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La participation aux projets de développement et à la migration selon le genre

Chapitre 3. Le développement et la migration comme possibilités à Chacsinkín

4.1 Le genre, possibilités et limites

4.1.2 La participation aux projets de développement et à la migration selon le genre

L‟accès à des projets de développement et à des activités migratoires est conditionné par les rapports de genre. D‟abord, l‟autorité des parents, du mari, de la belle-mère et l‟effet corrosif des rumeurs en général peuvent décourager les femmes – surtout les femmes mariées – de s‟investir dans une activité génératrice de revenus à l‟extérieur de leur domicile, par le biais de la

95 migration mais aussi au village, au sein des projets de développement. Par exemple, les projets d‟agriculture et d‟élevage menés en solitaire hors du territoire habité, comme les projets de Mayaoob et du groupe d‟éleveurs de moutons, sont inaccessibles aux femmes; les projets qui impliquent la vente de produits à Peto ou Mérida peuvent être menés par certaines femmes, mais pas toutes; enfin, les projets qui ont lieu dans un espace privé, même chez de la parenté, peuvent être prohibés par certains maris.

Le contrôle de la mobilité féminine et les conventions morales quant aux obligations domestiques désavantagent les femmes, autant en ce qui a trait à la migration qu‟à la participation à un projet de développement. Cependant, l‟intérêt grandissant pour l‟intégration des femmes dans les projets de développement de la part des développeurs pallie quelque peu cet inconvénient. Par exemple, un groupe de femmes appuyé par la Fondation mexicaine pour un développement rural et financé par la CDI a entrepris de cultiver des fleurs d‟hibiscus pour la vente. Pour comparer l‟état de leurs plants et exercer une certaine surveillance les unes sur les autres, elles ont installé leurs cultures sur une même parcelle, à proximité du village. Certains hommes se sont toutefois opposés à l‟idée que leur épouse se rende seule dans les bois, raison pour laquelle trois des femmes du groupe ont installé leur plantation loin des autres, juste à côté de la milpa de leur mari. Dans la même perspective, certains développeurs financent des projets de femmes qui peuvent être menés à domicile. C‟est le cas, par exemple, du projet de couturières de X-Box, financé par la gouverneure du Yucatán. Cette tendance des développeurs à s‟adapter aux rapports de genre dans la municipalité leur permet d‟intégrer un plus grand nombre de femmes aux projets. Malgré cela, certaines restent en marge des initiatives de développement, surtout si leurs obligations domestiques sont trop prenantes ou si leur mari s‟y oppose. Ironiquement, ce sont les femmes les plus touchées par les rapports hiérarchiques de genre qui sont exclues des projets de développement axés sur les femmes.

Du côté de la migration, il a été démontré dans le chapitre précédent qu‟effectivement, et de plus en plus, les femmes la pratiquent. Cependant, les choses se présentent différemment s‟il s‟agit d‟une migration pendulaire vers Mérida, de migration vers la côte ou de migration internationale. Aussi, seules les femmes célibataires, divorcées ou veuves peuvent migrer. Chez les hommes, la

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migration s‟effectue indépendamment du statut marital. Dans le cas où leur projet migratoire les empêche de mener à terme leurs tâches au village, comme par exemple la culture de la milpa, les hommes migrants peuvent très bien payer un autre homme pour le faire, sans que cela ne leur porte préjudice. Chez les femmes mariées, il leur serait impossible de déléguer leurs tâches et quitter le village sans être sévèrement jugées, à moins qu‟elles soient mères célibataires ou veuves. Dans ces derniers cas, les membres de la famille et de la communauté sont plus conciliants.

