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Approche d'une compréhension des classificateurs vietnamiens au travers d'un roman français

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Master 2 Recherche Langues Littératures, Civilisations Étrangères et Régionales Études Vietnamiennes

Master mutualisé (Paris Diderot-INALCO)

Session 1

MÉMOIRE DE RECHERCHE MASTER 2

« Approche d’une compréhension des classificateurs vietnamiens

au travers d’un roman français »

Bich Hanh - LE

N° Étudiant 21507905

Sous la direction de : M. DAO Huy Linh, Maître de Conférences

Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO)

Soutenance : Juin 2018

Année universitaire

2017 / 2018

Université Paris Diderot - Paris 7 UFR LCAO Langues et Civilisations de l’Asie Orientale

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1

Remerciements

En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce mémoire.

Je tiens à remercier tout particulièrement mon Directeur de mémoire, Monsieur DAO Huy Linh, pour son accompagnement infaillible, pour sa rigueur scientifique et ses critiques constructives, ainsi que pour ses idées stimulantes et ses conseils judicieux tout au long de l’élaboration de mon mémoire. Qu’il trouve ici ma profonde gratitude pour la bienveillance et la disponibilité qu'il a su me témoigner malgré son emploi du temps bien chargé. Merci également pour la confiance qu’il m’a accordée, pour ses qualités d’écoute, ses encouragements et sa patience ; et surtout pour son exigence qui me pousse à me dépasser. Je lui suis très reconnaissante d’avoir consolidé mes connaissances en linguistique.

Je souhaite également adresser ma reconnaissance à Madame LÊ THI Xuyen, Monsieur Emmanuel POISSON, Madame DOAN Cam Thi et Madame Marie GIBERT-FLUTRE qui m’ont encouragée dans la poursuite du Master et ont assuré les formations théorique et pratique de celui-ci.

Ensuite, je tiens à remercier mes amis vietnamiens et français LE Lan Kim, TRAN Ha Thu, PHAM Thu Hong, Richard MCKEE, LAPETINA Ngan, Catherine FEUILLET, Pascal PRIET, Raymond LEVANT pour la relecture de mes travaux et pour leurs conseils pertinents.

Enfin, je n’oublie pas de remercier mon mari et mes enfants pour leur soutien moral et leurs encouragements. Ils m'ont toujours soutenue et encouragée au cours de la réalisation de ce mémoire.

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2

Résumé

L’objectif de ce mémoire est d’expliquer les fonctions des classificateurs vietnamiens par le biais d’une traduction, en vietnamien, d’un roman écrit en français, langue a priori sans classificateur. Après avoir exposé une approche générale et des points de vue de quelques linguistes sur les classificateurs vietnamiens, nous faisons le choix d’examiner, dans la traduction du livre, les classificateurs génériques « cái » et « con » ainsi que deux classificateurs spécifiques « sự » et « việc ». L’analyse de ces classificateurs fait ressortir que « con » ne peut pas nominaliser les verbes, à l’inverse de « cái », « sự » et « việc » qui, eux, peuvent le faire. De plus, pour approfondir l’analyse de ces deux derniers classificateurs, « sự » permet de créer des concepts généraux ou abstraits. Quant à « việc », il est utilisé dans le cadre des actions ou des affaires spécifiques ou encore des évènements. De plus, «việc» est l’unique classificateur qui peut nominaliser une proposition. Enfin, pour ce qui concerne « cái », tout dépend de sa position dans le groupe nominal. En effet, par rapport à cette position, le marqueur « cái » présente de nombreuses fonctions notamment celle de lexème nominal, ou encore, de classificateur pré-nominal et, enfin, de focalisateur. Cette poly-fonctionnalité de « cái » qu’on ne retrouve pas chez les autres classificateurs étudiés, illustre-t-elle l’omniprésence et l’omnipotence du marqueur « cái » dans l’utilisation des classificateurs vietnamiens ? Si tel est le cas, nous pouvons nous demander si d’autres fonctions inconnues n’ontpas échappé à notre réflexion.

