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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les mathématiques modernes et l’ingénieur. Y a-t-il un problème ?

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Texte intégral

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E. R O U B I N E

Professeur à l'université de Paris VI et à l'Ecole supérieure d'électricité, Président de la Société française des électroniciens

et des radioélectriciens (S.F.E.R.).

Les mathématiques

modernes

et l'ingénieur

Y A-T-IL UN PROBLÈME ?

Après un bref historique, l'auteur précise ce que

l'on entend par « mathématiques modernes »,

nou-velle structuration des mathématiques s'appuyant

sur un raisonnement logique, sans aucun recours

à l'intuition. Dans quelle mesuré sont-elles utiles

ou nécessaires à l'ingénieur, notamment à

l'élec-tronicien où au radioélectricien? L'auteur donne

à ces questions une réponse fondée sur

l'expé-rience d'une carrière Universitaire consacrée pour

une grande part à la formation des ingénieurs.

* * •

Cette conférence, on lui demande d'être d'intérêt général. Le sujet que j'ai choisi, s'il n'est plus très nouveau, reste néanmoins d'une grande actualité. Les mathématiques modernes avec leurs contemp-teurs ou leurs zélacontemp-teurs, leur enseignement avec ses intégristes ou ses gauchistes, continuent à pro-voquer des discussions dont il est rare qu'elles ne soient pas passionnées.

Qu'on me permette de faire part des réflexions, que j'espère modérées, d'un universitaire dont la carrière a été consacrée, pour une grande part, à la formation dés ingénieurs.

Je regrette beaucoup de n'avoir eu connaissance qu'hier d'une étude extrêmement intéressante de M. Gibrat et de n'avoir pu que la parcourir

rapi-dement. J'aurais aimé tirer parti des vues perti-nentes de l'auteur. C'est un document que je recommande vivement.

Mon propos est beaucoup plus limité. Je ne m'occuperai pas de l'enseignement secondaire, ni de la formation universitaire des mathématiciens. En outre, je ne parlerai que des seuls ingénieurs que je connaisse, électroniciens ou radioélectri-ciens, plus généralement des spécialistes des cou-rants faibles.

LES MATHEMATIQUES DITES MODERNES

Je me suis demandé si je ne répondrais pas à l'attente de certains d'entre vous en rappelant rapidement ce que sont ces mathématiques dont on parle tant. Que les autres veuillent bien m'en excuser.

On l'a souvent dit : la locution est ambiguë qui suggère qu'une branche nouvelle a rendu les mathématiques « classiques » périmées. Il n'en est

Conférence prononcée le 7 mai 1971 à la réunion de la

Société française des électriciens, lors de la séance commune avec le Comité André Blondel et la Société française des électroniciens et des radioélectriciens.

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rien et le rappel de quelques dates est opportun. Pour le grand public des parents de nos lycéens, ensembles, groupes, matrices,... sont de ces mots clés maléfiques qui ont contribué au divorce des générations.

Or, les premières publications de Cantor, avec qui est née la théorie des ensembles, sont de 1874. Les corps, de Kronecker, et les idéaux, de Kummer, sont de 1845. Les matrices qui étonnent encore cer-tains techniciens ont été imaginées par Cayley en 1838. Enfin, Galois, la veille de sa mort en 1831, dans une lettre-testament restée célèbre, intro-duisait la notion de groupe dans la théorie des équations.

Si ce qu'on appellera les mathématiques modernes (M.M.) sont nées de travaux de l'Ecole allemande, notamment de l'axiomatisme de Hil-bert au début du siècle, le mouvement avait commencé au XIXe siècle.

Voici ce qu'écrivait Weierstrass à Sophie Kova-lewska en 1885 : « Mais le pire de tout c'est que Kronecker use de son autorité pour déclarer que tout ceux qui jusqu'à présent se sont occupés d'établir la théorie des fonctions sont des pécheurs devant le Seigneur. Lorsqu'un fantasque excen-trique comme Christoffel dit que dans vingt ou trente ans la théorie actuelle des fonctions sera enterrée et que toute l'analyse se ramènera à la théorie des formes, nous répondons avec un haus-sement d'épaules... »

« On fera plus tard l'analyse de l'analyse. » Cette extraordinaire prophétie est de Galois lui-même. Les M.M. n'apparaissent donc pas comme une mutation récente des mathématiques « classiques » (j'entends celles qu'on enseignait aux gens de ma génération). Ce sont surtout une façon de penser les mathématiques, de les « restructurer », dit-on souvent, en fait de les structurer. Si j'osais ce pastiche, je dirais que les M.M. c'est une attitude d'esprit, plus de la sténographie.

