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Articulation entre théologie et anthropologie dans l'oeuvre liturgique de Louis Bouyer : une introduction à la question

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Articulation entre théologie et anthropologie dans

l’œuvre liturgique de Louis Bouyer

Une introduction à la question

Mémoire

Laurent Penot

Maîtrise en théologie

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire est une introduction à l'étude de l'articulation entre la théologie et l'anthropologie dans l’œuvre liturgique du théologien français Louis Bouyer (1913-2004). La période couverte est celle précédant le concile Vatican II. Ce travail est en trois parties : (I)-Louis Bouyer et le Mouvement liturgique, (II)-Louis Bouyer et l'intelligence de la liturgie et (III)-Louis Bouyer et l'anthropologie de la religion.

Dans la première partie, nous analysons le point de vue de L. Bouyer sur le Mouvement liturgique. Dans la deuxième partie, nous précisons ce qu'il entends par intelligence de la liturgie à partir de son centre, le Mystère Pascal, et la notion de Mystère héritée de O. Casel. Dans la troisième partie, nous exposons les perspectives anthropologiques de L. Bouyer à partir d'un de ses ouvrages de référence : Le rite et l'homme.

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Abstract

This master's thesis is an introduction to the study of the relationship between theology and anthropology in the liturgical work of the French theologian Louis Bouyer (1913-2004). We restrain ourselves to the period prior to the Second Vatican Council. This work is in three parts: (I)-Louis Bouyer and Liturgical Movement, (II)-Louis Bouyer and the intelligence of liturgy (III)-Louis Bouyer and anthropology of religion.

In the first part, we analyze the view of L. Bouyer on the Liturgical Movement. In the second part, we specify what he means by intelligence of liturgy, from its center : the Paschal Mystery, and the concept of Mystery inherited from O. Casel. In the third part, we present the anthropological perspective of L. Bouyer based on one of its reference books: Rite and man.

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Table des matières

RÉSUMÉ...III ABSTRACT...V TABLE DES MATIÈRES...VII REMERCIEMENTS...XI

INTRODUCTION GÉNÉRALE...1

1 Louis Bouyer (1913-2004)...2

2 Question de recherche...5

3 Corpus et méthode de recherche...6

3.1 Corpus de recherche...6

3.2 Méthodologie...7

4 Plan du mémoire...8

CHAPITRE I – LOUIS BOUYER ET LE MOUVEMENT LITURGIQUE...9

1 Les articles de réflexion sur la liturgie...9

1.1 1943 : La lettre au p. Duployé...10

1.2 1944 : « Après les journées de Vanves. Quelques mises au point sur le sens et le rôle de la liturgie »...14

1.3 1947 : « Quelques principes historiques de l'évolution liturgique »...16

1.4 1951 : « Où en est le Mouvement liturgique? »...20

1.5 1951 : « Réflexions sur le mouvement liturgique »...23

1.6 1954 : « Ce qui change, ce qui demeure dans la liturgie »...25

1.7 1ère synthèse sur le travail du théologien...28

2 L'histoire du Mouvement liturgique analysée par Louis Bouyer...29

2.1 Plan de La vie de la liturgie...30

2.2 Démarche intellectuelle...31

2.3 Critique des époques baroques et romantiques...32

2.4 Les Mouvements liturgiques contemporains : trois phases...38

3 Conclusion : nécessité d'un point de départ théologique...42

CHAPITRE II – LOUIS BOUYER ET L'INTELLIGENCE DE LA LITURGIE...43

1 Le Mystère Pascal...43

1.1 La situation de l'homme : l'esclavage...44

1.2 L'intervention divine : la Révélation...46

1.3 Le Mystère de la croix : la Rédemption...48

1.4 Le temps intermédiaire : sacramentalité...52

1.5 Le but du Christianisme : la vie trinitaire...53

1.6 Conclusion...55

2 Odon Casel et la question de la continuité avec le judaïsme...55

2.1 La liturgie au cœur de la religion chrétienne : Qahal et Ecclesia...57

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2.3 Mystère paulinien et mystères païens...62

2.4 Mystère et théologie de la Parole de Dieu...63

2.5 Conclusion...66

3 Le déploiement du Mystère dans la liturgie...67

3.1 Le sacrement de l'ordre...68

3.2 Les sacrements de l'initiation chrétienne...69

3.3 Les bénédictions : mariage et onction des malades...71

3.4 Le déploiement du Mystère : exemple de l'année liturgique...73

4 Conclusion : après la Tradition et le Mystère?...75

CHAPITRE III – LOUIS BOUYER ET L'ANTHROPOLOGIE DE LA RELIGION...77

1 L'anthropologie de la religion selon L. Bouyer...78

1.1 L'homme est radicalement religieux...80

1.2 Phénoménologie du rite...91

1.3 Notions complémentaires...95

2 La place de cette anthropologie dans la théologie...98

2.1 L'irruption de Dieu dans l'histoire...98

2.2 La perfection du sacrifice eucharistique...102

2.3 Une relecture de certains aspects du christianisme...104

3 Conclusion...108

3.1 Convergence de l'anthropologie de la religion avec la théologie...108

3.2 La posture intellectuelle de L. Bouyer...109

CONCLUSION GÉNÉRALE...113

1 Principaux acquis de cette recherche...113

1.1 Contexte...114

1.2 Théologie...115

1.3 Anthropologie...116

1.4 Le lien entre l'anthropologie et la théologie...116

2 Pistes d'approfondissement...117

3 Finalement...119

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« Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux. » (Mt 13,52)

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Remerciements

Au moment de déposer ce mémoire, je voudrais remercier un certain nombres de personnes qui ont contribué d'une façon particulière à ce travail.

Commençons tout d'abord par mon directeur de mémoire, le professeur et actuel doyen de la faculté de théologie de l'Université Laval, Gilles Routhier : il a fait preuve de conseils avisés, ainsi que d'une belle patience...

Les membres du Séminaire Redemptoris Mater de Québec, et en particulier le recteur, le P. Marc Lalonde, et le vice Recteur, le P. Jorge Avilés, pour leur aide et leurs encouragements nombreux et répétés.

Dom Guillaume Bruté de Rémur, recteur du Séminaire Redemptoris Mater de Beyrouth et auteur d'une thèse doctorale sur L. Bouyer, qui m'a suggéré la piste de la liturgie pour entrer dans l'œuvre colossale de cet auteur.

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I

NTRODUCTION GÉNÉRALE

Le titre de ce mémoire, Articulation entre théologie et anthropologie dans l’œuvre liturgique de

L. Bouyer, indique les grandes lignes qui seront développées dans ce travail. Cependant, nous

devrons préciser ce que ces termes signifient dans le contexte de notre questionnement, les limites que nous avons rencontrées, pourquoi nous avons choisi ce sujet, et comment nous entendons le traiter. Ce sera l'objet de cette introduction.

Avant cela, il me semble utile de préciser que le premier intérêt de cette recherche, pour moi, était de profiter de ce temps qui m'était donné d'approfondir mes études en théologie pour connaître d'avantage l’œuvre de Louis Bouyer, théologien français du XXe siècle, à la suite de lectures qui

m'avaient fortement intéressé. Ayant eu l'occasion de discuter avec dom Guillaume Bruté de Rémur, auteur d'une thèse doctorale1 sur ce même auteur, j'ai pu profiter de son expérience : pour entrer

dans cette œuvre foisonnante, la liturgie lui semblait être une très bonne porte d'entrée.

La conjonction de facteurs très divers tels que l'intérêt toujours vivant pour ce théologien, comme en témoigne la réédition récente d'un certain nombre de ses livres, les célébrations du 50e anniversaire

du concile Vatican II, les débats actuels dans l'Église catholique autour de la liturgie, les tentatives de récupération de cet auteur par des groupements dits traditionalistes, la centralité de la question œcuménique dans les débats théologiques actuels et l'intérêt de cet auteur pour cette question, m'ont convaincu d'engager mes recherches dans cette direction. De plus, Louis Bouyer est un théologien atypique, doté d'un parcours exceptionnellement riche, et qui a contribué activement aux questions de son temps, aussi bien d'un point de vue théologique que pastoral. Son œuvre a eu une influence certaine sur le concile Vatican II, et il a aussi pu apporter sa contribution aussi bien à sa préparation qu'à la mise en œuvre de ses orientations.

