• Aucun résultat trouvé

RECIT ROMANESQUE

2.3. UNE ENONCIATION IDENTITAIRE DU LIEU

Depuis CSM, Chamoiseau fait montre d’une propension certaine à mettre en exergue une cartographie personnelle de la Martinique. La faune, la flore, le minéral participent de cet éloge du cadastre natif, en réaction évidente contre les clichés paradisiaques de la littérature doudouiste et contre la posture de la négritude césairienne qui, selon Chamoiseau (cf.

Delphine Perret, 2001, chapitre 2, p.15), renversait la vision idyllique de carte postale qui prévalait alors, en enlaidissant la terre natale. Césaire (1983) ramène, à l’orée du Cahier,

108 Même si c’est avec un certain paternalisme « colonial » qui occulte la part de savoir que lui avait transmis Ogomtemmêli avant son simulacre de naufrage :

« […] Nous avions alors repris la route vers le Brésil où m’attendait ma plantation, et j’avais fini par oublier ce fils, ce bon ami, ce frère. » (LEAC, p.229)

127

toutes les Antilles à la déchéance-naufrage d’une ville qui ne peut être que Fort-de-France : êtres, lieux, objets semblent frappés des mêmes maladies, de la même laideur physique et morale. Sans conteste, la Négritude césairienne, du fait du contexte colonial, semble ne pas exposer une absolue magnificence du lieu natal :

«Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les Antilles qui ont faim, les Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées. »109

Pendant ses « lectures de cet insulaire illustre, Aimé Césaire », Chamoiseau, dans un discours ironique d’hommage, relève les passages du Cahier qui ternissent l’image de son Lieu natal, le pays-Martinique (« petit rien ellipsoïdal qui tremble à quatre doigts au-dessus de la ligne »), avec une critique acerbe à l’adresse de ses congénères (« quelques milliers de mortiférés qui tournent en rond dans la calebasse d’une île » et avec, finalement le petit bémol de la rupture avec « l’imagerie des littératures exotico-doudouistes ». Césaire gagne partiellement l’estime de Chamoiseau. Partiellement, en ce sens que le désamour s’installe rapidement, que le discours césairien, comme celui des poètes contemporains qu’il influence, se noie dans le flot des critiques contre la « plaie coloniale » qui gangrène aussi bien les colonisés que le paysage de la colonie insulaire : « îles cicatrices des eaux, îles évidences de blessures, îles muettes, îles informes, îles mauvais papier déchiré sur les eaux ».

La position du marqueur est un autre projet, une voie médiane entre exaltation du Lieu et dénonciation des ravages des « dominations » précoloniales et post-coloniales. Une autre poétique qui se propose d’appréhender l’espace natal dans sa totalité explicite et muette, pour retrouver sa chair véritable, aussi bien dans la contemplation réaliste qu’onirique – son

« anabase rêveuse »:

«REVER-PAYS – Comprendre cette terre dans laquelle j’étais né devint mon exigence.

J’étais en elle et elle était en moi. Aller en elle, c’était aller en moi en une boucle sans rivage.

Je voulus oublier ce que je savais d’elle, retrouver comme dessous une ruine sa chair véritable dont mes propres chairs avaient fait leur tissu. Je revins au magma de ses émergences. Les livres, la parole, les vieilles mémoires, les traces, les intuitions, les souvenirs bégayés…tout

109 Aimé Césaire, 1983, Cahier d’un retour au pays natal, Dakar/Paris, Présence Africaine, p.8.

128

s’érigeait outil de cette quête du profond. Autour de moi, la colonisation avait mené discours.

Elle avait nommé. Elle avait désigné. Elle avait expliqué. Elle avait installé une Histoire qui niait nos trajectoires. Elle s’était écrite sur nos silences démantelés. M’immerger dans ces silences gisant sous la proclamation. En minutie, vivre les paroles sans voix sous l’écriture. En grand souci, me relier à chaque miette de cette terre, et chaque miette l’une à l’autre, et les surprendre dans leur ensemble émotionné […] » (EPD, p.97)

Cette mise en relief du pays n’est possible et judicieuse que par le truchement du rêve du marqueur de paroles. Il lui permet, à ses débuts, non seulement de vaincre l’angoisse de la page blanche, mais de « dénouer les ferrements coloniaux posés à nos réalités » (Ibid., p.98).

Il acquiert ainsi plus de « légèreté » dans sa pratique d’écriture, que l’œuvre de Glissant contribue à nourrir davantage.

