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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le corps dans l'histoire des sciences

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

LE CORPS DANS L’HISTOIRE DES SCIENCES

Isabel SERRA, Maria Elisa MAIA CICTSUL – Université de Lisbonne

MOTS-CLÉS : HISTOIRE DES SCIENCES – HISTOIRE DE LA MÉDECINE – LE CERVEAU ET LA MÉDECINE PORTUGAISE AU XXe SIÈCLE

RÉSUMÉ : L’étude du corps et de ses maladies, au long des siècles, permet de suivre un parcours spécifique en Histoire des Sciences en liaison avec la pensée philosophique. C’est ce qu’on tachera de faire ici, tout en essayant de mettre l’accent sur les idées qui, à certaines époques, ont dominé les conceptions sur le corps. En particulier, on fera référence au cerveau et au rôle de la médecine portugaise dans ce domaine de connaissance.

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1. LE CORPS – COMMENT EST-IL DEVENU UN OBJET SCIENTIFIQUE ?

En Histoire des Sciences, il y a deux routes pour décrire l’évolution du savoir sur le corps. La première est celle de la médecine, soit celle des techniques liées à l’anatomie et à la physiologie qui visent la connaissance du fonctionnement du corps et de ses maladies. Cette voie croise le développement des sciences dites basiques, comme la physique ou la chimie et mène, au XX siècle, à la médecine exercée comme une technoscience. La seconde route est celle des conceptions et des théories sur le corps qui, évidemment, se relient à la pensée philosophique. Pour pouvoir répondre à la question formulée en haut, il faut fréquenter les deux routes, celle de la pratique et celle de la théorie. Ici, on exploitera plutôt la seconde, tout en faisant référence aux pratiques médicales, surtout quand elles sont clairement liées aux conceptions philosophiques de l’époque en question. On essayera de décrire le trajet historique qui traduit l’évolution de la pensée sur le corps en considérant quatre grandes périodes qui correspondent à des grands changements dans la science. Les titres utilisés pour traduire, de façon symbolique, le changement des idées sur le corps, doivent, évidemment, apparaître entre guillemets. Dans la dernière étape d’évolution, la science portugaise est aussi concernée, par l’œuvre du chercheur Egas Moniz et de son école. On fera référence à leurs contributions, ainsi qu’à l’histoire du développement de l’Institut où il a travaillé.

2. « LE CORPS APPARTIENT AUX DIEUX »

Dans les civilisations anciennes, les savants se concentraient sur le monde spirituel, non sur le monde physique. Le corps, comme tout l’Univers, appartenait aux dieux. En médecine, les Égyptiens étaient des chirurgiens compétents. La pratique égyptienne de l’embaume fut à l’origine de connaissances étendues concernant l’anatomie humaine. Cependant, il ne semble pas que ces connaissances aient stimulé la recherche sur la façon dont le corps fonctionne réellement.

Ainsi, pour l’Égypte, les connaissances sur la médecine mésopotamienne permettent de saisir que les moyens magiques aussi bien que scientifiques étaient utilisés pour soigner les maladies. Les pratiques religieuses des Mayas montrent que, aussi pour eux, le corps appartenait aux dieux: ils pratiquaient les sacrifices humains, des sacrifices auxquels on procédait en usant la torture, la décapitation ou l’extraction du cœur de la victime encore en vie.

On peut considérer que c’est en Grèce, avec Hippocrate (n. 460 AC) et ses successeurs de l’école de Cos, que l’on trouve la première manifestation de médecine en tant que science. Bien que les connaissances anatomiques des médecins de Cos étaient rudimentaires, ils adoptaient une méthode scientifique dans un champ d’activité envahi par la magie et la crédulité. Ils ont élaboré une

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approche générale du fonctionnement du corps : ils formulèrent la doctrine des « humeurs », ou liquides, une idée qui n’était pas neuve mais à laquelle ils donnèrent une base rationnelle. Ils ont établi une théorie de la santé fondée dans l’équilibre des quatre humeurs du corps.

Les conceptions d’Hippocrate, adoptées par Galien (≈130-200 après C), ont duré, dans la médecine, jusqu’au XVIIe siècle. Pendant quinze siècles, la source première de la connaissance sur le corps n’était pas le corps lui-même mais les œuvres de Galien. Et le “galénisme” était le dogme prédominant des médecins.

L’œuvre de Galien se répandit d’abord à Alexandrie et à Constantinople et, après, fut assimilée par la culture arabe. Les œuvres de Galien atteignirent l’Europe occidentale avec la montée du pouvoir arabe dans le monde méditerranéenne, à travers des traductions en latin. Cependant, le plus important des ouvrages d’anatomie de Galien n’a été traduit qu’à partir de la Renaissance et imprimée en 1490. On s’est alors rendu compte que la plupart des choses que Galien décrivait, il ne les avait jamais vues. Galien avait fait toutes ses observations sur des singes ou des porcs, étant donné qu’à son époque le droit romain interdisait la dissection du corps humain. Ce n’est qu’au XIVe siècle, en Occident que l’on commença à disséquer le corps humain pour l’enseignement et l’étude de l’anatomie. À l’époqu, le monde de la médecine était un monde de cloisonnement où le savoir était confié à la garde d’une corporation puissante, fermée et respectée. Pour attaquer ce monde, il fallait être prêt à défier ce système fermé. Ce fut Paracelse (1493-1541) qui a joué ce rôle. La conception originale que Paracelse avait de la maladie, en dépit – et peut-être à cause – de sa source mystique, allait fonder certains axiomes de la médecine moderne. À cette époque, la chimie n’était pas constituée en une véritable science, l’étude des minéraux et des métaux était dominée par la quête des alchimistes. Paracelse leur assigna une nouvelle tâche: transformer les minéraux et les métaux en médicaments.

