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La migration et le développement dans une municipalité maya du Yucatán : des possibilités envisageables, une accessibilité relative

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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LA MIGRATION ET LE DÉVELOPPEMENT DANS UNE

MUNICIPALITÉ MAYA DU YUCATÁN :

Des possibilités envisageables, une accessibilité relative

Mémoire

Annabelle Gagné

Maîtrise en anthropologie

Maîtres ès art (M.A.)

Québec, Canada

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iii Résumé

Ce mémoire aborde les effets de la mondialisation économique sur une population rurale hautement marginalisée. Plus précisément, il met en relation les dynamiques du développement et de la migration dans une municipalité autochtone du sud du Yucatán au Mexique. En comparant la participation aux projets de développement générateurs de revenus et la possibilité de migrer, l‟auteure tente de déterminer ce qui incite la population à se tourner soit vers les projets de développement, soit vers la migration. Le genre, l‟appartenance ethnique – plus précisément les capacités langagières – et le statut socioéconomique s‟avèrent des éléments fort révélateurs pour comprendre la participation à ces activités. Ainsi, les femmes les plus marginalisées, ciblées par les agents du développement, semblent échapper aux projets et avoir plus de difficulté à migrer. Cette recherche révèle aussi que le facteur ethnique joue un rôle important quant aux possibilités de migrer ou de participer à un projet de développement. Dans la communauté rurale de Chacsinkín, presque la totalité de la population parle la langue maya, mais la maîtrise de l‟espagnol comme langue seconde est déterminante dans la participation à un projet de développement ou la migration. Enfin, les possibilités de participer à un projet de développement et de migrer sont influencées par le statut socioéconomique de chacun et chacune et sont plus faciles d‟accès pour les personnes intégrées aux réseaux locaux les plus puissants sur les plans économique et politique.

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v Summary

This thesis is about the effects of economic globalization on a highly marginalized rural population. More specifically, it examines the relations between development and migration in a municipality of Southern Yucatan, in Mexico. The author tries to reveal what fosters or hinders people to participate in development projects and to migrate toward national destinations or to another country. Gender, ethnicity – more specifically language capabilities –, and socioeconomic status are important elements for understanding participation in those activities. The most excluded women, targeted by development agencies, seem to be unable to take part in the projects and they migrate with more difficulties. Ethnicity also plays an important role. In the community of Chacsinkín, almost everyone speaks the maya language, but Spanish as a second language is a facilitating factor for participation in development projects and migration. Finally, participation in development projects and migration is influenced by socioeconomic status and are easier for those who are included in the most powerful political and economic networks.

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vii Resumen

Esta tesis trata del efecto que tiene la globalización económica sobre una población rural altamente marginalizada. Más precisamente, relaciona la dinámica de desarrollo y la migración en una municipalidad indígena del sur de Yucatán, en México. Comparando la participación de la gente en los proyectos de desarrollo generadores de ingresos y la migración, la autora intenta determinar que incita, facilita o impide a la población local integrarse a proyectos de desarrollo o migrar hacia la ciudad o al extranjero. El género, la etnicidad – más precisamente el lenguaje - y la situación económica son elementos fuertes y reveladores para comprender las posibilidades de participación en estas actividades. Así, las mujeres más marginalizadas, aunque sean sus destinarias privilegiadas, difícilmente logran asociarse a proyectos de desarrollo y las mismas conocen dificultades para migrar. Esta investigación revela que el factor étnico juega también un rol importante cuando de migrar o participar en un proyecto de desarrollo se trata. En la comunidad rural de Chacsinkin, la mayor parte de la población habla maya, pero el manejo del español como segundo idioma es determinante para concretar una estrategia económica. En fin, el estatus económico de cada individuo tiene mucha influencia y es más fácil integrar un proyecto de desarrollo o migrar para las personas que forman parte de redes locales de individuos y familias que tienen poder económico y político.

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ix Remerciements

J‟aimerais d‟abord remercier toutes les personnes de Chacsinkín qui ont bien voulu partager leur expérience avec moi. Sans elles, rien n‟aurait été possible. Merci à Dalia qui m‟a ouvert les portes de son foyer le temps de mon séjour. Merci à ses filles, Liliana et Glendy, d‟avoir fait de moi leur grande sœur. Dios bo‟otic kik‟ex. Je remercie les représentantes de diverses institutions de développement avec qui j‟ai eu la possibilité d‟échanger, soit celles de Misioneros A.C., de la Fondation Chrétienne et de la Fondation mexicaine pour un développement rural. Merci au CRSH pour la bourse de maîtrise qui m‟a été octroyée pour l‟année 2012-2013. Je remercie le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones, DIALOG, pour la bourse de mobilité qui m‟a été offerte. Cette bourse a permis de couvrir les frais d‟une partie de mon séjour de terrain au Yucatán. Un grand merci à ma directrice de maîtrise Manon Boulianne et à ma co-directrice Marie France Labrecque pour leur soutien, leur intérêt et leur confiance. Enfin, merci à mon copain, ma famille et mes ami-e-s pour leur écoute et leur soutien moral.

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Table des matières

Résumé ... iii

Summary ...v

Resumen ... vii

Remerciements ... ix

Table des matières ... xi

Introduction ...1

Chapitre 1. Cadre théorique : champs conceptuels du développement et de la migration Introduction ...5

1.1 Le développement et les projets générateurs de revenus dans les milieux ruraux ...6

1.1.1 Le développement à l‟échelle globale ...7

1.1.1.1 La mondialisation et la libération des marchés ...7

1.1.1.2 Le développement sur la scène internationale ...8

1.1.1.3 La relation entre développeurs et développés ...10

1.1.2 Le profil des différents développeurs ...11

1.1.2.1 Les instances gouvernementales : quelques exemples mexicains ...11

1.1.2.2 Les ONG ...12

1.1.3 Les projets et leurs impacts ...13

1.1.3.1 Les projets générateurs de revenu ...14

1.1.3.2 L‟approche participative : un processus de plus en plus répandu ...15

1.1.3.3 La place des femmes dans les projets de développement : discrimination positive et travail féminin ...16

1.1.3.4 Le contexte local et les facteurs de succès ...17

1.2 Les dynamiques migratoires en contexte contemporain ...18

1.2.1 La migration à l‟échelle globale ...19

1.2.1.1 La mondialisation de la main-d‟œuvre ...19

1.2.1.2 La migration et les politiques d‟État ...20

1.2.1.3 Le rôle des réseaux dans le processus migratoire ...22

1.2.2 Itinéraires de migration ...23

1.2.2.1 Les agglomérations urbaines ...23

1.2.2.2 La migration transnationale vers le Nord : le cas du Mexique vers les États-Unis 24 1.2.2.3 L‟industrie touristique : le cas de la péninsule du Yucatán ...25

1.2.3 Ceux qui restent ...27

1.2.3.1 Transformations dans les communautés ...27

1.2.3.2 Qui migre, qui reste? Genre, ethnicité et statut socioéconomique ...27

1.2.3.3 Les discours sur l‟ici et sur l‟ailleurs ...29

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Chapitre 2. Contextualisation et méthodologie