L’activité onirique, soit du marqueur, soit du personnage, autorise la mise en exergue des espaces du passé. L’épisode de la jarre enfouie avec Afoukal et le cachot de L’Oubliée, entre autres, en témoignent. L’enfouissement chtonien de Pipi convie vraisemblablement à une exégèse psychanalytique (CSM, p.213), parce qu’il rappelle le même retour fœtal de l’orphelin Bidjoule. La terre natale est préalablement posée comme une matrice étrangère, sinon auparavant ignorée et méconnue. Il faut absolument la sonder, apprendre à l’apprécier, à l’aimer. Les interrogations de Pipi à Afoukal procèdent de cette même volonté de combler une double carence, à la fois cognitive et affective : on n’aime pas son « lieu » et on ne le connaît pas ; ou bien faut-il dire que le sujet martiniquais ou antillais, ainsi représenté, ne connaît pas assez son « lieu » pour pouvoir l’aimer, l’apprécier, ne pas ressentir le tournis (Affrergan, Chamoiseau ou d’autres auteurs de la créolité parleront de drive) que sa géométrie circulaire et insulaire impose aux consciences et aux corps110.

110 Cet épisode d’Afoukal rappelle bien la démonstration de Stéphane Nicaise (1993) sur Le fondement symbolique de la vie quotidienne à Mafate. Les forces centripètes et centrifuges qui modèlent les consciences sont l’expression du récit tragique d’une négociation entre la Tradition et la Modernité, entre la mémoire de la terre des ancêtres éponymes et la gestion du nouveau lieu d’accueil, tel que nous le donne à lire Chamoiseau à travers le personnage de l’esclave Afoukal, voire à travers « la parabole du trésor sur le terrain » dont fait mention Stéphane Nicaise (1993, p.96-101) quand il tente de « marquer » les paroles oniriques d’une Mafataise.

Le processus d’appropriation du « lieu » natal est bien clair, même s’il tisse des liens intertextuels avec

129

Le maître-djobeur extériorise son mal-être chtonien par la parole. Il se démarque du silence suicidaire de Bidjoule, même si le destin du fils du dorlis se solde par la mort - une mort plus mythique, parce que s’incorporant dans la doxa, dans la légende, comme Afoukal. Mais, nous voyons se dessiner dans cet investissement chtonien, bien avant l’éclairage d’EPD, voire de l’Eloge de la créolité (1989), cette intention première du marqueur auteur de narrer/décrire son espace natal. Le dialogue Afoukal/Pipi est certainement onirique, imaginaire, mais il permet ultérieurement l’avènement, selon le même principe fantasmagorique, de plusieurs personnages : le vieil homme de LVHM et le rêve fécond qui clôt son marronnage, le songe mémoriel de Balthazar Bodule-Jules, l’envoûtante « force » ancestrale de la Belle, le rêve de Caroline L’Oubliée qui prend forme dans un sombre cachot et qui se confond avec celui de l’éducateur-écrivain...

Cette immersion onirique pour investir l’étrangeté de l’espace méconnu rappelle aussi bien la

« vision intérieure » de l’Eloge (1989) que l’«anabase rêveuse» du deuxième chapitre d’EPD.

L’interrogation du Lieu et des éléments qui le constituent réactive, nourrit, travaille l’imaginaire de l’écrivain. A telle enseigne que cet imaginaire personnel constitué permet la profération de sa parole, l’écriture des destinées au travers d’un vestige minéral, végétal, architectural…

Le cachot de l’UDAC est le lieu-refuge d’un rêve adolescent qui provoquera celui du marqueur et l’avènement d’une parole sur un personnage qui aurait vécu à l’époque de la Plantation. Le lieu féconde donc le récit ; le récit accorde consistance historique, par le

l’injonction finale de la fable de La Fontaine (« Le Laboureur et ses enfants »), qui érige ainsi le « trésor caché » en valeur de l’effort et du travail pour le bien-être terrestre. Dans sa thèse (1999, pp.194-212), Stéphane Nicaise, réitère ce « paradigme des trésors enfouis » où la félonie du maître qui assassine transforme, malgré lui, son esclave gardien en une espèce de figure christique (il meurt pour permettre le bonheur des vivants, même si cette

