CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Les vomissements au cours de la grossesse responsables d ’ un déficit en thiamine, pas toujours anodins …
Vomiting during pregnancy responsible for thiamine deficiency, not always trivial
…B. Plaisancie · A. Darmedru · D. Breuil · X. Combes · J. Sudrial
Reçu le 8 janvier 2013 ; accepté le 22 mai 2013
© SFMU et Springer-Verlag France 2013
Introduction
Lors de la grossesse, les vomissements sont fréquents et peu- vent parfois revêtir une forme particulière rare : l’hypereme- sis gravidarum (HG). Ce syndrome peut être responsable de dénutrition et déshydratation qui aboutissent à des carences parfois vitales. Nous rapportons ici le cas d’un HG associé à un syndrome confusionnel et une ophtalmoplégie en rapport avec une carence en thiamine.
Observation
Une patiente de 23 ans, primigeste, enceinte à 19 semaines d’aménorrhée (SA), est adressée par son médecin traitant pour des troubles neurologiques à type d’hallucinations visuelles, de désorientation, d’agitation et de trouble du champ visuel avec sensation de diplopie. À l’entrée aux urgences, sa tension artérielle est mesurée à 127/84 mmHg, sa température à 36 °C et sa saturation artérielle en oxygène est à 99 % en air ambiant. L’examen clinique révèle une désorientation tempo- rospatiale, des troubles de la marche avec apraxie et des signes d’atteinte cérébelleuse. Par ailleurs, elle présente une ophtalmoplégie latérale complète. Il n’y pas de signe de foca- lisation ni de syndrome méningé. Les pupilles sont en mydriase réactive. Devant cette symptomatologie, une IRM est réalisée afin de rechercher une cause neurovasculaire ou cérébrale pure. Celle-ci retrouve un aspect typique de maladie de Gayet-Wernicke (EGW) (Fig. 1).
Il n’y a pas de notion d’alcoolisme ni de pathologie chro- nique chez cette patiente sans antécédent particulier pouvant expliquer une carence en thiamine. Le seul antécédent notable est une hospitalisation récente, à 15 SA, pour HG (vomissements incoercibles de la grossesse). Au moment de son hospitalisation, la patiente avait perdu 10 kg par rap- port à son début de grossesse, dans un contexte d’intolérance alimentaire totale. Cet épisode s’était résolu au bout de cinq jours sous anti-émétiques et réhydratation intraveineuse permettant sa sortie de l’hôpital. Ce nouvel élément permet de conclure à une carence en thiamine sur HG compliquée d’EGW. Une supplémentation en vitamine B1 est rapidement introduite par voie intraveineuse à la seringue électrique : 4 ampoules sur 12 h puis à la dose de 300 mg x 3/j per os.
L’amendement des signes neurologiques est spectaculaire dans les heures qui suivent. Au bout de 12 h la patiente ne présente plus de confusion ni d’ophtalmoplégie, seul un nys- tagmus latéral persiste encore quelques semaines.
Discussion
Les nausées et vomissements au cours de la grossesse concernent près de 50 % des femmes enceintes. L’HG est plus rare et touche selon les auteurs de 3/1000 à 10/1000 [1]. Le diagnostic d’HG est clinique, il est caractérisé par cinq à dix vomissements quotidiens associés à une perte de poids de plus de 5 %, une cétonurie, des troubles ioniques et une déshydratation extracellulaire. Il s’accompagne d’autres signes : soif, asthénie, troubles du sommeil, ictère et fébri- cule qui doivent alerter le médecin. La fréquence des vomis- sements et l’insuffisance d’absorption alimentaire sont des facteurs essentiels. Ne pas traiter ou traiter insuffisamment l’HG peut entraîner des conséquences graves pour la mère.
