• Aucun résultat trouvé

RECIT ROMANESQUE

2.1. LA PERSISTANCE DU DISCOURS DU REGARD

Sur le plan narratologique, le regard annonce plus l’intériorité qu’un désir affirmé de la part du réflecteur - actoriel ou auctoriel- de comprendre ou de décrire le monde dans lequel il évolue. Persiste, dans cette présentation du réel antillais par le truchement des yeux, un paradoxe qu’éclairent les dernières pages d’UDAC, œuvre chamoisienne éminemment visuelle, parce qu’essentiellement onirique. L’intériorité, ce regard intérieur, résume à lui tout seul l’oxymore de l’obscur-éclat chamoisien, d’ailleurs emprunté à d’illustres prédécesseurs : Faulkner, Césaire et Glissant64. Une intériorité généralement diffuse que les différents narrateurs homodiégétiques et intradiégétiques tentent de sonder. La parcimonie avec laquelle le marqueur Chamoiseau traite du psycho-récit révèle habituellement un regard actoriel

63 Sur le regard, la déveine, le lieu et le corps.

64 Voir à ce propos les explications du marqueur à la fin d’UDAC (p.317). La surcharge du lexique visuel exhiberait moins ici un réalisme évident qu’un discours incertain et obscur sur l’être et le monde.

82

dissimulateur de sa vérité intérieure, mais qui, paradoxalement, expose au lecteur suffisamment d’éléments sur son état mental, ses tourments et ses joies.

Le premier roman de Chamoiseau regorge de ces tourments repérables grâce au regard posé sur autrui. C’est le regard posé sur Athanase, recueillie par Man Goul, qui désorganise, à des fins divergentes, l’intériorité du roi des djobeurs Pipi et de l’expert en matière de séduction Zozor Alcide-Victor. La souffrance d’Athanase, éprise d’un amant volage, est détectable dans son regard absent où se devinent les rêves nourris pour son premier amour, Zozor Alcide. Le regard absent semble réitérer la thématique de l’âme en peine. Le père de Man Elo, bien après le départ de ses filles et la mort de sa femme, est l’autre versant de l’amour – filial - déçu que le seul regard laisse entrevoir : le psychisme que les yeux révèlent résume une destinée, provoque soit la sympathie du narrataire, soit l’indignation face à une condition sociale, marquée par l’échec du personnage que la poétique de la dérive ou de la drive, omniprésente dans la fiction chamoisienne, autorise :

« L’adolescente leva sur le musicien la douceur infinie de ses yeux. Flap ! ce dernier ressentit ce vertige irrémédiable qui devait briser sa carrière, et tomba raide dans la mare. » (p.59) Le tournis qu’instaure la rencontre des regards préfigure une sexualité et un érotisme qui disqualifient la paternité. Alphonse Antoinette, dans CSM, fuit l’espace de la paternité, celui de la famille possible, jusqu’à sa propre néantisation fœtale dans une « conque abandonnée ».

Un tragique destin qui semble annoncer la fin de son propre fils, mort dans l’œuf, et par procuration, celle du fils de Gogo, le deuxième compagnon d’infortune de Clarine : fils de Gogo –Bidjoule - que Clarine avait abandonné pour l’amour d’un « beau mulâtre », le facteur Ti-Joge. La marchande ancestrale, Man Goul, qui recueille le petit Bidjoule, semble être le point focal de ces souffrances personnelles dont l’origine demeure l’amour. Une conception masculine et une conception féminine antithétiques: l’amour idéalisé de la femme que déçoit le rapport (sexuel) intérimaire et passager établi/imposé par l’homme ; le consumérisme charnel de l’un en opposition avec le romantisme de l’autre.

83

Dans les possibles narratifs65 du Marqueur, se constate la même impossibilité de relater un amour concret qui s’inscrit dans le temps. Ainsi est remarquable l’agonie de Balthazar Bodule-Jules dont le regard posé sur de vieilles lettres de femmes provoque une série de discours hypothétiques sur des amours déçus, sur une paternité désirée impossible, parce qu’imposée par la magie ou la pharmacopée locale. La famille, tout comme le couple, est éphémère.