Introduction ...33

2.1 Le contexte yucatèque ...33

2.1.1 Portrait du Yucatán sous les angles du développement et de la migration ...34

2.1.1.1 Inégalités sociales, pauvreté et développement ...34

2.1.1.2 Structure foncière : transformations et accès à la terre ...35

2.1.1.3 La fin de la production du henequen et l‟essor du tourisme ...37

2.1.1.4 Migration transnationale et transfert d‟argent ...38

2.1.2 Les dynamiques sociales dans les projets de développement et la migration ...39

2.1.2.1 Les rapports de genre : autorité et discrimination positive...39

2.1.2.2 L‟appartenance ethnique maya au Yucatán ...40

2.1.2.3 Les dynamiques socioéconomiques : accaparement et disparités ...41

2.1.3 La municipalité de Chacsinkín ...42

2.2 Méthodologie ...45

2.2.1 La question de recherche ...45

2.2.2 La recherche qualitative et la théorisation ancrée ...46

2.2.3 Les axes de recherche ...47

2.2.4 La collecte de données et l‟échantillonnage ...49

2.2.5 L‟analyse des données ...55

2.2.6 Les engagements éthiques ...56

Conclusion ...57

Chapitre 3. Le développement et la migration comme possibilités à Chacsinkín Introduction ...59

3.1 Portrait économique : les activités d‟autosubsistance, génératrices de revenus et salariées 59 3.2 Programmes et organisations à Chacsinkín ...63

3.2.1 Oportunidades ...64

3.2.2 PROCAMPO ...64

3.2.3 70 y más ...65

3.2.4 Fondation Chrétienne pour les enfants et les personnes âgées ...65

3.2.5 Les organisations qui soutiennent les projets de développement ...66

3.3 Les projets de développement dans la municipalité ...66

3.3.1 Boulangerie et pâtisserie Santa Ana ...67

3.3.2 Much‟ colel‟oob de Chacsinkín SC de RL ...70

3.3.3 Groupe d‟éleveurs de moutons ...72

3.3.4 Mayaoob ...74

3.4 Trouver un emploi à l‟extérieur de Chacsinkín : les quatre principaux lieux de destination ...77

3.4.1 Migration à Mérida : les travailleuses domestiques et les ouvriers de la construction .77 3.4.2 Migration dans la zone touristique du Quintana Roo ...80

3.4.3 Migration aux États-Unis : le rêve américain devient réalité? ...83

3.4.4 Migration au Canada : parcours migratoire transnational du rural vers le rural ...86

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xiii Chapitre 4. Analyse des relations entre le développement et la migration

Introduction ...91

4.1 Le genre, possibilités et limites ...91

4.1.1 Les rapports de genre à Chacsinkín ...92

4.1.2 La participation aux projets de développement et à la migration selon le genre ...94

4.2 Les rapports ethniques : possibilités et limites ...98

4.2.1 Discriminations envers les populations mayas ...98

4.2.2 La situation linguistique à Chacsinkín ...99

4.2.3 Maîtriser l‟espagnol : la participation aux projets de développement et la migration 101 4.3 Distinctions socioéconomiques : possibilités et limites ...105

4.3.1 Les distinctions socioéconomiques à Chacsinkín; privilèges et faveurs ...105

4.3.2 Dynamiques socioéconomiques, projets de développement et migration ...109

Conclusion ...113 Conclusion générale ...115 Bibliographie...121 Annexe 1 ...131 Annexe 2 ...132 Annexe 3 ...133 Annexe 4 ...134 Annexe 5 ...135

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1 Introduction

Au cours des dernières décennies, les paysages ruraux ont subi de grandes transformations un peu partout sur la planète. Les populations rurales sont maintenant confrontées à de nouveaux enjeux et de nouvelles difficultés caractéristiques du contexte contemporain de mondialisation économique. Dans le but de contribuer à l‟étude de cette dynamique, je propose de me pencher sur les possibilités qui s‟offrent aux populations paysannes pour améliorer leurs conditions de vie. Plus spécifiquement, je compte traiter de l‟articulation entre deux mouvances qui opèrent en des sens opposés en milieu rural : d‟un côté la migration, qui à long terme peut mener à l‟exode rural et de l‟autre le développement, qui devrait inciter les populations à rester dans leur communauté d‟origine.

À ce jour, le développement et la migration ont déjà fait l‟objet de nombreux travaux anthropologiques (Olivier de Sardan 1995; Curran et Rivero-Fuentes 2003; Quintana 2004; Amin 2006; Hewitt de Alcántara 2007; Feliciano 2008; Parsons Dick 2010; Salazar 2010). La relation entre la migration et le développement, par contre, reste peu explorée. L‟intérêt d‟étudier à la fois la migration et le développement – sous sa forme de projets générateurs de revenus – tient du fait que pour les acteurs des régions rurales marginalisées, autant l‟émigration que les projets de développement induit peuvent a priori permettre l‟accès à des emplois attrayants. Bien sûr, il existe d‟autres stratégies économiques en contexte rural; la prise en compte de cette dyade résulte avant tout d‟un choix méthodologique et du fait que dans la municipalité ciblée, ces autres stratégies sont relativement limitées. Ainsi, en milieu rural, certains optent pour l‟intégration à des projets de développement générateurs de revenus, alors que d‟autres prennent plutôt la décision de migrer à l‟extérieur de la communauté à la recherche d‟un emploi. Il reste à savoir pourquoi certains restent et pourquoi d‟autres émigrent. Cette recherche propose donc d‟approfondir les connaissances sur l‟articulation du développement et de la migration à partir de la question suivante : Dans une localité rurale déjà sujette à une forte tendance migratoire,

quelles sont les relations entre les possibilités de s’intégrer à un projet de développement générateur de revenus et celles de migrer? Pour répondre à cette question, je me concentrerai

sur le cas spécifique d‟une municipalité rurale du sud du Yucatán hautement marginalisée : Chacsinkín.

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Ce mémoire se divise en quatre chapitres. Tout d‟abord, j‟établirai le cadre théorique de cette recherche en abordant les champs conceptuels du développement et de la migration. Il s‟agira de définir ce que j‟entends par développement et migration, d‟en décrire les dynamiques, d‟énumérer les différents acteurs impliqués dans ces dynamiques et, selon l‟approche de l‟économie politique, de mettre en lumière l‟accès inégal aux ressources et au pouvoir dans le cadre de ces processus (Roseberry 1988). Dès lors, les dynamiques décrites dévoileront certains rapports hiérarchiques entre les différents acteurs impliqués. Une attention particulière sera portée aux dynamiques de genre puisqu‟il s‟agit d‟un élément incontournable pour aborder les rapports sociaux liés au développement et à la migration.

Par la suite, je brosserai le contexte régional du Yucatán, puis détaillerai le procédé méthodologique adopté. Ce deuxième chapitre permettra dans un premier temps de situer les résultats de cette recherche dans le contexte plus large où l‟étude a été menée. À partir de la littérature existante, j‟offrirai une lecture historique, économique et sociale des dynamiques de la péninsule. De plus, il s‟agira de décrire les rapports entre les différents acteurs impliqués et plus précisément de déterminer comment le genre, l‟appartenance ethnique et les disparités socioéconomiques influencent et balisent les possibilités liées au revenu en général et en ce qui concerne le développement et la migration en particulier. Dans la deuxième partie de ce chapitre, j‟exposerai les méthodes et techniques empruntées pour en arriver aux résultats de cette recherche. Je reviendrai d‟abord sur la question de recherche qui a orienté le procédé méthodologique dans son ensemble. Je décrirai ensuite en quoi consiste la méthode de la théorisation ancrée en recherche qualitative et l‟intérêt d‟y recourir au regard de mes objectifs. J‟aborderai par la suite les principaux axes de cette recherche, c‟est-à-dire ceux du développement et de la migration. Puis, je décrirai les méthodes de collecte de données et d‟échantillonnage qui m‟ont permis de documenter ces thématiques. Enfin, il sera question de la méthode d‟analyse des données, soit la thématisation en continu, et de mes engagements éthiques face aux personnes qui ont participé à cette recherche. Les résultats de recherche présentés dans ce mémoire doivent être compris à la lueur de ces méthodes et techniques.

