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Au nom de la diversité ? La promotion du français dans le monde aujourd'hui.

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Au nom de la diversité ?

La promotion du français dans le monde aujourd’hui

Dahlia Ragab Ali Zaghloul : Université d'Alexandrie, Université d'Angers – SCE, spécialité : sciences du langage et FLE.

Aujourd’hui les partisans de la promotion du français l’investissent d’une mission sacrée : celle de combattre l’uniformisation du monde en faisant contrepoids à l’anglais. Le français en sa qualité de « langue porteuse de valeurs » est appelé à contrer l’influence de ce que Wiltzer nomme péjorativement « ce concentré d'anglo-américain à usage international véhiculé par le « business », le « Net » et la publicité ? » (Les paradoxes de la francophonie). Certains parlent même d’une mondialisation « humaniste », qui, en prenant en compte les enjeux culturels et identitaires, apporterait la touche d’humanisme qui manque à la mondialisation globalisante essentiellement économique et politique en place, source d’exacerbation de tensions et de conflits.

Wiltzer illustre son propos par l’adhésion de pays comme l’Egypte et le Vietnam à la Francophonie malgré le faible effectif de francophones qu’ils comptent et qui est motivée, selon lui, par le besoin de lutte contre « un risque d’hégémonie économique et mondiale », parce que

« le "vouloir vivre en français" est l'une des formes que prend la résistance des langues et des cultures face à un " prêt-à-porter " linguistique et culturel venu d'ailleurs » (Les paradoxes de la francophonie).

Or, selon Chaudenson, le Viêt-Nam aurait réintégré la francophonie après avoir été « frappé par une réprobation mondiale» suite à l’envahissement du Cambodge et l’Egypte aurait adhéré à la Francophonie suite à la signature des accords de Camp David en 1979 avec Israël qui lui a valu la

« mise au ban par le monde arabe » (2008 : 19). Les deux pays cherchaient donc à reparaître sur la scène internationale, et leur adhérence pour l’organisation de la francophonie relevait plutôt d’une carte politique jouée vu aux circonstances qu’un acte motivé par des raisons éthique, linguistique et culturelle.

Dès lors, il nous a semblé nécessaire de dépasser la simple affirmation et de reconsidérer les deux arguments qui sous-tendent le discours en faveur de la promotion du français dans le monde : à savoir que le français est une langue essentiellement porteuse de valeurs humaines et que son expansion est garante de la préservation de la diversité linguistique et culturelle. Deux arguments qui, à force de répétition, ont acquis une apparence d’évidence ; cette même évidence qui rend plus dure la vie des mythes que celle des théories. Nous discuterons rapidement le premier argument avant de nous attarder sur le second, qui, vu son caractère plus sérieux, mérite plus d’étude.

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Une langue porteuse de valeurs humaines ?

« L’essence du français consiste dans le fait qu’il exprime au mieux « la Grandeur, la Raison, la Liberté et l’Humanité » dit le comte de Rivarol (cité par Deenapanray-Chappard et Spiropoulou, 2006 : 25). On aurait cru au caractère désuet de tels propos s’ils n’étaient repris de nos jours avec beaucoup de sérieux. Le français est bien une langue qui véhicule des valeurs humaines grâce à l’impact du siècle des Lumières et des valeurs de la Révolution française ; Liberté, droits de l’homme, solidarité, fraternité, justice et démocratie forment la toile de fond de l’argumentaire de la majorité des « militants » de la francophonie.

Certains font même de la francophonie la perpétuation du messianisme français, qui d’abord catholique s’est mue en un « universalisme laïque, libertaire et égalitaire » (Phan et Guillou, 2011 : 23) et appellent en chœur la France pour reprendre son « rôle de pilote que ses partenaires attendent du principal pays francophone » (Les paradoxes de la francophonie) pour « assurer le salut de l’humanité contre la perdition du monde moderne » (Phan et Guillou, 2011 : 24)

Si pour les théoriciens de la colonisation, il était du devoir de la France de « civiliser » les populations du monde, pour certains partisans de la francophonie actuelle, il est de son devoir d’apporter la touche d’humanisme et de paix qui manque à la mondialisation libérale. C’est là une constante de l’histoire du français : celle de concurrencer avec des arguments culturels et idéologiques l’anglais dont le moteur d’expansion est essentiellement économique.