Le couple ou la famille se solde alors par un échec. Cet échec se matérialise par la solitude, la mort, une autre histoire d’amour en passe d’être aussi courte que les autres. Le souvenir intervient souvent tel un exutoire, comme chez le vieux guerrier à l’article de la mort dans BDG ou comme une simple réactivation de la libido. Le « regard de western », « les paupières en surprise », la « muette observation » des protagonistes suscitent le surgissement des souvenirs, en l’occurrence ceux, par exemple de Bouafesse dont le monologue intérieur (« Andjèt sa ! c’est Lolita, pensa-t-il ») qui les inaugure annonce tout un discours sur le kalieur, les « amours fugitives », en somme tout un discours sur la sexualité créole.

Gogo qui rencontre Clarine, Marguerite Jupiter qui reçoit Pipi, Clarine qui cède à la peine sentimentale de Pipi, malgré la venue imminente de Zozor Alcide-Victor, le « douloureux regard » d’Esternome sur Osélia dans Texaco (p.78), un regard qui guette, qui désire. Ce désir se manifeste dans une vacuité de l’existence que semble combler l’acte sexuel qui ne tardera pas à se réaliser. Même l’esquisse de la famille de l’épisode du jardinier-miracle de CSM nous conforte dans cette impossibilité dont nous parlions plus haut.

Des éléments extérieurs au couple et à la famille condamnent donc à leur irréalisation : l’esclavage, l’engagisme, l’administration, la précarité… Il y a comme une déveine liée à un inconscient social, un héritage psychosocial qui prend source dans la cale, sans doute, comme l’évoque Glissant dans « La barque ouverte »66 ou Chamoiseau dans ses œuvres, en

65 Notion de « possible narratif » empruntée à C. Bremond. Cf. à ce propos, son ouvrage : Logique du récit, Paris, Seuil, 1973.

66 Glissant (1990), « La barque ouverte », premier chapitre de Poétique de la Relation, Gallimard, pp. 17-21. En note de page, à la page 17 de ce livre, il rappelle cette mémoire traumatique et fondatrice, comme pesant sur tout Antillais : « […] Dans l’espace du bateau, le cri des déportés est étouffé, comme il le sera dans l’univers des

84

l’occurrence dans l’analepse foisonnante et fantaisiste qu’est l’histoire du rebelle Balthazar Bodule-Jules.

Le regard initial que pose le narrateur Chamoiseau (UDAC, p.40) sur la petite Caroline réfugiée dans un reste de cachot esclavagiste revêt la même portée psychosociale, à notre sens, non fortuite. L’enfant - en rupture familiale, socio-affective - observe ces vestiges et son rêve se déclenche : rêve du passé insaisi ou simple rêverie d’une adolescente en souffrance dont le mal-être se pose comme l’écho de celui des occupants d’antan. De toute façon, son observation des vestiges de la voûte engendre le rêve dans lequel elle plonge, comme dans un lieu matriciel protecteur. Et la regarder, de la part du marqueur éducateur, provoque une activité psychonarratoriale intense, plutôt très proche du monologue narrativisé :

« Je la regardais.

Elle aurait pu être très jolie. Elle aurait dû être dans un beau lit, une belle chambre, avec des parents affectueux, plein de frères énervants. La maltraitance n’avait pas tout brisé. Une innocence s’opposait encore aux balafres du destin. La vie, enterrée au fond d’elle, nimbait son masque d’une douceur. Qui était cette enfant ? Que comprend-elle à ce cachot ? Était-ce de la folie ou de la clairvoyance ? Pourquoi n’avoir pas lu son dossier comme Sylvain me l’avait proposé ? » (UDAC, p.40)

Ce mal-être de l’incipit d’UDAC réactive, dans la pensée-parole du marqueur, la dimension tragique d’une Habitation, celle dans laquelle a vécu le vieil esclave rencontré dans LVHM. Il s’agit d’une jeune femme, L’Oubliée, intriguée par le vieil homme, qui deviendra le père de son enfant. La première rencontre, initiée par la fille dans une sorte de désir paroxystique près d’une église, est fugace et narrée de manière elliptique. La grossesse annoncée, neuf mois après, suppose cette rapidité et cette unicité de l’acte sexuel. La deuxième (toujours à l’initiative de la jeune femme à qui une vieille Africaine, surnommée la Belle, demande d’avorter) est l’instant d’une prolifération de verbes liés au sens visuel (quatorze occurrences dans un seul paragraphe) dont trois seulement peuvent être attribués au vieil homme :

Plantations. Cet affrontement retentit jusqu’à nous ». L’affrontement dont parle Glissant, c’est celui des

« puissances de l’écrit » venant de l’Occident et celui des « élans de l’oralité » des esclaves africains qui permettront, non sans heurts, la créolisation des Antilles.