« passion » supportée doit générér par la suite la fièvre de l’or), une figure d’espérance pour ses congénères, voire de relai de la mémoire du passé par rapport au présent. La vision du Père Nicaise se veut ici (par ce paradigme des trésors enfouis) contribution dans les « processus de créolisation ». Processus constatés, pouvant bien entendu déborder du cadre insulaire spécifiquement réunionnais, grâce à la présence de « matériaux ethnographiques (qui) permettent d’établir une continuité entre des traditions anciennes, au moins de la fin du XIX ème siècle au début du XXème, et des récits de vie actuels » (Ibid., p.201)

130

truchement de la fiction/diction chamoisienne, à des personnages anonymes du passé colonial ou esclavagiste. Le cachot, comme les reliques retrouvés dans les bois, procurent de la sérénité chez le personnage (Caroline) et deviennent des catalyseurs d’écriture, des Muses pour l’écrivain qui apparaît comme possédé :

« […] J’avais touché à ces reliques tombées de l’esclavage : mille personnalités avaient rué en moi !... et j’avais dû écrire, écrire durant des jours pour m’en débarrasser. Si cette ruine de Gaschette ne m’avait pas troublé, mes mains n’auraient jamais quitté mes poches. Je voulus retrouver un aplomb en regardant l’enfant et lui montrai ma découverte. » (UDAC, p.37-8) Le marqueur constate la même possession chez Caroline, du fait du contact avec ce lieu chargé d’histoire qu’est ce sombre cachot dans lequel elle s’est réfugiée :

« Je vis qu’il y avait quelqu’un dans son regard.

Cette chose ancienne l’éveillait. Toute cette construction l’éveillait. L’enfant ignorait la nature de cet abri de pierres mais y trouvait une renaissance. Cette « résurrection » était le rêve de tout éducateur. Rien n’est pire que d’avoir la charge de ces enfants que le malheur a foudroyés : ils ne font que durer dans ce cadavre qu’est devenu leur être. En sortir relevait du miracle. Je l’avais rarement vu. Il y avait donc de quoi se réjouir devant ce que vivait là cette petite Caroline, mais je ne pouvais m’empêcher de trouver cela malsain. C’est pourquoi je voulus tout brusquer : cet endroit est un cachot…un cachot effrayant !... Et, soulevant mon horrible trouvaille, je hoquetai encore : Et ça, c’est son cadenas… » (Ibid., p.38)

Ce qui est remarquable dans l’enfermement de L’Oubliée, c’est que le sème effrayant du cachot se dissipe et laisse place à l’assurance, à la prise de conscience du personnage, de sa propre force, découverte par lui-même ou proprement transmise par un tierce. Sechou (cet autre esclave qui nous rappelle le vieux marron de LVHM), touché par la grâce (une force !) de la « Sauvemort », semble, par la pierre du cachot sur laquelle il appose ses mains (« ses doigts puissants griffent la pierre impassible », p.197 d’UDAC), rentrer en communication avec la captive, moins avec sa bouche qu’avec le toucher qui instaure, de ce fait, une force télépathique.

131

Le cachot, à la différence du destin fatal de Bidjoule111 ou de Pipi, est une coquille rédemptrice, prometteuse de vie et d’espoir, comme le suggère d’ailleurs la grossesse112 de L’Oubliée. Le mal qu’a engendré cette « trace » qu’est le cachot s’est transformé alors, dans le temps de l’Habitation comme dans celui de Caroline/Chamoiseau, en bienfaisance. Le cachot devient le lieu d’une fascination, d’un émerveillement profondément intérieur et débordant, parce qu’il abat les murs, propose des ouvertures sur soi et sur le monde : l’évocation du dimanche, au début d’UDAC, dans ce récit de l’enfermement, est une métaphore aussi bien de la prise de conscience que celle d’un appel à une humanité solidaire, à l’avènement du Tout-monde. Après tout, le personnage de Dimanche/Vendredi (soi-même) qu’invoque la trace, l’empreinte ou le psycho-récit de LEAC n’est-il pas une métaphore de ce dialogue avec l’altérité, de cette ouverture au Tout-monde ?

Au bout du marronnage du vieil esclave dans LVHM, la pierre amérindienne et les os (ses os ? retrouvés par un vieux nègre- rappel de cet épisode dans UDAC, p.37) découverts dans la forêt, procèdent de la même démarche esthétique de revalorisation de la Trace. Dans Lettres créoles (1999), la Trace, selon Confiant et Chamoiseau, engendre la littérature, une

« silencieuse littérature » que rendent possibles les pierres gravées des ancêtres amérindiens, pierres enveloppées par l’humus des bois, qui dévalent les pentes et finissent par s’amonceler au pied de roches plus imposantes, alertant d’autres présences génésiques.

