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RECIT ROMANESQUE

2.4. UNE AUTRE REPRESENTATION DU CORPS

Les remarques de Moudileno (2003) sur la problématique du traitement du corps dans la littérature africaine nous conduisent à nous interroger sur celle de la Caraïbe, et par voie de conséquence sur celle, particulière, de Chamoiseau. Le corps, les parties du corps sont mis en texte, pour faire voir comment ils influent sur le réel et le fantasmagorique, comment ils sont eux-mêmes influencés par les éléments constitutifs de ce réel représenté ou de ce surnaturel tout autant construit. Une influence qui peut se comprendre à travers la notion de « lien » qui peut être écologique, minéral, animal, social, amoureux…Le corps chamoisien ne s’appréhende que dans une forme d’interaction pacifique ou belliqueuse avec le corps de l’Autre, qu’il soit humain ou non humain.

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Les chantres de la Négritude ont été longtemps considérés comme des pudiques dans le traitement du corps, quand il s’est agi d’en exposer les tabous, surtout dans le domaine de la sexualité. La bienséance de Senghor, chantant la nudité et la beauté de la femme noire, tranche avec la crudité d’un Labou Tansy, d’un Kourouma120, et n’en parlons pas avec le texte pornographique de Ouologuem (Le Devoir de violence, 1968) ou des écrits des jeunes auteurs africains (cf. Notre pain de chaque nuit121 du Béninois Couaco-Zotti), surtout des femmes, après les années 1985-90. La dernière partie du triptyque romanesque de M. Ndiaye, Trois femmes puissantes (2009), qui évoque l’itinéraire d’une jeune femme obligée de se prostituer malgré elle pour rejoindre l’Europe, ne fait pas l’économie des détails pour décrire la souffrance morale et physique de l’héroïne. Le texte ne s’embarrasse pas non plus des détails les plus crus de l’acte sexuel pour davantage exhiber la misère sociale des personnages. Gary Victor122 fustige ainsi ses congénères dans leur déchéance morale, à travers le rapport tarifé

120 Il faut signaler comment, avec aisance et intrépidité, Kourouma (voir par exemple En attendant le vote des bêtes sauvages, Seuil, 1998) exhibent les corps, la nudité des « paléos », leur sexualité transgressive, où le viol est érigé en héroïsme, en rite initiatique du guerrier qui veut épouser une femme, c’est-à-dire celle qu’il a violée, au lieu de passer simplement par les rites des fiançailles, mal jugées, parce que réservées aux hommes faibles,

« sans graines » pour reprendre une formule insultante de l’univers créole. La dimension monothéiste de l’islam et celle de l’animisme local s’enchevêtrent pour dominer la sexualité et les choix de la femme, comme le subit doublement la voyante Nadjouma : avant de l’épouser, son futur mari la viole ; à la mort de celui-ci, les épouses d’un polygame qui la reccueillent, par respect pour la tradition, acceptent de partager leurs couches avec elle…

Sa force physique, mentale, ainsi que ses pouvoirs surnaturels et son amour maternel, réhabilitent son image édulcorée que le programme narratif de Kourouma a exposée dans les premières pages de ce roman, en forme de récit et de veillée (6 veillées) oralisés et hagiographiques.

121 Florent Couaco-Zotti, 1998, Notre pain de chaque nuit, Le Serpent à Plumes, 230 p.

Le roman s’ouvre sur un rapport sexuel, entre un député et sa maîtresse. L’incipit expose le corps comme motif central qui organise le récit. Il assoie un déterminisme social qui est plus fatal que bénéfique pour les personnages. Eros y jubile, mais Thanatos y prend souvent le dessus, du fait de la multiplicité des destins brisés, des corps meurtris, des cadavres, cachés ou non. Le persiflage de Couaco-Zotti – qui rappelle Ahmadou Kourouma - ébranle tout le récit, et le corps se mue en une métaphore textuellement oppressante, celle d’un matérialisme exacerbé, objet de bien d’égarements pour bon nombre d’élites africaines.

