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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le corps, objet artistique de création de soi et du monde

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

LE CORPS, OBJET ARTISTIQUE DE CRÉATION DE SOI

ET DU MONDE

Nelly LACINCE

Génie des Procédés Symboliques - Santé/Sport, UFR STAPS de Montpellier

MOTS-CLÉS : CHAIR – CORPS – NORME – HORS-NORME – PERFORMANCE – RÉSISTANCE – SENSATION – SENSATION RÉCEPTIVE –

SENSATION ACTIVE – DOULEUR

RÉSUMÉ : Lorsque la performance sportive ou artistique est questionnée, les résultats montrent qu’un bouleversement est à l’œuvre. Désormais l’activité humaine ne se réfère plus à l’organique mais au système sensoriel. Celui-ci gouverne la chair qui devient ainsi conductrice et responsable de la réponse corporelle, bouleversant ainsi certaines théories comme celle de l’effort. Il n’est plus question d’un effet de volonté pour agir, mais plutôt d’un effet de capacité à résonner avec le monde dans lequel la personne agit pour créer sa réponse au monde.

ABSTRACT : When sports or artistic performance is questioned, the results show that a turnover is for the work. Henceforth the human activity does not refer any more to the organic but to the sensory system. This one governs the flesh which becomes so conductive and responsible for the corporeal answer, upsetting certain theories as that of the effort. It is not any more question of an effect of will to act, but rather of an effect of capacity of resounding with the world in which the person acts to create its answer to the world.

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1. INTRODUCTION

L’étude de la théorie des quatre corps de Paul Valéry permet d’affirmer que le corps, lorsqu’il se met en mouvement, passe de la sphère de la physicité à celle de la corporéité. Les réponses du corps lors de ce passage s’observent selon que l’acte peut être caractérisé comme utile pour la physicité ou inutile pour la corporéité. L’auteur traduit ce passage du mouvement humain, de la finitude du mouvement à son infinitude. La théorie des quatre corps de Valéry envisage de comprendre l’acte corporel comme un continuum qui s’inscrirait d’abord dans la physicité puis qui se déplacerait selon l’expérience corporelle vers la corporéité ou l’infinitude du mouvement. En effet, le premier corps de Valéry s’intéresse aux soins portés à mon corps. Le second, mon corps vu par le regard de l’autre. Le troisième, le corps dont on sait tout, le corps savant, celui dont on peut tout expliquer. Le quatrième, le corps inutile, infini, libre. Il est donc question de passer d’un corps qui mérite attention nécessaire, santé, esthétique – beauté, puis qui mérite les attentions liées aux savoirs produits par les scientifiques, les théories, à un corps libre de toute intention. Corps libre néanmoins qui s’est construit à partir des trois autres. Un corps qui aurait intégré toutes les données des trois autres corps et qui s’autoriserait à prendre le large sans crainte de l’inconnu, mais plutôt envisageant de s’y frotter. Selon nos travaux de thèse, le corps, vu comme objet artistique, est une matière sensible. Matière sensible responsable du dialogue installé sur le monde. Une véritable limite charnelle éprouvée entre soi et le monde. Une limite charnelle sensible responsable de nos actes créateurs.

2. L’ACTE CRÉATEUR DU CORPS EST UNE HISTOIRE DE CHAIR ET NON D’ORGANISME

2.1 L’étude réalisée auprès d’une danseuse/chorégraphe de renommée mondiale, Mathilde Monnier, de deux danseurs/chorégraphes, Philippe Decouflé – Julyan Hamilton et de trois sportifs handballeurs de très haut niveau international, Grégory Anquetil – Jakson Richardson – Mickaël Guigou/Patrice Canayer, entraîneur, a montré que le corps pour les artistes se révèle dans le mouvement par les états de chair qu’ils perçoivent au moment de l’action. Ces états de chair sont perçus par les sensations qui font retour sur le mouvement. Chair qui, contrairement à ce que la phénoménologie a pu affirmer, n’est plus selon nous une chair seulement réceptive, elle devient active pour faire vivre le mouvement. Cette étude montre que les travaux de J.-L Nancy à propos du toucher, vus par J. Derrida, sont d’une grande importance. La pertinence de l’auteur se trouve dans deux concepts étroitement liés entre eux, l’intime et l’extime. C’est la mise en relation entre les

