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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Sciences, Techniques, Technologie

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Colloque Centre d’Alembert (2000) Univ. Paris-Sud Orsay

Sciences, Techniques, Technologie Jean-Louis Martinand

Mon intention est de reprendre le point de vue adopté à l’ouverture de ce colloque sur l’enseignement des sciences : quoi enseigner aujourd’hui, en me restreignant à l’enseignement général obligatoire, et particulièrement le collège français. Je le fais sur la base de mon expérience de concepteur pour les activités scientifiques (physique et technologie) à l’Institut National de la Recherche Pédagogique, pour les sciences physiques et la technologie au collège dans le Groupe de Travail de la Commission Lagarrigue, de participant à la création de la technologie, de conseiller du Conseil National des Programmes pour la mise au point d’une Déclaration sur l’Enseignement des Sciences Expérimentales, de co-président du « Groupe Technique Disciplinaire » qui a reconfiguré la technologie au collège. J’aborde donc les problèmes de la connaissance scientifique et de la transformation technique de la matière et du vivant, sans toucher aux mathématiques.

La question centrale est sans doute la suivante : face à l’évolution des sciences et des techniques, quel projet pour l’éducation scientifique et technologique ? Vaste question que je vais approcher en cinq points. Mais avant de passer à leur exposé, je souhaite faire trois remarques :

1. Je souhaite favoriser un débat public, dans et surtout hors de l’école. Je mettrai donc l’accent sur des enjeux plus que sur des solutions.

2. Pour cela, il est nécessaire de sortir du piège des disciplines scolaires et universitaires, non pour les nier, mais pour poser les problèmes dans l’espace social ; en ce sens j’ai parlé d’éducation, et pas encore d’enseignement.

3. De ce point de vue, la question des « fondamentaux » de cette éducation ne peut être réduite à celle des « idées fondamentales » à transmettre ; je le dis avec d’autant plus de force que nous sommes dans une Université qui a justement des « messages de découvertes » à faire connaître.

➀ Croissance des connaissances, mutations des techniques, et retards de l’éducation. Je pars de ces trois lieux communs, présentés comme des évidences et souvent ressassés. On doit même y ajouter les décalages de l’école par rapport aux changements sociaux : comportements des nouvelles générations d’élèves, nouvelles formes de travail, nouveaux

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modes de vie urbaine, niveau culturel des parents. Pour ne prendre qu’un exemple, j’ai été frappé, lors du concours de recrutement des inspecteurs pour l’école primaire, de la méconnaissance du monde agricole : les candidats évoquent des « paysans », alors qu’ils auront à rencontrer des parents d’élèves « agriculteurs », d’ailleurs peu nombreux, mais avec un niveau d’études d’au moins deux années après le baccalauréat.

On peut croire que même si chacun n’a pas envisagé les changements dans toute leur ampleur, tous ont assimilé les lieux communs de la mutation et tiré les conséquences qui les concerne, tout particulièrement dans l’éducation, car si c’est un fait majeur, tous les enseignements sont interpellés. Et pourtant....

Lors de la rénovation du programme de technologie en classe de 3ème

(14-15 ans environ), nous avons introduit une unité de 10 heures d’histoire des solutions à un problème technique. Nous nous sommes alors intéressés aux programmes parallèles d’histoire pour suggérer des rencontres. Or le programme de 4ème

(13-14 ans) développe bien l’impact de la science et de la technique sur la société au XIXème siècle (« révolution industrielle ») ; mais le programme de 3ème

consacré au XXème siècle, s’intéresse lui aux aspects politiques, économiques, culturels — mais pas vraiment de place pour l’évolution scientifique et technique. Comment est-ce possible ? Voilà un point sur lequel nous devons réfléchir très sérieusement.

Il importe en effet d’intervenir concrètement et vigoureusement, mais en évitant les outrances qui finissent par brouiller tout. Ainsi, dans la dernière période, le « message ministériel » pour l’école primaire a pu être à la fois que tout devrait être recentré sur « lire — écrire — compter », et que la « démarche main à la pâte » devrait être généralisée à tous les apprentissages..., tout en se contentant de 5 % des classes qui mettent en œuvre cette « opération » alors même qu’elle bénéficie d’un gros effort de promotion.

Une appréciation nuancée pour des positions raisonnables et nettes.