Dans le chapitre suivant, le troisième, je dresserai un portrait économique de la municipalité de Chacsinkín en me concentrant davantage sur les activités génératrices de revenus accessibles en

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3 participant à un projet de développement ou en migrant. Ce chapitre a été rédigé principalement à partir de données de première main recueillies à l‟été 2012. Dans la section sur les projets de développement, je décrirai les quatre groupes qui ont constitué mon échantillon. À défaut de couvrir la totalité des groupes actifs dans la municipalité, me pencher sur ces cas spécifiques m‟aura permis de mener une analyse plus en profondeur des réalités propres à chacun de ces groupes. La section suivante aborde la migration à partir des principaux itinéraires migratoires dans la municipalité : la migration à Mérida, la migration dans la zone touristique du Quintana Roo, la migration aux États-Unis et la migration au Canada.

Finalement, au dernier chapitre, il sera question des principaux facteurs qui influencent la participation à un projet de développement ou à la migration. C‟est à partir de ces facteurs que j‟établirai les relations entre la participation aux projets de développement et l‟engagement dans la migration. Le genre, l‟appartenance ethnique et les disparités socioéconomiques sont les trois facteurs qui m‟ont paru les plus révélateurs pour comprendre ces relations à Chacsinkín.

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Chapitre 1. Cadre théorique : champs conceptuels du développement et de la migration

Introduction

L‟angle d‟approche adopté pour cette recherche, soit celui de l‟économie politique, oblige à situer les sujets anthropologiques à l‟intersection entre le local et les processus historiques globaux (Roseberry 1988 : 173). Il s‟agit donc de comprendre la façon dont les populations ciblées sont intégrées au système capitaliste pour déterminer la nature des iniquités vécues par certains groupes d‟acteurs locaux. Le développement et la migration s‟offrent bien à cette lecture puisque d‟un côté ils se présentent sous forme de dynamiques à l‟échelle mondiale et de l‟autre, ils peuvent créer des écarts sociaux entre les membres des communautés rurales des pays dits sous-développés. D‟ailleurs, la possibilité de participer à un projet de développement ou de migrer peut être déterminée par certains facteurs sociaux qui tantôt en facilitent, tantôt en limitent l‟accès. Le genre, l‟appartenance ethnique et le statut socioéconomique, entre autres, influencent de façon considérable les possibilités des populations rurales en général et de la population de la municipalité de Chacsinkín au Yucatán en particulier quant à la participation aux projets de développement et à la migration. C‟est dans le but d‟évaluer l‟ampleur de l‟influence de ces facteurs dans cette municipalité que les dynamiques du développement et de la migration seront dépeintes dans ce chapitre.

Afin de délimiter le cadre théorique de cette recherche, j‟aborderai différentes approches issues de recherches préalables sur le développement et la migration. Je me pencherai sur les champs conceptuels du développement et de la migration dans divers contextes et plus particulièrement au Mexique, où j‟ai mené ma collecte de données. Sans couvrir tous les éléments liés à ces dynamiques, je tenterai d‟aborder ceux qui sont incontournables pour comprendre le développement et la migration dans leur ensemble. Cet exercice implique de traiter ces deux champs conceptuels selon des angles légèrement différents. D‟abord, je traiterai du développement selon trois angles, en discutant de sa dynamique à l‟échelle mondiale, puis en dressant un portrait des intervenants en développement et finalement en décrivant les types de projets mis de l‟avant au nom de ce dernier, selon leurs formes et leurs effets. Par la suite,

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j‟aborderai la migration aussi selon trois angles, soit en traitant sa dynamique à l‟échelle mondiale, puis en abordant les lieux de prédilections où se rendent les migrants et finalement en faisant part des transformations liées à la dynamique de migration dans les communautés rurales.

1.1 Le développement et les projets générateurs de revenus dans les milieux ruraux

Le développement sous sa forme contemporaine émerge de dynamiques mondiales particulières caractéristiques de l‟époque néolibérale. Je propose d‟en dresser un portrait général tout en portant une attention particulière au contexte mexicain, là où j‟ai mené mon étude. Tout au long de ce mémoire, le terme développement doit être entendu comme « l‟ensemble des processus sociaux induits par des opérations volontaristes de transformation d‟un milieu social, entreprises par le biais d‟institutions ou d‟acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de greffe de ressources et/ou techniques et/ou savoirs » (Olivier de Sardan 1995 : 7). Une telle définition suppose que certains acteurs tentent de transformer le mode de vie d‟un autre groupe d‟acteurs; afin de mieux définir cette dynamique, il importe d‟expliquer comment et pourquoi ce genre de relation prend autant d‟ampleur sur le plan mondial. Dans ce mémoire, je m‟intéresserai plus particulièrement aux projets de développement générateurs de revenus, c‟est-à-dire les projets qui tendent à insérer davantage les personnes bénéficiaires à l‟économie de marché. D‟abord, je décrirai le contexte plus large dans lequel de tels projets de développement émergent en discutant du rapport étroit qui existe entre néolibéralisme et développement. Ensuite, j‟aborderai le thème de l‟arène de développement, soit en exposant qui sont les acteurs impliqués dans une telle dynamique et quel genre de relations ils entretiennent entre eux. Finalement, je donnerai un aperçu des types de projets générateurs de revenus qui peuvent être menés et des différentes approches des agents de développement – notamment l‟approche participative –, des risques encourus dans le cadre de ces projets et des défis internes et externes à l‟arène de développement que de tels projets rencontrent.

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7 1.1.1 Le développement à l‟échelle globale

Les politiques de développement naissent de préoccupations d‟ampleur mondiale et sont actuellement influencées par des logiques propres au contexte de mondialisation économique. La compréhension de ces logiques est nécessaire pour contextualiser les projets de développement en général et ceux générateurs de revenus en particulier. Dans cette section, j‟aborderai la libération des marchés, le développement dans les relations internationales et le rapport entre développeur et développé.

1.1.1.1 La mondialisation et la libération des marchés

Les projets de développement peuvent être compris comme partie intégrante des transformations liées au phénomène de mondialisation. Par mondialisation, j‟entends « la prépondérance croissante des processus financiers, économiques, environnementaux, politiques, sociaux et culturels à l‟échelle mondiale, vis-à-vis ces mêmes processus à l‟échelon régional, national et local » (Ocampo et Martín 2005 : 13). Ces processus à l‟échelle mondiale, parmi lesquels la libéralisation des marchés, ont servi les intérêts de pays ou de groupes privilégiés, marginalisant une partie de la population mondiale et accroissant les inégalités. Le libre-échange entre les pays a permis l‟installation de puissantes entreprises transnationales sur les terres des pays moins industrialisés, entreprises guidées par des intérêts strictement économiques qui exploitent les ressources locales – naturelles et humaines – sans réel soucis de contribuer au bien-être des populations d‟accueil. Les entreprises transnationales ont notamment investi le secteur agroalimentaire de plusieurs pays, dont le Mexique (Hewitt de Alcántara 2007 : 86), transformant considérablement les dynamiques agraires. D‟autres types d‟entreprises dont les maquiladoras1 se sont elles aussi installées dans les campagnes dans le but de profiter d‟une main-d‟œuvre abordable. Elles ont industrialisé une partie du paysage rural et prolétarisé la population locale (Labrecque 2002). Dans certains cas, la population rurale a été semi-prolétarisée, c‟est-à-dire qu‟elle a été insérée au marché en partie seulement et qu‟elle continue à produire des aliments pour sa propre consommation. Ce statut particulier sert les intérêts des

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grandes entreprises car il leur assure une réserve potentielle de main-d‟œuvre, tout en gardant la population en situation marginale par rapport au marché (Isaac 1995 : 127). L‟expansion du secteur industriel dans les campagnes et la propagation des entreprises transnationales en général dans les pays dits sous-développés n‟a pas contribué à améliorer la qualité de vie des populations rurales, bien au contraire; en insérant les paysans dans les dynamiques internationales de marché, une bonne partie de la population rurale naguère plutôt auto-subsistante dépend maintenant des aléas du marché et du bon vouloir d‟entreprises étrangères qui n‟ont aucune obligation sociale face à eux. Les gouvernements des pays dits sous-développés, suivant la logique du néolibéralisme, devraient éviter les mesures protectionnistes et favoriser un laisser-faire économique qui par lui-même doit favoriser le développement. C‟est en grande partie dû à cette particularité du modèle néolibéral que les populations paysannes ont été délaissées par l‟État et qu‟elles se trouvent aujourd‟hui en situation de plus en plus critique (Hewitt de Alcántara 2007 : 92). Dans un tel contexte, l‟aide au développement – dont les projets générateurs de revenus – peut paraître une possibilité attrayante pour les populations rurales.