Voici une présentation un peu naïve de ce que sont les M.M. Le tableau de la figure 1 met en évidence le point de vue monographique des mathématiques classiques. Chaque branche de celles-ci part d'objet de base (entiers, réels, points et figures, force et masse, événements,...) consi-dérés comme intuitifs.

A partir de relations et d'opérations inspirées de notre expérience du monde réel, on a construit l'arithmétique et l'algèbre, l'analyse, la géométrie, la mécanique, les probabilités...

Les M.M. sont nées des deux observations sui-vantes : le recours à l'intuition et à l'expérience, si fécond soit-il, est critiquable du point de vue de la logique et de la rigueur. En outre, des rai-sonnements identiques se retrouvent dans des branches apparemment distinctes (voir exemples plus loin). Au-delà d'une simple analogie formelle, ils suggèrent une explication de la nature pro-fonde des choses.

Au découpage « vertical » des mathématiques classiques, les M.M. substituent une optique « hori-zontale » au travers des frontières traditionnelles.

Cela n'est possible que si l'on fait abstraction de la nature des objets sur lesquels on opère et si l'on ne porte son attention que sur les relations entre ceux-ci. La prééminence de la relation abstraite sur la nature de l'objet est le trait essentiel des M.M. Elle explique le rôle central que jouent alors les ensembles abstraits, c'est-à-dire dont les objets sont de nature indifférente.

Les M.M. procèdent par structuration des ensembles. Une structure est une règle du jeu. C'est, dans un ensemble, un système de relations — les axiomes de la structure — entre les élé-ments. Une structure est d'autant plus fine, mais plus restreinte, qu'elle nécessite un plus grand nombre d'axiomes. On a dit des M.M. qu'elles consistaient en une hiérarchie des structures.

Les figures 2 et 3 rappellent, respectivement, les enchaînements des principales structures

algé-briques et de quelques structures topologiques.

Les définitions sont connues. La notion topolo-gique la plus concrète est celle des voisinages des éléments d'un ensemble qui sont des parties de cet ensemble. Le rôle très général joué par des ensembles de parties d'un ensemble donné est particulièrement important. C'est le point de départ de la topologie, de la théorie de la mesure et de l'intégration, des probabilités.

Les M.M. doivent leur très grande rigueur au souci de ne procéder que de façon logique et au refus, apparemment systématique, de l'intuition. En fait leur construction est rien moins qu'arbi-traire et l'intuition y est sublimée. Peano, je crois, a dit : « Dieu a donné le nombre un, l'homme a fait le reste. » A ce propos il serait intéressant de souligner la faiblesse de cette base des M.M. qu'est la théorie des ensembles et qui a toutes les appa-rences d'une construction abstraite exemplaire. Or, si générales que fussent les idées de Cantor, elles s'appuyaient sur un fond d'intuition dont le prix, paradoxes et contradictions, a été reconnu dès le début du siècle, par Bertrand Russell notamment. Aussi une théorie des ensembles, elle-même axio-matique, fut-elle édifiée par Zermelo et Fraenkel et complétée, récemment, de façon décisive par le Tchèque Gôdel et l'Américain Paul Cohen.

L'économie, aux divers sens du mot, est

peut-être le trait essentiel des M.M. : réorganisation de la pensée mathématique qui réduit un certain « gaspillage » du raisonnement et donne la raison profonde des faits mathématiques. D'où, sans doute, la séduction incontestable que les M.M. exercent sur les élèves, même si l'enseignement secondaire pose des problèmes que j'évoquerai tout à l'heure.