Ce dont nous avons besoin, c’est une appréciation objective et nuancée, pour discuter et définir des positions raisonnables et nettes en vue d’interventions vigoureuses. Or la réalité est bigarrée. Contentons-nous de quelques coups de sonde.

• développement exponentiel des connaissances ? En terme de quantité d’information publiée, c’est incontestable. Mais du côté des idées fondamentales ?

Apparemment tout n’est pas en révolution permanente ! La longévité étonnante de certains ouvrages d’enseignement supérieur (la collection des Bruhat encore distribuée aux normaliens de la rue d’Ulm dans les années 70) invite à la prudence. Certes, l’informatique, l’astrophysique, et surtout la biologie donnent l’image d’un extraordinaire

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développement conceptuel et factuel. Pour l’enseignement général, cela nous incite, plus qu’à des substitutions de savoirs à enseigner, à penser plutôt à revisiter les « bases » et les « commencements » qui permettront la prise en compte de ces connaissances récentes, nombreuses et refondatrices.

• mutations radicales des techniques ? à l’évidence aussi, et dans le monde entier : les techniques les plus modernes de génie civil et de télécommunication sont aussi présentes en Afrique, les Organismes Génétiquement Modifiés sont utilisés en Amérique du Sud. Mais en même temps comment ne pas être frappé aussi par la longévité des avions et des moteurs de voiture, par la liberté des usagers qui adoptent ou refusent certaines techniques (embrayage automatique en Europe), et par les facultés d’apprentissages à l’échelle d’une génération (qui aurait prédit en 1900 que bien moins d’un siècle plus tard presque tous les adultes vivant en France sauraient conduire une voiture, avec toutes les compétences techniques que cela entraîne, compétences exploitées par les employeurs).

• retard de l’école enfin ? Oui s’agissant des équipements, ou de la course aux dernières connaissances... Mais comment ne pas tenir compte aussi du fait que le changement technique dans les entreprises est souvent porté par des jeunes sortant des écoles et des universités ? Il y a donc aussi une anticipation par l’école, sans doute portée par le formalisme et d’encyclopédisme qu’on lui reproche souvent.

Et de toute façon, en nombre d’heures — étudiants encadrés, l’école et l’université n’ont pas de concurrents « à l’échelle ». S’agissant de l’appréciation de la conjoncture et de l’esquisse de propositions, on ne peut en tout cas pas s’en tirer avec quelques idées générales et simples : elles ont toute chance d’être simplistes, ou fausses.

Apprécier l’état des débats et réflexions sur l’école et la culture.

Discuter d’éducation scientifique et technologie, c’est nécessairement rencontrer les thèmes de la culture scientifique et de la culture technique.

3.1 Culture scientifique : carences et oppositions

Malgré la généralisation de l’éducation ou de l’éducation scientifique dans l’enseignement obligatoire, on ne peut que constater les carences de culture scientifique dans la vie quotidienne aussi bien que dans les responsabilités institutionnelles. Deux exemples pour illustrer :

- Les préoccupations des cabinets ministériel et présidentiel lorsque l’affaire de l’amiante à Jussieu a fini par éclater publiquement. La crainte concernait surtout

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les étudiants, qui passent finalement assez peu de temps dans les locaux, en comparaison des travailleurs qui y sont depuis des dizaines d’années à plein temps ; le déménagement ne semblait pas poser de gros problèmes car la représentation des locaux s’apparentait à celle de classes de lettres de lycée, en totale ignorance des équipements de recherche, souvent construits sur place et intransportables. La science est peut-être un thème de discours, mais de même que les médias n’évoquent la rentrée universitaire que vers la fin octobre au moment des rentrées en facultés de lettres, les « élites » n’ont pas d’images concrètes de l’activité scientifique.

- L’inconscience des familles pour les dangers courus par les jeunes enfants avec les produits chimiques concentrés souvent stockés sur les éviers, juste à portée de main...

Et pourtant les sciences sont obligatoires à l’école primaire depuis la loi organique de 1882. Pour leurs promoteurs, Ferdinand Buisson par exemple, (apôtre des musées scolaires et Directeur de l’Enseignement Primaire pendant 17 ans), il s’agit d’enseigner dans les leçons de choses « ce que nul ne peut ignorer », y compris des inventions récentes.