1.1.1.2 Le développement sur la scène internationale

Le concept de mondialisation est utile à la compréhension de la dynamique de développement, d‟une part parce que ce sont ces processus mondiaux qui ont bien souvent aggravé la situation des populations ciblées par les projets de développement et d‟autre part parce que les projets de développement en général et les projets de développement générateurs de revenus plus particulièrement s‟inscrivent dans la logique néolibérale en aidant les exclus de l‟économie capitaliste à s‟insérer au marché. De plus, le développement induit naît de préoccupations discutées sur la scène internationale et nombre de politiques sont influencées par des institutions internationales, notamment la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI). On assiste donc à une homogénéisation des modèles de développement (Ocampo et Martín 2005 : 16). En septembre 2000, les Nations Unies ont dressé une liste de huit objectifs de développement, les Objectifs de Développement du Millénaire, dont le but était d‟éradiquer la pauvreté avant l‟an 2015. Or, il se trouve que ces objectifs ne remettent aucunement en cause le néolibéralisme; si la population des pays sous-développés peut aspirer à de meilleures conditions

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9 de vie, c‟est en s‟intégrant à la dynamique économique mondialisée qu‟elle pourra y arriver (Amin 2006). Tel que mentionné plus haut, ce système économique mondial favorise certains groupes aux dépens de certains autres, ce qui laisse croire que les petites entreprises en milieu rural, dont celles financées par les agents du développement, seront plus vulnérables aux soubresauts de l‟économie de marché que les grandes entreprises auxquelles elles feraient compétition. De plus, de telles dynamiques internationales placent les pays du Sud en position de dépendance par rapport aux pays du Nord subventionnaires des projets, alors que ces derniers sont souvent en partie responsables de l‟exacerbation de la pauvreté chez leurs voisins du Sud.

L‟éradication de la pauvreté et l‟inclusion des populations marginalisées dans le système économique néolibéral ne sont pas les seules préoccupations à l‟ordre du jour des institutions internationales. En 1983, l‟ONU créa la Commission mondiale pour l‟environnement et le développement (CMED) (Vivien 2003 : 15). L‟environnement fait de plus en plus partie des enjeux importants au niveau mondial, enjeux qui font écho aux projets de développement. Sans minimiser l‟importance de l‟environnement, la préservation de ce dernier et la lutte contre la pauvreté ne vont pas toujours de pair et lorsque vient le moment de l‟intervention, l‟environnement prend parfois le dessus face aux enjeux de la pauvreté; certaines pratiques locales peuvent être condamnées par les organismes militants pour l‟environnement, comme par exemple la culture sur brûlis en milieu rural dans la péninsule du Yucatán, ce qui appauvrit la population locale, privée d‟une ressource peu coûteuse (Haenn 2004 : 99). Toutefois, une mouvance au niveau international veut que les projets se fassent en tenant compte autant du volet social qu‟environnemental et économique, soit en respectant les objectifs du développement durable. Ces objectifs sont l‟équité, la prudence écologique et l‟autonomie locale sur le plan des décisions, en tenant compte du contexte historique, culturel et écologique du milieu (Vivien 2003 : 15). Ces considérations sont de plus en plus prises en compte par les institutions qui mènent des projets de développement. Voyons maintenant quelles formes prennent les échanges entre développeurs et développés.

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1.1.1.3 La relation entre développeurs et développés

Le développement induit consiste en une transformation jugée souhaitable du milieu de vie d‟une population par un autre groupe d‟acteurs, le discours de ces derniers étant teinté de valeurs humanitaires, d‟un désir de venir en aide au peuple : « Le populisme est extrêmement présent dans l‟univers du développement. Il lui est même en un sens consubstantiel. La configuration développementiste n‟est-elle pas composée d‟ « élites » qui entendent aider le peuple (les paysans, les femmes, les pauvres, les réfugiés, les chômeurs…), améliorer leurs conditions d‟existence, se mettre à leur service, agir pour leur bien, collaborer avec eux? » (Olivier de Sardan 1995 :20) La configuration développementiste consiste en « un univers largement cosmopolite d‟experts, de bureaucrates, de responsables d‟ONG, de chercheurs, de techniciens, de chefs de projets, d‟agents de terrain, qui vivent en quelque sorte du développement des autres, et mobilisent ou gèrent à cet effet des ressources matérielles et symboliques considérables » (Olivier de Sardan 1995 : 7). En dépit des bonnes intentions de la configuration développementiste, il reste que les développeurs professionnels – qui possèdent un fort capital financier, symbolique et culturel – ont un avantage considérable face au groupe à développer, souvent peu scolarisé, pauvre et exclu. Leur relation est donc profondément asymétrique. Ce rapport peut être perçu comme un produit de la colonisation tardive (Bako-Arifari et Le Meur 2001 : 123), soit la continuité du contrôle des pays du Nord sur les ressources et les politiques des pays du Sud. Cette relation particulière alimente l‟image d‟une infériorité des populations sous-développées, incapables de se prendre en charge. De plus, derrière ces valeurs humanitaires, nombre d‟acteurs du développement contribuent à renforcer le stéréotype de l‟ex-colonisé ayant un retard par rapport aux sociétés développées, comme le fait remarquer une spécialiste mexicaine du développement : « Dans les médias télévisuels, on suggère que les paysans et les autochtones sont pauvres et désemparés et qu‟il faut les aider pour qu‟ils apprennent à éduquer leurs enfants et à recourir aux services de santé modernes» (Hewitt de Alcántara 2007 : 96; traduction libre). Le rapport est d‟autant plus asymétrique que les populations à développer n‟ont pas nécessairement fait la demande d‟une présence extérieure venue leur imposer une transformation de leur mode de vie (Quintana 2004 : 117). D‟ailleurs, la façon de développer élaborée par les instances internationales est rejetée par plusieurs groupes ciblés par le développement, même par les gouvernements de certains pays du Sud (Amin 2006 : 2). Bien sûr,

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11 il faut nuancer ces propos car l‟aide au développement n‟est pas rejetée par tous et dans tous les cas, ce qui est compréhensible considérant l‟accès au soutien financier et technique qui est en jeu. De plus, les projets ne sont pas toujours imposés par les institutions de développement; le propre de la «gouvernance» néolibérale est de vouloir estomper cette frontière entre «développeurs» et «développés», de sorte que ces derniers soient responsables et imputables de leur développement; la distinction tranchée proposée dans cette section relève avant tout d‟un procédé discursif. Ainsi, il arrive que des initiatives locales, par exemple des coopératives, soit subventionnées par des organismes venant de l‟extérieur. Le rapport entre les deux parties reste toutefois inégalitaire puisque le développeur a le choix de subventionner certains projets plutôt que d‟autres, c‟est-à-dire de sélectionner les projets qui répondent aux mêmes idéologies que l‟organisme en question. De cette façon, le développeur peut orienter les actions des populations récipiendaires des projets, de façon directe ou indirecte. L‟analyse des projets générateurs de revenus et du degré d‟intérêt des populations ciblées pour ces projets doit se faire à la lumière de cette relation particulière et inégalitaire qui existe entre développeurs et développés.

