• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Éducation physique, régénérescence et réification du corps

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Éducation physique, régénérescence et réification du corps"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

ÉDUCATION PHYSIQUE,

RÉGÉNÉRESCENCE ET RÉIFICATION DU CORPS

Francis MENDIAGUE

MOTS-CLÉS : CORPS – RACE – MORPHOLOGIE – PAUVRES

RÉSUMÉ : Certaines expériences pédagogiques des années cinquante reproduisent un modèle du corps ré-élaboré au début du 20e siècle par l’eugénisme social et les adeptes de l’hérédité pour qui la faiblesse du corps est un signe de détérioration transmissible. L’éducation physique doit donc combattre les tares qui se voient dans les corps imparfaits, et pour cela, récupérer les corps des enfants pauvres. En effet, la pauvreté est comprise comme une cause déprimante. Elle abîme et dégénère les corps, menaçant la race et la descendance.

ABSTRACT : Some pedagogical experiments dating back to the fifties reproduce a model of the body that had been re-elaborated at the beginning of the twentieth century by adepts of social eugenics and heredity factors, for whom the weakness of the body is a sign of transmissible deterioration. Physical education has thus to tackle the flaws which are visible in imperfect bodies, and for that, has to take over poor children’s bodies. Poverty is indeed understood as being a cause for debilitation, damaging and degenerating bodies, threatening race and descent.

(2)

1. ÉPANOUISSEMENT ET HÉRÉDITÉ

Au début des années 50 une expérience pédagogique est lancée à Vanves dans le but d’offrir à des enfants une bonne instruction primaire dans les meilleures conditions d’épanouissement physique et moral. Il s’agit d’accorder davantage au corps et de mieux répartir dans la journée les exercices intellectuels et physiques du petit écolier, en un véritable mi-temps pédagogique et sportif, fonctionnant comme une communauté fraternelle. Ainsi l’école, avec des enfants à la santé fortifiée, à la productivité scolaire augmentée, rendra à la société des hommes socialement équilibrés.

L’attention nouvelle au corps des enfants est un investissement utile pour la société toute entière. Il est de plus urgent d’agir car, selon les créateurs de l’expérience, « on peut affirmer que 80% des enfants (tout au moins à Paris) fréquentant les écoles primaires sont atteints d’imperfection physique » (Fourestier, David et Uguet, 1953). Les corps imparfaits représentent un risque pour la société. Le chiffre est énorme et frappe l’imagination. C’est un phénomène de grande ampleur qui constitue une véritable menace, car la plupart des enfants sont considérés comme des déficients corporels. C’est le futur de la société qui devient incertain. Cette façon d’aborder la question n’est pas nouvelle.

L’impureté de la descendance, ainsi désignée, renforce la vision biologique du monde dont Vacher de Lapouge, admirateur de Gobineau a tracé, dans son anthropo-sociologie, quelques contours. Selon lui, elle se dénote dans les types corporels qui sont la résultante « des réactions réciproques de la race et du milieu social » et qui confirment « la ténacité de l’hérédité » (1904).

Et pourtant, le rapport corps, société, classes défavorisées et hérédité, est abordé dans des termes quasi identiques par la science reconnue. Ainsi la puériculture d’Adolphe Pinard est définie par lui, en 1918, comme la science nouvelle d’origine française qui consiste en « l’art d’élever les enfants au physique et au moral », pour la conservation de l’espèce, de la race. Elle constitue le passage obligé pour arriver, selon lui, au règne de l’eugénétique et de la sélection humaine. Charles Richet qui se pense en novateur dans La sélection humaine (1919), affirme, que l’éducation physique et morale perfectionne les individus, et que cette perfection se transmet par hérédité aux descendants. Édouard Jordan, catholique, Président de l’Académie des sciences morales et politiques, comprend l’eugénisme comme une science nouvelle. Il est très désirable nous dit il « que la race soit belle et saine » (1931).