La pierre, la cale, le sous-bois, la ville, la plantation, les marchés… deviennent alors des hyponymes récurrents de l’écriture chamoisienne. Des motifs topographiques qui sont autant

111 Il est retrouvé mort (p.138 de CSM), « couché en position fœtale » à l’hôpital psychiatrique de Colson, en Martinique. Mais auparavant, avant son internement, il s’était déjà enterré jusqu’à hauteur de la taille, indiquant avec force qu’il était une igname.

112 Aux abords du cachot, les cris, les grognements (le monstre-chien, le molosse chasseur d’esclave), les grondements (la colère, la révolte de Sechou contre la condition de la captive) s’adoucissent et se transforment en paroles plus rassurantes, plus paisibles, pleines d’espérance, d’amour. Il y a dans ce long épisode une mise en abyme de l’enfantement : le bébé que porte la captive annonce une naissance, rendue seulement possible par la deuxième naissance de la mère dont le cachot apparaît comme un utérus nourricier.

132

de synecdoques qui renvoient à l’imposant hyperonyme113 : le Lieu natal que le marqueur appelle dans EPD, pays-Martinique. Même si le carnet retrouvé de l’errant du Livret des villes du deuxième monde envisage une ouverture plus grande sur les espaces (ici urbains) du réel et surtout de l’imaginaire. Il n’en reste pas moins que le verbe «voir» est constamment convié textuellement, dans sa double et habituelle acception chamoisienne : une construction /description réaliste d’un espace aux portes de l’onirisme ou de la mémoire phantasmatique.

C’est ainsi que l’on note, dans les récits d’enfance, un engouement similaire à faire épaissir le récit par l’évocation du lieu. La vieille case en bois du Nord, l’arpentage de l’espace de l’enfance (école, rues, cimetières pendant les vacances de Toussaint, campagne ou sous-bois…) permettent à la fois le souvenir et le discours sur les jeux, les premiers émois amoureux, les relations avec autrui (famille, amis, maîtres d’école, marchandes, épiciers…), sur la culture locale et les influences de l’Occident sur l’intellect et le psychisme des enfants et des adolescents, comme l’atteste par exemple la fin d’ABE ( cf. le chapitre « Mélancolie première »), où ces derniers réactualisent, à la sauce créole, les gestes médiévales.

En conclusion, les lieux décrits ou évoqués dans l’œuvre narrative de Chamoiseau sont autant de poupées russes qui s’incorporent dans un gigantesque espace. Elles ramènent toujours au pays natal qu’est l’île de la Martinique et, par extension, aux Antilles, voire au-delà : tous les lieux de la planète, marqués physiquement et culturellement par les hommes. Lorna Milne114 se contente, quant à elle, de comptabiliser et analyser quatre lieux de l’imaginaire chamoisien : la cale du bateau négrier, le marché foyalais, l’habitat créole et le sous-bois.

Chamoiseau, lui, va plus loin. A titre d’illustration, l’envie de Nelta, le concubin de Marie-Sophie Laborieux, d’aller voir d’autres pays, relève textuellement de la même volonté globale

113 Hyponyme et hyperonyme. Termes de linguistique que nous empruntons à Maingueneau et que nous appliquons souvent à l’analyse du texte descriptif. Voir à ce sujet le chapitre 3 (« Mise en relief » et description) de Linguitique pour le texte littéraire de Maingueneau (2005/2007, réédité chez Armand Colin, après plusieurs autres éditions antérieures chez Bordas, Dunod et Nathan). Termes qu’elle a déjà employés et explicités auparavant dans un autre texte (1976, p.56)

114Lorna Milne, 2006, Patrick Chamoiseau, Espaces d’une écriture antillaise, Editions Rodopi B.V., Amsterdam/New-York, 228 p.

133

d’embrasser le «Tout-Monde», et non d’une fièvre aliénante et incontrôlable de fuir son île natale. Solibo Magnifique, sans bouger de son île, avait fait de la drive une connaissance positive de l’altérité, qu’elle soit géographique ou physique. Sa proximité affective avec les autres, bien après son expérience douloureuse dans les bois (qui rappelle celle de Pipi dans CSM), lui assure une initiation et une formation solide qui conduiront à parfaire l’homme qu’il est devenu.