Nous allons donc commencer par présenter l'auteur étudié, son intérêt, l'originalité de son parcours intellectuel et spirituel. Ensuite, nous ferons un bref historique de l'évolution de notre question de recherche, afin de permettre au lecteur d'avoir un aperçu de notre cheminement intellectuel, et aussi de préciser et de justifier le choix de notre corpus de recherche, puis de présenter la méthodologie retenue et le plan que nous nous proposons de suivre pour exposer les résultats de notre recherche.

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1 Louis Bouyer (1913-2004)

La récente parution de ses mémoires2, à titre posthume, permettrait au lecteur intéressé

d'approfondir avantageusement la connaissance de la vie et de l'itinéraire intellectuel de L. Bouyer. Nous nous bornerons à en donner les principales lignes.

L. Bouyer est un théologien catholique français du XXe siècle. Né à Paris en 1913 dans une famille

protestante, il est devenu pasteur luthérien en 1936 avant d'être reçu dans l'Église catholique à l'abbaye de Saint-Wandrille en 19393. Entré à l'Oratoire de France, il a été ordonné prêtre en 1944.

Docteur en théologie, il a exercé plusieurs charges d'enseignement et écrit de nombreux ouvrages et articles en théologie et liturgie. Il a participé très activement au Mouvement liturgique dans la période précédant le concile Vatican II, puis il a pris ouvertement ses distances avec ce mouvement pour signifier son désaccord sur la façon de recevoir les avancées du Concile en matière de liturgie. Il a poursuivi ses activités d'enseignement, ainsi qu'une œuvre théologique considérable, avant de s'arrêter à cause de la maladie d’Alzheimer. Il s'est éteint à Paris en 2004, à la fin d'un long combat. Élevé dans un milieu cultivé, le jeune L. Bouyer développe d'abord un intérêt pour les études scientifiques, avant de s'orienter vers des questions plus philosophiques et religieuses. Il commence ses études universitaires à la Faculté protestante du boulevard Arago, à Paris. L'ambiance intellectuelle y était à la fois classique et libérale, et L. Bouyer y bénéficie de l'influence de quelques grands noms comme ceux d'Auguste Lecerf ou Adolphe Lods. Lods était un grand érudit luthérien, titulaire de la chaire d'Ancien Testament. Il avait une approche essentiellement historique des textes. L'autre grande influence fut celle du calviniste Auguste Lecerf, qui sera considéré comme réformateur du calvinisme en France, associant à la fois une très grande rigueur rationnelle dans la recherche de la vérité doctrinale et une attitude d'esprit essentiellement religieuse, c'est-à-dire existentielle. C'était un érudit ayant une très bonne connaissance des grands docteurs de l'orthodoxie réformée, et donc tirant ses sources de la pensée thomiste et de la théologie médiévale.

L. Bouyer témoigne très tôt d'une grande ouverture d'esprit en s'intéressant à de nombreux visages du christianisme. Il est notamment allé suivre des cours d'Etienne Gilson, à la Sorbonne, sur la philosophie thomiste, il a aussi fréquenté le père Congar. Sa rencontre avec un ancien moine

2 Louis Bouyer, Mémoires, Paris, Éditions du Cerf, 2014.

3 Précisons que, de son propre aveu, il n'a jamais renié ses origines protestantes, mais plutôt vécu cette

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bénédictin passé à l'Orthodoxie, Lev Gillet, lui permet de découvrir des auteurs orthodoxes comme Soloviev, Boulgakov, Lossky, mais aussi les travaux de Dom Casel, moine bénédictin allemand de l'abbaye de Maria-Laach. Les penseurs russes le font entrer dans l'univers de la patristique, tandis que l'œuvre du théologien allemand lui fait découvrir l'importance de la notion de mystère dans une théologie de la liturgie, ce qui sera déterminant pour lui. Il fréquente aussi des penseurs anglais, comme Newman, et Ramsey, le futur archevêque anglican de Cantorberry. Il est probable que sa conversion au catholicisme soit en partie due à sa lecture de Newman.

L. Bouyer poursuit ses études à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg où il profite de l'enseignement de Cullmann. Il y obtient son baccalauréat en théologie. Ce séjour en Alsace a été l'occasion de son entrée dans le mouvement biblique. « Ces cours étaient tout à fait remarquables parce qu'ils combinaient une exégèse biblique du Nouveau Testament parfaitement critique et scientifique avec une vision spirituelle et doctrinale qui se rattachait au meilleur de la tradition luthérienne et par là à la tradition catholique »4. Cullmann a aidé L. Bouyer à prendre conscience de

la structure déjà sacramentelle de l'Église du Nouveau Testament, qui ne peut s'étudier qu'avec la continuité des Pères de l'Église qui sont les porteurs de la tradition vivante du Nouveau Testament. Devenu pasteur luthérien, L. Bouyer devient vicaire à la paroisse de la Trinité, à Paris, et poursuit un deuxième cycle universitaire puis un doctorat consacré à l'ecclésiologie de saint Athanase. Il a rencontré Dom Lambert Beauduin, le promoteur du mouvement liturgique au début XXe siècle, et a

épousé ses vues sur la place centrale de la liturgie dans la vie chrétienne ainsi que son approche théologique de la question liturgique. L. Bouyer dira plus tard qu'en matière liturgique, il a tout reçu de Beauduin et Casel. Il parachève sa formation en fréquentant la Sorbonne où il obtient une licence en lettres classiques.

Son entrée dans l'Église catholique, et plus précisément son intégration à l'Oratoire de France en 1942, le remet sur le chemin des études. Il est ordonné prêtre catholique en 1944, après avoir suivi une formation de deux ans à l'Institut Catholique de Paris où il bénéficie de l'influence du P. Guy de Broglie, jésuite et thomiste, d'un thomisme ouvert à l'influence augustinienne et à la patristique grecque, avec une orientation spirituelle. L'étude de la théologie n'y est pas dissociée de la vie spirituelle insérée dans la vie de l'Église via la tradition liturgique vivante. Pour Broglie, comme pour

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L. Bouyer, la théologie s'inspire de la spiritualité et de l'expérience vivante de la liturgie de l'Église5.

L. Bouyer devient le suppléant du P. de Broglie. Là commence une longue expérience d'enseignement universitaire, à Paris et dans le monde : histoire et théologie de la spiritualité, histoire moderne de l'Église, etc. Il publie plusieurs ouvrages en lien avec ses enseignements. Dès 1952, il commence une collaboration avec les universités américaines, qui s'intensifiera lorsqu'il quittera l'Institut Catholique de Paris en 1962.

L’œuvre intellectuelle de L. Bouyer est considérable. C'est un auteur assez prolixe, avec une capacité à s'occuper de nombreux thèmes : Écriture sainte, les Pères de l'Église, la liturgie, la spiritualité, l'ecclésiologie, etc... La revue Communio a présenté en 2005 (30) un numéro consacré à L. Bouyer, avec une bibliographie de 47 livres. Nous pouvons y ajouter environ 200 articles. Sa première publication date de 1938, c'est une vulgarisation du cours d'exégèse du Nouveau Testament de Cullman. Un ouvrage au tirage surprenant le rendra célèbre dès 1945, Le Mystère

pascal.

L. Bouyer n'a pas seulement écrit. Il a pris une part active au mouvement liturgique, en participant à la fondation du Centre de Pastorale Liturgique dès 1944. Il y a contribué de multiples façon : par ses livres, sa contribution à la revue La Maison Dieu, sa participation à de nombreux colloques, etc... Il a contribué à la création de l'Institut Supérieur de Liturgie de l'Institut Catholique de Paris. Nommé consulteur à la commission préposée aux études et aux séminaires entre 1960 et 1962, dans la phase préparatoire du Concile, il participera ensuite à la Commission Théologique Internationale en 1969. Il a fait partie du Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens et de la Congrégation pour le Culte Divin comme consulteur.

Il y aurait encore long à écrire sur la vie de L. Bouyer, et d'autres l'ont entrepris. Ce que nous avons dit devrait suffire pour justifier l'Intérêt de l'étude de cet auteur : théologien de la Parole de Dieu, de la liturgie, de la spiritualité, de l'Église, avec une sensibilité patristique et œcuménique, une grande érudition et une ouverture aux sciences humaines. Mais il y a un aspect de sa pensée qu'il est particulièrement important de souligner pour justifier notre sujet : la place centrale de la liturgie dans la vie chrétienne. Dans le panorama théologique qui est le nôtre, très éclaté, multiple, à la recherche de ses fondements, cet aspect de notre auteur peut s'avérer très éclairant pour proposer un modèle possible et fécond de l'articulation des champs du savoir en théologie.

