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Fiction et autofiction antillaises : la poétique énonciative de Patrick Chamoiseau

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Academic year: 2021

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de Patrick Chamoiseau

Ahamada Bourhane-Maoulida

To cite this version:

Ahamada Bourhane-Maoulida. Fiction et autofiction antillaises : la poétique énonciative de Patrick Chamoiseau. Littératures. Université de la Réunion, 2013. Français. �NNT : 2013LARE0010�. �tel- 01127943�

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UFR DE LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

ECOLE DOCTORALE LETTRES ET SCIENCES HUMAINES ED 541.

LCF- EA 4549 : LANGUES, TEXTES ET COMMUNICATION DANS LES ESPACES CREOLOPHONES ET FRANCOPHONES

Fiction et autofiction antillaises :

La poétique énonciative de Patrick Chamoiseau.

Volume 1

Par BOURHANEMAOULIDA Ahamada

Thèse de Doctorat en Langue et Littérature françaises DirigéeparMonsieurle Professeur Jean-ClaudeCarpanin MARIMOUTOU

Présentée et soutenue publiquement le 15 février 2013

Devant un jury composé de :

Mme Martine MATHIEU-JOB, Professeure de Littératures Française et Francophone, Bordeaux III

M. Lambert-Félix PRUDENT, Professeur de Sciences du Langage, Université des Antilles et de Guyane

M. J.-C. Carpanin MARIMOUTOU, Professeur de Littérature Française, Université de La Réunion

M. Jean-Philippe WATBLED, ProfesseurdeSciencesduLangage, UniversitédeLaRéunion, Présidentdujury

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1

A toi, maman Salima.

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REMERCIEMENTS :

Je tiens à remercier Monsieur le Professeur Jean-Claude Carpanin Marimoutou qui, pendant plusieurs années, a su faire preuve de patience pour m’accompagner dans l’épreuve de la recherche et de la rédaction d’une thèse. Ma gratitude est d’autant plus grande que c’est grâce à lui, au bout de mon année de Licence de Lettres, que j’ai redécouvert la littérature antillaise, à travers l’écriture originale du « Marqueur de paroles », Patrick Chamoiseau.

Je ne peux non plus oublier de remercier le Professeur Michel Carayol qui, après mon DEA et dans l’attente d’un corpus conséquent, m’a encouragé à poursuivre, en thèse, mes réflexions sur la poétique de cet auteur martiniquais.

J’exprime ma reconnaisance à mon collègue Thierry Pérou pour sa contribution dans la traduction du résumé, à tous les acteurs du Laboratoire LCF qui, lors de nos différents séminaires et échanges impromptus, m’ont fourni conseils et avis contradictoires pour étoffer mes recherches. Un merci tout particulier à l’adresse du Directeur du Laboratoire LCF, Michel Watin, pour son soutien et sa disponibilité…

Un grand merci à Jean-Michel Clain, à Philippe Maillot de la Bibliothèque universitaire et à leurs collègues pour le coup de main lorsqu’il fallait commander un document, effacer mes multiples pénalités de retard pour l’emprunt du caisson ou des ouvrages…

Merci à Malik El Amouri, à Karel Plaiche, à Didier Vitry, à Angélique Gigan pour le conseil technique dans la gestion matérielle du tapuscrit, pour nos échanges autour des robinsonnades, de la « sociolinguistique du contact », de la littérature francophone ou créolophone, pour le mot de réconfort ou d’encouragement…

Enfin, une pensée toute chargée d’amour et de gratitude à toute ma famille, à mes enfants surtout, pour avoir supporté mes absences et à qui je livre, avec le sourire, ces quelques mots de Nietzsche :

« [Celui qui agit] oublie la plupart des choses pour en faire une seule. Il est injuste envers ce qui est derrière lui et il ne connaît qu’un seul droit, le droit de ce qui est prêt à être. Ainsi tous ceux qui agissent aiment leur action infiniment plus qu’elle ne mérite d’être aimée. »1

Oui, au bout de ce travail, j’en prends énormément conscience…

Que vous soyez, mes amours, remerciés à tout jamais pour votre patience !

1 Nietzsche, 1988, Seconde Considération intempestive, De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie, (1ère publication : 1874), Traduction de Henri Albert, Flammarion, p.82.

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SIGLES UTILISES :

CSM = Chronique des sept misères ; SM = Solibo Magnifique ; T.= Texaco ; LVHM = L’Esclave vieil homme et le molosse ; BDG= Biblique des derniers gestes ; UDAC= Un Dimanche au cachot ; A.E= Antan d’enfance ; C.E= Chemin-d’école ; ABE = A Bout d’enfance ; EPD = Ecrire en pays dominé ; LNCM= Les Neuf consciences du Malfini ; LEAC= L’Empreinte à Crusoé

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS: ... 2

SIGLESUTILISES: ... 3

1.INTRODUCTION GENERALE ... 5

ECONOMIEGENERALEDES ROMANS ... 30

2.PREMIERE PARTIE : UNE CONSTRUCTION REFERENTIAIRE DU RECIT ROMANESQUE ... 80

2.1. LAPERSISTANCEDUDISCOURSDUREGARD ... 81

2.2.LEDISCOURSRECURRENTDELADEVEINE ... 109

2.3. UNEENONCIATIONIDENTITAIREDULIEU. ... 126

2.4. UNEAUTREREPRESENTATIONDUCORPS ... 139

2.5. CONCLUSIONS DE LA PREMIERE PARTIE ... 175

3.DEUXIEME PARTIE : LA MISE EN SCENE DE LA PAROLE DU MARQUEUR ... 179

3.1. MISE AU POINT CONCEPTUELLE... 180

3.2.LESVOIXNARRATIVES :UNEESTHETIQUEDUMILANITERATIF. ... 184

3.3.LEDISCOURSINTERIEUR :UNEINTERIORITETOUJOURSOPAQUE ? ... 187

3.4.QUELDISCOURSRAPPORTE ? ... 241

3.5.LESJEUXAVECLESTEMPS :DESORDREOUDIALOGUEDESTEMPS ... 288

3.6.UNEMETAFICTION ... 316

3.7.CONCLUSIONSDELADEUXIEMEPARTIE :... 398

4.TROISIEME PARTIE : UN PACTE AVEC LA MEMOIRE OU AUTOFICTION ... 401

4.1.QUELQUESAPPROCHESDEL’AUTOBIOGRAPHIE ... 402

4.2. LERECITD’ENFANCEANTILLAIS ... 412

4.3.ECONOMIEGENERALEDESTROISRECITSD’ENFANCE ... 420

4.4.AUTOFICTIONOUROMANAUTOBIOGRAPHIQUE ? ... 459

4.5.LESMEMOIRES ... 486

4.6.CONCLUSIONSDELATROISIEMEPARTIE ... 501

5.CONCLUSION GENERALE ... 504

ANNEXE ... 531

BIBLIOGRAPHIE... 864

INDEX DES AUTEURS ... 908

TABLE DES MATIERES ... 922

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1.