Dans de rares cas l’HG peut provoquer une ruptureœsopha- gienne, un syndrome de Mallory-Weiss, une EGW, une myé- linolyse centropontine, des hémorragies rétiniennes ainsi
B. Plaisancie · A. Darmedru · D. Breuil · X. Combes · J. Sudrial (*)
SAMU 974, hôpital Félix Guyon,
1, allée des Topazes, F-97400 Saint-Denis-de-la-Réunion, France e-mail : j.sudrial.samu974@chu-reunion.fr
X. Combes
Université de la Réunion,
15, route de Moufia, F-97490 Sainte Clotilde, La Réunion, France
Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:310-312 DOI 10.1007/s13341-013-0332-z
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que des lésions rénales. Les conséquences sur le fœtus se limitent à un plus petit poids de naissance [2].
L’EGW, secondaire à une carence en vitamine B1, est une pathologie que l’on rencontre généralement dans l’alcoo- lisme chronique. Le diagnostic est clinique et repose sur la triade : ataxie (73 %), confusion (80 %) et troubles oculaires (93 %), principalement le nystagmus. Cette triade est pré- sente dans 66 % des cas. Dans notre cas, les trois signes étaient présents au moment du diagnostic. Des études de prévalence fondées sur des autopsies montrent que l’EGW est une maladie fréquente qui n’est souvent décelée qu’après le décès. À l’autopsie, on trouve des lésions caractéristiques chez environ 1,5 % de la population générale alors que 5 à 14 % seulement des personnes atteintes sont identifiées avant leur décès. Le pronostic des patients insuffisamment ou non traités est sombre. Dans l’étude de Victor et al. [3], on observe une récupération complète chez seulement 16 % des patients avec une EGW traitée par de faibles doses parenté- rales de thiamine (de 50 à 100 mg par jour), le taux de mor- talité étant de 17 à 20 %. Parmi les survivants, 84 % ont développé un syndrome de Korsakoff dont 25 % nécessitent un placement en institution. Pour améliorer le pronostic des patients chez qui on diagnostique ou suspecte une EGW, la thiamine doit être administrée aussitôt que possible à un dosage adéquat, soit 300 mg x 3/j [4]. De rares cas d’EGW ont été décrits au décours de vomissements incoercibles de la grossesse [5]. La dénutrition sévère, secondaire à une into- lérance gastrique absolue et aux vomissements répétés, est à l’origine du déficit en vitamine B1.
Dans la littérature, depuis le premier cas publié par Hen- derson en 1914 [6], une quarantaine de cas d’EGW dans un contexte d’HG ont été décrits [5]. En 1969, Thoyet-Rozat et al. [7] relatent la constatation à l’autopsie d’une EGW après
vomissements incoercibles. En 1997, Olindo et al. [8] met- tent en évidence l’association de ce syndrome à une myéli- nolyse centropontine dans le cadre de vomissements gravi- diques. Ce cas, typique, illustre d’une part la nécessité de ne pas banaliser cette complication mal comprise de la gros- sesse qu’est l’HG, qui reste une situation à risque du fait de ses conséquences métaboliques. D’autre part, il illustre le bénéfice de l’instauration précoce d’un traitement préven- tif de l’EGW en cas de vomissements sévères au cours de la grossesse. Différents protocoles ont été retrouvés dans la lit- térature. La vitaminothérapie B1 par voie parentérale doit être privilégiée dès que possible après un traitement intra- veineux initial. Pour certains ce traitement est continué jus- qu’à l’arrêt des vomissements et reprise d’une alimentation normale [9], pour d’autres jusqu’à la fin de la grossesse [10,11]. En dose d’entretien ou en utilisation préventive des doses de 100 mg par jour semblent suffisantes et sup- érieures aux besoins [12]. Dans le cas présent, une supplé- mentation en thiamine aurait donc dû être proposée dès la première hospitalisation afin de limiter les conséquences qui ont suivi.
Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêt.
Références
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2. Sonkusare S (2011) The clinical management of hyperemesis gra- vidarum. Arch Gynecol Obstet 283:1183–92
Fig. 1 IRM cérébrale montrant des signes de Gayet-Wernicke.
(A) Séquence de diffusion : les flèches montrent un hypersignal symétrique des thalami.
(B) Séquence FLAIR : les flèches montrent un hypersignal symétrique des corps calleux
Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:310-312 311
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