Enfin, et cela est surtout sensible à ceux à qui une formation classique fournit u n élément de comparaison, une simplification stupéfiante^ des concepts et une puissance considérable donnée au raisonnement. L'exemple de la notion de fonction est typique. C'est aujourd'hui, de façon très simple et très générale, une application d'un ensemble dans un autre. Les fonctions sur un ensemble donné sont, à leur tour, envisagées, globalement, 6

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FIG. 1.

1 OPÉRATION INTERNE MONOÏDE ^ GROUPE ^

+ 1 OPÉRATION EXTERNE

1 OPÉRATION INTERNE MONOÏDE ^ GROUPE ^ (Sur un anneau) MODULE ^ Y ESPACE VECTORIEL (Sur un. corps)

2 OPÉRATIONS INTERNES ANNEAU W (Groupe + Monoïde) W CORPS (Groupe + Groupe) TREILLIS DE BOOLE ALGÈBRE FIG. 2. FIG. 3.

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A \J B A B A n B P (A ou B) P (A et B) P (contr. de A)

(Je pleus) ou (Tu es un losange)

(Je pleus) et (Tu es un losange)

(Je ne pleus pas)

FIG. 4. o o 1 1

3

Circuits logiques » v b

>

a

B = ja, b, . . , .j

1. Deux opérations (logiques) : a\! b

a\b

commutatives, associatives, mutuellement distributives.

2. Deux éléments neutres : a V 0 = a

a A 1 = a

3. Existence des complémentaires a' :

a A a' = 0 a V a = 1 Différence symétrique : s = aAb = {a\b') V (a A b) = (aVb) A (a' V b') = {a\!b) A (aAb)'

B est un ANNEAU avec A et A B = j 0,1 j est un CORPS (des classes résiduelles modulo 2

FIG. 5. — Treillis de Boole.

comme des éléments, des « points », d'ensembles ou « espaces », dont l'étude constitue l'analyse fonctionnelle. Celle-ci apporte une simplification considérable à l'analyse classique et utilise assez paradoxalement, malgré sa grande abstraction, un langage bien plus concret, celui de la géométrie élémentaire. Elle se prête de plus en plus aux applications à la physique et à la technique.

Voici maintenant quelques illustrations très simples et bien connues qui peuvent intéresser l'ingénieur. La figure 4 rappelle que les parties d'ensembles, les événements, les propositions logiques et les circuits utilisent les mêmes règles opératoires, celles qui définissent la structure dite de treillis de Boole (fig. 5). Celle-ci régit ainsi des théories aussi différentes, apparemment, que celles des ensembles, des probabilités, des propositions et des circuits logiques (les propositions n'inter-viennent que par leurs relations et non p a r leur signification ; c'est pourquoi les exemples sont intentionnellement absurdes). Rappelons au pas-sage que le calcul de Boole, vulgarisé p a r la commutation et la technique des ordinateurs, remonte au milieu du siècle dernier et a été ima-giné pour formaliser la logique.

Il a des applications techniques. Les figures 6, 7 et 8 sont bien connues en « circuiterie » logique. Elles montrent comment on peut prévoir des cir-cuits équivalents qui permettent d'effectuer l'addi-tion ordinaire en base 2.

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La figure 9 rapproche de façon imagée quatre problèmes apparemment sans aucune relation : la projection orthogonale usuelle d'un vecteur X sur un plan de coordonnées, le développement en série de Fourier, la prédiction linéaire d'une variable aléatoire à l'instant n, Xn, à partir des réalisations

à des instants antérieurs, le problème de Dirichlet à deux variables (le schéma est celui du problème de Plateau). Or, ces problèmes ont un lien. On peut les traiter par le théorème de la projection ortho-gonale dans les espaces de Hilbert. Ces espaces, que la physique quantique a rendus familiers aux physiciens, sont ceux qui rappellent le plus notre espace euclidien ordinaire. Longueurs, angles, orthogonalité, projections,... sont des exemples de ce langage concret qui a été mentionné tout à l'heure à propos de l'analyse fonctionnelle. En fait l'espace de Hilbert est un espace vectoriel abstrait. Ses propriétés « géométriques » découlent d'un produit scalaire attaché aux couples d'éléments.

Illustrons ce qui précède par l'exemple du célèbre problème de Dirichlet. Soit H l'espace vectoriel réel des fonctions de carré sommable sur un ouvert fi de R" : u (x), muni du produit scalaire :

(u, v) = grad u, grad v d x (1).

