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Portrait économique : les activités d‟autosubsistance, génératrices de revenus et salariées

Chapitre 3. Le développement et la migration comme possibilités à Chacsinkín

3.1 Portrait économique : les activités d‟autosubsistance, génératrices de revenus et salariées

Les activités d‟autosubsistance jouent un grand rôle pour la plupart des familles de Chacsinkín. En plus de répondre aux besoins alimentaires des familles sur une base quotidienne, elles permettent, en cas de crise, de subvenir à leurs besoins sans avoir à recourir au numéraire : «Quand [les gens du village] n‟ont pas d‟argent, ils tuent une poule et la mangent, ou alors ils la vendent, en tuent une autre et achètent les ingrédients nécessaires pour la cuisiner» (informatrice 7). En plus des poules, la plupart des familles possèdent des dindons et, un peu moins fréquemment, quelques cochons. Ce sont généralement les femmes qui s‟occupent de l‟élevage

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des animaux, à l‟exception des bovins. La presque totalité des familles de Chacsinkín possède une milpa. Les hommes participent eux aussi activement à l‟économie de subsistance de leur famille en cultivant la milpa sur la terre ejidale. L‟ejido est accessible à tous mais il est convenu que la terre ne doit être cultivée que pour l‟autosubsistance; son utilisation à des fins lucratives peut donner lieu à des conflits, voire du pillage. Les personnes qui veulent commercialiser les produits agricoles ont la possibilité d‟acheter une petite propriété privée et ainsi travailler en paix. Une milpa couvre généralement deux hectares et permet aux familles de s‟approvisionner en maïs, la base de leur alimentation et de celle de leurs animaux. Lors d‟une bonne récolte, les familles ont suffisamment de maïs pour se nourrir toute l‟année, mais il arrive parfois que les résultats soient maigres, par exemple lorsqu‟il ne pleut pas suffisamment. Les familles doivent dans ce cas acheter leur maïs à des voisins plus chanceux ou alors s‟en procurer sur le marché. Les gens du village cultivent aussi d‟autres produits sur leur milpa, comme le haricot, la courge ou le piment.

La vente informelle de produits de l‟élevage ou de l‟agriculture entre parents ou voisins est pratique courante dans la municipalité. Un cochon bien engraissé peut rapporter plus ou moins 2400 pesos alors qu‟une poule est vendue 50 pesos et une dinde, plus ou moins 100 pesos17. Les familles qui possèdent beaucoup de poules vendent aussi leurs surplus d‟œufs. Plusieurs familles possèdent des arbres fruitiers et lorsque vient la saison de maturation, selon les variétés en présence, elles vendent ce qu‟elles ne consomment pas au voisinage. En plus de la vente locale, certains produits agricoles comme le piment fort, certaines variétés d‟haricot, le radis et la coriandre sont cultivés pour la vente externe. La variété de haricot la plus répandue parmi les agriculteurs est le haricot blanc18; il est vendu à un intermédiaire de l‟extérieur du village à huit pesos le kilo. On compte aussi plus ou moins quatre-vingt apiculteurs à Chacsinkín, qui vendent leur miel à un acheteur de Mexico. Selon un apiculteur, avec la production commercialisée d‟une vingtaine de ruches, il est possible de subvenir aux besoins alimentaires d‟une famille.

Il est fréquent que des membres de la parenté ou des voisins et voisines soit engagés sur une base ponctuelle pour accomplir certaines tâches. Lorsqu‟un père de famille ne peut s‟occuper de la

17 Le dindon est plus cher que la dinde dû à son poids. Un gros dindon peut coûter jusqu‟à 400 pesos. 18 La production de ce haricot dans la milpa, sur la terre ejidale, est tolérée.