85

« […] Pourtant, un jour, il l’avait vue. Juste une fois. Un jour durant lequel la tisane de datou avait démantelé la tête de L’Oubliée d’une sorte imperceptible à tous. Le vieil esclave, en la voyant passer du fond de la sucrerie, s’en aperçut là même. Il la fixa sans rien défaire de ce qui lui servait de face. Délaissant la chaudière, il lui fit signe de venir avec lui. Les commandeurs s’affairaient aux livraisons du sucre. Nul ne les vit…» (UDAC, p.54)

Voir n’est pas seulement de l’ordre de l’apitoiement, de l’érotisme, de l’amour ou du

« koké »67. Voir revêt une fonction sociale de domination. Au début de Texaco, le regard des habitants du quartier insalubre combat celui des gens de l’En-ville, bien avant l’arrivée du Christ. Le regard dans Solibo Magnifique est plus chargé de négativité : la dépouille du conteur en spectacle ; le corps de ses écoutants sous la violence policière. L’entrée en scène du personnage central convoque un discours visuel sur son environnement ou sur la « curieuse fixité de ses yeux » (p.38). Un discours qui tente de cerner le réel, qui invite à le cerner, à

67Chamoiseau fait sien ce vocabulaire qui relèverait du registre vulgaire du créole, à telle enseigne qu’il l’intègre dans sa fiction, dans un espace scriptural idéologique et pamphlétaire. Du coup, le terme acquiert de la notoriété positive, proche de l’érotisme, loin d’une acception monosémique que l’on réduirait seulement à l’acte sexuel. Il lui faut alors réhabiliter la sexualité créole qu’ont mise sous éteignoir la « négritude castrée » de Césaire et l’«antillanité » sans « libido » de Glissant :

« Bouaffesse, en habitude nocturne, utilisait son bureau pour la consommation impromptue de ses histoires d’amour. Il n’y a pas de paroles sur l’Amour par ici. Ces roches du malheur à domestiquer sous la dent font que la parole sur l’Amour n’a pas trouvé son nègre. Notre pré-littérature est de cris, de haines, de revendications, de prophéties aux Aubes inévitables, d’analyseurs, de donneurs de leçons, gardiens des solutions solutionnantes aux misères d’ici-là, et les nègres ceci, les nègres cela, et l’Universel, ah l’Universel !... Final : pas de chant de l’Amour. Aucun chant du koké. La négritude fut castrée. Et l’antillanité n’a pas de libido. Ils eurent beaucoup d’enfants (surtout dehors) mais sans s’aimer, fout’… » (SM, p.62).

L’amour de Sechou pour L’Oubliée ou le dévouement sans doute amoureux de cette dernière pour le squelette du vieil esclave, à la fin de la quatrième partie d’UDAC, est une trancendance du « koké » qui dépasse le stade de la drague du kalieur, du consumérisme sexuel dont Chamoiseau fait mention dans SM.

Chamoiseau et ses compères reprochent à leurs aînés cette castration (pour à la fois signifier la carence érotique observable dans les textes de leurs illustres prédécesseurs et leur intérêt exclusif centré sur des questions idéologiques et identitaires).

Les deux ténors n’ont pas rendu facile le travail littéraire des Elogistes, du fait de cette absence d’héritage érotique, même si d’autres aînés (Depestre, Géache, Gilbert de Chambertrand…) avaient bien avant eux creusé le sillon. C’est une des nombreuses contradictions de Chamoiseau et des autres figures de proue du mouvement de la Créolité qui attaquent la Négritude césairienne tout en l’encensant (« le cri, le cri originel » que celle-ci « restitua »), qui déplorent une carence de libido littéraire chez leurs aînés, alors qu’ils reconnaissent dans leurs propres essais (voir Lettres créoles, p.123-8) l’existence d’un corpus littéraire érotique caraïbe, bien avant l’émergence de la Nouvelle littérature antillaise.