122 Cf. Gary Victor, 2004, Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin, Vents d’ailleurs, p.29-31.

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(copuler avec la folle, dans l’urine et la défécation, suscite la chance) d’une indigente qui n’a pas toute sa tête et d’un policier dans un parc, sous la surveillance d’autres collègues et sous le regard schizophrénique du narrateur écrivain: le macoutisme, le vaudou, la désespérance expliquent pour beaucoup l’option de ces extrémités, de cette sexualité pathologique, à mille lieues ici de l’érotisme solaire de son compatriote René Depestre...

Calixthe Beyala, la Camerounaise, fait de la sexualité le thème central de toute son œuvre romanesque, en ce sens que la liberté de la femme, selon la vision ironique et cathartique de l’écrivaine, ne s’acquiert que par le bon usage de son corps. Des romans tels que Femme nue, femme noire (intitulé qui rappelle un poème très « poli » de Senghor)123, C’est le soleil qui m’a brûlée124 et Amours sauvages sont des récits parmi d’autres de l’auteure, qui traduisent une prise de position, une audace affichée en opposition totale avec la pudeur des deux ou trois générations d’écrivains africains précédents, dans le traitement de la thématique de l’intime.

Le regardeur voyeur se transforme, au fur et à mesure que son récit avance, en un clochard aussi pouilleux et fou, qui subit le même type d’assaut sexuel. Cette homosexualité subie, dans la violence et la saleté, impose l’émergence d’une androgynie qui brouille la propre identité générique du narrateur : « je suis rentré(e) chez moi. Eve dormait toujours. Je me suis allongé(e) à côté d’elle. Je ne sais pas si elle m’aurait reconnu(e) tel(le) que j’étais. » (Ibid., p.57). La folie – les fantasmes - du narrateur Adam Gesbeau, la tounure indirecte et les expressions modalisatrices (« peut-être » ; « peut-être bien ») excusent le soudain changement de sexe ou de sexualité qui semble être tout aussi salutaire pour lui que pour les personnages en « dérive » de cette Haïti représentée.

123 Léopold Sédar Senghor, 1990, Œuvre poétique, Paris, Seuil, p.16

124 Un titre qui reprend une phrase ironique du Cahier de Césaire, un titre tout autant chargé de la même inclination caustique : « Voyez, je sais comme vous faire des courbettes, comme vous présenter mes hommages, en somme, je ne suis pas différent de vous ; ne faites pas attention à ma peau noire : c’est le soleil qui m’a brulé. » (Aimé Césaire, 1971, Présence Africaine, p.143). Un tissage intertextuel qui lance aussi un clin d’œil au premier poème du Cantique des Cantiques, que cite d’ailleurs Beyala en guise d’épigraphe à son roman sur le corps et la conscience rebelle de la jeune Ateba, sous le rouleau compresseur d’Eros, des pesanteurs sociales et de sa propre individuation :

« Je suis noire et pourtant belle, filles de Jérusalem (…) Ne prenez pas garde à mon teint basané :

c’est le soleil qui m’a brûlée (…) ». (Beyala, Stock, 1987, p.4)

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Mais, il est évident que cette sexualité camouflée ou exhibée est tributaire des spasmes de l’Histoire, tout comme les autres aspects du traitement du corps. La fiction coloniale ne met pas en scène le corps de la même manière que celle des années situées dans la période post-coloniale, où les dictatures, les conflits ethniques ont engendré une autre approche du corps.

Un corps qui tente de se démarquer (sinon de prendre la mesure), dans l’individualité de l’écriture, de la spécificité de la violence alentour, du poids des tabous communautaires.

L’écrivain s’évertue de ce fait à exposer la jouissance du corps, sans artifice de masquage dicté par une doxa intransigeante. Le prix Renaudot accordé à l’auteur du Devoir de violence, Y. Ouologuem, au tout début de la décolonisation de l’Afrique, n’a pas empêché de longues décennies de censure française, juste pour souligner la force d’une écriture intrépide qui a osé braver l’ordre établi des convenances, des hypocrisies, des tabous, ceux des colonisés et des colonisateurs.

