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Nous n'avons malheureusement pu aborder l'anthropologie de L. Bouyer que partiellement, car rendre compte de toutes ses analyses dépasserait le cadre de ce mémoire. La prétention de L. Bouyer n'était pas tant de couvrir avec exactitude l'ensemble des champs qu'il abordait, mais plutôt d'ouvrir des pistes de réflexion70, une étude exhaustive serait par ailleurs d'un intérêt limité du

fait de l'évolution des sciences. Le but étant de rendre compte des relations entre son anthropologie et sa théologie, ce que nous avons évoqué devrait nous permettre, je crois, d'en avoir déjà une idée assez précise.

Puisque nous avons fini notre étude de l'anthropologie de la religion de L. Bouyer par la question du temps, nous allons commencer par voir en quoi la tradition judéo-chrétienne apporte une nouveauté dans la conception du temps, toujours selon L. Bouyer. Ensuite, nous verrons comment l'eucharistie chrétienne peut-être considérée comme un sacrifice parfait. Enfin, nous donnerons quelques exemples où L. Bouyer utilise ses perspectives anthropologiques pour commenter le christianisme.

2.1 L'irruption de Dieu dans l'histoire

La distinction des disciplines, entre anthropologie de la religion et théologie, perd ici de sa netteté. En effet, avec le tournant phénoménologique que L. Bouyer évoque à propos d'Husserl71, c'est l'objet

religieux qui est étudié pour lui-même. Dans le cas du judaïsme, puis du christianisme, c'est donc une forme de théologie chrétienne qui est mise en œuvre puisqu'il s'agit d'étudier l'objet fondamental de cette théologie, sous un angle particulier : celui du développement de la religion dans le temps.

69 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 266.

70 Cette mention dans sa conclusion en témoigne : « Bien loin de prétendre être exhaustif, dans les études mêmes que nous avons esquissées, nous nous sommes simplement proposé de suggérer à d'autres chercheurs l'ampleur et les promesses des voies neuves qui s'ouvrent à eux aujourd'hui. Il va sans dire que ceux qui s'y avanceront trouveront beaucoup à corriger en même temps qu'à compléter, dans nos croquis à vue de pays. Notre souhait le plus sincère est qu'ils le fassent. » (dans L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 284).

Plus précisément, nous allons y découvrir en toile de fond une théologie de l'histoire, en ce que les analyses de L. Bouyer tendent à montrer que les développements de la religion juive puis du christianisme rendent possible et explicitent la foi chrétienne. La difficulté à bien distinguer les champs provient du fait que l'angle d'analyse de L. Bouyer est historique, et que l'histoire a précisément une place majeure dans le développement et le contenu du judaïsme puis du christianisme. Et ce qui donne cette importance à l'histoire, c'est la nouveauté radicale de la parole du Dieu d'Israël qui vient intervenir dans le déroulement de l'histoire des hommes.

La Parole de Dieu

L. Bouyer souligne qu'Israël n'est pas le seul à faire référence à la parole de Dieu, car d'autres religions ont aussi de telles prétentions. C'est dans le contenu de cette parole qu'apparaît l'originalité de la religion en Israël, originalité qui se découvre en la comparant aux religions des alentours. C'est une parole qui prend l'initiative d'aller à la rencontre de l'homme pour ressaisir son histoire et en faire une histoire sainte, Dieu s'affirmant ainsi comme maître et créateur :

Ici, au contraire, qu'il s'agisse de ce qu'on nous rapporte sur Moïse, ou sur les patriarches avant lui, à commencer par Abraham, ou de ce que nous saisissons sans intermédiaire chez les grands prophètes, c'est Dieu, comme on l'a dit, qui, par sa parole, met l'homme en question. Elle intervient, transcendante, déchirante, dans la trame des affaires humaines, comme pour la prendre en main, et d'une main qui s'avère main de maître. Ceux à qui cette parole est adressée, et, avant eux, ceux qu'elle a choisi pour ses instruments, loin de paraître suspects de la solliciter, en sont déconcertés, voire atterrés. À tous plus ou moins elle paraît dire ce qu'un Paul de Tarse entendra : « Il te serait vain de regimber contre l'aiguillon », cependant qu'ils murmurent eux-mêmes : « Cette parole est dure, qui peut la supporter? » La parole divine a repris l'initiative dans le dialogue avec l'homme, et cette initiative ne se discute pas72.