La thématique des corps faibles est au centre de l’idéologie de la décadence de la race, qui se voit dans les corps mal formés, les attitudes physiques déviantes. Ceux-ci sont les signes d’une faiblesse plus générale, d’une moralité douteuse ayant pour conséquence la nécessité du renforcement du corps par l’éducation physique,comme moyen de redressement social. Elle nourrit un réflexe de

(3)

peur et alimente le culte de la virilité, du corps fort et corrélativement la croyance en la nécessité d’un pouvoir fort pour régénérer la race. Drieu La Rochelle est obsédé par la dégénérescence du corps « immense maladie dont mourrait ce peuple » (1939, p. 646). Cette dégénérescence perd les Français parce « qu’ils ne sentent plus leur corps » (ibid., p. 313), parce que « jamais plus la sève ne repassera dans ce peuple de France aux artères desséchées » (ibid., p. 490).

L’idée que le corps biologique est menacé dans sa structure même par la société est partagée par de nombreuses personnes, bien au delà des cercles de l’extrême droite ou de la droite nationaliste. Elle nourrit la croyance en l’obligation de créer un homme nouveau, pour une autre race, but universel et social de l’hygiène selon Tanon (1928).

La récupération des corps (les 80% d’imparfaits) par l’éducation physique s’inscrit dans la pédagogie, avec l’expérience de Vanves, comme elle s’inscrivait hier dans les peurs sociales devant les inadaptés sociaux et les inaptes corporels. Les corps faibles deviennent les figures visibles de la crainte devant la menace de la déchéance, née après la défaite de 1870.

2. LE CORPS MODÈLE ET LA PEUR

Les conditions scientifiques de l’expérience pédagogique reproduisent un modèle social du corps très contraignant pour les couches sociales défavorisées. En 1952, le professeur Tanon, personnalité importante de l’Académie Nationale de Médecine, dont il sera le Président en 1964 et qui siége à la commission hygiène depuis 1935, fait une communication, sur l’expérience de Vanves qu’il appelle « notre expérience scolaire » et qui, selon lui, mérite l’audience de l’Académie. Il s’agit d’appliquer à une classe un mi-temps sportif (16h15 d’enseignement généraux contre 20h dans le cycle normal, 15h d’éducation physique contre 2h et, enfin, 5 h de sieste inexistante ailleurs) et de comparer en fin d’expérience les résultats entre cette classe et une classe témoin.

Cinq variables seront utilisées à cet effet : les résultats au Certificat, l’état de santé, le développement du corps, les performances sportives et « certaines qualités morales » (1952, p. 502). Or une sixième variable, cachée, sous-tend tout l’ensemble : il s’agit du rapport à la normalité à laquelle les enfants du groupe test doivent soumettre leur corps, au nom des valeurs physiologiques. Leur corps « physiologiquement anormal… pas vraiment sain » (ibid.) généralement hypotonique, est marqué essentiellement par l’insuffisance respiratoire, la faiblesse de la paroi abdominale, le manque de maintien de la colonne vertébrale. Ce corps imparfait doit changer. Il les désigne comme « intellectuellement faibles », socialement difficiles, différents des autres, porteurs de dérèglements. Ce corps doit être modifié et tendre désormais vers une sorte de perfection extérieure, « la fixation en bonne position des différentes pièces du squelette » (ibid., p. 505). Cependant, le modèle de

(4)

perfection est là, dans l’école. Il s’agit de la classe témoin avec laquelle ils sont comparés, qui n’a pas besoin de protocole particulier. L’impression physique générale qui se dégage de cette classe lui est favorable selon le professeur Tanon. « Les élèves appartiennent sûrement à un milieu social supérieur » constate-t-il. Cette expérience dite d’épanouissement du corps, repose donc sur un postulat moral et social culpabilisateur pour les enfant pauvres. Ils doivent transformer profondément leur corps pour qu’il devienne enfin normal, c’est-à-dire comme celui des plus riches, défini ainsi comme un idéal-type.