Calvet rapporte que pendant le XIXe siècle, les canadiens francophones se défendaient contre l’hégémonie de l’anglais en faisant du français « la langue gardienne de la foi » ; le « Soyez bons chrétiens et francophones » lancé alors par l’Eglise (1999 : 255) se transforme en un « soyez modernes et francophones » du temps du colonialisme pour finir par un « soyez humanistes et francophones » de nos jours.

Quand l’essor de l’anglais a été un effet secondaire de la puissance économique et politique des pays anglophones, et a peu fait l’objet d’un effort officiel de diffusion, l’expansion du français a été le fruit d’une imposition ou à défaut d’une propagande idéologique. Ou même les deux à la fois puisqu’en pleine expansion coloniale, le français, pourtant moteur de cette expansion, était présenté comme un bienfait humanitaire.

Peindre actuellement la francophonie aux couleurs de l’humanisme relève de la même idéologie.

Prétendre qu’elle « œuvre à consolider l’Etat de droit, (…) à apaiser la vie politique, à inculquer dans les esprits une culture démocratique et à faire respecter les droits de l’Homme » (Phan et Guillou, 2011 : 33) perd tout sens au regard de l’article premier de la charte de la Francophonie qui stipule que cette dernière « observe la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure » des Etats membres.

La Francophonie prétend œuvrer à favoriser le développement économique des Etats membres ; mais qu’en est-il de l’essor de l’économie dans le deuxième grand réservoir de francophonie

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après l’Europe occidental à savoir l’Afrique occidentale ? et comment interpréter « la mainmise des multinationales françaises sur les secteurs clés des économies africaines » (La francophonie un instrument de la françafrique, 2014) ?

Elle prétend défendre la démocratie, mais qu’en est-il de donner du crédit à des chefs d’Etats corrompus et dictateurs, en tenant des sommets dans leurs capitales, et en s’affichant à leurs côtés ?

Elle prétend être un lieu de « prévention de conflit », un lieu de « paix » (Guillou, 2011 : 21).

Cependant, les signataires contre le sommet francophone de Dakar1 estime au nombre de 50 les interventions armées de la France, de la Belgique et du Canada sur le continent africain (La francophonie un instrument de la françafrique, 2014).

Bref, qu’en est-il de la « françafrique » ?

On voit mal au nom de quelle vertu le français serait l’ambassadeur de l’humanisme dans le monde. Si la langue française porte encore dans son essence les valeurs de la révolution de 1789, pourquoi ne porterait-elle pas l’ignominie de la colonisation, pourtant plus récente, ou celle de l’impérialisme financier contemporain ?

Le cliché selon lequel le français monopolise l’expression des valeurs humanistes passe mal. Par ailleurs, les causes humanistes sont parfaitement défendables dans toutes les langues du monde.

Les lier particulièrement à une langue relève du chantage parce que refuser cette langue serait associé au rejet des valeurs qu’on estime qu’elle porte.

Une expansion garante de la diversité linguistique ?

Le deuxième argument dont le discours officiel de la francophonie tire sa légitimité est bien celui de la diversité linguistique et culturelle.

Les défenseurs de la langue française mettent en garde contre la « dérive constante vers le seul tout anglais » (Phan et Guillou, 2011 : 31) et prônent énergiquement la promotion du français qui en étendant « sa place dans le monde, [servira], face à la domination de l’anglais, non pas seulement sa propre cause, mais au-delà (…), celle du plurilinguisme » (Hagège, 2008 : 148) Cependant, il suffit de rappeler que de nombreuses organisations internationales s’assignent le rôle de la promotion de la diversité culturelle pour sentir la nécessité d’aller au-delà des

« invocations thaumaturgiques et des discours convenus » (klinkenberg, 2003 : 161) et pour interroger les faits et les implications réels de telles prétentions.