INTRODUCTION GENERALE

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L’espace convoqué dans la fiction de Patrick Chamoiseau renvoie souvent à la Martinique qui l’a vu naître en 1953. Mais cet espace dépasse très vite les limites de cette île française pour se confondre avec le cadre spatial, historique et culturel des Antilles et des Caraïbes, qu’il soit francophone ou pas. Le choix de l’épithète « antillaises », pour caractériser la fiction et l’autofiction chamoisiennes, obéit à la récurrence d’une toponymie qui ancre les événements dans cette partie du monde, où ont fusionné, non sans heurts, depuis la fin du XVème siècle, cultures locales et cultures ataviques, c’est-à-dire celles des autochtones et celles des nouveaux arrivants : conquérants européens, esclaves et engagés.

Du XVème siècle à ce jour, cette fusion perdure et l’Eloge de la créolité2 en reprend les grandes étapes pour définir une identité toujours en devenir, marquée par un substrat de souffrances et d’épreuves (l’essai Ecrire en pays dominé3 parlera de « dominations ») : indigènes décimés, esclavage, engagisme, colonisation, chômage, alcoolisme, consumérisme effréné, aliénation culturelle, ethnocide culturel... Autant de « marqueurs » de douleurs, de révolte, d’interrogations que l’auteur met en scène dans son écriture, dans un idiome de référence duquel émerge le créole, comme langue, vivre-dire, « être-au-monde ».

C’est pourquoi la Martinique du « marqueur de paroles »4, en tant que premier lieu de son énonciation, ne peut seulement s’envisager dans ses limites insulaires, comme nous le signalions plus haut, mais se conçoit aussi au-delà, c’est-à-dire dans l’espace archipélique des Petites et Grandes Antilles, jusqu’aux côtes des deux blocs continentaux américains, du Sud ou du Nord, baignés par la Mer des Antilles.

Le « Tout-monde » glissantien, concept que le marqueur auteur intègre volontiers dans ses textes (quels que soient les genres, les types et les enjeux), est un aboutissement de ce

2 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, 1989, Eloge de la créolité, Paris, Seuil.

3 Patrick Chamoiseau, 1997, Ecrire en pays dominé, Paris, Seuil.

4 C’est ainsi que l’auteur, qui s’invite comme personnage dans sa propre fiction, se désigne. Nous proposerons plus loin (cf. p.180-4 de notre étude : « Mise au point conceptuelle »), dans la partie consacrée à la mise en scène de la parole, une définition plus complète de cette notion de « marqueur de paroles ».

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dépassement initial de la propre « drive »5 du locuteur chamoisien, d’un certain chauvinisme martiniquais, en ce sens que les lieux de l’action, même si c’est souvent dans l’onirisme, convoquent tous les continents et toutes les cultures, soit pour éluder une vision doudouiste du lieu natal, soit pour illustrer, dans l’écrit fictionnel, le concept (pendant ou synonyme du

« Tout-monde ») de « créolisation ». Un dernier concept qui supplante celui de « Créolité »6

5 Voir le « Lexique chamoisien », en annexe (p.531). Le substantif, dans une approche dénotative, rentre dans la définition de l’errement, du vagabondage auquel sont soumis les protagonistes. La Martinique est une île, c’est pourquoi elle engendrerait naturellement la « drive ». Selon Affergan (1983, p.15), toute île renfermerait

« l’empreinte psycho-sociale primordiale […] : l’enfermement. Autant les Blancs (Métropolitains et Békés) que les Antillais descendants d’esclaves et les Mulâtres réagissent à l’encerclement de l’île par la mer et à l’étouffement des rapports humains qui s’en déduit, par des comportements d’évitement, de recherche d’identité ou d’attitudes sado-masochistes dans la mesure où l’Autre ne peut s’échapper même s’il devient indésirable. La contrainte de vivre ensemble crée paradoxalement des gestes de fuite et de repli, signes de vie communautaire. Il arrive très souvent, par exemple que les hommes parcourent l’île en voiture durant de longues heures sans but, et refassent les mêmes circuits à toute vitesse comme pour échapper à quelque chose de terrifiant : c’est ce qu’on appelle driver en créole. De même, tout Antillais, un jour ou l’autre, même s’il est « nationaliste », éprouve le besoin violent et irrépressible de voyager à Paris pour respirer étrangement l’air libre de la métropole qui colonise. […]. Ce caractère asilaire peut se percevoir encore mieux chez la femme qui, elle, ne drivant pas à cause des multiples interdits draconiens et tacites qui pèsent sur elle et qu’elle a intériorisés, se contente, pour échapper à l’île et aux autres, de se réfugier en elle-même, dans sa chambre par exemple, et de refuser obstinément de se montrer durant plusieurs semaines.».

Mais cette double acception négative de la « drive », se transforme en une poétique positive de « l’errance ». La déveine des personnages, certainement liée à une temporalité et à une spatialité mal appréhendées, à des soucis économiques et psychosociaux, cède progressivement la place à une esthétique de « l’errance » vécue sous l’angle d’une relation à soi et à l’Autre plus méliorative, plus proche de « la pensée de l’errance » dont parle Glissant (2009, p.61). Une pensée qui tend à la créolisation du monde où « l’Être […] se révèle l’être-comme- étant », celle qui tend aux « enracinements solidaires et (aux) racines en rhizome. ». Dans cette vision du monde, la répétition, consubstantielle à la drive, n’est plus mièvrerie, platitude, catalogue ou banalisation du réel, mais plutôt source d’une nouvelle esthétique qu’il faut donner à lire constamment dans la littérature antillaise. Une esthétique - du fait de ses propres procédés d’écriture, de ses « variations accumulées » - qui rappelle clairement celle des « poètes et des conteurs » (Ibid., p.62).