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2 Question de recherche

La première question que nous nous sommes posée est celle de la contribution de L. Bouyer au Mouvement liturgique français. La proximité de la célébration du 50e anniversaire du Concile nous

paraissait une occasion favorable pour étudier ce sujet, et la date de la parution de la Constitution sur la liturgie Sacrosanctum concilium6 semblait une limite assez naturelle pour délimiter notre corpus

d'analyse. En effet, le souci que L. Bouyer semble apporter au respect de l'enseignement officiel de l'Église catholique nous poussait à nous arrêter avant cette publication fondamentale, afin que notre analyse ne soit pas, dans un premier temps, perturbée par cet événement particulier.

Au cours de notre recherche, la découverte d'un chapitre entièrement consacré à la liturgie dans la thèse doctorale de Davide Zordan7 à été l'occasion d'un changement d'orientation de notre travail.

Sans que l'angle de ce chapitre soit le même que le nôtre, la question était suffisamment traitée, et sur un corpus plus large que celui que nous envisagions, pour que notre question initiale perde de son intérêt. En revanche, cette recherche nous avait déjà conduits sur trois pistes intéressantes pour comprendre l'œuvre de L. Bouyer : le contexte du Mouvement liturgique, le cœur théologique de la liturgie, et la prise en compte d'une anthropologie particulière, aussi bien d'un point de vue théologique que des sciences profanes. La question s'est donc déplacée sur celle de l'articulation de ces disciplines dans le contexte du Mouvement liturgique, c'est-à-dire le lien entre la théologie et l'anthropologie dans l'œuvre liturgique de L. Bouyer.

La production théologique de L. Bouyer étant assez conséquente, il nous est apparu trop ambitieux de vouloir la traiter exhaustivement dans un simple mémoire de Maîtrise. En revanche, le fait d'avoir déjà commencé à étudier ses œuvres liturgiques nous a permis d'espérer avoir, à partir de ce domaine, un assez bon aperçu de la façon dont cet auteur articule ces différents champs de la connaissance. D'ailleurs, une simple réflexion sur ce qu'implique la liturgie aurait pu nous conduire au même choix, et ce d'autant plus que L. Bouyer est connu pour avoir ouvert de nouveaux champs de réflexion sur la liturgie, précisément à partir des sciences profanes.

L'objectif de ce mémoire sera donc d'être une sorte d'introduction à cette question à partir d'un échantillon sélectionné des œuvres de L. Bouyer.

6 Le 4 décembre 1963.

7 Davide Zordan, Connaissance et mystère : l'itinéraire théologique de Louis Bouyer, Paris, Cerf, 2008. En particulier : « La Parole célébrée : théologie et liturgie », p. 133-251.

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3 Corpus et méthode de recherche

Une fois pris en compte l'histoire de notre question de recherche, nous pensons pouvoir justifier d'un point de vue méthodologique le choix que nos tâtonnements nous ont conduit à poser. L'hypothèse de recherche fondamentale est que la liturgie, comme discipline au confluent de la doctrine et de la pratique religieuse, est un domaine qui nous permettra de faire ressortir le lien entre la théologie et l'anthropologie dans l’œuvre de L. Bouyer. La formulation d'un telle hypothèse doit bien entendu s'accompagner de cette restriction que nous venons tout juste de formuler : nous ne pourrons prétendre rendre compte intégralement de cette question, mais au moins en proposer une introduction.

Avant de préciser notre méthodologie, prenons le temps de décrire le corpus de recherche.

3.1 Corpus de recherche

Le corpus de recherche est donc constitué d'articles et de livres de L. Bouyer consacrés à la liturgie, publiés avant 1963. Nombre d'articles et de livres que nous avons consultés portent sur des sujets spécifiques qui n'avaient pas de liens direct avec notre question, nous les mentionnons dans notre bibliographie mais ne les avons pas retenus pour notre question de recherche.

Du côté des articles et textes assimilés, nous nous sommes donc concentrés sur une série de six textes traitant de questions générales sur la liturgie, dans le contexte du Mouvement liturgique français. Le premier est une lettre écrite au p. Duployé en 1943, et que celui-ci considéra un peu comme la charte de fondation du Centre de Pastorale Liturgique. Le deuxième est une contribution à la première rencontre de ce Centre de Pastorale Liturgique en 1944. Les quatre textes suivants sont des articles de réflexion autour du Mouvement liturgique publiés entre les années 1947 et 1954. Voici la liste de ces textes :

Bouyer, Louis, « Lettre au père Duployé », dans Duployé, Pie, Les origines du Centre de pastorale

liturgique, 1943-1949, Mulhouse; Paris; Tournai, Éditions Salvator ; Casterman, 1968.

, « Après les journées de Vanves. Quelques mises au point sur le sens et le rôle de la liturgie ». Dans Études de pastorale liturgique, Vanves, 26-28 janvier 1944., Paris, Éditions du Cerf, 1944.

, « Quelques principes historiques de l'évolution liturgique », La Maison Dieu 10 (2ème

trimestre 1947), p. 47-85.

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34-46.

, « Réflexions sur le Mouvement liturgique », Dieu vivant 19 (2e trimestre 1951), p.

81-101.

, « Ce qui change, ce qui demeure dans la liturgie », La Maison Dieu 40 (4e trimestre

1954), p. 86-107.

Concernant les livres écrits au cours de cette période, nous avons procédé de la même façon. Quatre ouvrages ont retenu notre attention, soit pour leur intérêt théologique, soit pour la compréhension générale de la liturgie dans l’œuvre de L. Bouyer, soit enfin pour leur intérêt anthropologique. En voici la liste :

Bouyer, Louis, Le Mystère pascal, Paris, Éditions du Cerf, 5e édition revue et augmentée [1954] 2009

[1ère édition : 1945]

, Liturgical Piety., Notre Dame, Ind., University of Notre Dame Press, 1955.

, La vie de la liturgie; une critique constructive du mouvement liturgique, Paris, Éditions du Cerf, 1956. C'est une traduction du livre précédent.

, Le rite et l'homme, Paris, Éditions du Cerf, [1962] 2009.

Précisons que le troisième livre est une traduction simplifiée du deuxième, c'est à elle que nous nous référerons en pratique, de préférence à son original en anglais. Enfin, une dernière précision concernant le premier livre de cette liste, Le mystère Pascal : nous utilisons une ré-édition de la 5e

édition, car celle-ci est plus accessible, et les modifications par rapport à la 1ère édition sont, selon les

mots même de l'auteur, essentiellement des ajustements de ce commentaire de la liturgie de la Semaine Sainte aux changements qu'elle a subis ensuite.

3.2 Méthodologie

Du point de vue méthodologique, nous avons voulu profiter de nos recherches sur la contribution de L. Bouyer au le Mouvement liturgique pour avoir une idée assez précise du contexte dans lequel L. Bouyer écrivait, pour ensuite pouvoir nous concentrer sur la question du lien entre la théologie et l'anthropologie dans les œuvres retenues pour cette recherche.

Pour la compréhension du contexte de ses œuvres, ce ne sont pas tant les données historiques « objectives » du Mouvement liturgique qui nous paraissaient utiles pour comprendre L. Bouyer, mais plutôt la perception qu'il en avait. Pour avoir un assez bon aperçu des préoccupations de notre auteur, nous avons donc cherché à analyser ses contributions à ce mouvement, en particulier les articles de réflexion autour de ce mouvement, et le livre qu'il a écrit sur lui à partir d'un cours

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d'introduction à la liturgie qu'il a donné aux États Unis8. En pratique, nous avons simplement analysé

ces textes sans grille pré-établie, en cherchant à rendre compte objectivement de leur contenu, et en en dégageant les idées principales en lien direct avec la liturgie.

Concernant le lien entre la théologie et l'anthropologie, la question était plus complexe. Il s'agissait à la fois de préciser ce que nous pouvions trouver dans ces œuvres concernant la théologie et l'anthropologie, mais aussi de comprendre comment ces champs s'articulent dans la pensée de notre auteur. Du point de vue de la théologie, et puisque notre recherche se basait sur des œuvres en lien avec la liturgie, nous avons cherché à comprendre ce qui fait le cœur de la liturgie, du point de vue théologique, pour L. Bouyer. Du point de vue de l'anthropologie, la logique a été semblable : dans le contexte de la liturgie, L. Bouyer mettait en œuvre une certaine anthropologie, c'est sur elle que nous avons concentré nos efforts d'analyse. Ensuite, l'enjeu de notre travail a été de comprendre comment ces deux champs peuvent cohabiter dans la pensée de notre auteur, leurs contributions réciproques éventuelles, leurs tensions, etc.