En compagnie de Man Gnam (SM, p.114), il dépasse sa drive insulaire, tout comme fréquenter les

« abris de la prostitution » (p. 165-6 de SM) va l’aider à acquérir un savoir immense sur la Caraïbe, et à accroître ainsi, par cette épreuve initiatique, sa soif inextinguible pour l’amour d’autrui. BDG franchit un palier supplémentaire en précisant davantage cet élan vers l’altérité. La capture de Balthazar Bodule-Jules et son emprisonnement par les Japonais en Indochine transfèrent la problématique de l’adéquation du sujet à la nature locale dans un lieu exogène (cf. p.161 et suivantes de BDG) : le lieu de l’autre interfère avec le sien ; sa mythologie personnelle voyage avec lui et lui sera salutaire dans le lieu clos qu’est la cage où il est enfermé. S’y mélangent donc nature et culture, volonté de puissance, renoncement et réaction, désir de s’agripper au sol natal, de l’appréhender (saisir et comprendre, faire comprendre), mais aussi inclination certaine à proposer l’ouverture de cet espace insulaire, à travers le temps, les contextes, sur d’autres espaces du monde, au-delà des mers. Les objectifs de cette propension à l’ouverture sont multiples et se diffusent dans le texte chamoisien : expression de la liberté individuelle quant au choix et à la définition identitaires ; le bruissement, dans l’écrit, de la rumeur, de la clameur, de la satire ou de l’humanité du Divers, à l’instar de Perse ou de Salvat Etchard115 :

115 Cf. Lettres créoles (1999), notamment le chapitre intitulé L’errance au monde enracinée, où l’on reprend la polémique sur la créolité de Saint-John Perse. On reconnaît finalement la dimension créole de son œuvre, grâce sans doute à l’apport du philosophe martiniquais Emile Yoyo et son essai (Saint-John-Perse et le conteur, Bordas, 1971). De toute façon, le poète Béké, même s’il a quitté son île natale à douze ans, s’enracine d’abord vraisemblablement à ses débuts dans la Guadeloupe, pour s’élancer ensuite vers l’Ailleurs, pour se réaliser dans le Divers. Processus inverse avec le Basque Etchard, installé un moment en Martinique, et qui va faire sienne, dans ses écrits (Les Nègres servent d’exemple, Julliard, 1964), la problématique de la domination et de l’aliénation coloniales des autochtones…Le « mieux » qu’évoque Valéry Larbaud, à propos d’Eloges, fait sortir Perse de son exotisme, de son provincialisme et l’éloigne de toute référence à sa terre natale. Ce que récuse Yoyo qui dit, avec véhémence, qu’« il suffit de réintroduire tout ce que le qualificatif « exotique » supprimait pour que l’œuvre de Saint-John Perse s’éclaire : les Antilles sont toute entières présentes dans cette poésie, leurs hommes, leurs femmes, leur langue, le créole. Saint-John Perse est un auteur antillais. A la place du vide dont le terme d’exotisme était l’indice, vide qui

134

« Avec Etchard et Perse, deux de nos tracées littéraires se croisent, l’une qui part, l’autre qui vient ; les deux enracinées, non à une terre, mais, dans leur projet, à toutes les terres : au monde enracinées.

L’aventure contemporaine de la littérature s’amorce ainsi. Les écrivains, de plus en plus, auront du mal à tracer leurs frontières. Signalons pour mémoire le cas extraordinaire de l’écrivain anglo-hellène, de nationalité américaine, Lafcadio Hearn qui, à la fin du XIX ème siècle, recueillit les contes créoles de Louisiane et de la Martinique, vécut avec délices dans le Saint-Pierre d’avant l’éruption, publiant des ouvrages pleins d’amour pour les paysages et les hommes martiniquais, paraissant un instant s’enraciner ici-là, avant de partir pour le… Japon où il épousa une femme du cru et écrivit des ouvrages en japonais.

L’aventure contemporaine de la littérature s’amorce ainsi. Les écrivains, de plus en plus, auront du mal à tracer leurs frontières. Signalons pour mémoire le cas extraordinaire de l’écrivain anglo-hellène, de nationalité américaine, Lafcadio Hearn qui, à la fin du XIX ème siècle, recueillit les contes créoles de Louisiane et de la Martinique, vécut avec délices dans le Saint-Pierre d’avant l’éruption, publiant des ouvrages pleins d’amour pour les paysages et les hommes martiniquais, paraissant un instant s’enraciner ici-là, avant de partir pour le… Japon où il épousa une femme du cru et écrivit des ouvrages en japonais.