1.1.2 Le profil des différents développeurs

Tel qu‟énoncé à l‟instant, la dynamique de développement implique un rapport entre développeurs et développés et pour mieux comprendre ce rapport selon l‟approche de l‟économie politique, il importe de comprendre qui sont ces acteurs. La catégorie des développeurs est plutôt hétérogène sur les plans de ses constituantes, de leurs objectifs et de leurs méthodes. Deux grandes catégories seront ici discutées, soit les organismes gouvernementaux et non-gouvernementaux.

1.1.2.1 Les instances gouvernementales : quelques exemples mexicains

Les institutions gouvernementales financent et mènent de nombreux programmes. Par le biais de ces programmes, l‟État a l‟avantage d‟augmenter le pourcentage de la population économiquement active, en plus d‟éviter les soulèvements rebelles chez les groupes marginalisés par le système économique. Dans le cas du Mexique en particulier, plusieurs programmes ont été

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mis en place, chacun ayant des objectifs de développement bien particuliers; par exemple, le programme PROCAMPO favorise l‟autosubsistance et la productivité de la culture du maïs. L‟articulation des objectifs de certains programmes peut aussi rendre compte d‟intentions tacites, comme c‟est le cas de PROCAMPO et de PRONASOL2 (Programme National de Solidarité), un programme qui apporte un soutien scolaire aux jeunes : « The notion of an educated campesino was a contradiction in local cultural terms. Where PROCAMPO reinforced adults‟ roles in a limited form of farming, children‟s scholarships encouraged a new generation to get out of farming altogether » (Haenn 2004: 114). Ainsi, l‟émigration depuis les campagnes vers l‟extérieur est en quelque sorte impulsée – ou du moins favorisée – par l‟État. Le programme

Alianza para el campo, quant à lui, appuie l‟agroexportation (Labrecque 2002 : 175), c‟est-à-dire

l‟intégration des ressources du pays au système économique mondial. Le ministère du Développement Rural et le ministère du Développement Social appuient plusieurs projets générateurs de revenus, soit en finançant ces projets ou en octroyant des prêts à la population marginalisée, toujours dans le but de l‟inclure dans le système économique néolibéral.

1.1.2.2 Les ONG

Les ONG (organisations non gouvernementales) sont aussi des acteurs importants en termes de développement. « Dans son acceptation originelle, la plus répandue, la notion d‟ONG évoque une association de solidarité internationale (ASI), à but non lucratif, apolitique, pétrie de valeurs humanistes et indépendantes des États » (Cohen 2004 : 380). Au Mexique plus spécifiquement, de nombreuses ONG ont vu le jour alors que la libéralisation des marchés commençait à affecter l‟économie : «Au cours des années 1980, la conjoncture économique défavorable favorisant l‟entrée de l‟aide au développement au pays, les ONGs mexicaines se sont multipliées» (Boulianne 2002 : 203). Dans de nombreux cas, les projets de développement créés par les Nations Unies ou la Banque mondiale vont être confiés à des ONG plutôt qu‟aux États, les ONG étant considérées plus fiables, plus performantes et moins corrompues (Cohen 2004 : 382). Les ONG ne sont cependant pas toutes indépendantes des États au même degré et peuvent participer à l‟effort de développement en harmonie avec les instances gouvernementales. En effet, une

2 PRONASOL (1988-1994) a été suivi par PROGRESA (1994-2000) et enfin par OPORTUNIDADES (2000 à ce

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13 lecture critique de leurs actions propose qu‟elles contribuent à intégrer les marginaux au système néolibéral au même titre que l‟État : « Incorporating the poor into the neoliberal economy through purely "private voluntary action", the NGOs create a political world where the

appearance of solidarity and social action cloaks a conservative conformity with the

international and national structure of power» (Petras 1997: 16). D‟ailleurs, au niveau mondial, plus particulièrement depuis le Sommet du Caire en 1994, les ONG sont poussées à collaborer davantage avec les gouvernements (Labrecque 2002 : 178).

En ce qui concerne le lieu d‟ancrage des ONG, il peut varier. Alors que certaines ONG interceptent les fonds d‟institutions internationales ou gouvernementales pour financer leurs projets destinés à la population locale, comme c‟est le cas de la Fondation mexicaine pour un développement rural, d‟autres dites transnationales naissent dans les pays développés mais mènent des projets dans les pays sous-développés. Les organisations confessionnelles, notamment, arrivent à mobiliser des sommes importantes grâce au réseau international propre à leur groupe religieux. « Il s‟agit sans doute, avec les entreprises missionnaires d‟antan et les organisations caritatives d‟aujourd‟hui, des premières formes de courtage décentralisé, qui restent de loin les plus importantes » (Olivier de Sardan 1995 : 162). Mises à part les organisations religieuses, d‟autres types d‟associations, par exemple des associations de producteurs agricoles, tendent à se former pour permettre aux membres l‟accès à des subventions ou la participation à des projets de développement générateurs de revenus. Pour mieux comprendre cette dynamique, il faut voir en quoi consistent les projets de développement en question.

1.1.3 Les projets et leurs impacts

La relation entre les institutions de développement et les populations à développer se joue autour d‟un élément incontournable pour l‟étude du développement; le projet. « Le projet de développement définit un espace social particulier (arène ou champ), "lieu" (abstrait, non spatial) de confrontations, négociations et alliances entre acteurs sociaux dotés de ressources inégales et mus par des intérêts, des normes et des valeurs spécifiques » (Bako-Arifari et Le Meur 2001 :

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121). Pour les besoins de ma problématique de recherche, je me concentrerai plus particulièrement sur des projets générateurs de revenus, soit sur les projets qui favorisent l‟intégration ou la réintégration des récipiendaires à l‟économie de marché.

1.1.3.1 Les projets générateurs de revenus

Les projets générateurs de revenus se présentent sous différentes formes selon les objectifs et les méthodes des développeurs. Parmi ces projets, la microfinance en général et le microcrédit en particulier ont été largement déployés à l‟échelle mondiale. Le microcrédit consiste à octroyer de petits prêts à des individus ou des groupes qui autrement n‟auraient pas accès aux services bancaires, notamment pour leur permettre de mener un projet générateur de revenus. « Comme le rappelle Boyé, Hajdenberg et Poursat [2006], quatre objectifs fondamentaux sont traditionnellement recherchés par les programmes de microfinance : 1) réduire la pauvreté, 2) encourager la création d‟entreprises, 3) soutenir la croissance et la diversification d‟entreprises et 4) renforcer la position sociale de la femme ou de groupes de population défavorisés » (Jégourel 2008 : 199). Les projets en question peuvent être imposés par l‟institution – publique ou privée – qui octroie le prêt ou proposés par l‟individu ou le groupe qui en fait la demande, selon les cas. L‟impact du microcrédit sur la pauvreté n‟est pas nécessairement positif (Fouillet et al. 2007), notamment dû aux risques d‟endettement; dans certains contextes, plus particulièrement en milieux ruraux, le marché ne permet pas nécessairement la mise en place de micro-entreprises qui soient viables. En plus de la microfinance, certaines institutions de développement subventionnent les projets sans exiger de remboursement de la part des bénéficiaires; il est seulement demandé à la population de former des groupes et de dédier leur force de travail au projet en question. Le ministère du Développement Rural du Mexique, par exemple, construit des serres dans les campagnes et demande à des groupes d‟agriculteurs de s‟occuper des récoltes, les ressources financières et techniques étant fournies par le gouvernement. Ces projets de développement répondent à des objectifs bien précis et doivent être évalués « selon des résultats très concrets de pénétration de l‟État dans les campagnes et de contrôle politique sur la population » (Bako-Arifari et Le Meur 2001 : 132).