L’aire culturelle de la Caraïbe ne partage pas la même histoire que l’Afrique, mais il convient de rappeler que Chamoiseau, dans sa fiction, parle d’esclavage, de colonisation, d’engagisme, d’humiliation, de frustration. Dans EPD, il évoque une multitude d’acceptions personnelles du terme de « domination », pour nommer les souffrances physiques et psychologiques endurées par les Antillais, de l’arrivée des premiers Blancs jusqu’à nos jours, en passant par la période de l’esclavage, de la colonisation et de la Départementalisation.

Sans sombrer dans l’exotisme et le discours larmoyant, comment Chamoiseau met-il en scène le corps de ses personnages ? Sa pratique diffère-t-elle de celle de ses prédécesseurs, Césaire, Roumain, Zobel… ?

Après lecture des réflexions de Moudileno (2003), il en ressort que Chamoiseau, tout comme les auteurs africains, fait usage de la métonymie (cette figure de style qui consiste à dire une partie pour vouloir désigner le tout) pour décrire et raconter le corps de ses personnages. Tous les organes de sens sont sollicités dans les textes chamoisiens, en tête desquels, les yeux. La totalité du corps est régulièrement évoquée dans certaines séquences narratives pour souligner le paroxysme des sentiments, des douleurs, à la fois psychologiques et physiques. Dans ces occurrences-là, le substantif « corps » revient souvent, à l’instar des termes liés aux organes de sens, comme pour maintenir l’attention sur la thématique dominante en rapport étroit avec le champ lexical du corps.

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La première métonymie, répétitive, ce sont les yeux que signalent souvent les verbes de perception abondants chez Chamoiseau, surtout les verbes « voir » et « regarder », ainsi que leurs équivalents nominaux ou adjectivaux. De ce fait, la souffrance du djob, le corps des djobeurs, est appréhendable par le regard de l’Autre, cet autre massif, que l’on appelle la communauté. Le pronom indéfini « on » de l’incipit de CSM, témoigne doublement de l’oralité de la parole à transmettre et du privilège symbolique accordé à ce personnage collectif, substitut du « nous initial ». Le privilège d’avoir vu et apprécié en premier le corps des manieurs de brouettes du marché de Fort-de-France :

« On vit les nœuds de leurs bras. La vigueur de leurs cuisses. On les sollicita pour tel ou tel service, telle commission à charrier vers untel – merci- beaucoup… On les appela afin de maîtriser les bœufs, rattraper les cochons, déplacer les bourriques obstinées. Ils se bâtirent et nous héritâmes de leur science, imperceptible, mais qui déjà nous distinguait des nègres inaptes, ceux qui n’ont d’industrie que le battement de leur cœur. » (CSM, p.16)

Cet extrait nous place dans la période de la Martinique devenue département, période correspondant à l’exode de travailleurs des plantations, à la recherche d’un destin meilleur dans le chef-lieu. Elle correspondrait alors, si l’on se fie à la chronologie du marqueur dans le roman Texaco, au « temps du fibrociment », entre la fin de la Seconde guerre mondiale et le début des années 60125. Le « nous » des djobeurs reconnaît l’héritage de ces ancêtres des Plantations, en termes de débrouillardise, de labeur, de rejet de l’oisiveté, et d’initiateurs imperceptibles de cette économie informelle que l’on appelle le djob. Le personnel amplifié associé aux djobeurs narrateurs, « hélant » la compagnie, narrataire primordiale, se démarque de leurs anciens sur le plan énonciatif et dès le premier incipit de CSM: ils sont sujets et objets de leurs discours, alors que l’existence des premiers migrants vers le chef-lieu se noie dans la voix impersonnelle de la doxa, pour ne pas dire de la légende, et ce, dans un petit bout de paragraphe.

125 Marie-Sophie Laborieux, dans sa présentation des premières personnes qui viennent s’établir dans le

« Quartier » de Texaco après elle, parle bien du roi des djobeurs, personnage central de CSM : « Je songe à Pierre Philomène Soleil (crié Pipi) qui maniait à merveille une brouette du marché. » (T., p. 332)

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Le réflecteur amplifié, indéfini ou doxique, expose alors la souffrance des corps et des esprits qui ont maille à partir avec des conditions économiques difficiles. Malgré cette première scène d’exposition, celle de la naissance et de la constitution d’un sous-prolétariat local, le marqueur ne cache pas son envie (topoï que l’on trouve d’ailleurs chez beaucoup d’auteurs africains, voire antillais) de dire la beauté, la musculature et la force des corps. La misère ambiante semble rendre apathiques bon nombre d’entre eux, mais en même temps le discours du narrateur marqueur extrait les plus entreprenants de ses congénères de cette morosité économique en les portant physiquement aux nues.