Cette parole vient briser la perception cyclique du temps car elle vient apporter une nouveauté radicale : Dieu se révèle au fur et à mesure qu'il accomplit son dessein. Cette parole ne renie pas les paroles des autres religions, mais souligne leur ambiguïté, les dieux des oracles païens apparaissant comme des puissances constitutives de l'univers prétendant prendre la place du Dieu unique, entraînant l'homme dans leur chute. Par sa parole, Dieu commence à reconquérir le monde, mais de l'intérieur, en lui redonnant son sens et en préparant la voie à la rédemption :

Là pourtant où cette parole a retenti dans toute sa pureté, dans une plénitude peu à peu dégagée, on pressent combien seront radicales les transformations qu'elle apportera. Elle n'évacue pas les matériaux des anciens mythes : comment le ferait-elle sans évacuer toute possibilité d'une appréhension humaine du sacré? Elle les prend plutôt à son compte, mais elle les refaçonne suivant le dessein révélé. Au lieu de se borner à redire une fois de plus, fût-ce avec une clarté jamais connue jusqu'alors, la divine origine du monde en général et de la vie humaine en particulier, elle va y dessiner l'histoire sainte. Elle va proclamer que Dieu, dans l'histoire de l'homme s'éloignant de ses origines, s'est réintroduit, a repris en main son ouvrage adultéré73.

Un fruit de ce processus de préparation, la berakah, apparaît comme une prière particulière qui va servir de préparation au christianisme : « Elle est confession (ἐζομολὀγησις) au sens biblique, proclamation dans la louange des mirabilia Dei, qui, loin de nous replier sur nous-mêmes et sur la seule satisfaction de nos propres intérêts, doit nous ouvrir et nous dilater dans l'acceptation enthousiaste des desseins de Dieu74. » Elle va participer à la rénovation de la sacralité des repas

festifs, « esquissant et présageant le banquet messianique annoncé par les prophètes75. » Mais elle

va surtout récapituler et célébrer l'attente de l'achèvement des desseins divins, attente appuyée sur l'expérience de l'action de Dieu dans l'histoire qui s'est constitué un peuple à cette fin :

C'est là qu'est formellement reconnue, dans toute son ampleur, l'action rédemptrice du Dieu créateur qui s'est choisi, préparé, constitué, consacré son peuple à travers toute l'histoire sainte, en se faisant connaître à lui par sa parole. C'est là surtout que ce peuple, comme dans son extrême pointe, prenant collectivement conscience des ultimes et imminentes réalisations des desseins divins, s'y livrera, s'y consacrera sans réserve76.

La berakah se termine tout naturellement par une supplication : celle de l'achèvement par Dieu de ses desseins. Nous sommes alors au seuil du christianisme.

La caractéristique de l'irruption de Dieu dans l'histoire par sa parole est donc décrite comme éminemment respectueuse de la dimension religieuse de l'homme, mais assumée d'une façon géniale, voire divine, et créatrice. Et cette façon d'épouser cette dimension de l'homme ne se borne pas aux mythes et à la prière, elle va aussi s'étendre aux rites.

73 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 160-161. 74 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 164. 75 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 167. 76 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 167-168.

