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RECIT ROMANESQUE

2.2. LE DISCOURS RECURRENT DE LA DEVEINE

Le chapitre précédent sur le regard montre à plusieurs niveaux l’enchevêtrement des thèmes qui essaiment dans l’œuvre de Chamoiseau. Il en va ainsi du destin et de ce que le scripteur narrateur appelle la dérade, terme auquel il faut associer tout le lexique marin (ou pas) qui lui est apparenté sémantiquement.

Les causes de la dérade91 sont multiples, tantôt noologique, tantôt cosmologique, liées à l’espace du dire, à l’histoire proche ou lointaine. L’écriture chamoisienne parvient même à fusionner causes et conséquences, les ériger en éléments déclencheurs du récit. La dérade ou la noyade des hommes est une misère, une malfaisance, une malédiction (cf. dans BDG, la notion de malédiction qui colle à la peau des personnages, depuis la naissance mythologique ou profane de Balthazar Bodule-Jules jusqu’à sa longue agonie, en passant par les différentes femmes aimées ou approchées par le héros, telles que Déborah-Nicol, Sarah-Anaïs-Alicia ou sa défunte mère, la fille de Cousu Boniface...) qui ne peut se dissocier de la déveine, cette entité antonyme du destin, récurrente dans la poétique de Chamoiseau.

Le Petit Robert attribue au mot « destin » une multitude de synonymes : destinée, fatalité, fatum, hasard, fortune, étoile, sort, avenir, existence, vie, providence. Ainsi transparaît-il, dans ces termes, un mélange de sacré et de profane : tantôt l’être humain n’est maître de sa vie, parce que gouvernée par les caprices d’une force transcendantale quelconque (une divinité monothéiste, polythéiste ? la puissance d’un quimbois ?), tantôt il en a le contrôle, en est responsable et peut donc lui imprimer une direction que déciderait seulement son

91 La dérade, selon le Petit Robert, est issue du substantif radical « rade », qui donnera par dérivation le verbe

« dérader ». Est-ce que le mot « dérade » relèverait du simple créolisme ou d’une construction lexicale de Chamoiseau? De toute façon, « dérader », c’est, pour un navire, « quitter la rade, contraint par la tempête ». Ce vocabulaire marin de la perdition rappelle tout un lexique voisin où l’on retrouve des mots (et leurs dérivés !) tels que naufrage, échouage, dérive, noyade…Des termes qui participent de l’insularité des lieux évoqués, que l’on retrouve chez de nombreux écrivains antillais. La dérade, tout comme la dérive (qui donnera par élision

« drive »), n’est pas seulement associée aux objets, mais elle est aussi associée au mal-être des personnages, à leur souffrance morale, à leur déchéance, causées par l’oisiveté, le chômage, les métiers de subsistance qui ne nourrissent pas assez les familles, les déceptions amoureuses, les ravages du rhum Neilson (qui suscite le vertige, terme associé aussi au champ lexical de la dérade.), à l’urbanisation…

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arbitre, comme le martèle continuellement le « bonhomme »92 à L’Oubliée, lorsqu’il lui dit qu’elle est le seul artisan de sa sauvegarde, de son salut93.

Parler du destin, comme nous tentions94 de le démontrer, c’est instituer le rapport d’une subjectivité avec son savoir sur la vie et la mort. Le marqueur narrateur est le premier à maîtriser ce savoir qu’il donne à lire/écouter dans le texte.

Le discours sur la déveine présupposerait la mise en vedette d’une complainte particulière, celle des personnages évoluant dans la fiction et, de manière métonymique, celle de l’Antillais ou du Martiniquais, que la dimension hautement référentielle des textes chamoisiens autorise. Faut-il y entrevoir une provocation implicite (comme une espèce de compte à régler) à l’adresse du discours revendicatif, que les tenants de la Négritude ont longtemps, contextuellement, privilégié ? Ou bien est-ce un mimétisme discursif plus amplifié, qui s’adresse moins à l’Autre qu’au Même. En tout état de cause, il est explicité par de subtiles stratégies narratives, énonciatives où « la parole, qui est le langage en acte ou en devenir dans le temps, n’est pas une structure, mais un processus temporel qui se constitue au fur et à mesure de son déroulé. »95 ?