Si la culture scientifique est aujourd’hui si peu répandue, c’est sans doute à cause des difficultés de d’éducation scientifique que les scientifiques ont souvent sousestimés, mais c’est aussi parce qu’elle rencontre des oppositions. On pourrait croire que la bataille des humanités modernes (sciences et langues vivantes) dans le secondaire a été gagnée autour de 1900, et que les débats d’alors sont dépassés. Ce sont pourtant les mêmes arguments qui sont encore échangés aujourd’hui, et il faut reconnaître que les partisans des humanités classiques y mettent une force certaine : relisons les articles de Jacqueline de Romilly ou de Jean-Pierre Vernant dans la presse ! Y revient au fond l’idée qui fonde les humanités classiques : il y a une essence éternelle de l’homme incarnée dans les œuvres impérissables de l’Antiquité et de l’âge classique ; c’est la mission fondamentale de l’éducation que de permettre l’accès à ces œuvres avant tout littéraires. Face à ces œuvres, la science, les techniques, la parole représentent le changeant, le périssable, l’éphémère : ils n’ont pas vocation à être au fondement de l’éducation générale.

Le débat n’est pas superficiel, et les arguments ne sont pas subalternes. En face, trop de déclarations pour l’éducation scientifique apparaissent courtes et légères. Souvenons de la surprise de certains scientifiques en 1998 à la lecture du rapport de Philippe Meirieu après consultation sur le lycée : presque rien sur les sciences, et sur les lycée professionnels. Mais

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c’est cette surprise qui surprend : dans sa structure et sans doute sa démarche intellectuelle le rapport était très proche du Ratio Studiorum publié en 1599. Il y a des schémas intellectuels chez de nombreux partenaires du débat sur l’éducation scientifique qui sont très profondément ancrés, largement implicites, mais qui canalisent la manière de poser les problèmes, de se projeter dans l’avenir, de mettre en œuvre des orientations.

3.2 La culture technique : une idée très neuve

L’idée de culture technique est d’ordinaire mal identifiée, dans un amalgame ambigu de « culture scientifique et technique ». La situation est pourtant très contrastée : à la différence de la carence générale de culture scientifique, conjuguée à une valorisation au moins pour certains milieux et à certains moments, la culture technique existe : c’est celle des métiers, des affinités (groupes, salons, revues). Ce sont des cultures techniques profondes, mais méprisées en dehors des groupes de métiers ou d’affinités : englobées avec la culture pour une dévalorisation au nom de la culture des humanités, mais aussi objet de mépris au nom de la culture scientifique seule capable d’atteindre le fondamental. La question des conditions d’une intégration des techniques comme objets de culture générale est donc une question vive. C’est aussi une idée très récente qui a émergé, il y a moins d’une génération. Ainsi dans le Plan Langevin-Wallon de réforme de l’école, il n’est pas question de culture technique, contrairement à ce que pensent nombre de ceux qui fantasment sur ce plan sans plus le lire. Or, de quoi parle ce projet de 1947 ?

- de l’adaptation de l’école et de ses contenus à la nouvelle structure sociale (des années 40).

- de l’égale dignité de toutes les tâches sociales, ce qui implique que les formations techniques ne soient pas privées de culture générale.

- de la connaissance des professions pour l’orientation professionnelle.

La différence des métiers est pensée à partir de l’opposition théorie / pratique, ce qui apparaît aujourd’hui très superficiel. Dans le domaine des sciences et techniques, l’enseignement général, la perspective éducative est scientifique, appuyée sur l’observation ou « manuelle », et non directement technique, ce qui impliquerait un intérêt direct pour les effets techniques, la réalisation et l’usage. Certes la technique est évoquée mais de deux façons : dans le cadre de la spécialisation professionnelle, comme dépassement de celle-ci ; et comme application de la science, sans sa dépendance.

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En réalité, sur ces questions, le Plan Langevin-Wallon en reste aux conceptions et débats du début du siècle sur les humanités scientifiques. Mais ces positions sont encore actuellement défendues. Il y a donc un double débat : premier débat avec la culture scientifique, pour reconnaître l’intérêt et la possibilité d’un accès direct à la technique et la constitution d’une culture technique d’un côté ; ou à l’opposé le maintien d’une dépendance envers la culture scientifique comme préalable à l’approche des applications techniques, à l’étude des techniques associées à la pratique scientifique, ou à l’initiation aux « technosciences ».

