toutes sortes de stimuli élec
triques, sans rien demander à personne, pour déterminer la stratégie de codage des sons par le processeur électronique donnant les meilleurs résultats. Les expérimentateurs étaient toutefois bien conscients de ce qui était inoffensif ou potentiellement nocif et aucun événement grave ni même indésirable n’a été à déplorer.
Aujourd’hui, malgré des moyens techniques bien plus sophistiqués, le développement d’un implant vestibulaire est ralenti par les contraintes qu’on nous impose. En 2007, l’équipe de Genève est la première au monde à poser un implant vestibulaire chez un patient souffrant d’un déficit vestibulaire complet bilatéral et d’une surdité. Il était donc un candidat « classique » à un implant cochléaire. La seule variante de la chirurgie consistait à placer une électrode non pas dans la cochlée mais au contact de la branche du nerf vestibulaire innervant le canal semi
circulaire postérieur dont l’approche chirur
gicale est décrite et maîtrisée pour d’autres indications ! Le seul « risque » ? Celui lié à l’allongement de la chirurgie de 15 à 30 mi
nutes. Il a fallu 18 mois de discussions pour obtenir l’aval de la commission d’éthique. Puis il a fallu que la commission d’éthique planche sur les risques liés aux stimulations élec
triques de ce nerf. Une réflexion était bien compréhensible puisqu’il s’agis
sait d’une pre mière mondiale.
Toutefois, l’expérience acquise au préalable chez l’animal, les compétences avérées de l’équipe genevoise dans le domaine des stimulations électriques d’organes sensoriels (l’équi pe avait con
cou ru au développement de l’im
plant cochléaire 20 ans aupara
vant puis à celui de l’implant ré
tinien) auraient dû réconforter les membres de la commission : 18 mois supplémentaires de « négociations » !!!
Aujourd’hui, nous avons équipé 12 patients d’un implant cochléaire avec électrodes ves
tibulaires, toujours les seuls au monde, sans aucune complication. Tous donnent volon
tiers de leur temps en se prêtant à nos expé
riences pour faire avancer les connaissances, pas tant pour en tirer un bénéfice personnel mais avec l’espoir de rendre service aux ma
lades à venir.
Or voilà qu’en 2014, nous demandons à réali
ser avec eux une nouvelle expérience psycho
physique consistant à provoquer une sensa
tion vestibulaire par stimulation électrique, comme nous le faisons depuis 2007, (avec l’accord des commissions d’éthique !), et une stimulation visuelle. Les patients doivent indiquer si les stimuli sont simultanés ou dé
calés dans le temps. Aucun risque ! Compter les secondes séparant la vision de l’éclair de Articles publiés
sous la direction de Jean-PhiliPPe Guyot Service d’oto-rhino- laryngologie et de
chirurgie cervico-faciale Département des
neurosciences cliniques HUG, Genève
ChRiStian SiMon Service d’oto-rhino- laryngologie et de
chirurgie cervico-faciale, CHUV, Lausanne
l’exPéRienCe et leS CoMPétenCeS
avéRéeS de l’équiPe Gene- voiSe auRaient dû RéConfoRteR
la CoMMiSSion
d'éthique
REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH 5 octobre 2016
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la perception du tonnerre est bien plus ris
qué, surtout sous une ligne électrique à haute tension au sommet d’un pic montagneux !!!
Malgré cette évidence, presque 2 ans de dé
marches… parce que la modification de l’im
plant cochléaire pour en faire un implant cochléaire et vestibulaire, implanté plus de 7 ans auparavant sans aucun effet néfaste, n’est pas « CE approved » ! Les patients euxmêmes ont manifesté leur incompréhension : « Pour aider les futurs malades, nous avons accepté les quelques risques chirurgicaux dus à l’im
plantation d’un prototype de neuroprothèse et les possibles périodes d’inconfort lors des premières stimulations électriques. Tout cela fonctionne parfaitement bien et maintenant que l’expérience n’implique rigoureusement aucun risque, on ne peut pas la réaliser : c’est nous “mettre au rancard”, c’est antiéthique ».
Eh oui, nos malades ont du bon sens ! Aujourd’hui, les commissions d’éthique ne cherchent plus à protéger les patients d’expé
riences périlleuses ou d’un rapport inadéquat coût versus bénéfice potentiel. Il semble que le souci premier est de protéger les cher
cheurs et les institutions des moindres griefs d’une minorité de procéduriers. Quant aux organismes de contrôle comme Swissmedic, ils infligent aux chercheurs qui travaillent
pour la science les mêmes contraintes qu’aux industriels qui travaillent pour des bénéfices.
Aton démontré que ces encoubles amélio
raient la sécurité et la qualité des recherches ? Je n’en suis pas certain. Par contre, à coup sûr, elles ralentissent la création et décou
ragent bien des jeunes à se lancer dans la recherche clinique. On passe plus de temps à justifier les projets qu’à y réflé
chir. Il faudra qu’un jour la rela
tion de con fian ce réapparaisse dans nos organisations, qu’on supprime les multi ples question
naires standardisés et redonne la priorité au dialo gue direct : un gain de temps, un gain d’énergie.
La confiance est heureusement encore bien présente chez nos patients que je profite de remer
cier très chaleureusement. Ils aimeraient aller vite, voir aboutir les projets auxquels ils par
ticipent avec passion et qu’ils font avancer. A nos autorités de veiller à ce que les chercheurs ne s’épuisent pas à des tâches administratives ingrates et non respectueuses de leur con
science de ce qui est acceptable ou non pour les patients ! Redonnons un peu de liberté et de confiance aux chercheurs ; enfin, respec
tons aussi l’enthousiasme des participants.