En clair, le contexte qui a présidé, par exemple, à l’avènement de la parole césairienne, du fait du colonialisme, autour ou au sortir de la guerre, ne peut être assimilé à celui des préoccupations de la Nouvelle Littérature Antillaise. Césaire ne pensait pas comme Confiant ou Chamoiseau. Dans ses revendications sourdaient des réponses que l’Histoire a confirmées et des questionnements atemporels sur la condition humaine (liés à l’homme, Créole ou pas, sans enfermement non négociable dans une négritude senghorienne qui opacifierait les particularismes au profit de l’«Universel »…) que nous constatons aujourd’hui et que reprennent sous d’autres angles les nouveaux auteurs de la Créolité caribéenne.

92 Celui qui avait construit le cachot de l’Habitation, en errance dans la forêt, pour ne pas dire en attente de la libération de la captive. Voir p.208 d’UDAC.

93 Cf. le sous-chapitre « Paroles » d’UDAC, p.214-15.

94 Cf. Bourhane Maoulida A., 1994, page 19.

95 Affergan, 1983, p.141.

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Ainsi les multiples naissances de Balthazar sont-elles des preuves (cf. pp. 56-66 de BDG) de cette entreprise de non enfermement sur soi, une ouverture certaine à l’altérité, mais une ouverture empreinte de précaution, quant à la question de l’aliénation, de la perte identitaire.

C’est pourquoi l’on peut considérer que l’entreprise de détour est une volte-face prudente qui consiste à combler un savoir lacunaire sur l’histoire, la géographie et la culture insulaires du marqueur. Une entreprise de détour dans laquelle l’ironie explicite de la genèse de la cale est moins un appel nostalgique vers le lieu originel qu’une invite à la connaissance du lieu d’accueil ou le Lieu tout court, c’est-à-dire le Lieu-Martinique, en ce qui concerne Chamoiseau, comme peut l’avancer aussi Edouard Glissant. Le Même expliqué, dans cet ordre d’idée-là, participe d’une mythologie à inventer, à recréer, sans doute proche de la mythologie d’élucidation dont fait mention Glissant dans son Introduction à une Poétique du Divers96, à la différence des mythologies fixées dans le marbre mémoriel et scriptural, propres aux cultures ataviques, en l’occurrence celles de l’Occident.

Dès l’incipit de CSM, le destin s’impose comme motif initial déclencheur du récit. Le marqueur, à ce niveau, livre la toute-puissance de son omniscience narratoriale pour signaler qu’il maîtrise, du début jusqu’à la fin, le trajet de vie des djobeurs du marché :

« Au démarrage, prenons le commencement, donc sa mère, celle que nous appellerons Man Elo et qui deviendra reine incontestable du manger-macadam. » (CSM, p.19)

Ce deuxième incipit confirme la tendance qui consiste à signaler une parole englobante, encadrante, qui a une vue générale sur la destinée de chacun, malgré l’humilité affichée dans l’usage du personnel amplifié (nous) et de l’option de la confidence, plus auditive que scripturale :

« En vous confiant qui nous étions, aucune vanité n’imprégnera nos voix : l’histoire des anonymes n’ayant qu’une douceur, celle de la parole, nous y goûterons à peine. Riches seulement d’une brouette et de son maniement, nous ne cultivions rien, ne pêchions rien, n’apportions rien. Et notre participation à la vie du marché n’avait point, comme les tôles du toit, les grilles ou le ciment des établis, la confortable certitude d’y être indispensable. » (Ibid, p.15)

96 Cf. le chapitre intitulé « Culture et identité ».

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Le personnage amplifié, s’adressant au vous de la compagnie, parle d’histoire, de destin, de vie, d’existence, de misère. Jusqu’à la fin du premier chapitre (à peine trois pages), les mots existence et misère sont réitérés pour résumer le djob, la vie des djobeurs, ces sous-prolétaires des marchés de Fort-de-France. Placée en avant-texte, avant l’histoire de Pipi (leur roi, leur modèle, leur maître) et de sa lignée, cette parole expose une maîtrise des destinées, non dans leur façonnement, mais plutôt dans leur déroulement historique.