4 Plan du mémoire

Notre exposé se déroulera en trois chapitres : le Mouvement liturgique, l'intelligence de la liturgie et l'anthropologie de la religion. Dans le premier, nous tenterons de dégager les préoccupations théoriques et pastorales de L. Bouyer lorsqu'il écrit ses œuvres liturgiques, ce qui nous permettra de souligner l'importance de la notion de tradition dans sa conception de la liturgie. Dans le deuxième, nous tenterons d'exposer le cœur de sa compréhension théologique de la liturgie, avec au centre la notion de mystère. Dans le troisième, nous exposerons les conceptions anthropologiques que lui-même met en œuvre au service d'une meilleure intelligence de la liturgie, à savoir le fait que l'être humain est essentiellement un être religieux. Ce faisant, nous mettrons en relief le lien qui unit ces conceptions anthropologiques au cœur théologique de la liturgie que nous aurons auparavant exposé.

8 Louis Bouyer, Liturgical Piety., Notre Dame, Ind., University of Notre Dame Press, 1955, et sa traduction française :

(21)

C

HAPITRE

I – L

OUIS

B

OUYER ET LE

M

OUVEMENT LITURGIQUE

Pour entrer dans l’œuvre liturgique de Louis Bouyer, nous allons nous intéresser au contexte dans lequel il écrit : le Mouvement liturgique français. À cette fin, nous pourrions suivre plusieurs pistes : une étude générale du Mouvement liturgique, une enquête historique et biographique, une étude des textes produits par l'auteur, … Dans le cadre de ce mémoire, nous nous concentrerons sur l'étude de textes. En effet, notre objectif n'est pas d'évaluer l'influence que L. Bouyer a pu avoir, mais plutôt de cerner sa façon d'envisager la liturgie : une étude des textes qu'il a produits nous permettra de relever les principaux accents de son œuvre, tout en les situant à partir des réflexions que lui-même produit sur ce Mouvement.

D'un point de vue méthodologique, nous pouvons distinguer les écrits de L. Bouyer sur la liturgie en trois grands ensembles : les livres, les articles de réflexion, les articles spécialisés. Les livres et les articles spécialisés constituent des études approfondies et thématiques, il serait prématuré de commencer par leur étude. Au contraire, la lecture de ses articles d'analyse et de réflexion sur le Mouvement liturgique nous fournira de précieuses indications pour définir un cadre dans lequel situer son œuvre. En particulier, ceci mettra en valeur l'importance, pour L. Bouyer, d'une prise en compte de la tradition dans l'étude de la liturgie, et par là même de l'importance des disciplines historiques. Ceci nous permettra, dans un second temps, de commencer l'analyse d'une des trois œuvres clefs en liturgie que nous avons retenues pour ce travail : La vie de la liturgie. Nous disons commencer, car cette œuvre, nous le verrons, se propose de mettre en œuvre une intelligence de la liturgie à partir d'une réflexion historique. Autrement dit, elle déploie une théologie de la liturgie fondée sur une analyse historique de la liturgie. Nous étudierons donc la réflexion historique dans ce présent chapitre, puisqu'elle a trait au Mouvement liturgique. Nous nous réserverons une étude plus spécifiquement théologique de cette œuvre pour le chapitre suivant.

1 Les articles de réflexion sur la liturgie

Il y a six textes principaux qui intéressent notre propos ici. Nous allons les aborder dans l'ordre chronologique, ce qui nous donnera une idée de la progression des préoccupations de L. Bouyer. Si le premier n'est pas un article, nous l'intégrons à ce moment de notre démarche parce qu'il donne un aperçu assez précis des perspectives de L. Bouyer sur la liturgie au début de sa "carrière de

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théologien". Nous allons prendre le temps de présenter ce texte avec plus de précision que les autres, car c'est le premier, chronologiquement, à nous faire entrer dans les perspectives théologiques de L. Bouyer concernant la liturgie. Ensuite, nous aborderons les suivants plus synthétiquement.

1.1 1943 : La lettre au p. Duployé1

Isabelle Lecointe2 relate rapidement les circonstances de cette lettre : « En 1943, L. Bouyer

rencontre les Pères Roguet et Duployé qui s'ouvrent à lui de leur projet de Centre de pastorale liturgique. L. Bouyer leur adresse une lettre développant ce qui lui semblait être les buts et les principes de ce mouvement3. »

Argumentation

Après une mention des circonstances de la lettre, L. Bouyer présente leur intérêt commun pour la liturgie parce qu'elle est « l'expression spontanée de son [l'Église] âme collective et une, et le meilleur moyen de rendre cette âme aux chrétiens atomisés d'aujourd'hui4 », par opposition à « une

conception archéologique de la liturgie5,6 ».

Développer une meilleure intelligence de la liturgie chez les fidèles passe par une redécouverte nécessaire des Écritures, « un mouvement populaire biblique7 », ce mouvement s'enrichissant en

retour de ce renouveau liturgique par une récupération du sens des Écritures à partir de la liturgie. Un « minimum d'explication historique8 » serait aussi utile, mais sans exagération. Le plus délicat

sera de se réapproprier le « monde spirituel » dans lequel baignent les textes liturgiques, car L. Bouyer prévoit des difficultés face à la mentalité contemporaine et le style de dévotion hérité du XIXe siècle.

1 La lettre a été publiée dans Pie Duployé, Les origines du Centre de pastorale liturgique, 1943-1949, Mulhouse/Paris /Tournai, Éditions Salvator/Casterman, 1968, p. 289-297.

2 Isabelle Lecointe, « Louis Bouyer, une voix du Mouvement liturgique », La Maison Dieu 246 (2ème trimestre 2006),

p. 21-58.

3 Isabelle Lecointe, « Louis Bouyer, … », p. 25.

4 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 289.

5 Qui n'envisage la liturgie que sous l'angle des disciplines historiques.

6 Dans un souci d'alléger le texte : lorsque plusieurs citations de la même page se suivent, nous ne mettrons la référence qu'à la première.

7 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 290. 8 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 291.

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Le second point abordé par L. Bouyer concerne la mise en œuvre de ce Mouvement liturgique, avec des objectifs précis : « restauration de la grand-messe paroissiale9 », messe dialoguée en latin avec

traduction des lectures, restauration de l'office divin, … Ces objectifs impliquent de redécouvrir la messe comme action collective. Il faudra agir avec prudence et discernement, tout en se tenant prêt à répondre aux demandes qui vont surgir afin de ne pas se laisser déborder. L. Bouyer prévoit un passage à la langue vulgaire d'une grande partie de la messe, ainsi qu'un retour à une psalmodie plus développée.

Enfin, il termine, après quelques remarques sur la messe comme dévotion personnelle ou la réforme du bréviaire, sur la nécessité d'être prudent dans la mise en œuvre des changements et de bien les présenter en montrant leur lien avec la tradition.

Principaux accents de cette lettre

Tout au long de cette lettre, des convictions apparaissent sur la liturgie. L. Bouyer parle de deux plans : celui de l'intelligence de la liturgie, et celui des actions à entreprendre : il s'agit donc de bien s'entendre sur ce qu'est la liturgie avant de proposer des actions concrètes. Il évoque alors une conception vivante de la liturgie, enracinée dans un monde spirituel issu de la Bible et en tension avec la culture contemporaine. De cette analyse proviennent les mesures préconisées.

La liturgie est considérée sous l'angle pastoral. Nous l'avons déjà cité, la liturgie est considérée comme « l'expression spontanée de son [l'Église] âme collective et une10 ». Elle entretient donc un

lien vivant avec l'histoire, et il ne s'agit pas de l'enfermer dans un musée par « une conception archéologique », ni de se contenter de la définition des manuels : « "le culte extérieur de l'Église" ». Elle est « le meilleur moyen de rendre cette âme aux chrétiens atomisés d'aujourd'hui, pour ne rien dire des masses sans christianisme. » Il s'agit donc d'un enjeu pastoral majeur. Les disciplines historiques ont leur part à jouer, mais comme service de cet enjeu : il faut « un certain minimum d'explications historiques11 », mais « Il s'agit d'utiliser ces éléments historiques, juste dans la mesure

où ils peuvent aider à l'intelligence actuelle de la liturgie12. »

9 En italique dans Pie Duployé, Les origines …, p. 292.

10 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 289. L'expression insiste sur l'unité de l'âme collective de l'Église. 11 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 291.