Mots-clés : Groupe nominal, classificateur, déterminant nominal complexe, nominalisateur, focalisateur, vietnamien, traduction.

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3

Abstract

The objective of this thesis is to explain the functions of the Vietnamese classifiers through a translation into Vietnamese of a novel written in French, the language which has no classifiers. After outlining and examining a general approach and points of view of some linguistics on Vietnamese classifiers, we decided to study, in the translated version of, the generic classifiers “cái” and “con”, and also the specific classifiers “sự” and “việc”. The analysis of these classifiers shows that “con” cannot nominalize verbs, contrary to the classifiers, “cái”, “sự” and “việc”, which themselves, can do. In addition, to analyse more in depth these two latter classifiers, “sự” can create general or abstract concepts or events, while “việc” is used in the context of actions or specific cases. Moreover, “việc” is the only classifier that can nominalize a proposition. Finally, what related to "cái" depends on its position in the nominal group. That is to say, according to its position, the marker “cái” presents numerous functions, especially those of nominal lexeme or of the pre-nominal classifier, and finally of the focus marker. Does this multi-functionality, which we cannot find in other classifiers studied, illustrate the omnipresence and omnipotence of the marker “cái” in Vietnamese? If it is the case, we wonder if there are unknown functions, which escaped our reflection.

Keywords: Nominal group, classifier, complex nominal determinant, nominator, focuser, Vietnamese, translation.

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4

Liste des abréviations

C Complément (d’objet) CL Classificateur CLn Classificateur nominal CL spé Classificateur spécifique CLv Classificateur verbal CN Classificateur + Nom DEICT Déictique Dém Démonstratif

EFEO EcoleFrançaise d’Extrême Orient FOC Focalisateur

Fig Figure

INALCO Institut National des Langues et Civilisations Orientales

N Nom

Nu Numéral

NXB Nhà Xuất Bản

NXBKHXH Nhà Xuất Bản Khoa Học Xã Hội PRON Pronom

PROP Proposition RIEN Non classificateur Q Quantificateur Qlt Qualification Qnt Quantification QT Quantifiabilisation S Sujet SN Syntagme nominal V Verbe VA Verbe d’action VE Verbe d’état

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Table des matières

Remerciements ... 1

Résumé ... 2

Liste des abréviations ... 4

Introduction ... 7

PARTIE I. Introduction aux classificateurs en vietnamien ... 11

Chapitre I. Approche générale des classificateurs ... 11

I.1 Définition ... 11

I.2. Introduction des classificateurs en vietnamien ... 12

I.3. Rôle des classificateurs vietnamiens dans la phrase ... 20

I.4. L’illusion des classificateurs ... 31

Chapitre II. Approche particulière : points de vue de quelques linguistes sur les classificateurs vietnamiens ... 35

II.1 Lê Văn Lý ... 35

II.2 Nguyễn Phú Phong ... 38

II.3. Thompson (1965) ... 41

II.4. M. B. Emeneau ... 43

II.5. C. Grinevald et W. Bisang ... 45

II. 6. Synthèse personnelle ... 51

Partie II. Analyse des classificateurs au travers d’un roman français ... 56

Chapitre I. Choix du roman ... 56

I.1 Particularités et liens avec le sujet ... 56

I.2 Résumé du roman « L'homme qui voulait être heureux » ... 58

Chapitre II. Le Français, langue à classificateurs? ... 60

II.1. Approche ... 60

II.2. Comparaison entre les déterminants français précités et les classificateurs vietnamiens ... 64

(7)

6 Chapitre III. Caractéristiques générales des classificateurs « Cái », « Con », « Sự »,

« Việc » ... 68

III.1 Classificateur « Cái » ... 69

III.2. Classificateur « con » ... 75

III.3. Classificateur « sự » ... 78

III.4. Classificateur « việc » ... 79

Chapitre IV. Analyse des classificateurs précités dans le corpus ... 82

IV.1. Analyses du mot « cái » dans le corpus ... 82

IV.2. Analyse du mot « con » dans le corpus ... 88

IV.3. Analyse du mot « sự » dans le corpus ... 94

IV.4. Analyse du mot « việc » dans le corpus ... 99

IV.5. Analyse-synthèse des classificateurs « cái », « con », « sự » et « việc » dans le corpus ... 102