Au bout des existences, vers l’extinction de ce métier traditionnel, le « nous » de manière proleptique se sent en mesure de se dire et de dire les autres. Les verbes inauguraux au futur simple ramènent, certes, aux limites du moment de l’énonciation, mais ils confirment ici que le narrateur a une vue d’ensemble sur l’existence de chaque personnage, à la manière d’un démiurge.

Le double incipit de CSM parle à la fois de la déveine (malheur, malchance, infortune, sort, plutôt mauvais sort…) générale des marchés et de celle qui préside au fondement de la famille de Pipi, malgré les précautions magico-religieuses du père Félix Soleil :

« Malgré les crapauds cloués et la petite bouteille d’eau bénite, le destin lui envoyait encore une fille. Désespéré, il disparut six jours durant dans les bas-bois. » (Ibid, p.19)

Le malheur semble régir la situation initiale de toute fiction chamoisienne, quelle que soit la dénomination de cette figure du destin. Dans SM, il se matérialise dans le procès-verbal, qui constitue un incipit à valeur d’excipit, c’est-à-dire un élément du récit placé en amont, bien qu’il ait été plus logique de le placer bien en aval. C’est l’«écrit du malheur » placé avant la parole du marqueur, du moins avant la parole de ses homologues narratifs, qui sont de véritables « hommes-récit », pour reprendre une formule de Todorov de la Poétique de la prose. Des hommes-récit qui foisonnent dans SM, comme dans le reste des romans de Chamoiseau, à l’exception du récit moins polyphonique qu’est la robinsonnade LEAC.

La figure de la Loi, aux abords du récit, qui disqualifie la parole du conteur, qui la relègue au second plan, est une misère, un fatum auquel n’en réchappe aucun des premiers écoutants de Solibo, avant son autostrangulation. Les écoutants se muent, par conséquent, en auditionnés, instaurant de l’incompréhension, un parasitage dans le langage, dans la communication, depuis l’investissement du tamarinier par les forces de l’ordre jusqu’au poste de police.

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Le même sort tragique semble frapper les habitants de Texaco avec l’arrivée du Christ, source d’angoisses multiples, pour ne pas dire de fantasmes, quant à leur misère décelée dans le regard et la parole des gens de l’En-ville. L’épigraphe incluant le terme évangélique de l’Annonciation survient comme une occurrence ironique, un antonyme implicite qui expose, d’entrée de jeu, moins la bonne nouvelle – comme celle faite à Marie par l’archange Gabriel à propos de la naissance miraculeuse de son fils – que la mauvaise nouvelle que le Christ (l’urbaniste ainsi nommé) annonce aux habitants de ce quartier insalubre du chef-lieu.

Les êtres, même frappés de déveine, ramènent paradoxalement de la chance ou de la bonne fortune à bon nombre de protagonistes. Ainsi, il en va de Julot-la-Gale, un des possibles agresseurs du Christ, héritier d’une terrible histoire familiale et d’un quimbois protecteur. Son arrivée à Texaco est salvatrice pour les habitants. Il est une figure du destin bienfaisant97, le destin indubitablement proche de celui du christianisme, pourvoyeur de bonté et de générosité : la Providence. Se hissant au rang de Dieu sur terre, il acquiert en plus le statut de Major généreux, défenseur du quartier contre la méchanceté des citadins :

« Fort de cette précaution, il se moqua de la mort, prit Dieu pour un compère de rhum, ne se soucia jamais de sourire au destin. Quand le hasard nous l’envoya, à Texaco, il nous protégea des autres méchants de l’En-ville et devint un Major dont la bienveillance ne couvrait que les nègres à l’en-bas de ses graines- je veux dire ses vassaux. » (T., p.20)

BDG reprend le même principe du double incipit (des livres A et B) avec la présentation du personnage principal marqué par le destin. D’ailleurs, le marqueur scripteur lance un clin d’œil à T. en accordant le même titre de partie au livre A de BDG. C’est la parole du vieux guerrier qui est mis en exergue pour dire sa trajectoire de vie et annoncer sa mort. Le hasard semble déjà l’avoir sorti de l’anonymat : un journaliste en projet d’écriture d’article sur une

97 Théodorus, le charpentier normand, est une figure du destin bienfaisant pour le père de Marie-Sophie Laborieux. Grâce au savoir du Blanc et surtout à la faveur d’un cyclone qui a dévasté l’Habitation (un autre signe du destin !), Esternome pourra le suivre pour apprendre le métier de charpentier. Par la suite, il espère gagner de l’argent pour acheter la liberté de sa mère. Lui, ayant déjà acquis sa « liberté de savane » pour avoir sauvé le maître béké.