Et second débat en commun avec la culture scientifique elle-même, face à la culture des humanités. Cependant, en cinquante ans, le paysage de l’éducation a été bouleversé : nous ne sommes plus pour ce qui concerne l’enseignement général dans une période d’expansion de la scolarité où démocratisation et élitisme pouvaient être facilement conciliés ; aujourd’hui l’école jusqu’à 18 ou 20 ans est devenue un système, unifié, auquel aucun adolescent n’échappe. C’est pourquoi sans doute, toutes les définitions implicites ou explicites de la culture ou des cultures que vise l’école doivent être révisées.

De ce point de vue, il me semble nécessaire d’avoir une définition de la culture qui n’exclue pas par avance toute culture technique ou même toute culture scientifique comme composantes possibles de la culture générale pour tous.

3.3 La culture : une technicité partagée

Nul ne doute en France, contrairement à d’autres pays, que la littérature puisse fonder une culture ; l’école prend alors longuement en charge les apprentissages qui ouvrent l’accès aux formes et contenus de la littérature : techniques de la lecture et de l’écriture des textes. En tant que telles ces techniques — par exemple les techniques narratives — sont valorisées, partagées, discutées. La culture littéraire est ainsi fondée sur une technicité valorisée et partagée. Cette technicité présente trois caractéristiques : une pensée propre, des outils spécifiques, une spécialisation. C’est ce que passent sous silence tous ceux qui font comme s’il était évident que la culture, c’était la culture littéraire, ou au sens large artistique.

Mais pourquoi d’autres technicités n’auraient-elles pas vocation à fonder des cultures qui contribuent à la culture générale ? Pour les exclure, les arguments sont significatifs : « trop technique », « trop spécialisé », tels ou tels domaines des sciences ou telles techniques de production, d’échange ou d’organisation du travail. Si de plus on peut affirmer sans opposition forte que dans ces domaines « on ne pense pas vraiment », la cause est entendue (rappelons d’ailleurs ici que pour de nombreux scientifiques, la technique ne pense pas, sinon

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en utilisant les connaissances scientifiques... mais que pour certains philosophes, la science ne pense pas non plus — et il est vrai qu’elle ne pense pas comme eux).

Pour un débat honnête, qui débouche sur les choix fondateurs — et à ce titre le débat n’est pas interne à l’école et à l’université, il est politique — je crois qu’il faut confronter les technicités, en récuser certaines, en promouvoir d’autres pour construire ce que nous considérons comme la culture générale de notre temps dans notre pays — à charge pour l’école de la développer. Pour que les « armes soient égales », il faut une définition de combat pour la notion de culture ; c’est en ce sens que je viens de proposer : une technicité valorisée et partagée.

Selon mon expérience, c’est la seule qui permette une discussion pour la « technologie » : appropriation directe de techniques contemporaines, sans passer par le préalable scientifique, sur les deux plans de la familiarisation pratique et de la construction intellectuelle. Mais c’est vrai aussi pour les arts plastiques ou musicaux, les activités physiques et sportives, l’histoire... et les sciences.

Quatre missions pour l’éducation scientifique et technologique

Ce détour éclaire sans doute autrement notre question de départ : quoi enseigner aujourd’hui dans l’enseignement général obligatoire ? La question peut-être reformulée :

1. quelles technicités faire partager par tous, éventuellement en options, comme composantes d’une culture générale contemporaine ? Avec deux visées essentielles s’agissant de l’enseignement obligatoire : le développement personnel et l’exercice de la capacité citoyenne. On voit que le problème n’est pas forcément celui de la diffusion des dernières découvertes et inventions, fussent-elles révolutionnaires dans les sciences et les techniques.

2. Comment définir et caractériser les entrées, les approches, les paliers, donc l’ensemble des continuités et des ruptures, les différenciations et les reconstructions tout au long du cours des études. Contrairement aux habitudes la première n’appelle pas d’intervention particulière des universitaires, en tout cas pas plus que de tous les acteurs et partenaires de l’école. La seconde, au contraire, qui engage à un chantier permanent et difficile, devrait attirer beaucoup plus les universitaires : car il s’agit bien de produire les approches adaptées, et il y faut une habitude des risques et des ressources de la recherche, moins pour légitimer que pour inventer.