On y distinguera le sous-espace U des fonctions

u harmoniques dans fi (À u = 0) du sous-espace V des fonctions v nulles sur la frontière S de fi. Il résulte immédiatement de la formule de Green que U et V sont orthogonaux. Donnons-nous une fonction f de H sur fi U S. Résoudre le problème

de Dirichlet c'est chercher une fonction u égale à f sur S. Celle-ci est alors la projetante de / sur V. Elle doit rendre minimum la « longueur » (norme) de carré JQ | grad u j2 d t.

Il est facile de montrer l'unicité de la solution mais non son existence. L'échec de Riemann qui raisonnait dans l'espace non complet des fonctions continues s'explique alors aisément.

Avec la théorie des distributions, il devient pos-sible, dans l'optique qui précède, de formuler et de résoudre d'emblée et rigoureusement un pro-blème bien plus général. Telle est la puissance des mathématiques modernes.

LES MATHEMATIQUES ET L'INGENIEUR

C'est un thème où tout, à peu près, a déjà été dit. Cependant je me demande s'il n'y aurait pas lieu de nuancer des opinions couramment admises et qui ont créé une certaine imagerie d'Epinal. Les choses changent rapidement et les clivages logiques ne sont pas les plus naturels.

Par exemple, il semble aller de soi que les mathématiques soient l'affaire des ingénieurs de recherche. Or, en ce qui concerne l'électronique,

l>

9 » a Û b

FIG. 6. — Demi-additionneur.

une part importante de la recherche actuelle, uni-versitaire ou industrielle, est consacrée aux compo-sants. Elle nécessite, avant tout, des qualités de vrai physicien, tourné hier vers les techniques du vide, aujourd'hui vers la physicochimie du solide. Les mathématiques sont très secondaires.

En revanche, il y a dans les unités que les indus-triels appellent « opérationnelles » des ingénieurs, dits de systèmes, spécialistes clu radar, de la communication, de l'automatique... qui usent de mathématiques parfois très raffinées.

Enfin les plus éloignés de la spéculation pure, administratifs et dirigeants, il n'est pas sûr qu'ils n'aient à se familiariser, dans l'avenir, avec les mathématiques de l'économie et de la gestion modernes.

Je voudrais faire une autre remarque. Il y a deux faits contradictoires à première vue. Inter-rogés, les ingénieurs confirmés déclarent souvent qu'ils se servent très peu de mathématiques dans leur activité strictement professionnelle. Les son-dages sont significatifs même si l'on fait la part d'une certaine complaisance à exagérer le rôle de l'intuition, du « flair ». D'un autre côté, on ne peut manquer d'être frappé par la prolifération, sur-tout depuis la guerre, des ouvrages de

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mathéma-s,, = (an A b„) A r.,-i

r„ = [(a„ A A r„-i] V (eu A b„)

FXG. 8. — Additionneur.

tiques appliquées, du succès qu'ont les «recy-clages » de M.M., de la constante progression des enseignements théoriques dans les écoles d'ingé-nieurs. Ainsi en dix ans entre 1954 et 1964, les cours de mathématiques de l'Ecole supérieure d'électricité sont passés de 26 à 127. Aujourd'hui, il y a en outre un enseignement autonome de pro-babilités et de ces mathématiques camouflées que sont les théories du signal et de la communication. Il reste cependant vrai que l'ingénieur « fait » très rarement des mathématiques, j'entends par là, autre chose que l'application immédiate de for-mules puisées dans un article ou un livre. Mais — et c'est une remarque que je crois fondamen-tale _ l'ingénieur digne de ce nom consacre une partie non négligeable de son temps à suivre ce qui se publie clans sa technique. Ce perfectionne-ment individuel et permanent l'oblige, dans cer-tains domaines au moins, à comprendre une littérature qui use, et parfois abuse, de mathéma-tiques de plus en plus savantes (par exemple les

Transactions de l'I.E.E.E.).