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chanteuse locale tombe par hasard sur lui. Cette rencontre fortuite le sort alors de l’oubli et permet l’irruption du marqueur pour fixer, dans l’écrit, le cours de sa vie. Tout comme l’irruption hasardeuse – bien qu’ordonnée par le Mentô de la Doum – du Christ dans la maison de Marie-Sophie Laborieux et qui va être à l’origine de sa prise de parole face à l’urbaniste, puis au marqueur narrateur (cf. la fin du premier chapitre de T., p.38).

Le livre A (une quinzaine de pages sur 790), intitulé « livre de la conscience du pays officiel », est en lui-même un chapitre qui remplit la fonction de situation initiale. Il présente le personnage, donne suffisamment d’éléments (administration, culture, climat, solidarités…) sur son milieu, ce « pays officiel » qui n’est sans doute pas, ironiquement, le pays onirique, celui que le marqueur appelle le « pays enterré » dans EPD.

Dans le livre A de BDG, le destin de Balthazar Bodule-Jules se confond paradoxalement à son agonie. Le destin n’est plus, à ce stade du récit, l’expression d’un parcours de vie, mais plutôt celle de la mort. Comme à une veillée, c’est la parole, celle de la mémoire qui donne progressivement consistance à toute l’existence de celui qui va mourir :

« De fait, pas une âme ne s’inquiéta du destin annoncé de notre Bodule-Jules, non par manque de conscience, mais parce que, outre les festivités de cet anniversaire, le dossier sur la Grande Dame de la chanson créole avait crevé la une. » (BDG, p. 18)

Et plus loin, cette sortie graduelle de l’anonymat marquée, comme ça, par le hasard et la nécessité. Nécessité qui se confond à un besoin plus qu’inconscient de reconstituer une mémoire vivante, aux portes de la mort :

« Puis certains d’entre nous se mirent à penser à Bodule-Jules. Comme ça. Une bouture de songer. Une arrière-souvenance. L’entrelacs imprévu d’une chimère. Le fugace d’un mot sans grande portée ou d’une parole perdue. […]. L’évocation de Bodule-Jules devint une vague silencieuse, comme une partition majeure qui composait de manière erratique la vie pour le moins insolite du grand indépendantiste. Il aurait fallut comme un réceptacle de notre conscience insue, une antenne réceptrice de notre ombre collective, un point focal capable de recevoir tout cela, et (sans rien trier ni ordonner) d’en sédimenter une vision de cet homme- cet homme à la fois dérisoire à l’extrême et surprenant toujours. Et même si cela avait été possible, qui aurait voulu le faire et à quoi cela aurait-il bien pu servir ? » (Ibid., p.28-9)

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La déveine de Balthazar s’inscrit dans l’annonce de son agonie et engendrera toute une rhétorique sur le côté dérisoire de son existence. Une déveine amplifiée par une parole du souvenir éreintante, qui tarde à se matérialiser. Mais, tout porte à croire que la parole accorde de l’intérêt à la vie anodine du personnage : des bouts de son destin sur terre se rassemblent dans le discours de ses congénères. Le puzzle constitué de ces fragments devient un récit cohérent. Ils mettent en veilleuse sa propre dérade et, par conséquent, lui confèrent de la notoriété.