61 milpa, généralement parce qu‟il travaille à l‟extérieur du village, ce sont ses fils qui la cultivent, ou alors on rétribue d‟autres hommes sur une base journalière pour l‟entretenir. Dans ce cas, les personnes engagées sont payées plus ou moins 70 pesos par jour à Chacsinkín et 50 pesos à X- Box. La fabrication du hipil est un autre exemple de service rémunéré; plusieurs femmes du village confectionnent ces robes traditionnelles ornées de fleurs brodées à la main ou à la machine. Le hipil est en déclin dans la région, principalement chez les plus jeunes (Robles- Zavala 2010 : 116; Mijangos 2001 : 125), mais il est encore porté par de nombreuses femmes à Chacsinkín. Actuellement, environ la moitié des femmes de la municipalité utilise ce vêtement. Parmi elles, celles qui ne savent pas broder ou qui n‟ont pas le talent, la patience ou la machine nécessaire pour se confectionner leur propre hipil demandent à des voisines ou des parentes de le faire. Le coût d‟un hipil est d‟environ 500 pesos, tout dépendant de la complexité du motif. La commande de petites serviettes brodées est aussi relativement fréquente. De la même façon que pour les hipiles, il arrive que des hamacs soient vendus à des familles voisines qui ne tissent pas elles-mêmes. Un hamac peut être vendu à 300 ou 400 pesos au village. Cependant, la confection de hamacs relève principalement de la sous-traitance à domicile. En effet, une fois par deux semaines, un homme de Mérida vient porter du fil aux femmes intéressées à tisser et récupère les hamacs terminés en échange d‟une maigre somme19. Certaines personnes du village vendent des produits alimentaires transformés comme des gâteaux pour les occasions spéciales, ou encore des croustilles faites maison20. Ces croustilles sont d‟ailleurs achetées par quelques personnes qui les envoient par la poste aux membres de leur famille qui vivent aux États-Unis. Une dame prépare et vend des sandwichs aux étudiants et professeurs du collège pendant les pauses. Il y a quelques guérisseurs et guérisseuses au village; une consultation peut coûter 50 pesos. Enfin, les personnes qui possèdent une voiture se transforment parfois en chauffeurs de taxi, notamment vers des communautés rurales avoisinantes qui ne sont pas desservies par le service d‟autobus ou de taxis collectifs. La diversité des activités montre l‟ingéniosité de la population de Chacsinkín lorsqu‟il s‟agit de produire des revenus. Elle est également indicative de l‟intensité et la complexité des rapports sociaux que les gens du village entretiennent les uns avec les autres sur le plan économique, rapports qui se conjuguent au gré des affinités et des conflits entre les personnes.

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La confection d‟un hamac grand format demande plus ou moins deux semaines de travail à temps partiel et les femmes sont payées 120 pesos par unité.

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Il y a quelques décennies, il n‟y avait que deux petits magasins généraux au village, tenus par les familles les plus aisées. Aujourd‟hui, une quarantaine d‟autres commerces se sont développés à Chacsinkín, bien souvent de petits dépanneurs où sont vendus boissons gazeuses, croustilles, sucreries, œufs issus d‟élevages industriels, fruits, légumes et autres aliments. Quelques dépanneurs ont aussi des jeux d‟arcade. Certaines personnes revendent des vêtements achetés en ville, d‟autres des objets divers à offrir en cadeau lors d‟occasions spéciales. Il existe une boutique de réparation de vélo, une personne qui répare les vêtements et un électricien. Une femme vend des souliers par catalogue. Il y a une pharmacie, quelques boulangeries, deux fabriques de tortillas (une privée et une municipale) et un bar. Récemment, un café Internet a ouvert ses portes au village, mais le propriétaire réside à Peto. Quelques personnes possèdent des moulins à maïs où les femmes vont quotidiennement moudre leurs grains pour la confection manuelle de tortillas. Il existe un kiosque de vente de poulet braisé, un petit restaurant et un point de vente de viande fraîche de poulet et de bœuf. Neuf chauffeurs de taxi collectif proposent des voyages entre Chacsinkín et Peto, au coût de 12 pesos les jours de semaine et 24 pesos le samedi. Un taxi peut contenir plus ou moins quinze personnes. Tous les commerces et entreprises sont concentrés à Chacsinkín alors qu‟à X-Box, il n‟y a qu‟un seul petit dépanneur.

Le fonctionnariat permet à quelques personnes du village d‟avoir un emploi salarié et un revenu stable; certains postes ne sont occupés par les mêmes personnes que pour la durée d‟un mandat présidentiel tandis que d‟autres, comme ceux de policier et de responsable de l‟entretien, peuvent être occupés par les mêmes personnes pendant de nombreuses années, aussi longtemps que la mairesse ou le maire en poste en décidera de la sorte. Les vingt policiers du village sont payés 700 pesos par semaine pour une vingtaine d‟heures de travail. Les employés qui s‟occupent de l‟entretien gagnent 250 pesos pour deux jours de travail par semaine. Certains employés responsables de la gestion ou de l‟administration empochent 500 ou 600 pesos par semaine, voire plus pour certains postes privilégiés. Les secteurs de l‟éducation et de la santé fournissent des postes à un certain nombre de personnes au village, mais ces personnes sont presque toutes originaires d‟autres municipalités.