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Cet enjeu pastoral s'inscrit dans un contexte très particulier : L. Bouyer considère qu'il y a une véritable crise de la culture chrétienne. Son diagnostic est très clair : les textes liturgiques sont devenus incompréhensibles pour les chrétiens. Leur « "mentalité13" » est étrangère « aux chrétiens

d'aujourd'hui ». C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en œuvre en même temps un « mouvement populaire biblique », et pas seulement des traductions ou des explications des textes. Il est intéressant de noter que L. Bouyer parle d'« une initiation générale14 ». Le premier bénéfice

attendu, dans ce domaine, « d'une initiation liturgique authentique15 », serait de retrouver « un sens

de l'Écriture, une mens christi appliquée à l'Écriture, qui ne nous manquent que trop ».

Cette crise n'est pas seulement culturelle, mais aussi et surtout spirituelle. Le fond de ce diagnostic repose sur un véritable décalage entre « le monde spirituel16 » de la liturgie, qu'il faut se réapproprier,

et la culture contemporaine et même de la théologie moderne :

La liturgie en effet, très particulièrement la liturgie romaine, est, ne serait-ce que dans sa contexture matérielle, toute biblique. Or non seulement le laïcisme moderne a rendu étranger à l'esprit de nos contemporains les cadres fondamentaux de la pensée biblique, mais, ce qui est beaucoup plus grave encore, les cadres de la théologie moderne et jusqu'à ceux de nos catéchismes n'en sont guère moins éloignés17.

C'est tout un pan de la spiritualité chrétienne récente qui est en crise, en lien avec la culture contemporaine :

La liturgie adore un Christ qui n'a presque rien de commun que le nom avec le Jésus de la plupart des recueils de méditations et de prières du XIXe siècle; elle exprime sur nos

relations avec la Trinité des conceptions pour lesquelles la théologie moderne bloquée sur une application maladroite du principe des appropriations reste aphasique; elle suppose une anthropologie sans rapport avec l'anthropologie cartésienne, platonisante, qui reste celle de notre spiritualité, confondant par un jeu de mot tragique (ou comique) l'opposition âme-corps, avec l'opposition chair-esprit du paulinisme; enfin, elle a du conflit entre le bien et le mal où nous sommes engagés, une notion toute dualiste et "personnaliste" qui risque d'apparaître à nos contemporains comme une mythologie effarante18.

Face à cette situation de crise, il s'agit de faire des propositions. Mais, étant donné les enjeux, nous pouvons comprendre aisément pourquoi L. Bouyer recommande d'agir prudemment : en s'attaquant

13 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 290. 14 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 289. 15 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 290. 16 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 291. 17 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 290. 18 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 292.

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aux mentalités et aux formes de piété existantes, les réactions ne peuvent que survenir : « Sommes-nous bien prêts à foncer sur tous ces points pour rétablir les notions authentiquement chrétiennes? Si non, le mouvement liturgique que nous tenterons ne sera qu'une agitation superficielle. Si oui, il faut nous attendre à de la casse. »

L. Bouyer veut d'abord revaloriser la dimension collective de l'action liturgique. « Un mouvement liturgique, ou bien ce ne sera rien, ou bien ce sera la mort d'une spiritualité de saluts et de messes basses. » Il veut restaurer la « grand-messe paroissiale […] pour un acte véritablement collectif ». Pour cela, il prévoit une initiation : « il faudrait arriver à la messe dialoguée en latin comme la seule messe basse normale19 » tout en se protégeant des initiatives intempestives qu'il qualifie par « un

sens pseudo-liturgique ».

Cette prise de conscience de la dimension collective de l'action liturgique implique un véritable changement de mentalité, en particulier au niveau du clergé. Ce changement passe par une restauration de « l'office divin » et une prise de conscience que l'eucharistie « est un acte avant

d'être une chose » où l'hostie est consacrée pour être partagée et consommée, et qu'elle ne peut

donc être « un luxe de dévotion20 » réservé aux prêtres.

Le moteur de ce changement, la condition principale pour qu'il soit accepté, c'est de parvenir à éveiller le désir des fidèles pour une liturgie vivante. C'est une conviction de L. Bouyer qu'un Mouvement liturgique légitime exerce un pouvoir d'attraction certain :

En dernier lieu, il faut bien en arriver à voir les nouveautés qu'un rétablissement de la liturgie à sa vraie place ne peut pas ne pas faire désirer. Il ne faut surtout pas, comme certains, mettre la charrue avant les bœufs et parler de cela coram populo prématurément, ni, à plus forte raison, s'en préoccuper avant d'être en mesure de le faire désirer. Mais ce désir ne peut pas ne pas naître, si nous faisons ce que nous devons, et il ne faudra pas alors être pris au dépourvu et se laisser déborder par des initiatives individuelles malencontreuses qui risqueraient de tout compromettre, et qui ont déjà fait beaucoup de tort au mouvement : je sais des milieux ecclésiastiques où, sur quelques exemples maladroits, on considère le fait de s'intéresser à la liturgie comme un indice de dérangement mental21.

Le désintérêt constaté par l'auteur provient d'un « état de fixation anormal qu'on ne pourra maintenir lorsqu'elle [la liturgie] sera redevenue vivante » dû à des circonstances historiques passées liées à la

19 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 293. 20 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 294. 21 Louis Bouyer dans Pie Duployé, Les origines …, p. 294-295.

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Renaissance et la Réforme. Il faudra donc prévoir un passage à « la langue vulgaire », au moins pour « les lectures aux prières d'un caractère catéchistique » et pour « ce que le peuple est censé entendre ou chanter pour son instruction et son édification ». Il n'est pas nécessaire d'entrer ici dans tous les détails, car le ton est donné : il s'agit de rendre vivante la messe, considérée comme le cœur de la liturgie, pour le peuple.

Remarque conclusive

Il me paraît important de distinguer le contexte dans lequel L. Bouyer parle de liturgie, de son fondement. Si le contexte de son intérêt pour la liturgie est pastoral, cela ne signifie pas que la liturgie est elle-même subordonnée aux besoins de l'action pastorale. Elle est en lien avec la pastorale en tant qu'elle est une expression de la vie de l'Église, et que la pastorale est une aide pour que les croyant bénéficient de cette vie de l'Église. Les deux champs doivent rester distincts, sinon, nous ne pourrions pas comprendre cet attachement aux racines historiques de la liturgie, ni cette volonté de se réapproprier le monde spirituel biblique sur lequel elle repose. C'est ce que la suite de notre étude va montrer.

1.2 1944 : « Après les journées de Vanves. Quelques mises au point sur le sens et le rôle de la liturgie22 »

En 1944, la première rencontre du Centre de Pastorale Liturgique a lieu à Vanves, en banlieue parisienne. L. Bouyer est chargé de la conclusion, mais il ne va pas hésiter à prendre ses distances avec quelques-unes des positions prises par les conférenciers en faveur d'une utilisation de la liturgie pour l'apostolat. Isabelle Lecointe résume cela :

Le titre même de l'article […] annonce une prise de distance, une réflexion en amont des priorités du jour. En effet, la position de L. Bouyer en matière de liturgie est très nette et va à contre-courant d'un certain nombre d'intervenants de ces journées. Son article développe quatre thèses par lesquelles il clarifie la nature, le but et les limites de la liturgie et son lien avec l'apostolat23.

22 Louis Bouyer, « Après les journées de Vanves. Quelques mises au point sur le sens et le rôle de la liturgie »., dans

Études de pastorale liturgique, Vanves, 26-28 janvier 1944, P. Duployé et A.-M. Roguet (dir.), Paris, Éditions du Cerf,

1944, p. 379-389.

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Argumentation

Le mouvement du texte est simple. L. Bouyer commence par définir le rôle de la liturgie dans l'Église, en le distinguant de celui de l'apostolat. Ensuite, il définit le contexte de leur relation.

