Hommage Frangois Boureau
Alors m~me que I'emotion est encore vive et que la peine est encore immense, alors meme que la place vide laissee par Fran(~ois Boureau nous questionne sur le sens de I'existence, nous avons besoin de le remercier pour tout ce qu'il nous laisse.
Les domaines dans lesquels il etait investi etaient nombreux. La base solide de ses engagements, la conviction qui les fonde, la passion qui les anime vont donner & beaucoup de ses {{ oeuvres >> un caractere durable, une resistance au temps, dont la rigidite est absente et dont le per- fectionnement est ouvert, ~ I'initiative de ceux qui auront la volonte d'etre ses heritiers spirituels.
Frans Boureau consacre I'essentiel de sa vie de medecin hospitalo-universitaire inventer, & peaufiner, des methodes pour mieux prendre soin des femmes et des hommes qui souf- frent de maux connus ou inconnus, de maux real ecoutes. Ce sont des techniques d'entretien, des therapies non medicamenteuses, des modes d'organisation du soin, dans les services hospitaliers et en medecine ambulatoire.
A la fin des annees 1970, quand il debute dans cette vole, c'est une posture de pionnier au milieu d'un monde medical tres oriente sur la medecine curative et ses grands progres. C'est aussi un choix courageux, qui s'inscrit en marge de I'establishment medical dont le regard condes- cendant pour ce type de soins est ~ peine dissimule.
Notre homme, convaincu, tenace, aimant les defis, n'est pas de nature ~ se laisser impressionner par une opposition passive. II est anime d'une combativite <{ pour la cause >> qui ale don de se nourrir de tout autre ingredient que d'agressivite.
Avec plusieurs autres militants pour la diffusion de cette medecine de la douleur, il contribue a animer une Societe fran?aise de la douleur qui vit ~ I'heure des rencontres de plusieurs disciplines medicales, biologistes, pharmacologues; chercheurs et cliniciens s'y ecoutent, s'y par- lent, y unissent leur savoir-faire pour mieux comprendre La et les douleurs. Ceci sous la houlette d'un secretaire general federateur dans I'~me, en la personne de Frans Boureau. Son eclectisme et sa curiosite d'esprit ont permis ~ beaucoup d'idees de se faire une place au cours de ces travaux. Son ardeur au travail a supplee la minceur des moyens financiers, de communication, dont disposait cette societe dans ses debuts.
Au sein du Centre d'evaluation et de traitement de la douleur de I'HSpital Saint Antoine Paris, Frans Boureau met tout son talent ~ transformer une petite equipe en une structure poly- valente, reconnue de nombreux professionnels tant au plan de ses qualites medicales que de sa capacite a innover, & fournir un conseit technique, une aide methodologique.
Son talent, c'est d'etre un meneur d'equipe qui motive, soude, encourage, conseille, et developpe une fa?on bien ~ lui d'etre {{ le chef >>.
Beaucoup de ceux qui ont travaille ~ ses cetes peuvent temoigner du plaisir qu'ils y ont pris, de I'harmonie que Frans savait distiller dans I'equipe. L~ comme ailleurs il organisait la ren- contre, le travail en commun, I'estime mutuelle de soignants venant d'horizons parfois bien eloignes.
II avait instaure ces consultations pluridisciplinaires, inspirees de I'esprit de J.J. Bonica, dont il pensait qu'elles etaient une des meilleures ecoles pour I'approche therapeutique des doulou- reux chroniques.
II avait donne I'envie ~ plusieurs de ses collaborateurs d'inscrire leur travail au centre dans la duree, motives par la rigueur de sa pensee, le foisonnement 6tonnant de ses projets, ses aptitudes apprehender les problemes cliniques, les aspects organisationnels, la methodologie des essais cli- niques, de la recherche epidemiologique et d'autres aspects encore du {< puzzle de la douleur ~>.
Mais I'unite qu'il dirigeait ~ Saint Antoine attirait regulierement de nouvelles competen- ces, qui apportaient du sang neuf et stimulaient une equipe dont I'animateur des lieux aurait parti- culierement deplore la routine ! L'unite accueillait aussi des internes dont F. Boureau se sentait par- ticulierement responsable et qu'il {{ pilotait >> avec la bonhomie avisee que ces jeunes medecins etaient venus chercher.
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On chercherait en vain des marques d'arrogance dans le comportement de ce maitre &
penser tres sollicite tant par ses pairs que par les medias. Au contraire, une sorte de force tranquille, doublee d'une disponibilite qu'annon()ait un sourire volontiers charmeur.