Le résultat de l’expérience est un succès, car les enfants de la classe test « ont eu un épanouissement physique nettement supérieur » (ibid.), mesuré en chiffres donnés à l’état brut. Le développement du corps n’est pas évalué sur les seuls résultats de vitesse, de détente, et de force. Il est scruté de l’intérieur. C’est ainsi que sont mesurés et analysés le développement pondéral et statural, l’élasticité thoracique et la capacité vitale, le périmètre abdominal, le coefficient pulmonaire qui rend compte de la vitalité, de la résistance et du rendement probable au travail mécanique. Le corps biologique et mécanique que nous montre ce protocole de validation de l’expérience pédagogique est totalement déshumanisé. Il est fait d’assemblages de pièces et de sangles les reliant, d’organes assurant un fonctionnement interne de l’ensemble, grâce aux énergies de la vitalité, de la résistance et du rendement. C’est le modèle de l’homme machine (La Mettrie, 1748), véritable mythe des temps modernes, à l’origine de l’idée dangereuse de la recherche de la perfection biologique de l’homme.

À Vanves, l’expérience a une dimension morale. Les faibles et les timides ont pris de l’assurance, nous dit-on, les relations entre les élèves sont plus franches et, plus généralement. « L’hygiène y a gagné », désormais certains enfants ont « honte de paraître sales » en public (ibid., p. 505). Ainsi une expérience fondée sur l’épanouissement du corps se conclut sur le modèle de l’homme machine et sur la honte de son corps. La culpabilisation du corps des pauvres qui se développe dans la première moitié du 20e siècle est un thème récurrent chez de nombreux hygiénistes et parmi les ligues de morale.

3. LES PAUVRES, LE CORPS ET LA VULGARITÉ

Cinq ans plus tard, en 1957, Encausse va traiter cette question dans une brochure du Ministère de l’Éducation nationale. Sa fonction de chef des services médicaux à la direction générale de la Jeunesse et des Sports donne à son texte une portée officielle, accrue par le texte introductif de Gaston Roux, le directeur central. Philippe Encausse va s’efforcer de resituer les expériences en

(5)

cours, dont celle de Vanves, dans l’histoire de la récupération du corps des pauvres, par l’éducation physique.

Encausse situe les expériences de Vanves, Montauban et Tours dans la correction des tares sociales inscrites dans les corps. C’est pourquoi il place ces expériences dans la suite du chemin tracé par Latarjet à Lyon dans les années 30, qui a donné lieu à une communication au Congrès international de médecine sportive de Turin en 1933, dans l’Italie mussolinienne. Latarjet, qui fera partie de l’éphémère société française d’eugénie avec Léon Bourgeois, Charles Richet et d’autres, a choisi comme terrain d’expérience des filles d’un quartier ouvrier de Lyon, sélectionnées parmi « les êtres les plus débiles », qui sont très nombreux « dans nos villes où les tares héréditaires et les conditions défectueuses de l’alimentation et de l’habitus, s’additionnent pour affaiblir la race » (1957, p. 5), nous dit-il. Le résultat fut concluant grâce à une éducation physique rationnelle qui, sans toucher au mode d’alimentation ni à l’hygiène des locaux, a réussi à transformer des « chétifs, malingres et instables » en enfants ayant augmenté de poids et de taille et changé de comportement.

À Vanves, Tours et Montauban, les élèves livrent tout leur corps à l’expérience pédagogique fondée sur la recherche de l’épanouissement corporel. Les enfants sont en quelque sorte dépossédés d’une part importante d’eux-mêmes dans le but de reconstruire leur corps pour l’adapter aux normes physiques, sociales et morales. La transformation de leur image extérieure du corps, de « la vulgarité d’aspect » qui caractérisait ces enfants, de leurs capacités physiques, a eu des répercussions plus globales. Leurs gestes ont perdu de leur « gaucherie », ils ont, enfin, une allure preste et « plus racée » (ibid., p. 39), la qualité de la peau s’est améliorée.

La lecture des corps opérée par Encausse repose sur un système binaire et moralisateur. Le corps faible est laid. Le corps doit se transformer et ainsi devenir proportionné, ce qui le fait entrer dans l’univers du beau, car les traces laissées sur leurs corps par les tares sociales qui les affectaient ont disparu. Le modèle théorique sur lequel s’appuie Encausse est, en partie, celui de la Physiognomonie de Lavater (1781) qui affirmait pouvoir déterminer le caractère de quelqu’un à partir d’une étude de son aspect extérieur. Un homme beau est forcément vertueux. L’autre modèle théorique d’Encausse est celui, plus complexe et évolutionniste, de l’hygiène sociale, des natalistes et des ligues de morale qui font de l’éducation physique un moyen de moralisation de la société et un ferment de diffusion de vertus. Leur cheval de bataille concerne la sexualité. Le corps éduqué doit, selon eux, contribuer à la maîtrise des instincts sexuels, particulièrement insuffisante dans les couches populaires. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’attention portée par Encausse à ce qu’il appelle « la stabilisation physiologique sexuelle » (ibid., p. 23). De ce point de vue, les résultats de l’expérience pédagogiques sont concluants, car, nous dit-il : « Toute pratique d’onanisme a disparu de la classe » (ibid.) grâce aux exercices sportifs. « La dérivation sportive des instincts sexuels » est, nous dit Encausse, « l’antidote de choix » (ibid.) face à « ce dérèglement parfois pathologique qui