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pratiques corporelles de très haut niveau, entretiens cliniques à partir de vidéo de leur propre pratique et la pensée de certains philosophes contemporains, Deleuze, Nancy, Derrida qui a permis de faire émerger un concept central. Le concept de résistance dans l’engagement corporel comme facteur d’émergence de la création de réponses nouvelles du corps dans l’activité humaine.

2.2 La résistance ou le questionnement sensible de la limite charnelle des corps permet de percevoir l’amplitude des changements externes, produits par les aléas extérieurs pour organiser une réponse adaptée à l’action contextualisée. Ce concept de résistance bouleverse fortement les pratiques corporelles des sujets créateurs de formes nouvelles et nous invite à repenser l’activité humaine non pas comme une activité d’action/réaction, mais plutôt comme une participation charnelle, selon Véronique Fabbri, émergeante de la circulation des corps et des contacts. Les sujets en mouvement fonctionnent sur des indices de perception extraits de la circulation charnelle, comme la vitesse de circulation de corps, les couleurs qui circulent, la durée de mobilité des corps, leur rythmicité, les sons. Il s’agit ici de faire le constat d’un changement de paradigme dans les pratiques corporelles, paradigme qui s’installait auparavant sur l’inversement esthétique classique qui considère la sensibilité comme réceptive, et qui désormais envisage plutôt que la sensibilité est au contraire active et créatrice.

Compte tenu de cette évolution paradigmatique des pratiques corporelles, il est possible d’envisager une nouvelle façon de voir le corps. En osant, nous dirions qu’une théorie non organique est née ou, plutôt, qu’une théorie de la chair est apparue à l’issue de cette recherche. Car le corps dans le mouvement est traversé par des tensions de touchers contradictoires qui en font une puissance de résistance. Cette théorie nuance les propos de Gilles Deleuze qui réduisent le corps à un champ de forces sans historicité, ni altérité charnelle des corps. Même s’il est question dans l’activité humaine de percevoir des forces au sens de Deleuze, néanmoins, ces forces offrent la résistance et renvoient des indices sur l’action. Le pratiquant n’est pas passif dans la réceptivité, la résistance s’installe sur des forces habituellement perceptibles ou nouvellement perceptibles dans l’action. L’historicité de la sensation est donc importante, sensation déjà rencontrée ou pas, mise en mémoire ou pas. C’est l’historicité de la sensation et non pas la sensation pure, comme l’affirme Deleuze, qui est responsable de la réponse créative. L’Art de la résistance est né dans l’activité humaine non seulement chez les artistes, mais aussi chez les sportifs, dès lors que la résistance perçue produit des réponses nouvelles des corps. La perception de la résistance, ou conscience de la résistance, informe donc la chair de la présence dans l’action d’une norme, ou sensation habituellement rencontrée donc reconnaissable, ou d’une hors norme, sensation nouvelle introuvable dans le répertoire sensoriel habituel du corps. Cette norme ou hors norme, perçue dans l’activité, semble être l’indicateur d’évolution du paradigme dans les pratiques corporelles.