La liturgie, « C'est l'aliment et l'expression de la vie intérieure de l'Église24. » L'apostolat a pour but

d'amener quelqu'un d'extérieur à l'Église à cette vie même de l'Église : il ne peut donc pas adapter la liturgie en fonction de ses propres besoins. La liturgie est « un donné traditionnel25 », « quelque

chose que nous pouvons souhaiter d'enrichir, […] mais c'est quelque chose qu'il faut d'abord recevoir, recevoir de l'Église comme le plus grand don qu'elle peut et veut nous faire26 ». Un

Mouvement liturgique doit donc d'abord songer à l'Église elle-même en rendant le goût du culte aux chrétiens, avant de s'adresser à des non-chrétiens.

Ensuite, la question du lien entre la liturgie et l'apostolat peut se poser. C'est là le lieu pour les para-liturgies. Le lien entre ces para-liturgies et la liturgie de l'Église est précisément la question à approfondir, et L. Bouyer fait quelques propositions en ce sens, sans prétendre faire le tour de la question.

L'article se termine par un résumé en quatre thèses.

Principaux accents

Isabelle Lecointe a synthétisé fidèlement ces quatre thèses :

Thèse 1 : La liturgie est pour l'Église. Elle n'est pas et ne peut pas devenir un moyen direct d'apostolat auprès des non-chrétiens […]

Thèse 2 : La liturgie est expression de la vie de l'Église, expression même du christianisme […]

Thèse 3 : Vers une définition de la liturgie : la liturgie, un donné traditionnel? […] Thèse 4 : La place centrale de la messe […]

Dans ce premier article, L. Bouyer « n'a pas peur des mots » […] Sa réaction lui permet d'énoncer fermement des principes liturgiques : la liturgie se reçoit de la tradition, elle

24 Louis Bouyer, « Après les journées de Vanves... », p. 381. 25 Louis Bouyer, « Après les journées de Vanves... », p. 383. 26 Louis Bouyer, « Après les journées de Vanves... », p. 383-384.

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est l'expression même de la vie de l'Église et du christianisme. L'Eucharistie trouve, dans la liturgie, une place centrale. Dès le premier article, il annonce une théologie de la liturgie comme "expression de la tradition chrétienne" que l'on trouvera dans ses écrits ultérieurs27.

L'enjeu que l'on commence à deviner, pour L. Bouyer, est de promouvoir une conception de la liturgie comme une réalité qui a sa propre consistance, ses « lois » ou « principes » internes. La première mission du Mouvement liturgique est de redécouvrir et faire redécouvrir la liturgie et de se l'approprier, d'en vivre. Une fois la familiarité rétablie entre les chrétiens et cette « source, la source par excellence où dogme, morale, spiritualité se retrouvent d'ailleurs, avec l'Écriture, unis et vivifiés28 », il sera temps de l'enrichir.

1.3 1947 : « Quelques principes historiques de l'évolution liturgique29 » Trois ans plus tard, L. Bouyer publie un article où il parle de la liturgie comme d'un organisme vivant30. Cela lui permet d'aborder la question de l'évolution historique de la liturgie du point de vue

de sa continuité. Il ne s'agit pas d'un débat d'idées, mais plutôt d'une analyse de type historique.

Argumentation

Dans ce texte, L. Bouyer cherche à mettre en évidence les principes qui régissent la liturgie. Il commence, dans son introduction, par situer la liturgie dans son rapport à l'autorité dans l'Église : il y a une loi écrite, qui évolue dans le temps, qui est une approximation d'une loi non écrite, d'un principe vital très particulier : l'Esprit Saint. L'autorité surveille l'évolution liturgique en s'inspirant de la tradition avec fidélité, mais aussi liberté. Dans une première partie, il cherche les principes qui ont régi la liturgie en deux mille ans de christianisme. Dans une deuxième partie, il précise les rapports

27 Isabelle Lecointe, « Louis Bouyer, ... », p. 26-36.

28 Louis Bouyer, « Après les journées de Vanves... », p. 383.

29 L. Bouyer, « Quelques principes historiques de l'évolution liturgique », La Maison Dieu 10 (2ème trimestre 1947), p.

47-85. L'auteur précise que ce texte, très peu modifié, provient d'une conférence donnée aux origines du C.P.L. Il a donc probablement été écrit autour de 1945.

30 Cf. L. Bouyer, « Actualité de Newman et de sa conversion (1845-1945) », dans La vie intellectuelle, n°10 (novembre 1945), p. 6-29. L'auteur décrit un procédé intellectuel similaire utilisé par Newman pour résoudre la question de la permanence de l'Église malgré des apparences très différentes tout au long de l'histoire, en particulier à la page 26 : « Newman ressaisira cette permanence en discernant dans l'histoire une série de notes propres au développement de la doctrine catholique et qui permettent de voir en celui-ci l'analogue du développement d'un être vivant [...] ». Il est probable que le raisonnement de L. Bouyer soit une transposition à la liturgie de celui de Newman pour le développement historique du dogme catholique, car il fait aussi référence à Newman plusieurs fois dans cet article.

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que la liturgie entretient avec le développement du dogme. Enfin, dans une troisième partie, il étudie les rapports entre la liturgie et la vie courante du chrétien.

Dans cette recherche des principes de la liturgie, L. Bouyer la compare au langage : loin d'être une série de conventions entre les individus rationnels, c'est d'abord une réalité qui a sa propre consistance et dans lequel les individus sont formés : en ce sens, la linguistique pourrait être un modèle pour le développement d'une science de la liturgie. Le développement de la liturgie serait donc à comprendre dans le sens du développement d'un organisme vivant : un développement organique continu et irréversible, mais sans idéaliser le changement qui parfois est un accident de l'histoire plus qu'une preuve de vitalité de l'Église. La preuve de sa vitalité réside plutôt dans la permanence de la liturgie à travers ses évolutions, et c'est ce qui apparaît très fortement dans les études de liturgies comparées de Baumstark31. L. Bouyer considère la capacité de la liturgie à rester

elle-même malgré ces évolutions apparentes comme un fait remarquable. « Un examen attentif révèle bientôt que les permanences se trouvent polarisées en deux extrémités : les structures les plus générales et les éléments premiers32. » Les éléments premiers proviennent d'une sorte de

patrimoine rituel de l'humanité. La permanence des structures les plus générales révèle une réalité spirituelle qui dépasse la raison, rendue accessible par « un esprit de la liturgie33 » qui fait de la

liturgie « la source perpétuellement vive de la vérité34 ». L. Bouyer conclut ensuite qu'entre les

grandes structures générales et les éléments primaires, tout peut changer, mais de façon continue et irréversible.

Concernant le rapport entre l'évolution de la liturgie et le développement du dogme, L. Bouyer dénonce une idée de la religion comme une doctrine claire avant d'être rituelle, à l'aide de l'histoire des religions. « Dans l'Église exactement aussi bien que dans les cultes de l'antiquité ou que dans les religions de l'Asie, ou que dans les religions primitives elles-mêmes, c'est le rite qui apparaît comme l'élément primordial de stabilité, cependant que le dogme se développe et se modifie sur un rythme bien plus accéléré35. » Le christianisme ne renverse pas cet état de fait, mais l'assume dans

la même logique que celle de l'Incarnation : tout le développement de la dogmatique plonge ses

31 L. Bouyer cite l'ouvrage : Anton Baumstark, Liturgies comparées, Chevetogne, 1939. 32 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 55.

33 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 64. 34 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 66-67.

35 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 72-73. L. Bouyer ne conteste pas l'invariabilité du contenu de la foi, mais son expression et sa systématisation évoluent dans le temps plus que les rites.

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racines dans l'expérience cultuelle de la communauté primitive, expérience vitale riche mais dont le noyau de vérité n'était pas encore explicité. Les définitions dogmatiques proviennent surtout d'une nécessité de défendre la foi contre des interprétations trop intellectualistes du donné révélé. L. Bouyer explique ainsi « la profondeur du mot si traditionnel de Pie XI sur la liturgie, "principal organe du magistère ordinaire de l'Église36" ». Le ritualisme « est à la base du catholicisme37 ».