Il y a, en outre, le bouleversement apporté à

nos habitudes par l'ordinateur. Il est tentant de mettre en garde nos étudiants contre la facilité trompeuse de la machine et l'incitation par celle-ci à une certaine paresse d'esprit. Paradoxalement on peut observer l'effet contraire. La facilité déconcertante de la résolution numérique de problèmes qui jusque lors arrêtaient les mathé-maticiens professionnels aboutit à une certaine démythification des mathématiques auprès des techniciens. D'où, dans les années à venir, une élévation progressive du niveau de ceux-ci.

Je ne crois pas qu'il y ait des mathématiques spécifiques de l'ingénieur. Au gré des besoins de la technique tels résultats, telles méthodes, tels chapitres deviennent utiles, le restent ou cessent de l'être. « Les fonctions de Bessel ont de très belles propriétés, malgré leurs nombreuses appli-cations », a dit Cayley. Le critère pédagogique qui distingue les mathématiques utiles à l'ingénieur, c'est qu'on s'y intéresse plus aux propriétés et aux résultats qu'aux démonstrations elles-mêmes.

Pour être plus clair je distinguerai de façon artificielle, mais commode, les

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outil des mathématiques-langage. Qu'on me par-donne cc jargon.

L'outil, tel qu'il est développé dans les ouvrages

de mathématiques appliquées ou dans l'enseigne-ment d'école est, contrairel'enseigne-ment à ce qui semble être l'évidence, l'affaire de quelques rares spécia-listes vers lesquels l'ingénieur se tourne lorsqu'un problème théorique l'arrête.

Le langage, en revanche, concerne tous les ingé-nieurs. C'est la clé qui leur permet de « lire » ou de dialoguer avec le mathématicien professionnel ou l'analyste numérique.

Il me semble que l'idée de la prééminence des mathématiques-langage éclaire les relations qu'ont aujourd'hui les ingénieurs avec les mathématiques. Je me demande alors si ce n'est pas dans cette optique qu'il faut concevoir l'enseignement au niveau de la Grande Ecole.

Il est difficile aujourd'hui — élèves et profes-seurs le savent bien — d'adapter les cours de mathématiques aux enseignements d'application souvent donnés dans un langage qui n'est plus celui des étudiants. C'est une situation transitoire, mais notre souci fondamental est d'assurer une formation dont on espère que l'ingénieur pourra tirer parti dans cinq ou dix ans. Aussi je crois, qu'au-delà de difficultés qui ne sont que tempo-raires, il ne faut pas hésiter à enseigner les mathé-matiques dont au moins le langage devra être le plus longtemps possible familier à l'ingénieur. J'ajouterai ceci : à vingt ans l'étudiant est dans une période sensible au sens de la méthode Mon-tessori. L'acquisition des mathématiques est facile. Dix ans plus tard les « recyclages » sont déjà pénibles.

L'INGENIEUR

ET LES MATHEMATIQUES MODERNES Après avoir tenté de préciser ce qui me semble être les relations de l'ingénieur des courants faibles avec les mathématiques, il me reste à répondre à la question posée par le titre de cette causerie. Les M.M. ne vont-elles pas à l'encontre des besoins immédiats de la technique ou au contraire apportent-elles des moyens nouveaux à l'ingénieur ?

Mon sentiment est que c'est là poser bien mal le problème car nous n'avons absolument plus le choix. Nos bons étudiants de spéciales ou du pre-mier cycle ne savent plus — sinon par leurs pro-fesseurs de physique, leurs parents, la presse — qu'il y a des mathématiques plus modernes que d'autres. Ils ont simplement appris des... mathé-matiques. Us parlent, lisent et écrivent une langue qui leur semble naturelle. Us sont rompus — on le leur reproche assez — à une abstraction qui déconcerte surtout leurs professeurs non mathé-maticiens. Plus tard, auteurs, ils utiliseront le for-malisme qui leur est familier. Il n'est que de suivre la littérature technique contemporaine.

Que le processus soit' irréversible n'entraîne cependant pas qu'il n'y ait des problèmes de

tran-sition, parfois sérieux. Ce sont surtout des

pro-blèmes pédagogiques, par conséquent rien moins que désespérés.