Centralisme du français :

On aura beau répéter que la francophonie n’est pas la France, que le français n’appartient plus aux seuls Français, on ne pourra pas changer les faits : le français est une langue centralisée avec

1 Publié par Survie le 29 novembre 2014

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une norme métropolitaine et des variantes plus ou moins tolérées, certaines formes régionales ayant acquis plus de légitimité que d’autres.

Chaudenson souligne qu’à la différence des 4 principales langues européennes de colonisation, le français a un statut à part du fait que « dans le monde, l’action en matière de langue et culture française dépend essentiellement, pour ne pas dire, exclusivement, de la France elle-même, directement ou indirectement. » (2006 : 74). C’est la France qui fournit l’essentiel des moyens de diffusion de la langue française dans le monde ; ce sont des instances françaises et non francophones qui décident des questions qui touchent à la langue; les membres de l’Académie française sont dans leur quasi-totalité des Français (Chaudenson, 2006 : 198) ; et l’on ne sait pas sur quelle base sont choisis les quelques termes provenant des français régionaux introduits dans les dictionnaires édités en France « comme éléments de décoration » (Chaudenson, 2006 : 196), les locuteurs de ces variantes moins que quiconque.

Au moment où les variantes d’anglais en usage dans le monde ne sont pas regardés avec condescendance par les anglophones de la Grande Bretagne, où les problèmes liés à l’espagnol sont envisagés entre hispanophones du monde entier ; « le Conseil National des Universités françaises » reste réticent face au problème de la littérature dite francophone (cf. Chaudenson, 2006 : 73). La distinction même faite entre littérature française et littérature francophone revient à faire des auteurs de cette dernière des locuteurs de deuxième catégorie, « des utilisateurs à qui le français est prêté, mais n’appartient pas, des utilisateurs de seconde zone (…) » (Bonn, 2008 : 43)

Vouloir faire du français une langue de diversité consiste à « combattre une conception essentialiste de la langue » qui veut que la France soit le centre de la culture francophone et sa référence, et surtout à rompre avec « une solidarité francophone (…) à sens unique » (Chaudenson, 2006 : 197) que l’on n’invoque que quand on en a besoin, car si le français peut prétendre à un caractère universel, cela sera grâce à ceux qui le partagent dans le monde entier et non au rayonnement de la France.

Paradoxes :

Vivement centralisé, le français est également une langue, dont l’expansion dans le monde est essentiellement due à la colonisation, qu’elle soit d’implantation comme en Amérique du nord, ou d’exploitation et d’ordre stratégique comme en Afrique, au Moyen Orient ou en Asie.

La politique linguistique coloniale de la France est d’autant plus particulière car extrêmement

« glottophagique », pour reprendre le terme de Calvet: la France coloniale s’est toujours refusée de faire une place aux langues locales (cf. Chaudenson, 2006 : 172) et a systématiquement ignoré voire dénigré les langues existantes pour que le français devienne langue exclusive. Elle se démarque ainsi de l’Angleterre dont la politique a été plutôt favorable aux langues locales : ainsi, la colonisation britannique a-t-elle « très tôt (…) transcrit les langues locales [africaines] et les a introduites dans le système scolaire » (Calvet, 2010 : 171) d’où le retard pris par les langues de l’Afrique dite « francophone » par rapport à celles de l’Afrique dite « anglophone » et d’où aussi

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l’usage du français comme langue officielle exclusive dans la majorité des pays africains francophones dont les langues nationales systématiquement écrasées sont hors d’état de concurrence.

Le mouvement d’imposition du français dans les colonies était doublé d’un autre sur le territoire métropolitain où les langues régionales étaient progressivement supplantées par le français (cf.

Hagège, 2008 : 215)

Bref, partout où le français a réussi à s’imposer, il a combattu la diversité et a fait le vide autour de lui.

Même en Egypte, pourtant colonie anglaise, les écoles françaises, fidèles à l’idéologie assimilatrice de la France métropolitaine, imposaient aux étudiants l’usage exclusif du français et punissaient ceux qui osaient faire usage de l’arabe. Ce n’est qu’après la révolution de 1952 et du placement de ces écoles sous la supervision du ministère de l’Education égyptienne que les choses ont changé.