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15 1.1.3.2 L‟approche participative : un processus de plus en plus répandu

Face aux critiques de paternalisme et de néo-colonialisme, depuis une trentaine d‟années, il faut de plus en plus que la population ciblée soit active dans le processus de construction du projet pour que celui-ci soit considéré moralement acceptable (Bako-Arifari et Le Meur 2001 : 129). La définition du concept de participation selon la Banque mondiale est « Un processus par lequel les participants influencent et partagent le contrôle des initiatives de développement de même que les décisions et les ressources qui les affectent » (Labrecque 2002 : 173). Or, l‟approche participative peut s‟inscrire dans des rapports autoritaires et devenir une charge de travail supplémentaire non désirée pour les personnes participantes lorsqu‟elle devient obligatoire (Boulianne 2002 : 197). De plus, il est difficile de s‟assurer que ceux et celles qui participent au projet ont réellement mené chacune des étapes de conception et que les employés de l‟institution en charge de stimuler l‟empowerment des bénéficiaires n‟aient pas influencé les décisions prises, comme dans cet exemple mexicain : « In reality, most of them [les agents du développement], due to their needs, ego or psychological construct, assume a leading role as „hacedores‟ (makers) instead of that of „asesores‟ (advisors), thus generating a state of dependency on the part of their „objects‟» (Quintana 2004 : 116). En plus de ce défi, l‟approche participative peut être difficile à mener considérant la hiérarchie sociale en place dans les communautés rurales. En effet, la

population paysanne pauvre n‟est pas homogène de sorte qu‟au sein des projets de

développement en général et de ceux qui adoptent une approche participative en particulier, certains acteurs plus puissants peuvent accaparer les bénéfices du projet pour leurs intérêts personnels, comme dans l‟exemple de cette coopérative mexicaine d‟élevage de cochons menée par des femmes : « the structure of the cooperative served the interests of housewives better than it did those of workers or campesinas and, as such, did not meet its stated mission of empowering the poorest sectors of community » (Isaac 1995 : 148). Ce genre de problème renvoie à la nécessité pour les agents du développement de tenir compte du contexte local dans lequel les projets sont menés.

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1.1.3.3 La place des femmes dans les projets de développement : discrimination positive et travail féminin

L‟accès aux ressources dans les communautés rurales se fait de façon inégale en fonction du genre. En effet, parmi les plus pauvres de la planète se trouvent les paysans et parmi eux, une plus grande proportion de femmes. Les politiques de développement qui visent à éradiquer la pauvreté tiennent compte de cette réalité. L‟intégration des femmes aux politiques de développement de l‟ONU s‟est faite de façon implicite dès les années 1960-1970 via l‟approche du bien-être, qui consistait principalement en un secours d‟urgence passant par les femmes pour venir en aide à leurs familles. Au cours des années 1970, le rôle que devaient tenir les femmes dans les projets de développement se transforma progressivement et elles furent davantage amenées à participer à des projets générateurs de revenus (Labrecque 1997 : 32-33). Certains projets visent exclusivement les femmes alors que d‟autres exigent qu‟un certain pourcentage de femmes y participent. Dans plusieurs pays comme le Mexique où le patriarcat marque profondément les rapports sociaux, la participation des femmes à de tels projets peut résulter en une surcharge de travail pour ces dernières car elles ne seront pas pour autant débarrassées des travaux domestiques, considérés comme des tâches féminines. D‟un autre côté, cette discrimination positive envers les femmes dans la participation aux projets peut leur permettre d‟avoir accès à des ressources qui autrement auraient été monopolisées par des hommes et d‟une certaine façon, transformer les rapports de genre et le rôle social attribué aux femmes. Toutefois et considérant la construction sociale de la catégorie „femme‟ sur le marché de l‟emploi, on peut croire que les projets générateurs de revenus qui s‟adressent aux femmes n‟impliquent pas des revenus aussi élevés que ceux des projets qui visent les hommes, le travail féminin étant dévalorisé, conçu comme un simple supplément au revenu de l‟homme dans la maisonnée. La part du genre dans la possibilité de s‟intégrer à des projets de développement générateurs de revenus doit être prise en considération car la place réservée aux hommes et aux femmes dans ces projets et selon les types de projets est probablement inégale. Dans une autre perspective, les tâches à effectuer selon le genre – travaux communautaires, éducation des jeunes enfants, tâches domestiques en général – doivent être considérées comme des obstacles potentiels à la participation aux projets.

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17 1.1.3.4 Le contexte local et les facteurs de succès

Suivant les Objectifs de Développement du Millénaire, les projets de développement visent à réduire la pauvreté dans le monde. Plusieurs obstacles peuvent cependant s‟imposer aux développeurs. Si les agents de développement ne vérifient pas de façon systématique toutes les étapes de mise en place du projet, certains individus risquent d‟intercepter les fonds pour leur propre intérêt; le risque que les personnes les plus pauvres n‟aient pas accès aux bénéfices des projets est donc préoccupant. Notons que dans certains cas, la façon dont les projets sont construits peut avantager les personnes les plus riches des communautés rurales, au détriment de celles qui sont véritablement marginalisées (Larrison et Hadley-Ives 2004). En effet, la logique néolibérale qui sous-tend une grande partie des projets favorise ceux qui sont davantage insérés dans le système économique. L‟absence de contrôle sur le marché est une autre difficulté pour les agents de développement et il faut en tenir compte (Olivier de Sardan 1995 : 129). Certains projets générateurs de revenus peuvent être très fructueux dans un environnement économique quelconque, mais tomber à plat ailleurs. Dans les communautés rurales marginalisées plus particulièrement, il est logique de penser que les produits destinés à la vente ne trouveront pas preneur facilement et qu‟ils seront interceptés par des intermédiaires, donc que les individus qui se lancent dans ce genre de projet feront face à des risques plus élevés. Des conditions climatiques défavorables peuvent aussi nuire ou même mener à l‟échec certains projets liés à l‟agriculture.

Les conflits entre les personnes qui participent aux projets sont un autre défi auquel les agents de développement peuvent être confrontés; certains peuvent tenter de faire évoluer le projet de façon à en retirer le plus de bénéfices possible, aux dépens des autres membres du groupe. La hiérarchie sociale déjà en place dans les communautés rurales peut aussi interférer avec les objectifs des projets. Par exemple, si une institution de développement cherche à venir en aide aux femmes dans un milieu marqué par le machisme, il sera difficile de s‟assurer que le projet est bien mené par les femmes, que ce sont elles qui prennent les décisions et qui en retirent les bénéfices. Il faut aussi considérer l‟historique du milieu où les agents de développement veulent mener leur projet car si la population d‟une communauté rurale a eu antérieurement de

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mauvaises expériences avec le développement, elle sera évidemment moins sujette à se relancer dans des projets. De plus, il est probable que les projets qui proposent une façon de faire nouvelle pour la population entraîneront une certaine méfiance chez cette dernière : « Ce qui a fait ses preuves » - et en agriculture les pratiques paysannes locales sont le plus souvent le produit d‟une longue adaptation à un milieu, adaptation qui a largement fait ses preuves sur le long terme -, est très rationnellement préféré au risque» (Olivier de Sardan 1995 : 134). Cette retenue de la part de la population face aux projets trop innovateurs est compréhensible compte tenu de l‟ampleur de ce qu‟elle peut perdre si ces derniers échouent, surtout lorsque les ressources allouées sont à rembourser.