La notion de risque influence aussi la migration des personnes en fonction de leur genre. Par exemple, la migration aux États-Unis est perçue comme plus risquée pour les femmes que pour les hommes (Curran et Rivero Fuentes 2003 : 291). Ces derniers estiment d‟ailleurs que la façon dont les groupes de migrants de Chacsinkín sont installés outre-frontière rendrait difficile l‟intégration d‟une femme : «Avant nous vivions comme ça, à plusieurs [hommes] dans un même appartement. C‟est la seule façon d‟économiser un peu d‟argent parce que le loyer coûte cher là-bas (en Oregon). On ne prendrait pas le risque d‟y mettre une femme» (informateur 3).

La migration de la population féminine de Chacsinkín vers les États-Unis est très faible numériquement et est relativement récente; dans les deux cas répertoriés, les femmes ont été accueillies par un homme de leur famille déjà installé aux États-Unis. La migration dans les régions urbaines de la péninsule sans l‟aide d‟un réseau migratoire serait aussi plus difficile pour les femmes, comme l‟affirme cette migrante établie à Playa del Carmen :

Je dirais que c‟est plus facile que [les hommes] se trouvent du travail, ils peuvent se défendre, parce que là-bas, se promener la nuit, ce n‟est pas facile. Même s‟ils ne trouvent pas de logement ce jour-là, ce sont des hommes, ils savent qu‟ils peuvent aller à un endroit où on va les protéger. Et ils peuvent se défendre, pas comme une femme (informatrice 4).

Par contre, le réseau des femmes, principalement des jeunes femmes qui travaillent comme employées domestiques dans les régions urbaines de la péninsule, est très développé et très accessible. La demande dans ce secteur est assez élevée, de sorte que les jeunes filles n‟ont pas

97 de difficulté à trouver un employeur. Chez les hommes, la situation est plus difficile; certains voudraient travailler en ville mais se trouvent sans travail, ou alors n‟obtiennent que des emplois de courte durée. Quand ils trouvent emploi à Mérida ou dans la région touristique du Quintana Roo, les hommes sont toutefois généralement mieux payés que les femmes. Enfin, le réseau migratoire du PTAT est exclusivement masculin à Chacsinkín, bien que 2 ou 3% de la force de travail du PTAT soient des femmes, principalement en provenance du Mexique (Preibisch et Encalada 2010: 298). On peut croire que comme le travail agricole et la migration chez les personnes mariées de Chacsinkín sont conçus comme l‟affaire des hommes, il va de soi que ce sont seulement des hommes qui aient intégré le programme.

On peut dire que la migration est globalement plus accessible aux hommes, bien qu‟il soit aussi possible pour les femmes de migrer dans certaines conditions; aussi, les projets de développement générateurs de revenus sont plus accessibles aux femmes, principalement grâce à une discrimination positive de la part des institutions de développement. Les possibilités – et obligations – changent chez les femmes au cours de leur vie en fonction de leur statut marital et du cycle de vie familial, mais pas chez les hommes. Les projets de développement s‟adressent principalement aux femmes, mais ils sont souvent interceptés par celles qui ont davantage de temps et de pouvoir de négociation auprès de leur mari. Chez les hommes, certains projets seulement sont accessibles. La migration, bien que plus difficile depuis quelques années, est encore relativement généralisée chez les hommes. La migration des jeunes filles est aussi de plus en plus généralisée, mais le mariage les ramène souvent à Chacsinkín, ou alors dans la municipalité d‟origine de leur mari si ce dernier est originaire d‟un autre endroit. Parfois, les couples s‟installent définitivement en terre d‟accueil, que ce soit Mérida, une des municipalités du Quintana Roo, ou encore aux États-Unis. Chez certains hommes célibataires ou même mariés qui quittent vers les États-Unis, la migration est définitive. Toutes destinations confondues, la migration définitive est relativement équilibrée selon le genre puisque la municipalité compte presque autant de femmes (1 401) que d‟hommes (1 417) (INEGI 2010). On peut croire que si le nombre de femmes ayant migré définitivement est presque aussi élevé que celui des hommes, c‟est sans doute parce que les femmes mariées vont éventuellement, dans un certain nombre de cas, rejoindre leur époux à l‟étranger.

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