(6)

fait des ravages physiologiques et intellectuels » (ibid.). Les résultats de ces diverses expériences pédagogiques sont donc positifs.

On peut observer, de profondes modifications corporelles des élèves, une notable transformation de leurs rapports au corps. Désormais ils se caractérisent, comme les autres, par leur allure, leur peau, leurs façons d’être et de se tenir. La régénération dont ils ont été l’objet a réussi pour le bienfait de la race toute entière. Le corps scruté, déshabillé, mesuré, dominé, déshumanisé en fin de compte, des élèves, est le signe, selon Encausse, que Latarjet avait montré la juste voie, celle d’une éducation physique rééduquant le corps des pauvres, pour le bien de la race. Le résultat est un corps objet totalement soumis à des valeurs morales très archaïques, faisant de la faiblesse physique une notion dangereuse, car source de dérèglements potentiels. Le corps fait peur.

BIBLIOGRAPHIE

DRIEU LA ROCHELLE P. (1939). Gilles. Paris : Gallimard (réédition : 1991).

ENCAUSSE P. (1957). Influence des Activités physiques et sportives sur le développement

intellectuel et physique en milieu scolaire. Paris : Imprimerie Nationale.

FOURESTIER, DAVID, UGUET (1953). Sur l’expérience de Vanves. Bulletin de l’Académie

Nationale de Médecine, 137, 21 juillet, 342-344.

JORDAN É (1931). Eugénisme et morale. Paris : Bould et Gay. RICHET C. (1919). La Sélection Humaine. Paris : Alcan.

PINARD A. (1918) Pour sauver la France après la victoire. Paris. Fascicule d’hygiène sociale du Comité National de l’Éducation Physique.

REVUE PHILOSOPHIQUE (1980). L’Homme Machine, 3, 07-09, Paris : PUF.

TANON L. (1952). L’expérience scolaire de Vanves. Bulletin de l’Académie Nationale de

Médecine, 136, 29 juillet, 501-506.

TANON L. (1928). L’Orientation de l’hygiène moderne. Leçon d’ouverture du Cours d’hygiène à

la Faculté de Médecine de Paris le 24-11-1928, 433-442, Paris Médical.

Références

Documents relatifs

L'évaluation des effets de ces modifications, dans un cadre qualitatif, n'a pas été facile : de nombreux paramètres ont interagi, notamment les changements introduits dans

Drapeau Murielle, Collection de droit 2014-2015, Volume 3 – Personnes, famille et successions, Titre II – Le droit familial, Chapitre II – La séparation de corps et le divorce

On retrouve cette question dans les propositions développées par M. Vignes pour un enseignement des automatismes et de l'informatique à l'école élémentaire ;

Les plus délicats me semblent être ceux de l'enseignement secondaire où la transition s'est amorcée avec un corps enseignant dont une grande partie (parfois de

Dans le cas du Laos, du Viet Nam et du Cambodge, Kokkō juritsu to kaifuku considère également que la reconnaissance a été emportée par la proposition d’établissement de

de ces romans, il illustre la vie de la classe ouvrière brésilienne. Pendant longtemps, il a été une source d’influence pour les intellectuels marxistes du

Un laboratoire d'analyse des aciers et des alliages d'aluminium a été installé dans une usine suivant les instructions que nous avons données : plan

t.n proposant "IL'l choix qui n'en est pas un" nous risquons de discréditer à la fois toutes les épreuves figura~t sur la liste des matières à option. Ce qui est plus