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3. LES RAISONS DU DÉPASSEMENT PARADIGMATIQUE

3.1 L’indice sensoriel de reconnaissance de la norme ou de la hors norme dans l’action est l’émotion. La norme dans l’action se caractérise par le déjà vu, sentir ou ressentir une émotion reconnaissable à tout moment. La hors norme représente le jamais vu, sentir une émotion encore jamais rencontrée, dans une action qui semble être semblable à d’autres ou dans de nouvelles actions. Selon le questionnement sensoriel du corps dans le mouvement, le pratiquant interprète une sensation par le degré d’émotion qu’elle lui renvoie. Dans le cas d’une sensation de type réceptive de la norme ou de la hors norme, le pratiquant agira peu, voire pas du tout. Derrida montre dans l’étude du toucher de Jean-Luc Nancy que c’est une limite de la phénoménologie. En effet, Merleau–Ponty a envisagé la sensation uniquement pour son caractère réceptif dans le mouvement. Ce caractère vu exclusivement comme réceptif interdit de penser l’émergence de l’émotion comme élément dynamique de la mise en activité du sujet. Nous montrons dans nos travaux que la sensation désormais peut s’envisager comme active car elle renvoie une force au système émotionnel du pratiquant appelée « émotion ». C’est pour cette raison que la sensation peut être vue comme active, elle est source d’émotion à traiter. Cependant, selon que la chair perçoit du déjà vécu, la norme, ou du non vécu, la hors norme, l’émotion est plus ou moins importante. Les forces dégagées dans l’action déclenchent un état émotionnel. Les forces perçues dans l’altérité des corps font retour sur l’état émotionnel comme une pression de la situation sur soi, révélatrice d’une résistance pour l’intime ou l’extime.

3.2 Les conditions d’émergence des formes nouvelles, donc de création, résultent de l’émotion recherchée et perçue. Angelin Prejlocaj, danseur/chorégraphe au Centre Chorégraphique National à Aix-en-Provence, après Near life, Expérience Création de 2003, interrogé par un journaliste pour rendre compte de sa démarche dans cette pièce, dit ceci : « …Lorsque je crée, je cherche à faire venir des fantômes, une sensation perdue, des traces de la lumière de l’origine des temps. Je traque la trace d’une émotion et dès que je la tiens, je la tire, je la ramène à l’air… Je cherche à organiser son retour dès que je l’ai capturée… ».

Une sensation perdue, oubliée, méconnue - les traces de lumières de l’origine des temps - s e retrouve par l’émotion que cette sensation produit. Je traque la trace d’une émotion, je me frotte, je la fais sortir de son trou pour la capturer. La faire vivre dans le mouvement, je la tire, je la ramène à l’air libre. Elle était enfouie au plus profond de l’intime, je la libère, je la mets à l’air libre. J’organise son retour, je la travaille pour qu’elle s’exprime dans l’extime, qu’elle sorte de mon intime. Nous observons selon ces propos que l’émotion recherchée, capturée, traitée par la circulation charnelle est une des conditions d’émergence de formes nouvelles de création chez cet

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artiste. L’émotion est libérée pour être travaillée. Pour que cette émotion puisse être libérée et fasse écho au mouvement,

Patrice Canayer, entraîneur de l’équipe de Montpellier Handball, confie dans son entretien que c’est par la nature de la relation à l’autre que la libération de la réponse est possible. « …J’aime bien la théorie des Arts martiaux qui considère qu’on n’a pas d’adversaire, que nos adversaires sont des partenaires qui nous permettent de tirer la quintessence de ce que l’on sait faire et de ce que l’on peut faire… ». De ce que l’on sait faire, correspond à la norme des réponses habituelles pour cette équipe et pour ces joueurs. Norme qui peut être assimilée à une hors norme pour une équipe qui fonctionne sur un autre registre, la norme est donc située. De ce que l’on peut faire, correspond à ce que chacun s’autorise dans l’action, au possible dépassement, contournement, détour de cette norme, perçue dans la circulation charnelle. Activité pouvant installer parfois la hors norme et autorisant l’émergence de formes nouvelles. La circulation charnelle peut aussi révéler de la hors norme à laquelle certains apportent des réponses et d’autres restent sans réponse. La condition d’émergence de la réponse s’installe selon la manière dont l’autre est considéré, ici un partenaire dans le dialogue charnel. Si l’autre est considéré au contraire comme un adversaire, pas de questionnement de l’action du corps, des émotions perdues, des réponses réactives apparaissent sans traitement de l’émotion.