Une langue dont l’expansion a souvent été faite aux dépens d’autres langues, et souvent par la force des canons et des fusils, peut-elle prétendre à porter le flambeau de la diversité ?

Paradoxes actuels :

Même de notre temps, la politique en faveur de la langue française continue à multiplier les paradoxes :

Sur le plan interne, la France dispose, selon Wiltzer, « d'un arsenal de textes législatifs qui permettent de garantir l'usage maximal du français » (Les paradoxes de la francophonie). Les défenseurs de ce dernier appellent à la vigilance face à l’imposition accrue l’anglais. (Hagège, 2008 : 213)

Sur le plan interne toujours, la France n’est pas encline à respecter la diversité linguistique et culturelle occasionnée par ses communautés d’immigrés et tend à la gommer en faisant de ce qu’elle appelle « leur intégration » un facteur important de leur réussite sociale. Ils sont nombreux ceux qui, comme Zemmour, font de la ressemblance un critère sine qanun de la sociabilité2. Hagège reconnaît l’existence d’un « anti-communautarisme républicain et laïc, qui est une composante importante (…) de la mentalité politique française, [et qui] n’a pas encore permis d’inventer les formes qui permettraient un dialogue fécond et une ouverture réelle à la diversité » (2008 : 157)

Selon le sociologue Bauman, le multiculturalisme de la société française est juste « de façade »,

« simple flirts avec un brin d’exotisme », qui ignore ou refuse ce qu’il y a d’essentiel et de profond chez l’Autre.

2 « Car il n’y a pas de peuple sans sociabilité et pas de sociabilité sans ressemblance » dit-il (paru dans Le Figaro Magazine, 30 janvier 2015).

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Ce conservatisme sur le plan interne contraste avec les mesures devant être prises pour la promotion du français à l’étranger selon ses fervents défenseurs :

Phan et Guillou, par exemple, proposent de le faire adopter comme langue d’enseignement

« dans le secondaire comme dans le supérieur », voire d’assurer son usage au quotidien ou à défaut de lui accorder le « statut de langue étrangère la plus favorisée » ; et de conclure par : « C’est dans ces espaces, une question de vie ou de mort pour la Francophonie. » (2011 : 72-73) Or, enseigner en français, l’utiliser au quotidien supposent l’évincement graduel des autres langues (maternelle ou première dans la plupart des cas) que le français est appelé à supplanter ; la francophonie qu’ils prônent est donc une francophonie qui survit et se développe aux dépens des autres langues et non qui favorise le multilinguisme. Dans un pays où le français n’a pas le statut de langue maternelle, première ou nationale, aspirer à lui donner un autre statut que celui de langue étrangère va contre le principe même de la diversité culturelle et linguistique que la francophonie prétend défendre.

D’autre part, en Afrique dite francophone, la langue française est imposée comme langue officielle exclusive dans des pays où seule une minorité dominante la maîtrise, ce qui est de nature à créer un fossé entre les élites et les masses et à entraver leur développement.

Défendre cette imposition comme solution au pluralisme linguistique africain revient à ignorer que cette situation de plurilinguisme inextricable aurait été, selon Calvet, créée de toute pièces par la France coloniale qui, en délimitant les territoires des actuelles républiques africaines, a fait en sorte d’empêcher que les langues africaines de grande extension ne soient majoritaires et donc nationales, balisant ainsi le terrain au français pour régner (2002 : 114-115) ; d’autre part, l’exemple de la Guinée qui a rejeté le français et a réussi à alphabétiser la population dans leurs huit langues indigènes, ainsi que celui de l’Afrique « anglophone », montre la possibilité de la promotion des langues locales. (Calvet, 2002 : 300)

Diviser pour régner a été la carte jouée par la France pendant la colonisation et au lendemain des indépendances pour assurer une place de choix au français, misant sur le multilinguisme qui existe dans une société, ou le créant de toute pièce lorsqu’il n’existe pas. Que l’on pense par exemple à la tendance à considérer les variantes parlées de l’arabe comme des langues à part entière ou la supposée dangerosité de l’arabe sur le berbère.