Les plus délicats me semblent être ceux de l'enseignement secondaire où la transition s'est amorcée avec un corps enseignant dont une grande partie (parfois de simples certifiés de physique ou de biologie) était mal preparee et ne disposait pas alors d'ouvrages adaptés. La situation est meil-leure aujourd'hui. Une commission de réforme a été créée dont on est en droit d'attendre beau-coup. Cependant des amis mathématiciens m'ont dit leur inquiétude devant certains projets qui semblent négliger qu'à un stade élémentaire, il faut éviter la principale difficulté de l'enseigne-ment des M.M. : une construction admirable mais en apparence non « motivée ». Mais il est probable qu'une pédagogie raisonnable et équilibrée s'édi-fiera au cours des prochaines années.

Il n'en est plus de même au niveau des classes de concours où la sélection des meilleurs a déjà joué. Mais alors la séduction incontestable des M.M. a détourné souvent les élèves de la pratique, sinon du goût, du calcul. Je constate cette répu-gnance aux applications concrètes dans une Grande Ecole où j'interroge les élèves en proba-bilité. Des virtuoses de la théorie de la mesure et de l'intégration sont douloureusement surpris qu'on leur reproche de mal connaître la loi binô-miale ou celle de Gauss. Une réaction, même modérée, est souhaitable. C'est une affaire de concours d'entrée. C'est ainsi que l'analyse reprend de l'importance au détriment de l'algèbre, si fort à la mode jusqu'à ces dernières années.

En pédagogie, comme en politique, il est très bon que des oppositions, mais constructives, se manifestent. J'ai mentionné celle des mathéma-ticiens à certains projets peu raisonnables. Il y a bien sûr celle des physiciens et des ingénieurs. La Société de physique a publié récemment un excel-lent document. Cependant je ne suis pas très convaincu que les M.M. soient plus responsables du manque des vocations de physiciens et de

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chimistes que le statisme et le peu d'attrait des programmes des sciences physiques de notre enseignement secondaire (sauf en terminale). Mais là encore je suis très optimiste. Les universitaires, qui s'inquiètent depuis longtemps d'une réforme, ont obtenu la création d'une commission des nou-veaux programmes du secondaire. Une remarque : le très célèbre traité de Freynmann, qui a exercé une influence visible sur de nombreux enseignants, expose une physique structurale découpée en fonc-tion de la forme des lois et non des grandeurs physiques qu'elles concernent.

Donc, me résumant, je dirai ceci :

1. Le problème de l'emploi des M.M. par l'ingé-nieur est irréversiblement résolu, et cela univer-sellement, par l'évolution de l'enseignement et de la littérature technique ;

2. Il reste à résoudre des problèmes d'adapta-tion, certes peu faciles, mais néanmoins mineurs parce qu'ils sont transitoires et ressortissent à une pédagogie raisonnable.

Il me reste à conclure de façon constructive en précisant comment, dans une optique « moderne », on devrait orienter l'enseignement vers les domaines qui me semblent les plus utiles au théo-ricien des courants faibles.

La formation algébrique actuelle est tout à fait adaptée à ces mathématiques dites discrètes qui régissent les théories du codage, des langages, des automates, en définitive des ordinateurs.

Un second volet est constitué p a r l'analyse

fonc-tionnelle moderne. Cette synthèse admirable et

extrêmement puissante regroupe, en les simpli-fiant, les thèmes de l'analyse classique. Il me suf-fit de mentionner les espaces de Banach et de Hilbert, la dualité et les distributions, la transfor-mation de Fourier, les équations intégrales, la théorie spectrale. Elle rend plus claire la théorie ergodique, celle des processus de Markov et du mouvement brownien. La seule objection de l'élec-tronicien est la part insuffisante faite aux pro-blèmes non linéaires.

L'admirable traité de Courant et Hilbert a formé les théo-riciens d'entre les deux guerres. Il est à souhaiter que, parmi les nombreux ouvrages d'analyse fonctionnelle qu'on ne cesse de publier, l'un d'eux, spécialement écrit pour les physiciens et les ingénieurs, soit le « Courant et Hilbert » des années à venir.

Extrait de la Revue générale de l'Electricité, t. CXXX, n° 12, 1971.

Figure

FIG.  4.  o  o 1 1 3 Circuits  logiques »  v   b >  a  B  =  ja,  b,  . . ,  .j
FIG.  6.  —  Demi-additionneur.

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