La transformation des rites

Cette irruption de la parole de Dieu dans l'histoire va affecter les rites, non pas tant d'abord dans leur forme, que dans leur signification profonde :

L'action rituelle ne sera donc plus une simple réminiscence de l'acte créateur, sous- jacent à l'histoire tout entière, mais démenti ou désavoué par le cours de celle-ci. Elle se référera maintenant à l'intervention personnelle, intervention salvatrice, rédemptrice, du Dieu qui a parlé pour annoncer son dessein de ressaisir sa Royauté sur le monde, et qui, du même coup qu'il l'annonçait, commençait à la restaurer par sa venue77.

Il ne s'agit plus tant de chercher à s'insérer dans une éternité cyclique, que de participer à l’œuvre de Dieu qui intervient dans l'histoire. Les rites d'autres religions sont assumés eux aussi par le judaïsme, mais après un processus de purification. Par exemple, lorsque L. Bouyer analyse les rites sacrificiels, il présente l'intégration des rites sacrificiels cananéens par Israël comme une évolution : l'effort prophétique va viser à préserver les rites de leur manipulation magique. Ils ne sont reconnus par la religions juive qu'en tant que « prescrits souverainement par Dieu78 ».

L'origine de la notion de péché

En analysant les sacrifices rituels, rites par excellence, L. Bouyer souligne que ceux-ci impliquent une forme de pureté rituelle qui, en Israël, s'explicitera à partir de la notion de péché. Il souligne que le sacrifice n'est pas en lui-même une question d'expiation du péché : « En fait, dans les perspectives bibliques tout comme dans celles des plus diverses religions naturelles, le sacrifice n'est pas essentiellement lié au péché79. » Pour montrer cela, il analyse des rites d'expiation, en soulignant que

cette question n'est pas propre à Israël, mais que cette notion de péché exprime « en Israël simplement avec une clarté remarquable des réactions les plus primitives de la conscience religieuse80. » Si le péché est d'abord une question rituelle, il est surtout lié à la conscience de notre

inadéquation au divin :

La racine rituelle, sacrale, de l'idée de péché, c'est le sentiment de la transcendance radicale de Dieu à l'homme, éprouvée dans tout ce qui amène l'homme à fréquenter le divin. C'est comme la contrepartie de la familiarité sainte à laquelle l'homme est appelé dans le sacrifice, et ce qui préserve cette familiarité de tourner à la profanation. De soi,

77 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 161. 78 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 131. 79 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 124. 80 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 125.

l'homme est et se sent, le rituel expiatoire le lui rappelle sans cesse, radicalement inadéquat au contact avec le divin qui doit s'opérer dans le sacrifice81.

Ainsi, ce n'est pas tant le sacrifice qui purifie du péché, qu'un rite expiatoire qui, en purifiant l'être humain du péché, le rend apte au contact divin par le sacrifice.

La moralisation du sacré

Un autre phénomène qui mérite d'être explicité dans le judaïsme concerne le lien entre le sacré et la morale. L. Bouyer, dans un chapitre portant sur l'espace sacré, parle, à propos de la vision d'Isaïe dans le Temple (Is 6), d'une « identification de la sainteté divine avec une exigence de justice82 ». Il

compare cela à l'évolution de la pensée grecque avec l'exigence morale que représente Socrate : « Mais la différence, trop souvent perdue de vue, est qu'en Israël nous avons une sacralisation de la morale bien mieux qu'une moralisation de la religion, qui dissoudrait la personnalité divine dans un principe abstrait d'éthique. » Selon notre auteur, la différence principale résiderait dans le fait que la source de la morale n'est pas à chercher, en Israël, dans un principe abstrait, mais qu'elle proviendrait du Dieu qui a commencé à se manifester dans l'histoire. À partir de la vision de l'ange purifiant les lèvres du prophète, il précise que « La sainteté consumante du Dieu d'Israël est elle- même ce qui rendra saint comme Il est saint un peuple de pécheurs83. » Le Dieu qui intervient dans

l'histoire est déjà perçu par le prophète comme celui qui réalisera lui-même cette exigence de sainteté à laquelle il appelle son peuple. Ceci prépare aussi la voie au christianisme.