6 Le débat sur les termes de créolité/créolisation, oscillant entre le rejet affiché d’une essentialisation identitaire et le désir d’une ouverture à l’autre, a longtemps interessé Chamoiseau et son mentor Glissant. Ce réajustement identitaire où s’exprime une double solidarité géopolitique (Caraïbe) et « anthropologique vis-à-vis des peuples

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qui semble plus faire référence à du repli identitaire, à du « bricolage identitaire », comme peuvent l’entendre les détracteurs de Chamoiseau, qui sont souvent ceux des coauteurs de l’Eloge de la Créolité. La créolisation ainsi énoncée est donc un dépassement des différents courants littéraires ou idéologiques qui ont marqué les Antilles depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, depuis tout au moins l’émergence de la Négritude césairienne jusqu’à l’Antillanité de Glissant et l’avènement de la Créolité de Chamoiseau.

L’intertextualité qui fait constamment référence à des auteurs cubains, mexicains, guyanais, brésiliens, voire de l’Amérique du Nord, souligne l’existence (pour cet auteur de la Créolité et convaincu par l’Antillanité de Glissant, qui a éclaté ses propres frontières) du même type de trauma transnational. Même les différences nationales constatées çà et là, dans la conquête territoriale, dans la colonisation et la décolonisation, semblent être dépassées pour imposer une unité dans l’ambiance du vivre-dire que le texte donne à lire. Les « contextes médians » dont parle à juste titre Milan Kundera témoignent de cette réalité historique et culturelle. Des

africains marqués par la colonisation » est explicité dans les articles de Dominique Chancé (la « Créolisation ») et Beniamino (la « Créolité ») que l’on peut lire dans l’ouvrage collectif sur le Vocabulaire des études francophones (2005). Mais cette double solidarité n’exhibe pas clairement (cf. Ludwig et Poullet, 2002, p.169) la particularité de toutes les aires créolophones, en l’occurrence celle de l’Océan Indien qui, ouvertement, ne s’aligne pas sur les aspects globalisants de la définition identitaire des Elogistes, tout comme l’observent d’ailleurs les écrivains haïtiens, en tête desquels René Depestre. Beniamino (2005, p.55) observe « ainsi [que] les écrivains réunionnais se réfèrent soit à la Créolie (définition identitaire proposée par les écrivains Gilbert Aubry et Jean-François Samlong mais limitée à la Réunion ou au Sud-Ouest de l’Océan Indien) soit à la Réunionnité, sans que la Créolité soit une référence, bien au contraire. De la même manière, les écrivains haïtiens se situent très à la marge de cette perspective et souvent même s’y opposent du fait même de la scénographie de la Créolité. ».

Les différences signalées dans le peuplement, le trauma des uns et des autres, les interactions entre individus issus d’horizons divers, conduisent à la commune constatation du processus de créolisation: la subalternité imaginée des sujets antillais et des sujets india-océaniques a pour conséquence, en réalité, la pratique constante d’une négociation qui créolise langues, attitudes, spiritualités, malgré leur porosité, leur « inachèchement », leur incessante « réélaboration » (Marimoutou, 2013, p.404), soit centrée sur une stratégie (voir V. Magdeleine- Andrianjafitrimo, 2013, pp.379-98) de collaboration pour le vivre-ensemble ou sur celle du contournement/évitement/affrontement permettant la survie, le « réglage » des identités – même essentialisées - en présence.

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« contextes médians » qui sont autant de dénominateurs communs que Chamoiseau peut retrouver chez le Colombien Garcia Marquez, le Cubain Wilfriedo Lam, l’Américain Faulkner, le Mexicain Carlos Fuentes, le Trinidadien Derek Walcott, les Haïtiens Roumain, Frankétienne et Alexis ou bien chez Damas, Maryse Condé, Perse... Et qu’il réinvestit régulièrement dans ses romans, malgré le fort ancrage dans le Lieu natal qu’est la Martinique.

C’est certainement la proximité affective avec ces « univers médians »7 qui ont motivé le choix de cette étude sur Chamoiseau, et donc sur la littérature antillaise. D’autant que les thématiques mises en exergue, le travail de la langue interpellaient une connivence avec une littérature francophone dite alors négro-africaine8 dont nous voulions approfondir la connaissance après la Licence.

Les motivations qui ont conduit à la réalisation de ce travail sont multiples et ne sont pas uniquement subordonnées aux écrits de Chamoiseau.

Notre scolarité antérieure (collège et lycée), pour ne pas dire notre enfance et notre adolescence, au lendemain de la décolonisation aux Comores, privilégiait plus les auteurs africains que français. Enseignants d’Afrique (Maghreb et Afrique subsaharienne), de Canada et de Belgique ont vite pris, dans le secondaire, le relais des enseignants français. Par le truchement de l’ACCT9, les œuvres francophones (Antilles et Afrique) ont déferlé, auxquelles

7 René Depestre, 2005, Encore une mer à traverser, Paris, Edition de La Table ronde, 210 p.

En résonance avec la notion de « contextes médians », sans vouloir en être totalement tributaire. Voir la note 121 de notre étude, page 174, dans le chapitre consacré à la représentation du corps dans les romans de Chamoiseau.

8 Nous nous rappelons de nos années lycée, de ces intoductions de Jean-Pierre Makouta-Mboukou, textes qui nous ont aidés, dans un premier temps, à mieux apprécier la littérature africaine du Sud du Sahara, francophone ou anglophone : 1°) Introduction à la littérature noire, Editions CLE, 1970, 140 p. 2°) Introduction à l’étude du roman négro-africain de langue française, Nouvelles Editions Africaines, 1980, 349 p.

9 Agence de Coopération Culturelle et Technique. C’est une organisation intergouvernementale dont la mission est de renforcer la coopération culturelle et technique entre ses membres francophones (77 Etats). Elle est créée en 1970 à la conférence de Niamey. Après avoir été un moment désignée sous le nom de « Agence de la Francophonie » (1995), elle a pris aujourd’hui celui de « Organisation internationale de la Francophonie ». La langue partagée demeure le vecteur fondamental de ce sentiment communautaire que la journée du 20 mars

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sont venues s’ajouter des textes africains (traduits de l’anglais) des anciennes colonies anglaises (Kenya, Nigeria), à travers Chinua Achebe ou Ngugi wa Thiong’o par exemple.