Ces questions, force est de constater qu’on ne les aborde pas si souvent dans l’espace public. Et lorsqu’elle le sont, le débat est déjà confisqué par des « spécialistes » car les questions sont

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posées en termes d’objectifs ou de finalités, de compétences à atteindre, c’est-à-dire avec des concepts « techniques ». Or le débat est politique : c’est en termes de mission qu’il doit être posé.

Dans cet esprit, je prends le risque de proposer, aujourd’hui et pour notre pays, quatre missions fondamentales à l’éducation scientifique et technologique :

• Donner les occasions et les moyens d’une familiarité pratique avec des objets, des phénomènes, des processus, des dispositifs, des procédés. Il s’agit de compléter et compenser ce qui est accessible dans la vie quotidienne. Or dans celle-ci, il y a certes beaucoup (trop peut-être) d’informations, de jeux..., mais il n’y a plus de participation au travail domestique, et la technique est maintenant cachée. Cette familiarisation ne concerne pas que les choses, ne passe pas que par les mains, elle concerne aussi le monde des symboles qui entoure et prolonge pour les humains le monde des choses.

• Faire prendre la mesure de la diversité du monde naturel et artificiel, pour parvenir à une lecture compréhensive de ce monde. Face aux millions d’espèces naturelles ou de solutions techniques, à la variété et à la variabilité des formes, il s’agit à la fois de promouvoir la curiosité, et de s’approprier des principes d’intelligibilité. C’est au fond l’ambition profonde de l’esprit encyclopédiste, que l’école ne peut révoquer sans faillir à sa mission spécifique d’aide à la structuration des savoirs. En ce qui concerne l’éducation scientifique et technologique, cela implique de reconstruire en permanence les équilibres entre tendance « naturaliste » et tendance « légaliste ».

• Populariser un patrimoine universel, de représentations, d’explications, d’inventions, qui ont été accumulées, validées, rectifiées, socialisées au cours de l’histoire de l’humanité. Il s’agit aussi, grâce aux langages spécifiques qui leur sont associés, de permettre la communication et la pensée rationnelle, que celle-ci tende vers l’intelligibilité de type scientifique (en opposition fréquente, « paradoxale », avec les représentations communes), ou vers l’efficience et la responsabilité de type technique (par exemple avec des normes, en différence avec des pratiques routinières, magiques ou rituelles’.

• Permettre l’ « interpellation » des experts et des argumentations, la participation aux délibérations et aux décisions collectives. Je me garderai d’invoquer ici le mot « citoyenneté », maintenant associé à n’importe quelle question scolaire, car je n’ai pas le temps de développer cette importante mission : il faudrait étudier les paradoxes difficiles que soulèvent à ce propos les sciences et les techniques.

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Deux fondements pour l’éducation scientifique et technologique

Dans l’esprit de ces quatre missions, mais sans les recouvrir entièrement, je souhaite maintenant insister sur deux fondements, aussi bien du côté des sciences que du côté des techniques, pour développer une culture à la fois opératoire et ouverte, susceptible d’évoluer. Ces deux fondements relèvent avant tout de l’éducation scientifique et technologique.

- Le rapport expérimental aux processus naturels et artificiels, bien au-delà de l’observation, a été à la base du développement scientifique et technique dont il était question au début de cet exposé. De l’expérience commune (l’ « expérienciel »), à l’expérience plus systématique (l’ « empirique ») et à l’expérimentation scientifique ou à l’essai technique, la manipulation pour produire des effets me semble devoir être un des piliers de toute réelle éducation scientifique. Ce n’est pas un problème pédagogique ou didactique, c’est une question d’authenticité : l’épreuve de réalité et la technique des effets sont réellement au fondement.

Je n’ignore pas, en faisant cette proposition, ce qu’elle a de provocateur : expérimenter disait Bacon, c’est « torturer la nature pour lui faire avouer ses secrets ». C’est donc inacceptable a priori pour certaines idéologies et réprouvable aujourd’hui dans beaucoup de cas : l’expérimentation du vivant est devenue presque impossible à l’école. En même temps, face aux difficultés, se développe l’idée que, peut être, l’éducation scientifique pourrait se contenter de « raconter des histoires », car la forme narrative serait la seule vraiment accessible à tous.... Telle est la proposition d’un groupe de spécialistes anglais influents. L’affaire est donc grave et actuelle.