63 Il y a quelques années, l‟organisation Misioneros A.C. offrait un emploi à une dizaine de personnes de Chacsinkín. Certaines avaient comme mandat de partager leurs connaissances techniques en matière d‟agriculture biologique ou d‟apiculture dans les communautés rurales avoisinantes, alors que d‟autres s‟occupaient du bon fonctionnement des ateliers au centre communautaire ou de la formation de groupes pour créer des projets de développement. Les salaires étaient de l‟ordre de 150 à 300 pesos par semaine. L‟organisation est moins subventionnée depuis quelques années et les trois ou quatre personnes qui s‟occupent toujours du bon fonctionnement de Misioneros A.C. sont désormais bénévoles.

Parmi toutes les activités énumérées, certaines fonctionnent relativement bien, alors que d‟autres, particulièrement du secteur agricole, contribuent très faiblement à l‟économie familiale. De façon générale, la population se désole qu‟il n‟y ait pas de bons emplois au village. En plus de ces activités d‟autosubsistance, génératrices de revenus ou salariées, quelques organisations actives dans la municipalité offrent à la population un appui financier ou matériel qui vient s‟ajouter aux revenus des familles. Ces organisations sont importantes puisqu‟elles peuvent gonfler considérablement les revenus familiaux et possiblement influencer les décisions prises par la population, par exemple quant au fait de migrer ou encore concernant le choix de continuer à envoyer les enfants à l‟école après un certain âge.

3.2 Programmes et organisations à Chacsinkín

Dans cette section, je brosserai un rapide portrait des différentes institutions qui interviennent auprès de la population de Chacsinkín par un soutien financier. Je décrirai d‟abord trois programmes fédéraux d‟assistance sociale dont bénéficient plusieurs personnes du village. Ensuite, je présenterai une ONG religieuse qui elle aussi propose un soutien monétaire à la population, cette fois-ci par le biais du parrainage international. Finalement, je me pencherai sur les différentes organisations qui offrent du financement pour permettre à la population de mener des projets générateurs de revenus.

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3.2.1 Oportunidades

Le programme Oportunidades est une initiative du gouvernement fédéral qui vise à offrir un soutien financier aux mères et aux enfants tout au long de leur scolarité. Le programme existe depuis 2000 et a remplacé les divers programmes de solidarité que les gouvernements précédents avaient mis en place depuis 1989 (Gautier 2007 : 83). Pour être éligibles, les mères doivent être considérées suffisamment pauvres par les agents fédéraux chargés du programme. Ces derniers évaluent notamment l‟état de la maison où elles résident pour déterminer si les femmes sont assez démunies pour bénéficier du programme. Une fois inscrites, elles doivent s‟occuper de tâches ménagères au centre de santé une fois par mois et assister à des ateliers de formation – notamment sur l‟hygiène – sous peine d‟être privées d‟une partie de leur allocation. Selon la responsable de la distribution de ces aides, sur un total de 915 femmes de plus de quinze ans dans la municipalité (INEGI 2010), environ 800 femmes sont inscrites au programme. Le montant versé tous les deux mois est variable selon le nombre d‟enfants21.

3.2.2 PROCAMPO

Le ministère de l‟Agriculture, de l‟Élevage, du Développement Rural, de la Pêche et de l‟Alimentation (SAGARPA) gère un programme d‟appui direct à la campagne, PROCAMPO, qui apporte un soutien financier aux ejidatarios. « Federal authorities created PROCAMPO to compensate small-scale producers for the devaluation in farm goods anticipated with Mexico‟s entry into the North American Free Trade Agreement » (Haenn 2004 : 104). Le montant accordé aux bénéficiaires est de 1 150 pesos par hectare cultivé par année (Lozano Cortés et Ramírez Loría 2006: 5). Ce financement leur permet de se procurer semences et engrais pour la production de la milpa. Plusieurs hommes qui cultivent la milpa sur la terre ejidale ne sont pourtant pas bénéficiaires de ce programme puisqu‟ils ne sont pas légalement inscrits comme

ejidatarios. Actuellement, il est impossible d‟ajouter de nouveaux membres à l‟ejido de

Chacsinkín, sauf si un père renonce à son titre pour le donner à son fils – un seul de ses fils – ou

21 Une mère d‟un enfant reçoit 700 pesos par mois; une mère de deux enfants reçoit 1300 pesos; une mère de quatre

65 en cas de décès. Les 475 ejidatarios de la municipalité sont bénéficiaires de ce programme (FUNDAR 2012).