2.2 La perfection du sacrifice eucharistique

L'anthropologie de la religion développée par L. Bouyer permet de présenter la religion juive comme un développement particulier des capacités pour l'homme d'entrer en relation avec le sacré. Ce développement comporte une nouveauté radicale qui vient modifier le rapport au sacré : c'est Dieu lui-même qui intervient dans l'histoire humaine. Cette intervention va rompre la conception cyclique de l'éternité à laquelle les êtres humains aspirent, en donnant un sens à l'histoire qui ne peut plus alors se répéter. Cette rupture radicale va entraîner à sa suite une modification du sens des rites, et une réaffirmation de leur origine divine. D'autres aspects seront aussi colorés par cette nouveauté

81 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 126. 82 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 226. 83 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 227.

radicale, tels que la pureté rituelle qui prend une expression particulièrement claire en Israël avec la notion de péché, ou bien le rapport de la religion à la morale qui proviendrait d'une exigence de justice associée à la sainteté du Nom divin.

L'institution de l'eucharistie par le Christ, dans la même logique, n'est pas une création ex nihilo. Tout d'abord, notons que la dimension sacrificielle est assurée par le fait qu'il s'agit d'un repas : « Étrange méconnaissance chez les uns et les autres à la fois de l'ancienne tradition chrétienne et de la pratique humaine universelle : c'est tout au contraire parce que l'eucharistie était le repas sacré de la communauté chrétienne que l'antiquité unanime y avait vu le sacrifice des chrétiens84. » Le Christ

instaure l'eucharistie au cours d'un banquet religieux juif auquel il va donner un sens nouveau, ou plutôt en révéler le sens profond en l'accomplissant parfaitement. C'est Dieu lui-même, sa parole faite chair, qui va accomplir définitivement sur la Croix ses desseins salvifiques :

Lorsqu'à la Cène il se lève, il prend dans ses mains le pain et il le rompt, puis il prend la coupe de bénédiction, et il les distribue comme les signes efficaces de son corps brisé et de son sang répandu, efficaces puisque donnés par la Parole divine se faisant chair jusqu'à prendre sur elle toute l'infirmité de notre chair. L'eucharistie qu'il prononce alors consomme donc tout ce à quoi tendaient toutes les berakoth juives, et particulièrement la berakah des repas rituels dans les communautés de l'alliance messianique.

La reconnaissance du Nom divin communiqué à l'homme, du dessein divin sur l'homme s'y fait parfaite, puisqu'elle est celle d'un homme qui est Dieu fait homme. Dans la Parole faite chair, la réponse de l'homme à la Parole de Dieu adhère enfin parfaitement à cette Parole elle-même85.

Dans ce rite, ce n'est plus une action humaine obéissant à un précepte divin, c'est Dieu lui-même qui agit. La réponse parfaite de l'homme-Dieu à la Parole de Dieu provient du fait qu'à la Cène, le Christ assume le don de soi jusqu'à la croix. Mais cette action divine n'est pas réservée à la seule Cène, ou à la Passion qui va suivre. Si, selon L. Bouyer, tous les rites sont considérés comme d'origine divine par ceux qui les font, le christianisme n'échappe pas à cette règle, bien au contraire : « Le christianisme, loin de faire exception à cette règle, n'en est qu'une réalisation transcendante. Tel y est le vrai sens de l'institution des sacrements par le Christ et de cette conviction inhérente au sacramentalisme catholique qu'ils agissent ex opere operato, c'est-à-dire parce que le Christ en reste le véritable célébrant86. » Lorsque les sacrements sont célébrés par la suite, la conviction de la foi

84 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 119. 85 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 169-170. 86 L. Bouyer, Le rite et l'homme …, p. 97.

catholique est que c'est toujours le Christ qui les célèbre. Et en particulier dans l'eucharistie, ce qu'il célèbre, c'est le don parfait de lui-même pour la rédemption des hommes, don qu'il a scellé sur la croix, et dont il veut nous faire bénéficier par la célébration de l'eucharistie. C'est précisément cela qui fait de la célébration eucharistique le sacrifice parfait : c'est une action rituelle accomplie par l'homme-Dieu à laquelle nous sommes invités à nous associer pour bénéficier des effets de l'acte rédempteur de la croix.