Enfin, L. Bouyer s'occupe du rapport entre l'évolution de la vie et l'évolution de la liturgie. Face à l'opinion qui déclare la liturgie morte car trop distante de la vie quotidienne, L. Bouyer prévient une illusion qui voudrait ramener la liturgie trop proche de la vie courante. Ce qui pouvait sembler être le cas dans une mentalité plus primitive était dû au fait que le sens du sacré y était très présent, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Selon L. Bouyer, le profane provient du sacré, mais le sacré ne provient jamais du profane. En ce sens, le catholicisme est la religion par excellence : « il est, dans sa liturgie, la religion où la conscience du sacré atteint son point maximum38 ». La logique de l'Incarnation

s'applique encore ici, où le culte en esprit et en vérité n'exclut pas les rites mais au contraire les assume en en faisant des signes du Christ. Ce qui distingue le signe d'une simple réalité terrestre, c'est le fait qu'il s'insère dans la parole même du Christ, dans un kérygme « aussi intelligible que possible pour les âmes39 ». L. Bouyer propose de renouveler « l'intelligence du mystère […] dans

cette grande catéchèse, cette grande didascalie de l'Église qu'est la liturgie elle-même40 ». L'enjeu

fondamental de la liturgie, c'est la rencontre personnelle du « Christ d'aujourd'hui ». « Car la liturgie, saisie à cette profondeur, c'est l'expression de cette conscience que l'Église prend d'elle-même en reconnaissant peu à peu qu'elle ne fait qu'un avec le Christ41. »

36 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 76.

37 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 76-77 : « Il ne reste plus rien quand on a pénétré ceci, de l'opposition factice entre la religion en Esprit et en Vérité du christianisme et la religion rituelle de l'Église. Obéissant à toutes les lois psychologiques qui sont celles des religions rituelles et qui ne font que traduire les conséquences de notre constitution psychologique, ce ritualisme qui est à la base du catholicisme est en effet, non pas par suite d'une injection superficielle, mais par une infusion interne, montant des profondeurs, tout pénétré de l'Esprit, et comme tendu par une charge radio-active de vérité que deux millénaires d'élaboration dogmatique ont à peine commencé d'exploiter. Mais, pour comprendre cela, il faut dépasser cette conception utilitaire et purement propagandiste de la liturgie, qui ne veut y voir qu'un instrument catéchétique à mettre au point sans ménagements. Il faut y reconnaître, non seulement le trésor, mais la source perpétuelle de la vérité mystérieuse du christianisme, débordant tous nos concepts. Il faut se retenir d'y porter une main étourdie et sacrilège : c'est le cœur palpitant de la vie la plus secrète de l'Église. »

38 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 81. 39 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 83. 40 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 83-84. 41 L. Bouyer, « Quelques principes... », p. 85.

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Principaux thèmes développés

Ce résumé, un peu long du fait de la longueur de l'article lui-même, nous a permis d'entrevoir la richesse de ce texte. L. Bouyer y situe la question de la liturgie non pas sur le plan des idées, mais d'abord sur celui des faits historiques. La liturgie est une réalité qui a sa consistance propre, une vitalité provenant de l'Esprit Saint. Pour la connaître, il s'agit de l'étudier concrètement, comme un phénomène historique qui a évolué dans le temps selon des lois qui lui sont propres.

Elle puise ses ressources dans une sorte de patrimoine rituel de l'humanité composé de rites élémentaires, non réfléchis, pré-rationnels. Ce qui fait l'originalité du christianisme, ce ne sont donc pas ces rites en tant que tels, mais leur agencement tout à fait particulier qui fait preuve d'une très grande permanence, dans ses grandes lignes, à travers les différentes formes historiques prises par la liturgie. Ces formes historiques sont la réalisation de la permanence de la liturgie dans un contexte donné, il ne peut donc jamais s'agir de revenir en arrière puisque ce contexte ne le fait pas. Cette permanence puise ses racines dans la liturgie juive qui a été remplie d'un contenu nouveau par le Christ. Les deux principes mis en évidence de l'évolution de la liturgie sont donc la continuité et l'irréversibilité.

Cette permanence de la liturgie témoigne d'un monde spirituel, inaccessible à la pensée rationnelle livrée à elle-même, et auquel elle donne accès. C'est en ce sens qu'elle est la source vivante et permanente de la vérité, là où s'alimente le dogme. Elle est donc le lieu par excellence de la catéchèse de l'Église, de la proclamation de la Parole de Dieu. Plus profondément encore, elle est surtout le lieu de la rencontre du visage du Christ d'aujourd'hui, intimement uni à l'Église.

Conclusion

Nous pouvons voir la volonté de L. Bouyer de placer le débat sur la question liturgique au niveau des faits, probablement dans la continuité de sa position qui refuse l'instrumentalisation de la liturgie. En soulignant son rôle propre dans la vie de l'Église, articulée avec le dogme et la vie courante, il présente la liturgie comme le cœur de la vie de l'Église, le lieu de la rencontre personnelle du Christ d'aujourd'hui. Ce faisant, la liturgie apparaît comme une réalité éminemment sacrée que l'on ne peut utiliser ou modifier avec légèreté.

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Enfin, notons en passant, puisque nous y reviendrons plus tard, le fait que L. Bouyer fait de multiples références aux sciences humaines : philosophie, histoire des religions, psychologie, …, dans un souci d'exposer des faits ou bien d'alimenter ses propres vues sur son sujet.

1.4 1951 : « Où en est le Mouvement liturgique42? »

Cet article se situe d'emblée dans l'actualité liturgique. Après plusieurs années de développement en France, L. Bouyer tente de faire le point sur le mouvement liturgique.

Argumentation

L'introduction rappelle le contexte français de l'après-guerre, et le rôle du Centre de Pastorale Liturgique au sein du Mouvement liturgique français, important mais n'ayant pas de prise sur l'ensemble des initiatives en matière de liturgie. La situation est annoncée comme dynamique, avec des aspects positifs et d'autres négatifs.

L. Bouyer fait ensuite la description d'une série de points encourageants : la liturgie est de plus en plus reconnue comme étant au cœur de la vie de l'Église, il y a un désir de réalisme et de simplicité qui s'éloigne d'une perspective purement conventionnelle, le sens collectif de la piété chrétienne se ranime, le Mouvement liturgique se développe en symbiose avec le Mouvement biblique et la redécouverte des Pères, et enfin la redécouverte d'un sens vivant et actuel de la tradition.

Ensuite, il décrit certains aspects plus inquiétants du Mouvement liturgique : la pauvreté de certaines réformes, l'ignorance qui est à la base d'initiatives fantaisistes ne tenant pas compte du donné traditionnel, le manque d'analyse théologique dans le Mouvement liturgique français qui est trop centré sur une simple érudition historique, une véritable difficulté à saisir la tradition vivante, et l'enseignement déplorable du Droit canon en France. Ceci le conduit à formuler deux sources d'inquiétudes : le fait que les autorités puissent être mal conseillées, et le problème des initiatives individuelles incontrôlables.

Enfin, il conclut sur une note d'optimisme : la situation semble se stabiliser, après une effervescence inquiétante des premières années. Il s'agirait de trouver une synthèse entre l'audace et la fidélité.

(33)

Idée centrale : la tradition

Ce qui apparaît le plus dans cet article, c'est la notion de tradition. Les textes précédents se construisaient autour de multiples foyers, tandis que celui-ci est, en son fond, un développement de l'idée de tradition dans l'Église, appliquée à la liturgie. S'il ne nomme pas tout de suite la tradition, L. Bouyer y fait des références implicites. Par exemple, en évoquant un retour à la simplicité et au réalisme liturgique, il parle de la redécouverte de « la vraie signification du culte de l'Église43 », puis

de « la restauration du sens collectif de la piété chrétienne ». La liturgie est donc surtout une question de tradition, de trésor à recevoir, à vivre et à transmettre.

L. Bouyer souligne le lien vital qu'il y a entre un Mouvement liturgique et un Mouvement biblique. La concomitance de ces deux mouvements est même un signe de vitalité de l'Église, et les deux se complètent. Le Mouvement biblique bénéficie de la liturgie qui demeure « "le principal organe du magistère ordinaire de l'Église44" » et l'aide à une meilleure interprétation des Écritures. En retour, il

favorise un approfondissement du Mouvement liturgique par un retour à l'Écriture :

Inversement, si l'on veut prémunir le mouvement liturgique contre le danger de superficialité, si l'on veut qu'il soit foncièrement doctrinal, et d'une doctrine non pas plaquée du dehors, mais développée du dedans, que proposer de mieux qu'un effort d'approfondissement de cette Parole divine qui remplit la liturgie et dont les formes de pensée restent celles-là mêmes que la liturgie maintient vivantes parmi nous?