- La pensée avec des modèles, non pas tant l’assimilation des « meilleurs » ou des « derniers » modèles, mais plus profondément l’élaboration, l’adaptation, l’utilisation de modèles pour interpréter toujours, expliquer parfois, mais aussi prévoir, inventer, questionner. Il s’agit de penser avec des représentations qui sont opératoires mais qui gardent des caractéristiques d’hypothèses ; leur usage est donc suggestif, mais risqué. Tel est bien la caractéristique d’une pensée scientifique ou technique vivante, même avec des modèles anciens, mais multiples.

Ici encore, je ne me dissimule pas le caractère provocateur de la proposition. Pour beaucoup de civilisations, d’enseignants et même de chercheurs lorsqu’ils s’intéressent à l’éducation, la science, c’est ce qui s’apprend, selon la conception qui était encore courante en Europe jusqu’à la Renaissance. C’est qu’il n’est pas si facile, au-delà des proclamations sur l’esprit critique, de déléguer l’exercice critique à celui qui apprend,

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donc de faire de la science ou de la technique se qui se construit, se rectifie, se diversifie selon les usages, et pas une « bonne nouvelle ».

Avec les quatre missions et les deux fondements, je pense avoir traité d’enjeux majeurs de l’éducation scientifique et technologique : ils doivent faire l’objet d’engagements politiques nets. Mais les choses sont malheureusement plus complexes lorsqu’il s’agit de construire ou reconstruire des contenus d’enseignement, des disciplines scolaires ou des actions éducatives. C’est que je me suis concentré sur la part intellectuelle de l’éducation scientifique et technologique. Dans le système des disciplines et des actions éducatives, d’autres missions, d’autres configurations peuvent émerger.

Prenons pour cas d’espèce la discipline qui porte aujourd’hui au collège le nom de « technologie ». Il ne s’agit pas à ce niveau de la « science des techniques », à côté des sciences physiques et des sciences de la vie et de la terre. Lors des discussions très rudes qui ont eu lieu sur ses orientations, sa légitimité, avec les cabinets ministériels, les associations de spécialistes, ou les syndicats, quatre missions ont été formulées comme raison d’être de cette discipline :

- Venir en appui au processus d’orientation scolaire et professionnel des élèves, en donnant l’occasion d’une approche des contenus techniques et de l’environnement technique des métiers d’aujourd’hui.

- Permettre une approche directe du monde des techniques

- Former aux usages communs, à l’école et dans la vie courante, des ordinateurs - Développer une pédagogie de l’action collective et réalisatrice.

On est donc très loin des cours de technologie des filières technologiques, mêmes si la technologie du collège a aussi pour horizon toutes ces formations de techniques industrielles et tertiaires, mais aussi de l’informatique... Le cas de la technologie au collège est extrême : il n’y correspond aucune discipline académique. Mais c’est en réalité le lot commun : ce qui se fait à l’école, même lorsque le nom est le même qu’à l’université et très différent, et ne peut être pensé comme une projection simplifiée.

S’agissant des contenus, le problème n’est pas de choisir à partir des connaissances universitaires. Le choix s’exerce sur les missions, il est d’ordre politique. Pour les contenus, c’est de construction ou de reconstruction qu’il faut parler. Il y faut des ressources pour imaginer, essayer, problématiser : véritable tâche de physicien impliqué lorsqu’il s’agit d’approche de la matière, ou de biologiste pour le vivant, ou de spécialiste de tel ou tel génie :

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tâche de chercheur ou d’ingénieur finalement, mais préoccupé par les contenus et intellectuellement armé pour les renouveler. Telle est une des tâches des didactiques.

« Pour aller plus loin »

- CNP (1992) Déclaration du Conseil National des Programmes sur l’enseignement des

Sciences Expérimentales Bulletin Officiel de l’Education Nationale.

- A. Demoustier, D. Julia et al.,( éds.) (1ère

éd. 1599, réédition 1997) Ratio Studiorum – plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus. Belin.

- J. Lebeaume et J. L. Martinand (coord), (1998) Enseigner la technologie au collège, Hachette.

- J. L. Martinand (coord), (1995) Découverte de la matière et de la technique, Hachette.

- G. Mialaret éd. (1ère éd. 1948, réédition 1997) Plan Langevin-Wallon. PUF

Jean-Louis MARTINAND Professeur à

l’Ecole Normale Supérieure de Cachan Responsable du Laboratoire

Interuniversitaire de Recherche en Education Scientifique et Technologique

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