Tout ce corpus littéraire africain a rapidement concurrencé celui de l’Hexagone, malgré l’omniprésence et l’inamovibilité du fameux « Lagarde et Michard » dans l’enseignement au lycée10 et dans nos réprésentations littéraires de cette époque-là, et même pendant l’intermède révolutionnaire du Président Ali Soilihi (1975-1978). Et c’est au regard de ce contexte post- colonial qui nous a façonné, dès l’entame de notre adolescence, qu’il nous a paru tout à fait naturel d’afficher notre penchant pour cette littérature, pour nous plus proche, avec son lot d’auteurs familiers, qu’ils soient d’origine maghrébine ou subsaharienne, d’expression anglaise ou française : Nazi Boni, Léopold Sédar Senghor, Ferdinand Oyono, Sembène Ousmane, Abdoulaye Sadji, Chinua Achebe, Mongo Beti, John Ngugi, Sony Labou Tansi, Camara Laye, Amadou Hampaté Bâ, Jean-Marie Adiaffi, Tchicaya U’Tamsi, Sylvain Bemba, Henri Lopez, Bernard Dadié, Ahmadou Kourouma, Olympe Bhely-Quenum, Yambo Ouologuem, Emmanuel Dongala, Cheik Hamidou Kane, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Mohammed Dib etc…11

(depuis 1998), le Pacte Linguistique (Sommet de Montreux en 2010) et la « Déclaration de Bamako » en 2000 (pour opter pour l’idéal démocratique dans les pays membres de l’OIF) consolident davantage.

10 A côté du « Lagarde et Michard », quelques vieux livres, quelques « classiques » poussiéreux (romans, pièces de théâtre, recueils de poésie) abandonnés par l’ex-colonisateur au lycée Saïd Mohamed Cheik de Moroni ont aussi nourri ces représentations. La bibliothèque de l’«Alliance française », par la suite, a contribué à enrichir notre imaginaire, non seulement à travers la littérature française, mais aussi à travers la littérature européenne (Cervantès, Shakespeare, Goethe, Tolstoï, Kafka, Dostoïevski…) ou américaine (Richard Wright, Alex Haley, Walt Whitman, William Faulkner, Hemingway, Jack London, Steinbeck…), dans cette rencontre avec la littérature des « anciennes colonies », francophones ou anglophones. Une rencontre chargée d’émerveillements et d’interrogations, par rapport à notre weltanschauung, à notre propre identité en construction d’alors…

11 Bien entendu, avec le recul, cette littérature négro-africaine d’expression française où l’on rangeait toutes les productions des colonies ou ex-colonies françaises (Antilles françaises, Maghreb, Afrique Noire + Madagascar et toutes les colonies de l’Océan indien) va susciter de nombreux travaux de réflexion, entre 1960 et 1970.

S’appuyant sur la Négritude, le soutien de quelques intellectuels français tels que Leiris, Sartre ou Breton, elle va acquérir ses lettres de noblesse. A la faveur de la départementalisation et de la décolonisation, la bannière sous laquelle on rangeait l’ensemble des productions coloniales va se subdiviser en trois aires littéraires

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francophones : la littérature antillaise, la littérature du Maghreb et la littérature subsaharienne. Aujourd’hui, cette subdivison littéraire « francophone/ « française », sous l’influence « pionnière » des critiques anglo-saxons essentiellement issus des anciennes colonies britanniques (le Palestinien Edward Said, les Indiens Homi Bhabha, Gayatri Chakravorty Spivak ou Sara Suleri qui souligne la complexité des textes coloniaux– Conrad, Kipling – qu’elle réinterroge sous un nouveau regard critique), semble s’estomper au profit d’un autre concept plus intégrateur des problématiques des ex-colonies, quelles qu’elles soient. Un concept plus interrogateur des enjeux esthétiques et idéologiques des textes littéraires: le « postcolonial », qui revisite autrement, tout autant les textes de la période coloniale que ceux écrits pendant les indépendances, pour en ressortir les stéréotypes, le prolongement du discours dominant du colonisateur, mais surtout pour privilégier le point de vue, la poétique et les visées ironiques et idéologiques des auteurs concernés eux-mêmes, souvent mis sous éteignoir par le discours critique et la réception des Occidentaux. Même s’il faut ici relativiser, à la suite de J. Bardolph (2002, p.16), cette primeur de la critique anglophone, en ce sens que « Pour la critique française, ce n’était pas vraiment une nouveauté que de s’interroger sur la façon dont les œuvres exprimaient un certain contenu idéologique. Des études comme celle de Lukàcs et Goldmann étaient lues dès les années soixante, et les livres de Sartre et de Fanon étaient un contexte intellectuel qui allait de soi, même pour ceux qui ne partageaient pas forcément leurs convictions politiques. ».

Dans le même ordre d’idées, l’on peut toujours continuer et compléter l’argumentation parcellaire de Jacqueline Bardolph (abondant dans le sens de Cusset, 2000, cité par Gyssels en 2013 qui « présente les postcolonial theories comme un avatar de la French theory, c’est-à-dire un rejeton de Foucault, Derrida et Deleuze, tous trois traduits en anglais et importés aux Etats-Unis ») en disant que Bakhtine est bien l’aîné de tous ces auteurs et qu’il n’a pas omis dans ses réflexions critiques de signaler la dimension prépondérante de l’idéologique qui anime toute écriture, tout sujet du discours dans l’œuvre littéraire. Le stalinisme a certainement modéré les propos du Russe Bakhtine (cela lui a quelque part évité le goulag), orienté tout de même sa démarche vers des réflexions plus sociolinguistiques, plus dialogiques et panoramiques dans la réception du corpus littéraire national et européen. Démarche se situant à mille lieues des formalistes russes dont il attaquait les visions restreintes, lacunaires et ce malgré la controverse qui entoure certains de ses écrits plus politiques et psychanalytiques, que l’on doit vraisemblablement attribuer à ses amis Volochinov et Medvedev.

En tout cas, c’est cette période de subdivision littéraire francophone qui a concerné notre génération. Malgré les spécificités de ces aires culturelles, lire Climbié de Dadié, Enfant, ne pleure pas de Ngugi, La Rue case-nègre de Zobel ou Le fils du pauvre de Feraoun était de l’ordre de la connivence qu’explique sans doute l’atmosphère présidant à leur écriture, mais que justifie surtout et simplement la force humaniste qui en émanait. Une force, un être-au-monde qui répondait à nos questionnements d’alors. Les textes de Laferrière, que nous citons d’ailleurs dans notre dernière partie consacrée à l’autofiction de Chamoiseau, participe de cet état d’esprit-là, au travers de la littérature francophone canadienne, bien qu’exprimée, paradoxalement, par un sujet du dire d’origine

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Le contexte de la décolonisation, le désir affiché de rendre compte, au niveau de l’analyse, d’un aspect de cette littérature « d’expression française » ont pris le pas sur toute tentative de choix, de notre part, d’un pan de la littérature française. Une littérature française, il va sans dire, qui nous a aussi façonné dans notre cursus scolaire, universitaire, voire dans notre profession d’enseignant où la langue d’emprunt contribue tout aussi bien à l’enrichissement permanent de notre identité qu’à son écartèlement, à l’instar du marqueur de paroles, qui expose son vivre-dire dans une perpétuelle négociation entre créole et français, jusqu’à mettre en vedette une langue tierce, une langue de compromis, celle de l’écrivain Chamoiseau.