Le corps des djobeurs n’est pas celui évoqué par Césaire, celui des « Antilles grêlées de petite vérole, les Antilles dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées »126. Il est indéniable, si l’on ne se contente que des réflexions de l’Eloge de la Créolité, que Chamoiseau va plus loin : il ne suit pas scrupuleusement la démarche de ses prédécesseurs, à l’instar de Césaire ou du Zobel de La Rue Cases-Nègres, en décrivant uniquement « les Antilles qui ont faim » ; il n’expose pas seulement des populations usées par l’alcool qu’explicite la cohorte de bon nombre de personnages, à la fois secondaires et archétypaux, chez lui et chez d’autres auteurs antillais de sa génération, comme pour amplifier un discours déjà là ou le reprendre en écho.

Dans le récit élogieux d’un métier traditionnel à forte teneur identitaire, il en offre le contre-pied, comme la facette d’une autre réalité sociale, celles des Martiniquais travailleurs, physiquement bien portants, non-alcooliques et qui ne finissent pas tous à l’hôpital Colson.

Pourtant, au-delà de l’opposition - épidermique et socio-économique - du Noir de la ville et de celui de l’arrière-pays, Jacques Roumain donne à voir des corps forts et solides. Le phénotype de Manuel et de son ennemi et assassin Gervilen, dans Gouverneur de la rosée, complète le tableau laudatif de la couleur du Noir, de son physique, dans une perspective certaine de quête d’une unité nationale haïtienne, où le mulâtre bourgeois de Port-au-Prince, comme l’auteur Roumain, et le nègre indigène, se trouvent fusionnés dans le même vocable : « Noirs », voire les descendants des Polonais qui ont aidé à la défaite des troupes napoléoniennes. Manuel

126 Aimé Césaire, 1983, Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, p.8

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« est un grand noir, dont la haute taille fascine les enfants, au front dur et poli comme une pierre noire. » alors que Gervilen est « un nègre épais et comme foulé sous le pilon, un nègre noir, dru et membré, avec des cheveux en grain de poivre, dont les mains pendaient au bout des bras comme des paquets de racines ». La femme, Annaïse, n’échappe même pas à cette présentation élogieuse, où santé physique et la beauté des corps sont mises en avant : « Il vit alors qu’elle avait de belles dents blanches, des yeux biens francs et la peau noire très fine.

C’était une grande et forte négresse, et il lui sourit. »127.

La beauté et la musculature des djobeurs deviennent alors le prétexte de l’éloge du travail certes, mais idéologiquement, elles servent d’alibi fictionnel pour tordre le cou à un préjugé : celui du Martiniquais et, par extension, de l’Antillais (voire du Domien en général), réfractaires à l’effort, au travail et qui se complaisent dans l’assistanat et la paresse.

Mais en parcourant Cahier d’un retour au pays natal, nous pensons que la primeur de l’information sur le nègre travailleur, qui se débat dans la « Misère », n’est pas seulement imputable à la seule « Nouvelle littérature antillaise », comme l’atteste d’ailleurs Roger Toumson (1989) quand il parlait de la période de la « littérature de dénonciation ». Le portrait de Césaire du « nègre dégingandé sans rythme ni mesure » n’est pas laudateur, mais force est de constater que dans l’allure pataude, lourdaude et maladroite du personnage, une double force est mise en exergue : sa force physique et mentale. Les ricanements des femmes (sans doute blanches) et la misère matérielle n’ont pas eu raison de son physique de « boxeur affamé »128. Comme dans l’ultime « prière virile » du poète pour dominer les violences qui l’annihilent, prière dans laquelle le fantasme du corps vigoureux et musculeux perdure :

