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Chapitre 3. Le développement et la migration comme possibilités à Chacsinkín

4.1 Le genre, possibilités et limites

4.1.1 Les rapports de genre à Chacsinkín

Tels que configurés par les dynamiques plus larges et comme partout ailleurs dans le milieu rural mexicain (Labrecque 2001 : 9), les rapports de genre au sein des maisonnées de Chacsinkín sont fortement inégalitaires et hiérarchisés. Ces rapports sont régis par certaines normes et donnent généralement davantage de pouvoir aux hommes. Le pouvoir des hommes, plus précisément des pères de famille, s‟exprime notamment par la prise de décision en ce qui concerne les activités productives des ménages (Radel 2011), mais aussi par un contrôle général du comportement et de la mobilité des femmes. À Chacsinkín, le contrôle exercé par les maris sur leur femme varie d‟un ménage à l‟autre, mais les déplacements sans surveillance des femmes sont généralement considérés comme suspicieux : «Ici, il y a beaucoup de ce genre de machisme. Par exemple si une femme sort, c‟est qu‟elle va voir son amant. C‟est la première chose que vont dire la belle- mère et le mari» (informatrice 8). Ce préjugé sur les femmes fait en sorte que certains hommes n‟acceptent sous aucune condition que leur épouse travaille à l‟extérieur du foyer familial. D‟autres y consentent, seulement si elle se rend à un endroit précis où elle sera sous la surveillance d‟au moins une autre personne, idéalement une femme de la famille. Par contre, dans la majorité des cas, les hommes refusent que leur conjointe migre pour travailler, même si celle-ci en exprime le souhait. En ce qui concerne la mobilité des hommes, il semble que les épouses n‟aient d‟autorité sur le sujet ni à l‟intérieur du village, ni à l‟extérieur, sauf exception dans le cas de la migration aux États-Unis, comme le laissent croire les propos de cette dame

93 dont le mari migre au Canada : «Le jour où j‟apprendrai qu‟il veut migrer aux États-Unis sans papier, traverser la frontière, pour rien au monde je ne le laisserai faire. Si tu veux rester célibataire avec les petits, alors là oui. Penses-y deux fois» (épouse de l‟informateur 22).

Lorsque les hommes travaillent à l‟extérieur du village, ils gardent une certaine autorité et un certain regard sur les actions de leur épouse grâce à la surveillance exercée par la belle-mère de ces dernières, qui réside généralement à proximité ou dans la même maisonnée puisque la résidence est patrilocale dans la région. L‟autorité des pères s‟exerce aussi sur la mobilité des jeunes filles, ce qui fait en sorte que dans plusieurs familles, les filles ne sont pas allées à l‟école : «Mon père dit que les filles n‟ont pas besoin de classes. […] Oui, mes frères savent lire, ils savent écrire, ils savent l‟espagnol, ils parlent espagnol et parlent le maya» (informatrice 2).

Bien sûr, le choix de privilégier les garçons quant à la scolarisation n‟est pas systématique. Par contre, il s‟agit bien d‟une tendance puisque dans cette municipalité, parmi la population de plus de quinze ans (950 hommes et 915 femmes), 152 femmes (17%) et 105 hommes (11%) n‟ont aucune scolarité, alors que 246 femmes (27%) et 173 hommes (18%) sont analphabètes (INEGI 2010). Il arrive aussi que les jeunes filles fréquentent l‟école moins longtemps que leurs frères; des hommes, mais aussi certaines femmes, affirment que les études sont plus importantes pour les garçons que pour les filles. Malgré cela, certains parents investissent dans les études collégiales et universitaires de leurs filles, notamment quand ces dernières n‟ont pas de frères.

Le choix d‟envoyer ou non les jeunes filles à l‟école est influencé par une conception genrée des obligations familiales au sein d‟une maisonnée qui dépasse le contexte particulier de Chacsinkín (Deere and León 1987 : 4; Brickner 2010 : 760). Selon cette conception, le rôle des femmes serait de s‟occuper des enfants, des repas et d‟entretenir le foyer, alors que les hommes devraient être les principaux, voire les seuls pourvoyeurs (Walter et al. 2004: 1163), ce qui justifierait de prioriser la scolarité des garçons. À Chacsinkín, il est convenu que les femmes doivent entretenir le foyer, mais il n‟est pas rare qu‟elles mènent aussi des activités génératrices de revenus, comme on l‟a vu au chapitre précédent. Parfois, le revenu des femmes dépasse celui de leur mari ou constitue le seul revenu du foyer. Dans le cas où la femme de la maisonnée mène des activités

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génératrices de revenus, généralement au foyer mais aussi à l‟extérieur, ces tâches et les obligations domestiques qui lui sont attribuées s‟accumulent. Les femmes reçoivent parfois l‟aide de leurs filles et plus rarement de leurs fils et de leur mari, mais la responsabilité de l‟ensemble des tâches ménagères du foyer leur revient de toute façon. Cette responsabilité explique en partie pourquoi les femmes de la municipalité sont moins impliquées que les hommes dans les emplois recensés par l‟INEGI – 293 femmes contre 857 hommes (INEGI 2010).

La discrimination de genre s‟applique aussi pour l‟accès au foncier. Par exemple, le père de famille a tendance à léguer le patrimoine familial à sa descendance masculine; il divise le lopin sur lequel est construite sa maison entre ses fils pour que ceux-ci y construisent la leur. Parfois, le dernier fils à se marier a la possibilité de rester vivre dans la maison de ses parents et d‟y élever ses enfants. Les filles n‟ont pas accès à cet héritage, à moins qu‟elles n‟aient pas de frère. Cette discrimination de genre s‟exerce aussi dans le cas des terres agricoles. Dans la municipalité de Chacsinkín, environ 5% des membres légaux de l‟ejido sont des femmes (FUNDAR 2012), ce qui ne veut pas nécessairement dire que ce sont elles qui cultivent la milpa. D‟une manière générale, la milpa est conçue comme l‟affaire des hommes et ce même si certaines femmes sont

ejidatarias, ou alors qu‟elles mènent certaines activités agricoles. Le rôle des femmes dans les

activités agricoles est souvent passé sous silence (Radel 2011 : 29) et leurs obligations morales envers les enfants et leur mari les empêcheraient de se rendre seules au champ. Ainsi, les hommes sont considérés comme les seuls héritiers potentiels d‟une propriété terrienne privée ou d‟un titre d‟occupant légal de l‟ejido, à moins, encore une fois, que le père n‟ait pas de descendance masculine.