C’est finalement cette connivence naturelle qui, au sortir de la Licence de Lettres en juin 1988 à l’Université de la Réunion, nous pousse à en parler à l’un de nos professeurs. Il s’agissait de Monsieur Jean-Claude Carpanin Marimoutou qui, n’étant pas encore bien familiarisé avec la littérature négro-africaine, nous propose, par précaution et en solution de rechange, le roman d’un jeune auteur martiniquais : Chronique des sept misères de Patrick Chamoiseau, paru en 1986. La théâtralisation particulière de la parole et l’approche originale dont faisait montre ce nouvel écrivain, quant à la problématique de la domination (coloniale, post-coloniale), à l’appréhension du passé et du présent dans l’écrit, à la mise en vedette d’une modernité ethnocide, ont fini par nous persuader.

Nous réalisions ainsi que le ton et les enjeux du texte n’étaient plus les mêmes, par rapport à notre modeste savoir sur la littérature de l’aire caribéenne. Une nouvelle poétique - dans l’usage particulier des voix narratives, dans l’analyse des thématiques concernant l’univers créole, dans la mise en exergue d’un sujet individuel du dire qui se veut issu de la mémoire

haïtienne. Ce dénominateur commun-là, pour le regard critique et acerbe, est bien entendu de l’ordre du questionnement postcolonial. Un questionnement qui cherche, par comparatisme, au-delà de la touche esthétique de chaque auteur, à dénicher les « quatre ordre de préoccupations » dont parle Moura (2005, p.44) pour une meilleure analyse des littératures francophones (récusation ou contestation, dans l’écriture, des modèles dominants ; adoption «d’usages linguistiques spécifiques»; inscription énonciative dans « une tradition autochtone », comme le font Ngugi et Chamoiseau avec leur littératue orale par exemple ; scène d’énonciation propre, reconnaissable par des « traits formels, une poétique, dont on peut étudier les régularités d’une littérature à l’autre ».)

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populaire – vient enrichir celles qui ont prévalu jusque-là et qui avaient nourri nos lectures : La verve de Fanon, la Négritude césairienne, celle de Damas, le doudouisme révolutionnaire du Jacques Roumain de Gouverneurs de la rosée, l’enfance et la peinture d’une société du

« temps longtemps » dans La Rue-Case nègres de Zobel, le chatoiement scriptural de Depestre, la merveille d’Alexis, le foisonnement langagier de Garcia Marquez…Tous ces auteurs (qu’ils soient du continent sud-américain ou des îles de l’Amérique centrale) ont été, incontestablement, un fond affectif, une source de connivence qui a conduit au choix de cet écrivain antillais et à l’étude de son œuvre de fiction.

Cela dit, l’on peut s’interroger sur le retard mis dans la poursuite de la thèse après l’obtention du DEA en 1994. Des raisons personnelles y sont sans doute pour quelque chose, mais le motif de fidélité à un auteur, à son écriture, à l’attente d’un corpus plus conséquent, est, à notre avis, le plus probant et déterminant.

Il fallait bien entendu circonscrire le corpus qui se réduisait initialement aux seuls romans (CSM, SM, T., LVHM, BDG, UDAC12, LNCM13 et LEAC14), à la veille de notre premier entretien avec le directeur de recherches, en septembre 2005. Suite à cet entretien, il nous a suggéré d’inclure les récits d’enfance (AE, CE et ABE), voire l’essai autobiographique, EPD, dans nos réflexions, et donc dans notre corpus primaire. La requalification du texte autobiographique de Chamoiseau en autofiction tire son origine de cette suggestion : il nous a fallu, après de multiples lectures de ces récits d’enfance confortées par celles d’ouvrages théoriques sur l’autobiographie, décider du terme d’autofiction que nous pensions et continuons de penser plus adéquat.

La première partie de notre intitulé fait référence à une caractérisation du corpus primaire, constitué essentiellement de romans et de récits autobiographiques. Les huit romans rentrent dans le cadre de la fiction, tout comme les nouvelles ou la pièce de théâtre Manman Dlo contre la fée Carabosse du corpus secondaire, où manifestement Chamoiseau perpétue sa

12 UDAC, Un dimanche au cachot, ajouté au corpus, deux ans plus tard.

13 LNCM, Les Neuf consciences du Malfini, ajouté au corpus en mai 2009.

14 LEAC, L’Empreinte à Crusoé, ajouté au corpus en avril 2012.

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pratique de télescopage des éléments de la « fiction » et ceux de la « diction »15, ceux du

« réel », de l’Histoire et du « monde raconté », comme peuvent le soutenir Weinrich et Ricoeur. En tout cas, tout le substrat revendicatif et idéologique qui anime l’ensemble du corpus choisi laisse à penser qu’il y a une vérité/des vérités de la fiction de l’auteur qu’il veut transmettre comme un pamphlet, un discours sociologique et anthropologique, à visée informative et argumentative. Discours à l’adresse d’un tiers, plus lecteur en connivence avec son message, qu’un simple narrataire fictionnel ou autofictionnel.

Inclure EPD dans une catégorisation autofictionnelle, à côté des trois volets narratifs sur l’enfance, obéissait à cette fidélité à la démarche de l’auteur qui s’amuse à mêler

« histoire(s)» et « Histoire », « vérités » et « fictions ». Un auteur qui s’ingénie à insérer ses préoccupations existentielles, écologiques, idéologiques, voire esthétiques dans ses propres (auto)fictions.