« Au bout de ce petit matin, ma prière virile : donnez-moi les muscles de cette pirogue sur la mer démontée

et l’allégresse convaincante du lambi de la bonne nouvelle ! »129

127 Jacques Roumain, 2003, Œuvres complètes, Paris, Archivos, p. 279.

128 Aimé Césaire, op.cit, p.40-1.

129 Aimé Césaire, op.cit., p.52.

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Le Cahier de Césaire parle d’un personnage à placer, contextuellement, dans la période du

« fibrociment » et de ce fait, l’on peut convenir que ce dernier partage, pour paraphraser Depestre (2009), le même univers médian que la communauté des djobeurs, voix amplifiée, à l’orée du premier incipit de CSM, qui narre sa propre existence.

De toute façon, cette double volonté d’exhiber deux types de corps qui renvoient à deux personnalités, l’une encline au travail et l’autre à la fainéantise, à l’alcool et à l’amusement, Chamoiseau le poursuit avec SM. Cela devient un motif récurrent, même si parfois les personnages changent. Sucette, joueur de gros-ka, annonciateur de l’arrivée du maître de la Parole Solibo Magnifique, est présenté comme un amateur invétéré de rhum Neisson. Son surnom connote son penchant pour la bouteille et son corps n’est qu’un squelette ambulant qu’explique l’abus de l’alcool :

« C’était un rien d’homme, dessiné par ses os, avec le cou blanchi d’une dermatose ancienne, il se criait Sucette. Ce surnom provenait de ses attentions buccales notoires aux bouteilles de rhum Neisson. » (SM, p.28).

Même le corps de son maître conteur semble en être le pendant, si ce n’est l’aspect quelque peu dandy des habits. Solibo Magnifique a « les yeux jaune-rouge des experts en tafia » et juste après son autostrangulation, son corps est sec, signalant implicitement une maigreur qui rejoint celle de Sucette et qui tranche avec le physique des djobeurs présentés dans CSM, et dont le marqueur, personnage intradiégétique, poursuit la description dans SM, avec Pipi et Didon, et surtout avant le milan de ce dernier sur le défunt Solibo :

« Didon, maître-djobeur du marché aux légumes, rejoignit Sidonise, lui toucha les cheveux d’une main en manière de merci, puis, figeant les nœuds de ses épaules, il releva le front afin de se dégager la gorge et donner une parole. Etroit comme un bourgeon, la silhouette bosselée de petits muscles noueux, un anneau de femme lui mordait l’oreille. » (SM, p.69)

Mais cette force physique affichée du couli Didon ne fait pas le poids face à celle de la Loi qui le broie impitoyablement pour lui soutirer une/la vérité sur la mort du conteur Solibo. Force jugulée qui est un clin d’oeil, dans certains aspects, à l’humiliation et à l’intimidation subies du nègre du tramway d’Aimé Césaire, pour ne pas dire une réactualisation, dans le temps du

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fibrociment130, des errements de l’administration coloniale dont parlait le Goncourt René Maran, dans Batouala.

Le personnage de Pipi, le roi des djobeurs évoqué dans CSM, réunit tous les avantages de la force imposante dissuasive, à la fois physique, mentale et occulte. Personnage désormais archétypal, dans la lignée de Balthazar Bodule-Jules, de L’Oubliée, de la Sauvemort, du vieil homme et autres mentô qui peuplent l’univers fictionnel de Patrick Chamoiseau. Sa description physique est en amont de SM : la brouette a façonné son corps, comme la plupart de ses collègues dans l’économie informelle qu’est le djob dans les trois marchés de Fort-de-France. C’est une renommée physique rappelée succinctement dans le texte de SM, mais la plus terrible, celle qui force le respect de la « Loi », c’est la renommée de son ascendance de dorlis implicitement suggérée ici et qui dissuade les forces de l’ordre de toute tentative d’intimidation ou d’agression:

« L’inspecteur principal et le brigadier-chef, presque malgré eux, le laissaient parler, plus intéressés par la curieuse personnalité du djobeur que par ce qu’il disait. Ils avaient devant eux

« L’inspecteur principal et le brigadier-chef, presque malgré eux, le laissaient parler, plus intéressés par la curieuse personnalité du djobeur que par ce qu’il disait. Ils avaient devant eux