Si le français œuvre vraiment pour la diversité linguistique et culturelle qu’il commence par donner l’exemple en faisant plus de place aux langues locales africaines exclues à son profit des sphères du pouvoir. Or, la France, pays principal du foyer de la francophonie, ne prend parti pour la diversité - en l’occurrence linguistique - que quand il s’agit de se défendre contre une

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domination plus importante. Alors que quand elle a la suprématie, elle ne tolère pas la diversité sous divers prétextes, ni sur ses terres, ni ailleurs : sur ses terres au nom de l’intégration et de la sociabilité et ailleurs au nom de la modernité et de l’humanisme.

Selon Georgault, défendre le multilinguisme passe par la maximalisation de l’usage de la langue officielle sur son territoire, en y menant « toutes [les] activités publiques » (2003 : 62), nous ajouterons que cette langue officielle doit coïncider avec une langue nationale et non être importée de l’extérieur et adoptée par une classe dirigeante qui s’en sert pour défendre ses intérêts.

Langue, culture et identité forme un trio inextricable ; déposséder quelqu’un entièrement ou partiellement de sa langue revient à le déposséder d’une part importante de son identité. Si l’un des fondements de la diversité culturelle est l’ouverture aux autres, l’autre est bien, comme nous le rappelle Georgeault, « le respect de sa propre identité » (2003 : 63).

Pourquoi les Egyptiens et les Vietnamiens seraient-ils appelés à contrecarrer l’impérialisme de l’anglais en adoptant le français alors qu’ils ont leurs propres langues ? Affirme-t-on son identité dans la dépendance à une autre ? Doit-on rappeler que le français n’est corollaire que de l’identité des francophones du foyer d’origine ? Le français remplit-il une fonction identitaire ou simplement fonctionnelle ou communicative pour les Africains francophones ?

Une nouvelle forme de rivalité franco-anglaise ?

Le paradoxe atteint son comble lorsque ceux mêmes qui militent pour la promotion du français au nom de la diversité évoquent non sans regret et avec nostalgie les périodes de rayonnement qui sont en même temps des périodes d’exclusivité du français. Mais ils ne tardent pas à dévoiler le motif d’un tel engouement.

Après avoir passé en revue les chiffres indiquant l’essor du français dans le monde ces dernières années et la croissance du nombre de ses locuteurs, Phan et Guillou concluent : « Mais ce nombre reste insuffisant. Il faut augmenter le nombre de parlants français pour que le français demeure une grande langue internationale » (2011).

Nous en déduisons que c’est la dimension et la portée internationale du français qui est en question plus que les soucis de diversité. En multipliant le nombre de ses locuteurs, en augmentant son usage, le français pourrait agir sur sa place dans le baromètre des langues, garder son statut de langue internationale et faire concurrence à l’anglais.

En fait, les partisans de la promotion de la langue française n’ont commencé à avancer l’argument de la promotion de la diversité linguistique qu’après que le français a perdu ses privilèges au profit de l’anglais vers la moitié du 20ème siècle.

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« Le mal du français a un nom, celui d’une autre langue, l’anglais » résume Calvet (1999 : 257) après avoir rappelé que tous les arrêtés concernant la langue publiés en France entre 1973 et 1980 tentent de remplacer des mots anglais par des mots français, et souligné que cet effort de protection contre l’anglais est doublé d’un effort officiel de diffusion du français hors de France (1999 : 266)

Hagège avance le nombre des pays adhérents à la Francophonie comme argument de la place qui doit valoir au français au sein de l’Union européenne (Hagège, 2008 : 186) ; même si - rappelons-le- les effectifs de vrais francophones dans ces pays restent faibles

De son côté, Chaudenson, après avoir rappelé que sur la soixantaine des pays membres de la Francophonie, seuls 26 s’expriment en français aux Nations Unies dont la quasi-totalité est en Afrique, invite son lecteur à imaginer pour un instant ce qu’il serait du statut international du français si « ces Etats africains abandonnent le français comme langue officielle … unique ou adoptent l’anglais » (2006 : 118) comme le Rwanda et le Burundi. « Pourrait-on songer alors sérieusement à continuer à revendiquer pour la langue française le statut qui est actuellement le sien aux Etats-Unis, alors qu’il est refusé à l’allemand, au portugais ou au japonais ? » s’indigne- t-il (2006 : 119)