L’autofiction - la fictionnalisation de soi comme l’entendrait Colonna, 2004 - nous plonge, en tant que lecteur, dans l’indécision générique : faut-il lire le texte comme une fiction ou comme une autobiographie ? Chez Chamoiseau, ces deux modalités antinomiques de l’autofiction (roman ? autobiographie ?) sont identifiables dès le paratexte. Elles corroborent nos constatations, quant à cette double modélisation (fictive et référentielle) à l’œuvre dans ses romans. La coïncidence des figures de l’auteur (le marqueur scripteur qui est un subtil mélange de l’auteur réel et abstrait, à la fois intradiégétique et extradiégétique -cf. son patronyme, même s’il est souvent écorché) et du narrateur personnage oriente vers une relation du vrai que contredit immédiatement la reconnaissance d’une mémoire défaillante ou

15 Deux termes que nous empruntons à Gérard Genette (1991, pp.11-40). Dans sa tentative de définition des deux notions, il en ressort un dénominateur commun : la littérarité. Une littérarité constitutive au texte et une littérarité plus conditionnelle, plus subjective, que tout lecteur peut lui attribuer. Pour Genette, « est littérature de fiction celle qui s’impose essentiellement par le caractère imaginaire de ses objets, littérature de diction celle qui s’impose essentiellement par ses caractéristiques formelles » (Ibid., p.31). La proposition de « non-fiction », même indirecte, dénote un mélange (à tous les niveaux de son analyse) du contenu fictionnel et de sa forme, du thématique et du rhématique. Mélange qui nous incite souvent à opposer « fiction » et « factuel », à faire par conséquent coïncider « diction » et « factuel » dans la seule perspective de mettre en exergue leur intime imbrication dans l’œuvre de Chamoiseau, dans son oraliture.

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d’un échafaudage romanesque. La rupture du pacte autobiographique reconnue dès l’incipit et à l’intérieur des trois volets du récit d’enfance incite à une dénomination plus proche de l’autofiction que de l’autobiographie.

La deuxième partie de notre intitulé, élément clef de notre questionnement, parle de

« poétique ». La seconde définition du Larousse (2001)16 convient au sens que nous voulons attribuer à ce mot. « L’ensemble des principes » qui régissent « l’écriture d’une œuvre » est un objectif ambitieux que notre travail ne s’assigne pas, puisqu’il la réduit à l’aspect énonciatif, comme principe prépondérant qui sert à reconnaître le cachet scriptural, la

« patte », le « style » de Chamoiseau. Le terme de « système » que nous avons choisi initialement, à la place de « poétique », auquel est accolé l’adjectif « énonciatif », recouvrait le même sens général que nous voulions accorder à la problématique de cette étude.

Les Poétique du roman (2007/2009) et Poétique des valeurs (2001) de Vincent Jouve, comme tant d’autres ouvrages critiques reprenant le même mot de « poétique »17 dans leur intitulé, revêtent une visée à la fois explicative et injonctive, quant à la manière d’écrire ou dont sont présentés les romans, dans leurs structures, leurs différents systèmes d’élaboration scripturale (ces fameux « principes littéraires » respectés ou « trahis », comme peut l’entendre Milan Kundera), et ce dans un contexte (historique, culturel, géographique, littéraire…) donné. Des principes strictement littéraires (la littérarité ?), formels, n’évacuant pas la mise en vedette de thématiques particulières, « ingrédients » bakhtiniens qui glissent souvent sur des points de vue idéologiques qui confèrent aux romans de Chamoiseau, entre autres, un statut mixte, où l’informatif côtoie l’argumentatif pour soutenir manifestement les thèses et les enjeux de la Créolité, initiés tout au moins depuis la publication de l’Eloge de la Créolité. Dominique Chancé (2005), dans son effort d’exhiber les dénominateurs communs qui caractérisent la

16 Larousse, 2001, p.796 : « Ensemble des principes littéraires commandant l’écriture et la composition d’une œuvre ou impliqués par celle-ci. La poétique de Mallarmé ».

17 Voir à ce propos T. Todorov/ O. Ducrot (1972, pp.106-112) et la définition qu’ils donnent au concept. Ils reprennent dans leur article, bibliographies et sources diverses, pour définir ce qu’on nomme « improprement une science de la littérature », pour désigner « une discipline théorique que les recherches empiriques nourrissent et fécondent, sans la constituer. » (Ibid, p.107)

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littérature des Antilles, en évoquera plusieurs qu’elle appelle elle-même des « poétiques », telles que « l’indigénisme, le réalisme merveilleux, le baroque, le spirale ». Ici le mot

« poétique » se référant à un architexte mineur, un sous-genre qui permet de la (la littérature antillaise) distinguer entre mille, dans la pluralité des littératures mondiales.

L’auteur, subjectivité omnisciente et organisatrice des récits, ne fait pas l’économie de cette autre acception de la « poétique », comme expression d’un « être-au-monde » dans lequel des systèmes de valeur sont énoncés. La page 135 de Introduction à une poétique du Divers de Glissant (1996) est une de ces multiples injonctions de l’auteur à l’adresse de l’écrivain - surtout créole, peut-être du « Tout-Monde » - ou du lecteur qui visent à reconnaître l’existence du Divers (cet Autre redéfini ainsi pour plus souligner les ressemblances avec le Même que leurs différences). Mais force est de constater que ce qui est promu, c’est la double posture de l’écrivain : son travail relève d’une pratique solitaire ; néanmoins cette dernière doit être solidaire des autres, des autres pratiques de création littéraire, des autres identités, des autres cultures… Cette solidarité, affichée dans le roman et dans son paratexte lointain ou proche, Chamoiseau la reprend à son compte et c’est ainsi que Kundera peut se permettre d’affirmer que « les romans créés d’au-dessous du trente-cinquième parallèle, quoique un peu étrangers au goût européen, sont le prolongement de l’histoire du roman européen, de sa forme, de son esprit, et sont même étonnamment proches de ses sources premières ; nulle part ailleurs la vieille sève rabelaisienne ne coule aujourd’hui si joyeusement que dans les œuvres de ces romanciers non-européens. »18

Les exemples d’auteurs européens qui ont migré sous les tropiques et qui ont adapté leur écriture au « Lieu » d’accueil, tels que le Basque Etchard ou Lofcadio Hearn que Chamoiseau appelle « l’Anglo-Hellène » dans Lettres Créoles (1999)19, sont le témoignage de cette expérience du divers où une poétique originale personnelle est en consonance avec des préoccupations qui transcendent les limites d’une identité particulière, d’une aire culturelle d’origine particulière…

18 Kundera, 1993, p.45

19 Lettres Créoles, 1999, p.218-9

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De toute façon, du point de vue de Glissant, cette fusion du « solitaire » et du « solidaire » constitue une volte-face, une manière de se dédouaner de tout parti pris, de tout repli sur soi, de toute volonté qui tendrait à assener des vérités s’affranchissant des modèles littéraires de l’Occident. Cependant il ne fait pas école, il ne joue pas au mentor des « Elogistes » ou d’autres jeunes écrivains, par rapport au concept d’«Antillanité». Chamoiseau, après tout, fait fi des critiques en adoptant sans rechigner ce point de vue glissantien, dans le