Remarquons ici que l'analyse anthropologique conduit à des affirmations indissociables, dans leur énoncé, d'une approche théologique. En effet, si l'approche phénoménologique s'intéresse avec sympathie à l'objet de la religion qu'elle étudie, cette sympathie se traduit ici par le fait de considérer les rites sous l'angle de la foi. La phénoménologie ne se prononce pas ici sur la vérité de la foi, mais, en formulant ses conclusions, elle coïncide avec les affirmations de la théologie. C'est ce qui rend la distinction entre les deux délicates, la différence principale résidant dans le fait que l'une affirme une vérité de foi, tandis que l'autre ne cherche qu'à décrire les conséquences de la croyance. C'est peut- être aussi ce qui justifie d'un point de vue anthropologique la conviction de L. Bouyer que l'accomplissement de la religiosité de l'être humain se trouve dans le christianisme, car sous l'angle de la foi chrétienne, et plus précisément dans ce cas la foi catholique, cet accomplissement a l'air parfait aussi d'un point de vue anthropologique.

2.3 Une relecture de certains aspects du christianisme

Cette dernière distinction entre foi chrétienne et foi catholique peut nous introduire au dernier sujet que nous allons traiter, car il apparaît de façon récurrente dans les analyses de L. Bouyer. Il s'agit de l'altération du christianisme au cours du temps, envisagée du coté catholique, mais aussi du côté de la Réforme protestante. Il n'y a pas, dans notre corpus, d'analyse spécifique à ce sujet87, mais

L. Bouyer fait parfois des parallèles qui nous permettent d'avoir un aperçu de sa pensée. Ceci nous permettra d'illustrer l'apport de l'anthropologie dans son analyse des pratiques religieuses chrétiennes. Nous allons voir brièvement comment son anthropologie lui permet de faire une critique de la période précédant la Réforme, puis de certains aspects de la Réforme elle-même. Nous

87 Pour une connaissance plus complète de la pensée de l'auteur sur ce sujet, et en particulier sur la question de la Réforme, nous renvoyons le lecteur à un ouvrage qu'il a dédié à ce sujet : L. Bouyer, Du protestantisme à l'Église, Paris, Éditions du Cerf (coll. Unam Sanctam 27), 1954.

terminerons par sa critique des positions de Bultmann que nous avons abordée précédemment afin de montrer que ses perspectives dépassent largement le cadre des pratiques rituelles.

Le Moyen âge

Du point de vue religieux, et même plus spécifiquement rituel, le Moyen âge apparaît comme une période de lente dégradation du rapport entre la parole et le rite dans le christianisme88. Au point de

départ, la permanence du latin dans les rites, dans une société qui ne le comprend plus, est perçue comme une cause de la dégradation de la religion en pratique superstitieuse89 : « Au moyen âge,

quand peu de gens, même parmi les prêtres, comprenaient le latin, la pente était de faire de la liturgie quelque chose qui se passe dans l'incompréhensible, quelque chose à quoi la masse des gens assiste mais n'a pas à prendre part : quelque chose qui, pour le prêtre lui-même, sort de ses mains, mais comme par quelque prodige qui lui échappe90. » L'action tend à ne devenir que

purement rituelle, mais par là-même elle se « déshumanise » et « cesse d'être authentiquement religieuse. »

Mais l'usage du latin n'est pas la seule cause de la dégradation de la pratique religieuse : « L'usage d'une langue morte, et surtout l'application au christianisme de catégories de pensée qui s'écartent