Invitant les Québécois, Suisses et Belges à s’investir plus dans le combat pour la langue française, Chaudenson rappelle, non sans une pointe de menace, que contrairement à la France qui peut,

« en se réfugiant dans son passé littéraire et culturel glorieux, survivre au naufrage de la Francophonie du Sud » se contentant d’un français « petite grande langue rêvant à son passé, assise sur les ruines de sa grandeur passée », les autres francophones des pays du foyer d’origine risquent « une catastrophe infiniment plus grave qui entraînerait, à terme, la ruine de totale de leur identité et de leur culture. » (Chaudenson, 2006 : 158)

Les rivalités franco-anglaises sont de longue date, et ont été aggravées, dans le domaine linguistique, par le fait que le français est une langue qui « depuis plus de trois siècles, a été érigée en objet de culte » (Chaudenson, 2006 : 192). On peut comprendre le mal que trouvent ses chantres à se remettre de son déclin et la volonté de revivifier la gloire passée.

Or « la physionomie d’une langue élitiste » (Hagège, 2008 : 173) que le français a acquise, Le niveau d’exigence élevé de ses cours, son usage comme instrument de catégorisation sociale ou facteur de réussite sociale, la persistance des représentations le liant à des valeurs d’ordre éthique et humain, et surtout le chauvinisme arrogant de ses chantres nuisent gravement à son crédit de sympathie de par le monde.

Passant de l’argument de l’exception culturelle à celui de la diversité culturelle, leur discours reste le même et leur comportement révèle autant d’impérialisme que celui qu’ils prétendent combattre.

Si l’anglais menace la diversité linguistique, c’est toutes les langues du monde qui sont en cause.

Le combat pour la francophonie ne peut donc avoir le même sens ni revêtir la même légitimité

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pour tous les pays concernés. Si pour les uns, il est un vrai combat pour défendre sa langue et affirmer son identité, il est pour d’autres la face linguistique d’une oppression subie, et pour d’autres encore une lutte qui n’est simplement pas la leur.

La lutte du français contre l’hégémonie de l’anglais est légitime mais ce qui est moins légitime c’est de le faire aux dépens des autres langues, parce qu’il y a une différence entre prétendre à combattre un impérialisme et rêver de rivaliser avec lui. Combattre un impérialisme linguistique pour lui faire perdre de terrain ou rivaliser avec lui en cherchant à gagner du terrain aux dépens des autres langues.

Il existe en dehors du français d’autres grands groupes linguistiques comportant, selon les partisans même de la francophonie, autant sinon plus de locuteurs natifs que les locuteurs francophones même après y avoir compté ceux qui maîtrisent peu la langue française. En fait, on hésite sur le taux de crédibilité à accorder à ce genre de recensement quand on sait que le niveau de compétence linguistique à partir duquel on peut considérer un locuteur comme francophone ou ce que Chaudenson appelle le SMIC francophone (Seuil minimal individuel de compétence) n’a jamais été défini.

La question n’est donc pas de remplacer un impérialisme par un autre, ni une unipolarité par une bipolarité linguistique. Une promotion du français au nom de la diversité culturelle et linguistique doit se faire en parallèle aux autres langues-monde qui méritent elles aussi de survivre, et jamais à leurs dépens, car on pourrait dire du français exactement ce que les Français disent de l’anglais, que c’est une langue étrangère qui cherche à remplacer la langue arabe, par exemple, « empêchant celle-ci de s’épanouir et de répondre elle-même aux requêtes de la modernité » (Grandguillaume, 2008 : 50).

Lutter contre l’impérialisme linguistique implique de ne pas y contribuer ; se légitimer comme

« revendication du multilinguisme » (Grandguillaume, 2008 : 55) implique de commencer par donner l’exemple et promouvoir les langues minoritaires sur le territoire français même et partout où le français est langue dominante.

En attendant que cela ait lieu, le combat pour la francophonie restera la manifestation linguistique d’un rapport de force et de rivalités d’intérêts.

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