« balbutiement » de sa propre poétique qu’il énonce à la fin de son essai autobiographique, Ecrire en pays dominé (1997). Du caractère figé de la Créolité, on passe à la dynamique de la créolisation. Concert de tous les Lieux du monde (p.305 d’EPD) pour éviter l’enfermement identitaire, ou pour s’empêcher, comme pourrait l’avancer le nouvel académicien Amine Maalouf, de multiplier les « identités meurtrières ». EPD, dans cette perspective, a la prétention d’enrichir ou de compléter l’Eloge de la Créolité, ou sinon d’évacuer toute intention extrémiste de recroquevillement sur soi que l’on pourrait déceler dans ce premier essai collectif de 1993 :

« La culture d’un peuple n’a jamais été close. Prise dans un flux d’interactions plus ou moins vives, chaque culture est facette-témoin d’événements en mouvements. Si chaque culture a connu des champs de stabilité bordés de déviances mineures, cela n’existe plus. La précipitation-sous-relations est immédiate et totale. S’y opposer ? Qui le pourrait ? Mais affermir l’acquis d’un processus plus lent. Détester tout abandon. Tenter la mise à jour des influences actives. Garder cette posture-là qui se veut créatrice. Se soustraire aux dominations demande une intelligence des accélérations, aller par l’intime faisant socle aux échanges. Ni clos, ni ouvert, mais clos-et-ouvert, son moteur en soi-même, toutes labiles références construites par soi-même dans ce vent des partages du Divers. » (EPD, p.310-11)

L’écriture se pose alors comme une mise en scène de la « diction » du monde à l’intérieur de la fiction et des récits d’enfance, dans une langue personnelle, qui provoquera un sentiment d’étrangeté chez le lecteur, ou d’émerveillement, comme chez Kundera qui considère la

« tropicalisation » (« imagination foisonnante », « baroque exubérant » comme chez Fuentes, auxquels nous pouvons ajouter l’insertion dans le texte, majoritairement en français de référence, d’un lexique qui navigue entre invention, occurrences créoles et interlectales…) de l’écriture chamoisienne comme d’inspiration rabelaisienne.

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Ainsi, notre réflexion ne tente nullement de se démarquer de toute entreprise sémiotique (cette mise en confrontation entre la « substance sociale, extra-textuelle, et le sens que prend l’énoncé romanesque »20), comme s’est efforcé de le démontrer Henri Mitterand à la fin de l’avant-propos à son Discours du roman (1980). Une démonstration qui rejoint ici les réflexions de Bakhtine quand il met en regard, dans Le Marxisme et la philosophie du langage (1977), l’idéologie et le psychisme, pour clairement signifier l’interaction entre le sujet et la société, entre l’écrivain et le « Lieu » qui donne vie et sens à son esthétique. Notre préoccupation première sera d’analyser le système énonciatif - un des aspects de la poétique d’un écrivain- des romans et des autofictions de Chamoiseau, sans en abolir, encore une fois, les contenus narrés et lexicaux au sens greimassien des termes, pour un souci de lisibilité de notre propre démarche, de notre propre réflexion.

A la lecture du corpus et à la suite de ces quelques réflexions liminaires, quelques constats évidents s’imposent: différentes formes d’expression et de communication des personnages créent des univers fictionnel et autofictionnel spécifiques au texte chamoisien ; cet univers de la fiction intime et anonyme (cf. Rivara, 2000, et la différence qu’il fait entre l’autobiographique – je - et l’anonyme – il) est propice à une autre forme de construction identitaire, liée à la composante langagière et mémorielle dans l’écriture.

En clair, il s’agit, à travers l’écriture d’un auteur antillais - Patrick Chamoiseau- de voir en quoi, dans sa fiction, la théâtralisation de la parole est originale par rapport aux auteurs de la Négritude, de l’Antillanité, voire de la Créolité. Comment s’organise la parole des personnages et des multiples narrateurs qui évoluent dans sa fiction (romans) et son autofiction (récits d’enfance) ? Quels contenus récurrents de l’univers fictionnel sont mis en exergue pour dire les joies et le mal-être de tous les protagonistes ?

Ne lit-on pas, dans cette mise en scène langagière, cette spectacularisation de la parole, le dessein avoué d’en faire une ligne de fuite, un point focal vers lequel convergent et se condensent toutes les thématiques identitaires du Moi intime et du Moi collectif chères aux Elogistes comme Chamoiseau ? La parole fictive devient alors le miroir, pour ne pas dire le

20 Henri Mitterand, 1980, Le Discours du roman, PUF, Collection « écriture », p.17.

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prétexte, plus idéologique que littéraire, de la mise en place d’un nouveau langage référentiaire, d’une nouvelle expression identitaire.

Après une brève présentation des romans et des récits d’enfance, nous tâcherons de voir, toujours pour un souci de lisibilité du contenu romanesque (inspiré de la narratologie du contenu – Claude Zilberberg, Jean-Louis Houdebine, Jean-Paul Dumont, A. J. Greimas…in Essais de sémiotique poétique21 par exemple), comment s’incorporent les thématiques référentiaires dans la « parole » de l’auteur marqueur et des personnages. Personnages pour lesquels il endosse généralement un « costume d’ethnographe », histoire de reprendre à notre compte une formule d’Aliette Armel22. Référentiaires (cf. le Fondal-Natal de Jean Bernabé, un des auteurs de l’Eloge de la Créolité, avec Chamoiseau et Confiant) parce que se référant à une culture, à des préoccupations identitaires. La thèse de Sophie Choquet, Sculpter l’identité, Les formes de la créolité dans l’œuvre narrative de Patrick Chamoiseau, privilégie, entre autres, cet aspect idéologiquement référentiaire du texte. Il s’agit de voir comment s’intègrent ces différentes thématiques dans la « parole » du narrateur marqueur, instance organisatrice des discours, et dans celle des personnages qui remplissent souvent le rôle de conteurs ou de narrateurs. Personnages « paroleurs » dont Chamoiseau se réclame paradoxalement. La récurrence de ces thématiques dans chacun des romans du corpus primaire ont conditionné leur choix dans notre étude.

Le discours du regard, omniprésent dans la fiction de Chamoiseau, n’est pas un motif décoratif servant seulement à reconnaître le style de l’auteur à chaque lecture, du fait de sa récurrence dans le texte. Il revêt de multiples fonctions qui consistent à introduire les mouvements de conscience, les paroles proférées des personnages dans les situations d’échanges, souvent sous le mode de la veillée, de la confidence, du conte. Il recouvre aussi une valeur anthropologique dont la réitération dans les textes dévoilent des situations

21 Algirdas Julien Greimas (sous la dir.), 1972, Essais de sémiotique poétique, Paris, Larousse, « Collection L », pp.125-178.