II a la conviction profonde que I'on dolt reunir, autour d'un objectif commun de soulage- ment optimum des patients, des intervenants aussi varies que des medecins generalistes, des infir- mieres, des m6decins hospitaliers de disciplines differentes, des kin6sitherapeutes, des psycholo- gues. Cette capacite a faire du lien entre des acteurs du soin n'est probablement pas sans rapport avec le profond respect qu'il sait manifester ~ chacune de ces professions medicales et paramedi- cales, une consideration qui donne a chacun toute sa place dans la prise en charge de la douleur.
II met a profit ce don de federer des energies, des volontes, des savoir-faire, pour ani- mer les travaux du CLUD de I'H6pital Saint Antoine, y developper un {{ plan d'assurance qualite dou- leur >> qui est I'un des premiers en France, et qui temoigne de sa capacite - et de son goQt - a assu- rer la reussite d'une activite transversale au sein de I'h(~pital, un projet dont chacun mesure tousles jours la difficulte.
A force d'energie communicative ~ tousles futurs membres, il contribue de fa?on deci- sive a la naissance d'un Reseau Ville-HSpital {< lutte contre la douleur >>, dont les realisations, la convi- vialite, le pouvoir attractif, seront une de ses grandes satisfactions professionnelles de ces dernieres annees.
Sa vie d'enseignant lui tient a c0eur et I'inspire. Sa creativite s'y deploie. II va tres volon- tiers au devant, voire precede, le desir des etudiants d'un enseignement interactif.
Son goet pour les sciences cognitives le met en phase avec les avancees dans le domaine de la transmission du savoir, et dans celui de la formation m6dicale continue. L'expert aima- ble, bon communiquant, sachant s 'adapter ~ des auditoires tres divers se d6place volontiers sur tout le territoire !
Le dernier Dipl6me d'Universite qu'il avait cree demandait aux participants de presen- ter, discuter et travailler sur des cas cliniques qu'ils avaient pu observer. Le travail de recherche cli- nique et bibliographique en decoulait. Les etudiants du deuxieme cycle etaient pries d'elaborer des corriges de cas cliniques, & partir des bases pedagogiques qui leur etaient fournies.
Le don de transmettre son experience, la g6n6rosit6 avec laquelle il faisait etat de ses {{tuyaux>> de clinicien perspicace, ont impressionne beaucoup d'etudiants des DU. Nombreuses sont les personnes ayant beneficie de son enseignement qui ont manifeste leur sympathie ces der- nieres semaines en evoquant ses capacit6s d'ecoute, ses conseils avises, et I'energie, la confiance qu'il savait communiquer pour aller de I'avant quand tout n'6tait pas rose.
Son expertise de la pedagogie est sollicit6e par plusieurs organisations nationales, euro- p6ennes et internationales. II participe aussi ~ plusieurs jurys de recommandations organis6s par I'ANAES.
Trouver le temps pour pratiquement toujours tout, ne jamais etre las, ne pas se plaindre, faire preuve d'une 6nergie d6bordante et rayonner autour de lui le bonheur de travailler ainsi : voil~ le style d 'homme qui marque et qui ne disparaft pas quand le souffle de vie s'eteint.
Cette vie professionnelle bien remplie lui laissait aussi le temps d'etre en famille, de veiller a I'epanouissement de son dernier ills, futur m6decin, et de decouvrir les joies d'etre grand- pere. C'est aussi un talentueux guitariste, dont il jouait au sein d'un trio puis d'un quatuor tres pro- fessionnel, qui avait auto-produit un enregistrement de quelques standards de jazz et de composi- tions ~ maison >>.
II avait depuis Iongtemps pour le monde sous-marin une grande passion, il aimait cette experience du calme et de la relaxation dans un environnement grandiose. II s'adonnait ~ ce plaisir toujours en famille. C'est I~ que la mort accidentelle, sans aucune imprudence de sa part, a frapp6 cette remarquable figure humaine.
II est de ces r qui donnent de I'humanit6 une haute opinion, il est de ceux qui ajou- tent ~ notre patrimoine culturel, et qui apportent une grande contribution a I'ethique medicale.
La legon de vie qu'il nous laisse donne de la force ~ tous nos espoirs. Nous I'en remer- cions infiniment. Nous exprimons ~ sa femme et ses enfants toute notre sympathie.
Dr J.-F. Doubr~re 50 Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-dea.revuesonline.com