Les projets de développement générateurs de revenus découlent de politiques qui s‟inscrivent dans un contexte mondial particulier marqué par le néolibéralisme économique. La dynamique de développement doit être comprise comme participant à l‟effort d‟expansion de l‟économie de marché capitaliste. L‟arène du développement constitue le lieu de rapports de négociation où les institutions de développement, par le biais de la configuration développementiste, cherchent à mettre en application une logique capitaliste chez des acteurs qui sont jusqu‟alors partiellement exclus de ce système. La possibilité de s‟intégrer à des projets de développement générateurs de revenus peut être séduisante pour une population rurale hautement marginalisée, ou alors mener à la méfiance. Aussi, il est possible que les projets proposés ne conviennent pas à tous les habitantes et habitants d‟une communauté rurale. Même si les projets de développement sont très présents dans les régions rurales hautement marginalisées, plusieurs paysans font tout de même le choix de migrer vers différents centres économiques pour améliorer leurs conditions de vie ou celles de leur famille. Dans le but de comprendre les relations entre les possibilités de s‟intégrer à des projets de développement générateurs de revenus et celles de migrer, voyons maintenant plus en détail comment se présente la situation actuelle de la migration.

1.2. Les dynamiques migratoires en contexte contemporain

Les dynamiques de la migration sont multiples et très hétérogènes d‟un contexte à l‟autre. Il est intéressant pour l‟anthropologie de s‟y pencher car la présence de migration s‟accompagne

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19 nécessairement de transformations sociales. Plusieurs angles permettent d‟approcher cet objet d‟étude; certains auteurs optent pour une perspective critique en rendant compte des contraintes structurelles qui forcent les individus à migrer, alors que d‟autres abordent la migration comme le choix stratégique d‟acteurs compétents en quête d‟ascension sociale et économique. Les dynamiques migratoires touchent nombre d‟acteurs, elles transforment les paysages sociaux, autant chez les personnes qui migrent que chez celles qui ne migrent pas, dans la société d‟origine comme dans celle d‟accueil. Pour aborder l‟étude de la migration en général et le cas plus particulier du Mexique, trois aspects importants des dynamiques migratoires seront mobilisés. D‟abord, je dresserai un portrait de la migration à l‟échelle globale, en replaçant la dynamique migratoire dans le contexte particulier de la mondialisation, en exposant la façon dont les États influencent ou tentent d‟influencer les mouvements migratoires, puis en démontrant l‟importance des réseaux à toutes les étapes du processus. Ensuite, je me pencherai sur la situation de quelques destinations particulièrement prisées chez les personnes migrantes du Mexique, soit les villes, le Nord et les zones touristiques. Finalement, j‟aborderai le thème des communautés d‟origine de ces personnes migrantes à travers les transformations de ces lieux influencées par la migration, les raisons pour lesquelles certaines personnes migrent et d‟autres pas et pour finir, les imaginaires de la migration dans ces communautés rurales.

1.2.1 La migration à l‟échelle globale

Bien que la dynamique de migration varie selon les contextes et qu‟il soit important de tenir compte des particularités locales, les flux migratoires suivent de grandes tendances qui permettent d‟en faire une lecture à l‟échelle globale et d‟établir un lien entre la mobilité des personnes et le contexte de mondialisation. Voici donc un portrait des dynamiques migratoires à l‟échelle globale selon des perspectives économique, politico-légale et familiale.

1.2.1.1 La mondialisation de la main-d‟œuvre

La migration contemporaine présente des particularités propres au contexte mondial de l‟ère post-industrielle et aux inégalités croissantes qui le caractérisent. En effet, plusieurs études

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démontrent que le principal incitatif à la migration est le revenu (Sassen 2006; Schmook et Radel 2008; Guilmoto et Sandron 1999; Chávez et Landa 2009; Daltabuit Godás 2009). Autant dans les pays – ou les régions – industrialisés que non-industrialisés, les transformations des dernières décennies ont donné naissance à des crises dans le secteur économique. Du côté des pays industrialisés, le besoin en main-d‟œuvre spécialisée et l‟accès à des emplois bien rémunérés pour la population locale a laissé place à nombre d‟emplois peu rémunérés ne trouvant plus preneurs. De plus, la présence de plus en plus importante des femmes sur le marché de l‟emploi a augmenté les revenus des foyers, en plus de créer une demande en main-d‟œuvre pour les tâches domestiques (Sassen 2006). Du côté des pays non-industrialisés ou des régions éloignées des centres urbains, les transformations agraires, le manque d‟emploi et la difficulté pour les petits producteurs agricoles de compétitionner avec les grandes entreprises les a marginalisés dans l‟économie mondialisée et a accru la pauvreté dans ces régions. C‟est la conjoncture des dynamiques des régions industrialisées et non-industrialisées qui favorise la migration telle qu‟on la connaît. De plus, la migration peut être influencée par des facteurs autres qu‟économiques, par exemple l‟instabilité politique, la hausse démographique ou encore la dégradation de l‟environnement (Gullette 2007 : 603). Dans une moindre mesure, la migration peut aussi se faire d‟une région développée à une autre, par des individus curieux de découvrir de nouvelles régions du monde. Cependant, à l‟échelle globale, les flux migratoires les plus massifs partent des pays du Sud vers les pays du Nord à l‟international et au niveau national, des régions marginalisées vers celles plus économiquement actives (Gullette 2007).

1.2.1.2 La migration et les politiques d‟État

Bien que les flux migratoires soient fortement influencés par des dynamiques économiques internationales de plus en plus indépendantes des États, ces derniers jouent un rôle important de régulation, tantôt favorisant la migration, tantôt la freinant. Les politiques d‟immigration des pays du Nord sont souvent rigides et n‟attribuent de statut légal qu‟à un faible pourcentage des personnes désireuses de migrer. Toutefois, ces restrictions ne freinent pas la migration mais condamnent plutôt ces personnes au statut d‟illégales, ce qui les rend particulièrement vulnérables en terre d‟accueil. Le statut d‟illégalité doit être compris comme une construction, une étiquette faisant violence à ceux qui la portent bien malgré eux : « […] les catégories

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21 classificatoires des « migrants », des « clandestins », des « sans papiers », des voyageurs automatiquement suspectés de trafic de drogue ou de terrorisme, n‟ont rien de naturel. Elles sont construites politiquement et administrativement, voire fantasmatiquement ou coutumièrement, en termes de « délit de faciès » ou de « passeport » (Bayart 2007 : 202). Cette construction négative des personnes immigrantes joue un rôle quant à l‟accès à l‟emploi et au salaire en terre d‟accueil. La stigmatisation des immigrants sans papiers est d‟autant plus contradictoire que l‟économie de certains pays industrialisés, dont les États-Unis, dépend de l‟exploitation de ces travailleurs, qui acceptent des emplois et des conditions de travail dénigrés par les résidents locaux. Il est toutefois possible pour des travailleurs peu qualifiés venant de pays dits sous-développés, des paysans en l‟occurrence, d‟avoir légalement accès à de l‟emploi aux États-Unis ou au Canada entre autres, via des programmes de travailleurs agricoles qui octroient aux personnes migrantes un statut légal pour un séjour d‟une durée limitée (Roberge 2008; Krögel 2010). Ces programmes permettent de combler le manque de main-d‟œuvre agricole dans les pays développés. Du côté des pays d‟où proviennent les flux migratoires, les politiques sont parfois contradictoires au sujet de la migration. « […] Certains États poursuivent des politiques publiques de promotion de l‟émigration dans le souci de diminuer le chômage et d‟augmenter les rentrées de devises » (Bayart 2007 : 199). Dans les régions rurales du Mexique, par exemple, l‟éducation des jeunes autochtones est favorisée par le programme Oportunidades, en assumant qu‟ils trouveront un emploi bien rémunéré. Ces emplois se trouvent généralement en ville. D‟un autre côté, un programme – PROCAMPO – soutient quant à lui l‟agriculture d‟autosubsistance grâce à laquelle la vie dans les communautés rurales serait encore viable sans nécessité de migrer (Haenn 2004). Certains projets sont de plus menés par l‟État dans le but de contrer la migration: « By focusing on economic development in regions experiencing high levels of emigration, it may be possible to reduce some of the difference between sending and receiving regions. As restrictive policies fail to curb immigrant flow […], it is increasingly argued that the best immigration policy is development […] » (Gullette 2007: 603). Cependant, les efforts pour contrer la migration entrent en contradiction avec certaines décisions politiques qui, elles, favorisent la migration, d‟où l‟intérêt de pousser la recherche sur la question pour en comprendre la dynamique.