Les notions d’adjuvants/isotopies cosmologiques ou noologiques, nous les devons aux contributions de Dumont et de Zilberberg dans leurs analyses respectives d’un quatrain isolé de Rimbaud et du poème « Bonne pensée du matin » de ce même poète.

22 Aliette Armel, mai 2002, « L’Autobiographe en costume d’ethnologue », Le Magazine Littéraire, n°409, p.54-55.

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interactionnelles où le regard annonce l’intimité, le conflit, la domination. L’onirisme qu’il introduit ou qu’il enrichit par la prolifération du verbe « voir », affecté d’une polysémie suggestive et réaliste, est le pendant de la mémoire qui l’a engendré originellement, mais qui ne peut, textuellement, se déprendre du regard auquel elle semble intimement liée, parce que catalyseurs tous les deux de l’acte narratif, comme durant le séjour de L’Oubliée dans l’obscur cachot. A cet endroit, le violent face-à-face entre elle et un serpent génère non seulement un psycho-récit chargé d’angoisse partagée (par les personnages du récit primaire et du récit secondaire), mais aussi la parole – le roman de la Caroline captive – et une mémoire dont la métalepse répétitive de Chamoiseau explique la (re)construction.

Le regard souligne les occasions d’entremêlements subjectifs, vocaliques où le passé et le présent des personnages rentrent souvent en consonance, comme si refaire l’H (h) istoire avait une quelconque valeur thérapeutique ou cathartique pour ces derniers, surtout pour le narrateur personnage, figure de l'auteur, le narrateur marqueur de paroles. Le discours sur leur destin, souvent péjoré et sous la dénomination de la « déveine », la « dérade », « la misère », « la malédiction », est une approche énonciative de contournement, visant à moins exposer le misérabilisme, la victimisation qui envahit le roman francophone (en l’occurrence le roman antillais, depuis Zobel, tout au moins), quand le doudouisme est évacué de la critique ambiante23. Il vise davantage à exhiber un rapport au temps et à l’Histoire marqué par

23 Exception faite de ce que constate Nathalie Schon (2003), voire de ce que réalisent, comme conscients d’être étrangers à eux-mêmes, les auteurs de l’Eloge de la Créolité, quand ils parlent d’eux-mêmes (de leur culture, de leurs îles) dans leurs romans rédigés dans la langue de référence :

« Passé au français, quelques dix années plus tard, j’ai eu la surprise de me retrouver confronté à un problème similaire, quoique dans des termes différents. Comment décrire un cocotier ? Comment dire qu’une plage de sable blanc est belle ? Cocotier et sable blanc, tout le paysage antillais en final de compte, ont été réifiés par le discours exotique européen. Un écrivain euro-américain peut vanter la beauté d’un sapin ou de la neige, un écrivain antillais ne peut pas faire de même pour le cocotier et la plage de sable blanc. Et le drame, pour moi, écrivain antillais, c’est que ni le cocotier ni la plage de sable blanc ne sont exotiques dans mon vécu quotidien mais, dès l’instant où, usant de la langue française, je m’attelle à les évoquer, je me retrouve littéralement pris en otage, terrorisé au sens étymologique du terme par le regard réifiant de l’Occident » (Raphaël Confiant,

« Questions pratiques d’écriture créole » in Ecrire la « parole de nuit ». La nouvelle littérature antillaise, Paris, Gallimard, 1994, p.173)

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le fatalisme. Ce nouveau vocabulaire, érigé en rhétorique et en esthétique, sert malgré tout une idéologie personnelle et collective sous domination, si l’on en croit l’auteur (EPD) ou la théorie de Bakhtine (1977, p.120-141) sur le rapport du « moi » et du « nous » dans une société « organisée et différenciée » où l’intériorité des individus est considérée comme

« nette », riche et « complexe », en comparaison avec une société soumise aux conflits, à la dépendance, désorganisée et qui vous modèle négativement, vous oriente vers la résignation, le fatalisme, « la protestation individualiste du gueux.24». Les personnages de Chamoiseau (Balthazar Bodule-Jules, Pipi, Bidjoule, Sarah Anaïs-Alicia, Solibo, Marguerite Jupiter, Déborah-Nicol Timoléon, Marie-Sophie Laborieux…) semblent être marqués au fer rouge par une dérade fondamentale (comme qui dirait nègre fondamental25, ou malédiction fondamentale.) qui prend plusieurs visages, profanes ou sacrés, contre laquelle certains s’élèvent pour (sur)vivre et à laquelle d’autres se soumettent, par fatalisme ou résignation. Le

Se dire en évoquant son lieu et ce qui le caractérise, en termes fanoniens, relèverait alors de l’aliénation ou sinon exprimerait tout simplement la béance dont parle Glissant dans Le Discours antillais et que tente d’expliciter Confiant dans son article de 1994. Une béance où se logerait, selon Confiant, « la littérature antillaise. Ou plus exactement l’espace qu’elle doit combler pour cesser d’être perpétuellement déportée d’elle-même, pour qu’enfin elle puisse accéder à l’authentique. Espace de frottement de deux langues, de deux imaginaires, de deux sémiotiques si étroitement mêlées qu’il brouille les pistes du chercheur et complique la tache de ce praticien de l’écriture qu’est l’écrivain. […] » (Ibid., p.172). Cet auto-exotisme qui préside à toute écriture ou qui obsède l’écrivain créole dans son activité (de poète , d’homme de théâtre ou de romancier) est donc l’expression d’un écartèlement, d’un vide à combler, par une entreprise de détour qui consiterait à ne pas mimer un discours doudouiste qui tendrait à privilégier (in)consciemment un destinataire non natif, essentiellement occidental, comme l’a d’ailleurs constaté René Ménil (1999, p.37) quand il parlait du « système colonial » : « la conscience des colonisés est façonnée, modelée conformément aux préjugés des colonisateurs, conformément aux valeurs et aux vérités des maîtres ».

24 Mikhaïl Bakhtine, 1977, Le Marxisme et la philosophie du langage, Essai d’application de la méthode sociologique en linguistique, Les Editions de Minuit, p.127.

25 Cf. CSM. Expression quelque peu ironique qui renvoie à la personne de Césaire (« le nègre fondamental »), comme pour signifier la grandeur de ce dernier. Dans CSM, la parole du député-maire de Fort-de-France ramène le roi des djobeurs au même niveau de notoriété que lui : le poète, homme politique, considère Pipi comme son homologue dans l’image positive qu’il octroie à ses congénères, à telle enseigne qu’il le « déclare Martiniquais fondamental » (CSM, p.200)

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