Cette déveine inaugurale rappelle cependant, en aval du récit, la propre naissance de Bibidji, où le sort jeté sur l’enfant par l’Yvonnette Cléoste, matrone et magicienne, exprime la même angoisse, la même fragilité et, paradoxalement, la même énergie dépensée pour lutter contre l’adversité, le même désir de survie. Fanotte avait accouché de son fils et l’avait protégé contre la femme-zombi, Basile, qui en voulait au nouveau-né. Le père devait le rémunérer, mais faute de moyens et à cause du salaire exorbitant demandé, il en était incapable. Pour fuir cette déveine originelle, la famille Bodule-Jules opte pour le nomadisme. Un nomadisme qui les conduit finalement jusqu’aux « environs du bourg de la commune de Saint-Joseph. » :

« Au contraire. En la98 voyant changer au point de devenir une femme-matador, je sus qu’elle avait tout compris : nous étions désormais en face d’ennemis terribles, et il fallait nous battre un peu plus que les nègres ordinaires, pour lesquels la vie n’est déjà pas facile. » (BDG, p.82) Le maléfice sur le fils n’est pas une déveine ponctuelle ; elle lui est liée, de sa naissance à sa mort, malgré les multiples « protections », véritables adjuvants, à la fois cosmologiques et noologiques, dont il bénéficie. Une déveine consanguine que tempèrent les femmes rencontrées, en tête desquelles se trouve la figure multifonctionnelle de Man L’Oubliée.

L’Indienne, la Bolivienne sont comme des copies de cette Mentô originelle : elles confirment,

98 Limorelle (je) parle ici de sa femme Manotte, la mère de Balthazar. Il se demande si sa femme, au départ assommée par les complications de l’accouchement, était au courant des menaces, du maléfice de la matrone et de la visite de la femme-zombi qui voulait emporter leur fils. Demeure, malgré tout un implicite narratif, qui laisse deviner qu’elle n’en est pas dupe. Son courage à participer à la lutte, pour son fils et sa famille, signale non seulement un instinct ordinaire de conservation de soi, mais aussi une conscience préalable des menaces de l’existence, un refus de se plier au verdict du sort, du destin.

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dans les pérégrinations belliqueuses du vieux rebelle, l’application chamoisienne du concept du Tout-Monde dans le domaine des sciences occultes, de la thérapie des corps et de la maîtrise des mystères de la nature :

« […] L’agonisant comprit soudain que cette femme99 avait tenté, elle aussi, à sa manière indéchiffrable, de dissiper l’ombre De l’Yvonnette Cléoste enracinée en lui. Ses mains (Pas un massage, hébin c’était pas un massage !...) s’efforçait de dénouer d’interminables ombres qui dominaient son organisme. » (Ibid., p.196)

UDAC inaugure la même déveine. C’est d’abord celle de Caroline qui est mis en exergue pour provoquer l’entrée en scène du marqueur. Le malheur ou le destin d’une fille en foyer d’accueil est la scène d’exposition qui induit le dire fictionnel sur la destinée d’une jeune femme qui a occupé le cachot au temps de l’esclavage. Il y a comme un fondu enchaîné des deux existences, des deux destins sous la plume du marqueur. Du point de vue de Caroline, se réalise une immersion empathique dans le malheur de L’Oubliée. Une opération de l’ordre de la transmigration identitaire - plus proche, sans doute, de la métempsychose que d’un artifice narratif -, rendue possible par la seule magie inventive de la parole de l’éducateur-marqueur susurrée à son oreille. D’ailleurs, à la surprise du lecteur, la Caroline de l’incipit, du moment de l’énonciation du marqueur narrateur, se confond avec L’Oubliée de la fin de ce récit sur l’Habitation en Martinique : la captive s’appelle aussi Caroline, prénom attribué par le Maître, le vieux Maître béké.

99 Il s’agit de la métisse Bolivienne qu’il a rencontrée quand il était sur les traces du Che. L’épisode de l’Indienne évoque les mêmes correspondances avec la figure de Man L’Oubliée et la « Malédiction » de l’Yvonnette Cléoste :

« […] Il ne les avait pas vraiment regardées, il les vit car il n’y avait que cela à voir, et c’est maintenant qu’elles lui revenaient avec une netteté phénoménale – à croire qu’il les avait examinées durant une vie entière.

« […] Il ne les avait pas vraiment regardées, il les vit car il n’y avait que cela à voir, et c’est maintenant qu’elles lui revenaient avec une netteté phénoménale – à croire qu’il les avait examinées durant une vie entière.