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1.2.1.3 Le rôle des réseaux dans le processus migratoire

En plus des facteurs économiques et des politiques étatiques, la migration est fortement influencée par les réseaux dans lesquels les personnes sont insérées, autant en terre natale qu‟en terre d‟accueil. « De manière peut-être encore plus prégnante en milieu rural dans les pays en développement, la décision de migrer, même si elle apparaît comme individuelle, prend ses racines dans une stratégie familiale plus vaste, elle-même guidée par une appartenance communautaire ou villageoise » (Guilmoto et Sandron 1999 : 47). Ainsi, la décision d‟envoyer un membre de la famille ou de la communauté à l‟étranger peut être une stratégie pour diversifier ses sources de revenus, considérant que la personne migrante enverra des remises à ses proches restés dans la communauté. Par ailleurs, que la migration soit prévue pour une durée déterminée ou qu‟elle soit permanente, le droit au retour est très important, considérant les risques d‟échec de la migration (Guilmoto et Sandron 1999 : 50), d‟où l‟importance pour les personnes migrantes d‟avoir l‟accord et l‟appui de leur famille. L‟extension du réseau de relations familiales ou amicales dans les lieux où la personne migrante compte se rendre est aussi un élément important qui facilite la migration : «La possibilité de mobiliser des liens de familles sur différents territoires apparaît comme un élément essentiel des stratégies de capitalisation économique de la migration » (Le Gall 2005 : 37). La personne migrante pourra user de ce réseau de relations pour accéder à un emploi et un logement (Sirna 2007), en plus du soutien affectif d‟une présence connue en terre inconnue.

Dans le cas du Mexique, les réseaux apportent un appui différent selon le genre et selon le contexte de la terre d‟accueil (Curren et Rivero-Fuentes 2003); d‟une manière générale, les réseaux à l‟international facilitent la migration des hommes alors que les réseaux nationaux facilitent la migration des femmes. À l‟international, le réseau des hommes peut s‟étendre à la famille élargie, les amis ou la famille immédiate, alors que pour les femmes, il est restreint aux membres de la famille immédiate. Cette différenciation par le genre reflète une conception particulière de la femme: « Because of prevailing ideas about women‟s vulnerability and norms of family honor, women can move only if there is a close relative with whom to travel or with whom to live » (Lindstrom 1997 in Curran et Rivero-Fuentes 2003 : 291). Malgré cela, et bien

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23 que les jeunes hommes seuls aient longtemps dominé les flux migratoires depuis le Mexique vers les États-Unis, la migration féminine à l‟international à des fins de recherche d‟emploi est de plus en plus présente; cette migration ne se limite donc plus à des femmes qui partent rejoindre leur époux (D‟Aubeterre Buznego et Rivermar Pérez 2007 : 19). Les réseaux migratoires transnationaux ou nationaux servent de point de chute aux personnes migrantes en leur assurant un espace social en terre d‟origine et en terre d‟accueil. De cette façon, les personnes migrantes peuvent effectuer des allers et retours entre ces deux espaces; on parle alors de migration circulaire. Il semble effectivement que les personnes ayant déjà migré tendent à répéter l‟expérience (Schmook et Radel 2008 : 899).

1.2.2 Itinéraires de migration

Quitter son lieu de résidence pour aller chercher de l‟emploi ailleurs est une décision de taille, coûteuse sur les plans financier et affectif et qui par conséquent a intérêt à être rentable. Les personnes migrantes partent le plus souvent avec un objectif de destination bien précise, où elles comptent trouver un travail payant. Dans le cas du Mexique et du Yucatán particulièrement, les destinations principales sont les zones urbaines situées à proximité – principalement Mérida –, les États-Unis et la zone touristique du Quintana Roo. Le profil de ces destinations fait écho aux itinéraires de migration d‟autres régions du monde; de manière générale, les migrants vont vers les villes, le Nord (les pays occidentaux) et les régions touristiques.

1.2.2.1 Les agglomérations urbaines

La migration des personnes vers les pôles économiques implique des changements majeurs dans leur mode de vie. Effectivement, la dynamique des régions marginalisées par le système économique, majoritairement rurales, tranche avec celle des régions urbanisées où tendent à se rendre les personnes migrantes. Ces dernières seront confrontées à un nouveau type de travail, un autre rythme de vie, de nouvelles mœurs et des dangers – imaginés ou réels – typiques des villes. La démographie des régions urbaines et la configuration des quartiers accessibles aux personnes migrantes peuvent représenter des difficultés supplémentaires pour celles-ci au moment de

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s‟installer, particulièrement si leur réseau de relations n‟est pas bien implanté en terre d‟accueil. En effet, l‟arrivée massive d‟une population migrante vers ces pôles d‟attraction résulte bien souvent en une construction rapide et désordonnée de quartiers en périphérie des villes. Cette poussée démographique soudaine rend difficile le développement de services sanitaires et sociaux dans ces zones (Daltabuit Godás 2009). Dans les pays ayant été colonisés en général et au Mexique en particulier, les personnes migrant à partir de régions rurales à forte concentration autochtone sont aussi confrontées à la barrière linguistique, c‟est-à-dire la dévalorisation de leur langue maternelle vis-à-vis la langue du colonisateur (Sierra Sosa 2009). Si l‟hégémonie de la langue dominante peut être perceptible jusque dans les campagnes, elle s‟avère plus forte encore en ville, là où la maîtrise de la langue du colonisateur est nécessaire pour accéder aux emplois mieux rémunérés, voire aux emplois tout court. Historiquement, au Mexique, la migration depuis les régions rurales vers les régions urbaines a longtemps été dominée par les femmes; effectivement, depuis les années 1940, ce sont surtout les jeunes femmes qui ont migré vers les villes à la recherche d‟un emploi comme ménagères dans les maisons privées. Les hommes migrant à l‟intérieur des frontières du pays ont plus eu tendance à se déplacer vers les régions rurales près de leur lieu de résidence et de façon saisonnière (Curran et Rivero-Fuentes 2003). La migration des campagnes vers les villes, qu‟elle soit permanente ou temporaire, transforme le mode de vie des personnes migrantes ainsi que les rapports dans les communautés rurales (Re Cruz 1996).

1.2.2.2 La migration transnationale vers le Nord : le cas du Mexique vers les États-Unis

Dans le cas du Mexique, la migration vers les États-Unis comporte des enjeux propres au contexte frontalier qui la caractérise. Les personnes migrantes du Mexique, ainsi que celles qui viennent des autres pays d‟Amérique latine et passent par les terres mexicaines pour se rendre au nord, font face à la rigidité des lois états-uniennes, qui n‟octroient de statut légal qu‟à une élite très ciblée. Les personnes migrantes font aussi face au stigma de leurs origines une fois traversée la frontière. Malgré les difficultés, nombre d‟entre elles font tout de même le choix de migrer sans document légal : « On estime qu‟entre 320 000 et 420 000 latino-américains sans-papiers traversent cette frontière chaque année depuis 1990. Environ 1 million d‟entre eux seraient

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