86

l’appréhender. Mais au fur et à mesure que la loi s’en mêle, le regard (sur le décor ou les personnages que l’on s’efforce à décrire) devient plus belliqueux :

« Ecarte-toi, ti-bonhomme ! lui ordonne Bouaffesse qui n’a pas peur. Mais Diab a déjà noué son regard dans celui de Doudou-Ménar, brusquement révélé. C’est l’affrontement silencieux de deux cruautés, un choc de piments dans une chaleur. Le major et la majorine se sont saisis, personne n’y peut plus rien. Bouaffesse lui-même recule un petit brin. Il pressent d’imminentes dévastations et ne peut s’empêcher de saliver comme à l’évocation d’un crabe farci. Nous-mêmes, notre terreur de témoins se dissipe sous la venue d’une soif de voir (ô nous aimons ces acmés de sang, cette violence toujours florissante et disponible sans pourquoi ni comment). Doudou-Ménar a relevé le visage. Elle essaie de regarder de haut Diab-Anba-Feuilles qui pourtant la dépasse. Ce dernier, de frissons en frissons, s’approche jusqu’à la toucher. Avec le feu d’un regard, il tente de lui faire regagner nos rangs, mais Doudou-Ménar s’enracine, raide et sans souffle. » (SM, p.86)

Le regard devient agressif, parce que surtout, il semble répondre à une demande consciente ou inconsciente des témoins, policiers ou non. Tous sont friands de ces scènes annonciatrices de blessures, d’effusion de sang. Cette violence à voir ou à entendre agit plus comme un exutoire, une catharsis des souffrances individuelles que comme une activité récréative à laquelle s’adonnent fortuitement les protagonistes. La parole ponctue le regard menaçant, l’automutilation de Diab « devant les yeux de sa proie » doit faire baisser pavillon à son adversaire du jour : Lolita Boidevan, alias Doudou-Ménar. Après les yeux, la parole qui fait peur, parce que retraçant un itinéraire de vie impressionnant. Une destinée que le nom composé explicite d’ailleurs (diab+feuilles et entre les deux substantifs un adverbe de lieu qui suggère la présence de la Force parmi les humains, la présence du papa-feuilles en connivence avec le surnaturel qui lui livre les secrets de la nature).68

68 Esprits et arbres sont un binôme récurrent dans de nombreuses cultures du monde. C’est une association qui peut être maléfique ou bénéfique, à l’instar des totems animaux qui peuplent la fiction littéraire africaine. En tout cas, elle participe d’un lien certain avec le sacré, avec la magie et la merveille. La « Zita-trois-pattes », personnage du bestiaire merveilleux de Manman Dlo contre la fée Carabosse, la diablesse du fromager, est un exemple parmi tant d’autres du corpus chamsidien ou caribéen, où sacré et végétal sont constamment associés.

C’est un surnaturel accepté par les protagonistes et le patronyme de Diab-en-feuilles (comme ceui de Bouaffesse

87

C’est cette même sensation de peur innommable qu’éprouve Joseph le pêcheur à la vue de la

« chose (qui) le regardait avec toute la méchanceté du monde dans des yeux tout petits » (T., p.23). Iréné, le compagnon de Marie-Sophie Laborieux, n’hésitera pas une seconde à trancher la ligne pour libérer la bête, bien qu’il n’ait pas vu les « petits yeux » menaçants.

La menace, il la constate, comme aurait pu l’avancer Louis Vax, dans les gestes de son collègue pêcheur. Les « lunettes de tonton-macoute sur le nez » de Joseph et son signe de croix69, exécuté promptement, dénotent un aspect évident de l’usage simultané des croyances de l’Occident et de l’Afrique, un syncrétisme religieux où le christianisme semble prendre moins le dessus dans le cœur des protagonistes, malgré la prolifération du champ lexical biblique ou des Saintes Ecritures dans le texte et le paratexte chamoisiens :