3. « LE CORPS EST UNE MACHINE »

Tandis que jusqu’à la Renaissance la conception de corps était liée à une pratique médicale, avec Leonardo da Vinci (1452-1519), on peut considérer qu’il y a une construction des idées sur le corps indépendante de l’exercice de la médecine. S’il avait pu terminer son traité d’anatomie, la science médicale aurait peut-être progressée plus rapidement. Ses manuscrits, souvent hermétiques, révèlent que Léonard avait des connaissances profondes et rigoureuses d’anatomie. Il concevait le corps comme une machine et fut ainsi amené à faire des dessins remarquablement précis des muscles et de leur action sur les os. La conception du corps comme une machine n’est pas indépendante des courants philosophiques des XVIe et XVIIe siècles. Pour Descartes (1596-1650) « le corps n’est

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autre chose qu’une statue ou machine de terre que Dieu forme tout exprès pour la rendre plus semblable à nous qu’il est possible » (Descartes, 1662). À propos de cela, Canguilhem s’interroge (1975) : « Comment expliquer qu’on ait cherché dans des machines (…), un modèle pour la structure et les fonctions de l’organisme? » D’après Canguilhem, « la théorie des animaux-machines est inséparable du: je pense donc je suis » (Canguilhem, 1975).

L’idée du corps comme machine peut se relier encore à une modification des structures économiques, politiques et aussi aux conceptions philosophiques, religieuses et scientifiques. Et les médecins, qu’est-ce qu’ils en pensent ? Sténon (1638-1686), célèbre anatomiste, rend hommage à Descartes en 1665, un an après la parution de l’édition (en français) du Traité de l’Homme. Cependant Sténon fait remarquer que l’homme de Descartes n’est pas l’homme de l’anatomiste. Descartes a reconstruit l’homme, en substituant le mécanisme à l’organisme, en remplaçant un anthropomorphisme politique par un anthropomorphisme technologique. En fait, cette conception de homme-machine peut se relier à la question du finalisme et c’est sur ce plan (qui ne nous intéresse pas ici) que la question a été débattue du point de vue philosophique.

En ce qui concerne la question du corps et des sciences, on peut dire que la philosophie, en adoptant cette conception du corps comme machine (et c’est sans doute une démarche philosophique, celle de prétendre que le corps est une machine), elle ouvre la porte de la médecine aux autres sciences. On peut dire que le corps devient “OBJET”, susceptible d’être analysé par les moyens que les sciences ont progressivement construit – ceux de la chimie, de la physique et de la biologie.

4. « LE CORPS EST UN ENSEMBLE DE CELLULES »

Les progrès de la médecine depuis le XVIe siècle, dus en grand partie aux autres sciences, vont provoquer un changement radical dans la façon d’envisager le corps humain. Les techniques utilisées dans la dissection, l’utilisation du microscope et finalement l’invasion de la chimie et de la physique, dans le procès de diagnostic et guérison des maladies, transforment le corps en objet des sciences expérimentales. André Vésale (1514-1564) donna à la chirurgie et à l’anatomie un sens nouveau. Il ne considéra plus comme sa tache principale d’interpréter les textes de Galien. Toutes ces démarches ont permis de combattre la théorie des “humeurs”. Dans la Fabrique du corps

humain, parue en 1543, dont le titre laisse entendre qu’il s’intéresse à la fois à la structure e au

fonctionnement du corps humain, les dessins ressemblent ceux de Leonardo da Vinci.

La chimie prend une importance nouvelle avec Paracelse, Libau (1560-1616) et Palissy (1510-1590). La découverte de la circulation du sang par Harvey (1578-1657) et les observations de Malpighi (1628-1694), fondateur de l’anatomie microscopique, transforment la nature de

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l’observation médicale. Mais c’est avec Louis Pasteur (1822-1895) que le laboratoire « fait son entrée triomphale dans l’art médicale » (Perruche, 1951).

Grâce aux travaux dans la microscopie, les principales idées de la théorie cellulaire purent être formulées. Schleiden (1804-1881) et Schwan (1810-1882) précisent que la cellule est l’unité essentielle de l’organisme vivant et lancent le concept de développement cellulaire commun.