Pour comprendre l'usage de la Parole de Dieu dans la liturgie, la redécouverte des Pères est essentielle. En effet, « la liturgie, dans ses éléments principaux, étant un produit de l'âge patristique45 », c'est la familiarisation avec leur façon de concevoir et de vivre le christianisme qui va

permettre de se réapproprier l'intelligence de la mise en œuvre de cette Parole dans la liturgie. Mais plus encore que cela, les Pères ont une place unique et permanente dans la tradition :

Ils sont les témoins permanents des grandes réalités dont parle la Bible, et, comme c'est de ces réalités que la liturgie est pleine, c'est à ce titre qu'ils seront toujours pour nous les introducteurs privilégiés à la tradition vivante, c'est-à-dire à la vie continuée dans l'Église de ces réalités, de la réalité du mystère chrétien qui fait l'unité du dogme en même temps qu'elle est l'âme de la prière et du culte de l'Église.

43 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 37. 44 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 38. 45 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 39.

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La fidélité à la tradition n'est pas pour L. Bouyer une simple obéissance servile : « On n'est pas fidèle à l'Église de la manière qu'on peut être fidèle à une compagnie d'assurance, c'est-à-dire en lui laissant le soin de prévoir et d'agir à notre place. Encore moins lui serait-on fidèle par une obéissance servile, mais sans intelligence et sans âme, qui prendrait pour modèle celle que demandent les États totalitaires. » Elle est plutôt un dialogue vivant, une ouverture « à toutes ses [l'Église] sources de vie, en même temps qu'on lui apporte en retour, avec une confiance joyeuse de fils, tout ce que ses sources font fructifier en nous, pour qu'elle le corrige et l'améliore, sans doute, mais aussi pour qu'elle y consacre ce qu'elle y reconnaîtra d'elle-même, sous les formes les plus neuves parfois et les plus hardiment créatrices46. »

Cette fidélité à la tradition concerne au premier plan la liturgie. Si L. Bouyer prend la peine de rappeler que le Mouvement liturgique, pour être réel, doit reconnaître que « la liturgie est traditionnelle dans son essence47 », c'est probablement parce que cette conception ne fait pas

l'unanimité, sinon en théorie, du moins en pratique. Une telle conception implique une intelligence théologique qui fait défaut au Mouvement liturgique français, et ce manque a des conséquences importantes :

Ceci nous amène enfin à ce qui est peut-être la difficulté la plus profonde du mouvement liturgique. Nous voulons dire la peine que nous avons en toutes choses à ressaisir ce qu'est la tradition quand elle est pleinement elle-même, c'est-à-dire vivante. C'est tout le problème de la vraie réforme dans l'Église, qui est toujours en même temps retour aux sources, fidélité à l'Église d'aujourd'hui et sens de ce qu'elle doit créer de neuf pour répondre aux besoins contemporains48.

Historiquement, L. Bouyer dit que la tradition s'est figée en réaction à la Réforme protestante, mais aussi à cause de « l'anarchie intellectuelle de la fin du moyen âge49 ». Ce phénomène s'est même

intensifié dans les dernières générations, au risque d'étouffer ce qu'elle doit défendre. L'enjeu de retrouver la tradition vivante est donc majeur.

Conclusion

Cet article situe la liturgie dans la vie de l'Église, d'abord en analysant quelques principes de son évolution historique, puis en la rapportant au développement du dogme et à son rapport à la vie

46 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 40. 47 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 42. 48 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 43. 49 L. Bouyer, « Où en est ... », p. 44.

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courante. C'est l'occasion pour L. Bouyer de commencer à préciser ce qu'il entend par tradition de l'Église, et d'exposer sa façon d'envisager un travail de fidélité créatrice, en particulier en matière liturgique.

1.5 1951 : « Réflexions sur le mouvement liturgique50 »

Cet article, contemporain du précédent, est plus centré sur l'actualité du Mouvement liturgique en France. L. Bouyer nous propose ici une analyse de la situation, ce qui lui permettra d'exprimer quelques idées maîtresses sur la liturgie, en lien avec ses travaux précédents.

Argumentation

L. Bouyer commence par évoquer le retard initial de la France en matière de Mouvement liturgique, avant d'ironiser sur l'engouement actuel pour la liturgie par nombre de personnes de tous horizons et de compétences variables.

Il situe les débuts de ce mouvement dans les mouvements de jeunesse comme le scoutisme, qui ont retrouvé goût à une liturgie centrée sur l'essentiel et vivante : « ces jeunes ont redécouvert que la célébration eucharistique était un repas sacrificiel collectif51 ». D'autres mouvements, comme la

JOC52, ont proposé de méditer les évangiles, apportant ainsi un élément essentiel pour goûter la

liturgie et retrouver les doctrines bibliques. Une soif d'authenticité s'est manifestée, créant un décalage avec l'héritage baroque, théâtral par nature, et une volonté de retour à une façon plus collective de célébrer la messe. En France, ce mouvement s'est accompagné de la découverte d'un besoin missionnaire qui a favorisé l'assouplissement de la mise en œuvre des règles de la liturgie. Les difficultés de ranimer une tradition figée sont alors apparues : d'innovations plus ou moins heureuses jusqu'au développement de para-liturgies supposées favoriser le retour des personnes à l'Église. Dans les faits, elles ont commencé à se substituer à la liturgie elle-même. On a commencé à considérer des « grands mythes contemporains53 » comme le marxisme comme une actualisation de

la charité, et on a voulu exploiter leur dynamisme pour toucher les masses. La messe, en retour, du

50 L. Bouyer, « Réflexions sur le Mouvement liturgique », Dieu vivant 19 (2e trimestre 1951), p. 81-101.

51 L. Bouyer, « Réflexions sur ... », p. 85. 52 Jeunesse Ouvrière Chrétienne. 53 L. Bouyer, « Réflexions sur ... », p. 91.

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sacrifice de l'unique Rédempteur qu'elle était, a commencé à devenir une sorte de consécration des réalités humaines.

D'autre part, le renouveau liturgique s'accompagne heureusement d'un renouveau biblique et patristique, malgré quelques oppositions. Ce dernier doit d'ailleurs, pour jouer son rôle de régulateur entre les deux autres, s'affranchir de deux problèmes : l'archaïsme, et une actualisation trop rapide des pères. C'est un peu la même chose pour la liturgie : elle est un « donné traditionnel … [qui] fait autorité54 », l'un des trésors les plus précieux de l'Église catholique : il s'agit de la respecter, même si

malheureusement la plupart des catholiques ne sont pas conscients de cela.

Le problème est plus vaste : c'est le christianisme qui est un donné traditionnel qu'il s'agit d'abord de s'approprier pour « rendre témoignage au monde de la vérité55 ». Il est vain de vouloir rénover la

liturgie ou de vouloir convertir le monde sans cela. Il y a une différence entre prier pour le monde, et le canoniser : l'histoire du christianisme primitif le montre très bien.

« La liturgie, c'est la vie intérieure de l'Église. […] Un mouvement liturgique, c'est une redécouverte par l'Église de ses propres richesses, ou ce n'est rien du tout56. » La difficulté, c'est de redécouvrir la

tradition pour « la rendre à nouveau vivante », c'est-à-dire trouver un juste équilibre entre un « fixisme mortel et un évolutionnisme qui n'est qu'un autre nom donné à la décomposition ».

Principaux accents

À travers une présentation de la situation tantôt dramatique, tantôt encourageante, L. Bouyer confirme dans cet article le développement d'un thème central de sa réflexion : celui du retour à la tradition vivante57 de l'Église catholique. Ce retour se heurte à l'ignorance qu'ont beaucoup de

catholiques des richesses de leur propre tradition. Cette ignorance est à l'origine d'initiatives malheureuses en matière de liturgie, qui est un donné traditionnel qui fait autorité et que l'on doit s'approprier avant de prétendre l'adapter. En conséquence, l'auteur dénonce une dérive doctrinale

54 L. Bouyer, « Réflexions sur ... », p. 96. 55 L. Bouyer, « Réflexions sur ... », p. 98. 56 L. Bouyer, « Réflexions sur ... », p. 100-101.

57 Rappelons que L. Bouyer avait donné dans l'article précédent, publié la même année, une définition de la tradition vivante : « la tradition vivante, c'est-à-dire à la vie continuée dans l'Église de ces réalités, de la réalité du mystère chrétien qui fait l'unité du dogme en même temps qu'elle est l'âme de la prière et du culte de l'Église », dans L. Bouyer, « Où en est ... », p. 39.

Références

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