« S’il avait pu, Joseph aurait crié mais les pupilles du monstre malgré la hauteur d’eau lui avaient sucé l’âme. Par-dessus le bord gauche du gommier, il effectuait à grande vitesse un signe de croix catholique au départ, emmêlé à la fin et de toute manière froid. Iréné derrière ramenait encore la ligne quand il perçut l’incompréhensible frénésie de la main droite de son équipage. Alors, mon pêcheur de requin, sans même se pencher pour confirmer sa sensation, avec un geste invisible tellement il fut rapide, et très calme oui, trancha la ligne. » (T., p.23) Ce qui est frappant, c’est le maillage lexical que tisse Chamoiseau entre parole ordinaire, récit et regard comme motif organisateur du décor romanesque et comme élément d’un discours anthropologique sur le peuple créole. La scène du requin au regard maléfique rappelle Solibo et la bête-longue dans leur interaction visuelle. Dans la parole de Didon, le serpent avait jeté des palpitations sur les marchandes et les djobeurs du marché de Fort-de-France. C’est ainsi que la bête avait choisi sa victime : Man Goul. L’intervention de Solibo allait lui être salutaire. Les regards s’affrontent. La violence du regard du serpent contre la douceur des yeux de Solibo. Le surnaturel prend le dessus, sinon comme le souligne Solibo à Oiseau de

suggère le kalieur, l’amateur du charroi, le coureur de jupons) obéit à ce programme narratif du monde magique qui prend source dans la nature, dans les bois, les « grands-bois ».

69 Le même signe, cette fois à l’envers, qui traduit l’inquiétude de Jambette lors de l’interrogatoire du vieux Congo par son collègue Bouaffesse. Ce dernier recèle la même diablerie. Sa calotte, ses mains maudites sont connues de toute l’assistance. C’est pourquoi Jambette est surpris de voir le coup de son collègue (gifle) stoppé dans les airs, du fait des yeux qui se sont croisés. Voir page 100 de SM.

88

Cham (SM, p.71), il y a une mise en adéquation de l’homme avec l’animal, de l’homme avec la nature.

En plus, Solibo semble ici perpétuer une pratique, un vivre-dire que Chamoiseau évoque à nouveau à travers la figure de la Belle, la Sauvemort, celle dont le salut aux bêtes-longues se

« (répand) comme un souffle » et qui « regardait autour d’elle avec des yeux voraces »70. Regard du Mentô qui observe, qui entend la nature. Hermétisme du personnage qui renforce sa dimension magique et mystérieuse, mais qui renvoie tout de même au modèle masculin du vieux marron poursuivi par le molosse dont l’acuité visuelle, intérieure et extérieure, expose le côté majestueux des personnages face à la violence de l’univers plantationnaire. Ces maîtres du savoir occulte et écologique engendreront des héritiers, tels que Papa Totone, Mentô de la Doum, chez qui les habitants de Texaco trouvent réponse à leurs diverses souffrances, à l’instar de Marie-Sophie Laborieux. Cette dernière guérira de ses blessures auprès de lui, mais elle admettra par la suite la puissance de son regard et la force formatrice de son silence :

« […] Lui, me regardait d’une si étrange manière que j’avais le sentiment de tomber folle. Il ne répondait jamais. Son regard paisible anéantissait mes certitudes et ne m’offrait aucune chance de réponse. Alors, j’eus soudain l’idée de le prendre autrement (grâce à cela, j’entendis ses confidences à mots couverts ; mais à présent, quand j’essaye d’y penser, j’éprouve le sentiment qu’il n’a jamais parlé). Un jour donc, je lui dis : Ho, c’est quoi l’En-ville, papa ?...

Il me lorgna bizarre. Je le sentis forcé de répondre…aucun silence n’offrait là de sortie…ou alors, son habituel silence prit une grâce singulière. De lui à moi, il y eut un envoi de choses dites. Mais « dites » comment, je ne sais pas. » (T., p. 319)

Le Mentô de la Doum n’est pas facilement accessible. Il est comme frappé d’invisibilité, à chaque fois que l’on se rapproche des lieux pour solliciter ses services. Il fait totalement corps avec son milieu, faune et flore inclues. La « fusion avec elle » dont parle Chamoiseau dans le sous-chapitre intitulé « inexistence » d’UDAC (pp.123-5) relève de la même intention

Le Mentô de la Doum n’est pas facilement accessible. Il est comme frappé d’invisibilité, à chaque fois que l’on se rapproche des lieux pour solliciter ses services. Il fait totalement corps avec son milieu, faune et flore inclues. La « fusion avec elle » dont parle Chamoiseau dans le sous-chapitre intitulé « inexistence » d’UDAC (pp.123-5) relève de la même intention