3.2.3 70 y más

Ce programme du ministère du Développement Social du gouvernement fédéral (SEDESOL) offre depuis 2007 un soutien financier aux personnes qui ont 70 ans ou plus sur la base de leur âge. Au cours des premières années, ce programme ne s‟adressait qu‟aux personnes des régions rurales mais depuis 2011, celles qui vivent en milieu urbain peuvent aussi s‟y inscrire. À Chacsinkín, toutes celles qui correspondent à cette tranche d‟âge sont éligibles et peuvent recevoir un montant de 500 pesos par mois, payables tous les deux mois. Les femmes qui reçoivent un financement du programme Oportunidades ne peuvent cumuler les deux allocations (SEDESOL 2012).

3.2.4 Fondation Chrétienne pour les enfants et les personnes âgées

Il existe une organisation internationale religieuse active depuis quelques années dans la municipalité qui offre actuellement à près de 350 enfants de Chacsinkín et de quelques personnes âgées la possibilité d‟être parrainés par des donateurs étrangers, principalement en provenance des États-Unis. Le programme est géré au village par une jeune femme presbytérienne, mais les enfants des familles catholiques ou d‟autres confessions peuvent aussi en être bénéficiaires. Les familles intéressées à recevoir l‟aide d‟un parrain ou d‟une marraine doivent inscrire leur enfant auprès de la responsable. Les photos des enfants inscrits seront transmises aux donateurs qui sélectionneront l‟enfant qu‟ils souhaitent parrainer. À partir de ce moment, les donateurs envoient 30$US22 par mois à l‟organisme (CFCA 2013), montant duquel 200 pesos sont envoyés à la famille de leur filleul, en plus de cadeaux à l‟occasion des fêtes et de matériel pour la rentrée scolaire. En échange, l‟enfant écrit des lettres à son parrain ou sa marraine et lui transmet ses résultats scolaires. Les mères doivent aussi s‟investir dans certaines tâches ménagères et agricoles pour le centre de la Fondation, à raison d‟une fois par semaine.

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3.2.5 Les organisations qui soutiennent les projets de développement

Qu‟elles apportent un appui technique ou financier, les organisations qui sont ou ont déjà été impliquées dans les projets de développement générateurs de revenus à Chacsinkín sont nombreuses. C‟est depuis 1994 qu‟il y a présence d‟agents externes en développement dans la municipalité. La première organisation mise en place à cette époque, Misioneros A.C., est toujours active et aide les personnes de la municipalité à former des groupes et à recevoir des subventions pour mener des projets qui promeuvent et respectent l‟identité maya (García Vales 2009 : 114). PADSUR23, une initiative de l‟Université Autonome du Yucatán, a aidé à la formation d‟entreprises sociales (notamment dédiées à la broderie, l‟apiculture ou l‟agro- industrie) qui devaient répondre aux normes du commerce équitable dans les municipalités de Chacsinkín, Tahdziú et Tixméhuac (Rubio 2009 : 57). De la même façon, la Fondation mexicaine pour un développement rural, une ONG financée par la Fondation Kellogg, aide les femmes de Chacsinkín et d‟autres municipalités du sud du Yucatán dans les différentes étapes de la formation de leur groupe et de leur projet. En 2005, le ministère du Développement Social (SEDESOL) a mis sur pied une coopérative d‟apiculteurs de grande taille (Lool Jabin) à Chacsinkín. Cette coopérative a rassemblé plusieurs petites coopératives déjà existantes (Rosales et Rubio 2008), mais le projet a avorté. La Fundación Produce Yucatán a financé des projets de développement durable et de transfert de technologie. Les ONG Programa de la Mujer en el

Sector Agrario (PROMUSAG) et Manos para el Desarrollo ont aussi été actives dans la

municipalité (García Vales 2009). La Commission nationale pour le développement des populations autochtones (CDI), les Nations Unies, l‟Ambassade canadienne et la Fondation Kellogg offrent quant à elles un soutien financier à certains groupes de la municipalité, selon des modalités particulières sur lesquelles je reviendrai plus en détails dans la prochaine section.