Si l’autre est vu comme un partenaire, apparaît alors une possible expressivité dans l’action, la capacité à créer de manière consciente par l’émergence de l’expressivité corporelle. C’est un fait d’Art.

4. CONCLUSION

Compte tenu des résultats de cette recherche, la transmission corporelle scolaire a été questionnée. Car désormais, en interrogeant la performance au sens non pas comptable des résultats, mais au sens des types d’engagements corporels que celle-ci provoque, toutes les théories de l’effort sont à requestionner. Les enjeux reposent sur ce qu’il y aurait à apprendre de cet Art de la résistance dans les lieux de formation ou d’éducation. En effet, il n’est plus question ici d’un effet de volonté dans l’activité humaine. Le concept de résistance chez Nietzsche confirme bien que le corps est un lieu de vie traversé de forces dont les contradictions et les pluralités en constituent une puissance de forces. La question de l’éducation devient alors complexe car elle interroge non pas la capacité individuelle de l’apprenant à se mobiliser pour apprendre, mais la capacité de l’enseignant à mettre les corps à l’épreuve de la résistance pour apprendre en action. En effet, les forces plurielles et contradictoires viennent d’un milieu quotidien ou inhabituel traversé par les chairs. Le milieu

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scolaire est particulièrement stable, en tous les cas l’institution le veut stable, l’école n’est pas la rue. La réponse de l’école actuelle et future, compte tenu des réformes à venir, est plutôt centrée sur les compétences langagières, peu corporelles, les corps sont contrôlés au service du langage, lire, écrire, compter. Pourtant, les corps eux-mêmes, selon leur historicité, dégagent des forces plurielles et contradictoires qui peuvent entraîner des violences si elles ne sont pas traitées au service du langagier. Il est donc question de s’intéresser au milieu qui provoque les corps, à la qualité de la relation charnelle dans ce milieu. Qui pourrait envisager de voir quelqu’un ne pas s’intéresser au questionnement corporel du milieu dans lequel il évolue, à moins d’être atteint d’une pathologie particulière ? Il est question alors d’organiser la rencontre avec la résistance. Mettre en situation de risquer le mouvement, celui-ci invitant à sortir de la recherche de l’esthétique de la forme, à condition d’en accepter l’imperfection. L’esthétique naîtra alors sans la rechercher à tout prix, dans le temps/l’espace/les forces de l’action questionnée sans recherche de forme attendues.

Enfin, cette mise à l’épreuve a pour finalité de faire vivre la réflexivité dans l’action de percevoir pour interpréter le sensible. Ainsi que déplacer le centre d’intérêt sensoriel exclusif de la vue vers la triade du toucher. En faire le sens premier de l’action. La chair devient alors la matière première pour apprendre à interpréter corporellement la norme et la hors norme.

BIBLIOGRAPHIE

DELEUZE G. (1981-2002). Francis Bacon logique de la sensation. Paris : Seuil.

DERRIDA J. (2000). Le toucher, Jean-Luc Nancy. Galilée, Incices, collection dirigée par Rauby A. FABBRI V. (2004), entretien avec J.-L Nancy, Penser la danse contemporaine. Paris : PUF.

MERLEAU-PONTY M. (1945). Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard. NANCY J. –L. (1992). Corpus. Métailié.

NANCY J. –L. (1993). Le sens du monde. Galilée. NIETZSCHE F. (1883). Ainsi parlait Zarathoustra.

STRAUS E. (2000). Du sens des sens Contribution à l’étude des fondements de la psychologie. Éd. Jérôme Million (2000) pour une traduction des éditions Springer Verlag – Berlin (1935)

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