Les travaux de biologie, de physiologie et aussi sur l’origine de la vie, réalisés pendant tout le XIXe siècle, ont fait changer profondément le regard sur le corps humain. Envisager le corps comme un ensemble de cellules était une conséquence « naturelle » des progrès. Cette attitude réductionniste caractérise la recherche en ce qui concerne le vivant tout le long des XIXe et XXe siècles. Ceci s’accentue avec la naissance et le développement de la chimie organique et son application à l’étude de l’organisme. Bien que la majorité des chimistes croient encore à l’existence d’une « force vitale » dans les choses vivantes, l’analyse chimique commençait à démontrer que quelques substances vivantes contenaient des produits chimiques ordinaires. En 1828 la synthèse de l’urée par Wöhler (1800-1882) a démontré, de façon décisive, que les composés animaux étaient des substances chimiques familières. Au XXe siècle, la croyance que tous les phénomènes de la vie pouvaient se réduire aux lois fondamentales de la chimie et de la physique était courante. Loeb (1859-1924) fit connaître avec énergie ses idées sur la conception mécaniciste de la vie, au cours d’un congrès international en 1911, idées qui furent largement adoptées pendant les années 1920. Dix ans plus tard, cependant, les conceptions de Loeb se heurtèrent à une nouvelle attitude promue par certains biologistes. Les systèmes vivants étaient, croyaient-ils, non pas des simples assemblages de cellules, mais des systèmes dotés d’un haut degré de comportement organisé.

En ce qui concerne la médecine, la présence croissante de la science dans le diagnostic et guérison des maladies, a permis que la position réductionniste ait survécu jusqu’au présent. Ceci n’est pas étonnant si l’on tient compte de la présence des sciences dans la pratique médicale. Cependant, l’évolution de certaines maladies reste inexplicable d’un point de vue strictement scientifique. Cela laisse la porte ouverte aux mysticismes les plus divers. Mais la science actuelle prévoit même cette défaillance dans ses capacités d’explication. La grande raison qui, fréquemment, justifie santé, maladie ou guérison, est le cerveau. Son pouvoir sur le fonctionnement du corps c’est une raison invoquée par les médecins pour expliquer maladie, vie et mort.

5. « LE CORPS APPARTIENT AU CERVEAU »

Au XXe siècle les recherches concernant le cerveau acquièrent grande importance. En 1949 le prix Nobel pour Physiologie et Médecine fut attribué à Walter Hess (1881–1973) et à Egas Moniz

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(1874–1955) par leurs recherches sur le cerveau, à Hess pour la découverte du rôle du cerveau dans la coordination des organes internes, à Moniz par la lobotomie.

Egas Moniz a étudié la médecine à l’Université de Coimbra et la neurologie à Bordeaux et à Paris. Entre 1921 et 1944 il a enseigné neurologie à l’Université de Lisbonne. À partir de 1927, il développe la technique d’artériographie par rayons X contrastés (angiographie cérébrale) comme moyen de diagnostic de maladies cérébrales. En 1936 il initie, en association avec Almeida Lima (1903-1985), des techniques chirurgicales pour couper les nerfs qui relient le thalamus (où arrive l’information des sens destinée au cerveau) au cortex pré-frontal, dont les fonctions étaient déjà connues à l’époque. À la suite de ces recherches, il invente la lobotomie, une opération destinée à extraire des morceaux des lobes frontaux et à défaire quelques liaisons comme moyen de soigner des désordres psychiques. Pendant la décade suivante, sa technique fut largement utilisée dans le monde et Moniz reçut plusieurs distinctions, culminant avec le prix Nobel. Mais les effets secondaires de cette opération se sont révélés terribles : les malades devenaient passifs, sans sentiments ni ambitions, développaient l’épilepsie, etc..

Malgré ces résultats, dont l’étendue mit quelque temps à gagner visibilité, la recherche menée par Moniz et ses collaborateurs est globalement positive, surtout si l’on tient compte de l’absence quasi total de recherche scientifique au Portugal de l’époque, même dans le cas des sciences médicales. L’institution responsable du début de la recherche en médecine au Portugal est l’Institut Rocha Cabral (IICBRC), un organisme privé, fondé en 1922. En 1927, il y avait treize chercheurs et, dans la même année, les professeurs Mark Athias (1875-1946) et Egas Moniz se joignirent à l’équipe de l’Institut. Pendant les premières années de recherche à l’IICBRC, on peut signaler une vaste production scientifique fondamentale et appliquée, aussi bien des travaux originaux que de l’approfondissement d’études de chercheurs étrangers et encore quelques polémiques scientifiques. Les expériences fondamentales d’encéphalographie artérielle d’Egas Moniz, en collaboration avec l’hôpital particulier de la Faculté de Médecine, ont été réalisées à l’Institut et elles ont rapporté au Portugal le seul prix Nobel scientifique jusqu’à maintenant. Ce fait est symbolique de la faible importance de la recherche scientifique dans le pays, une situation qui a perdurée pendant presque tout le XXe siècle.

BIBLIOGRAPHIE

DESCARTES R. (1662). Traité de l’Homme. Éd. franc.

CANGUILHEM G. (1975). La connaissance de la vie. Paris : J. Vrin, 2e édition. PERRUCHE L. (1951). Les Apports du Laboratoire à la Médecine. La Nature, p. 10.

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