Chapitre V. Comparaison de la synthèse des classificateurs entre la théorie et dans le corpus ... 104

V.1. Fonctions des classificateurs dans la partie théorique (tableau 1) ... 104

V.2. Analyse des classificateurs dans le roman (tableau 2) ... 104

V.3. Comparaison des deux tableaux ci-dessus ... 104

Conclusion ... 109

Bibliographie ... 112

(8)

7

Introduction

Après onze siècles de colonisation par la Chine, le Vietnam, devenu indépendant en 939, n’est pas parvenu à se libérer de l’emprise de la langue et de l’écriture chinoises qui ont continué à occuper sans partage la place officielle. En effet, du point de vue intellectuel et moral, les religions et les doctrines philosophiques vinrent modifier l’esprit vietnamien. L’instruction en chinois se répandit et le chinois classique hán fut employé comme langue officielle dans des domaines comme l’administration, de l’éducation, de la philosophie, des études historiques, médicales et notamment de la création littéraire des milieux cultivés. Il en résulte une proportion élevée de termes hán ainsi que l’adoption de certaines règles syntaxiques du hán. Si les idéogrammes sont communs, la prononciation est différente du chinois courant. Le hán s’est alors vietnamisé pour s’intégrer complètement à la langue. Au 10ème siècle, l’indépendance nationale une fois reconquise, le Vietnam devenant un Etat centralisé et bien qu’ayant sauvegardé son originalité culturelle a quand même assimilé une bonne partie de la culture chinoise. Les apports du chinois dans la langue vietnamienne furent nombreux et variés, formant un vocabulaire appelé sino-vietnamien. Ainsi naquit le nôm. Tout en se servant du hán comme langue officielle, le peuple vietnamien créa une écriture spéciale, le nôm, pour transcrire la langue nationale populaire. Le nôm est donc construit sur le modèle chinois, transcrit à la vietnamienne. La fin du XIXe siècle et le début du XIXe siècle furent marqués par les romans en vers nôm de six-huit (lục bát) tels que Hoa-tiên et le Kim-Vân-Kiều de Nguyễn Du, considéré comme le grand chef d’œuvre national du Vietnam. Sur le plan linguistique, le hán (chinois) et le nôm coexistent pendant des siècles. Durant les XVIIe et XVIIIe siècles la littérature en langue chinoise et en

nôm fut abondante et variée. D’après Maurice Durand, la langue vietnamienne étant sans

cesse enrichie et dégagée de l’influence chinoise vers la moitié du XIXe siècle, est prête à se transformer sous la forme du quốc ngữ qui sera divulgué dans toutes les classes sociales. Le nôm fait place peu à peu au quốc ngữ pour disparaître au XXe siècle. Bien que l’invention du quốc ngữ soit sujet à controverse, on peut dire que le Père A. de Rhodes a joué un rôle capital dans cette création continue que fut le quốc ngữ (transcription en alphabet latin de la langue vietnamienne populaire et savante). C’est lui, par ses publications, qui a systématisé, perfectionné et vulgarisé le nouveau mode d’écriture romanisé. Or, à partir

(9)

8 de 1862, à la conquête du Vietnam par les Français, ceux-ci ont apporté, comme le firent naguère les chinois, leur langue, leur religion et leur culture. La colonisation française n’a duré qu’un siècle mais elle a laissé une empreinte forte sur le plan du langage et de la culture. Confronté à deux grandes langues de civilisation (le hán et le français), le vietnamien s’est enrichi de vocables nouveaux. En 1919, le quốc ngữ devint l’écriture nationale. Ce n’est qu’en 1945 que le quốc ngữ franchit un pas décisif. Pour la première fois dans l’histoire du pays, le quốc ngữ fut décrété langue nationale et officielle pour l’administration et véhiculaire pour tout le système d’enseignement.

Cette description succincte de la constitution de la langue vietnamienne n’est pas, pour notre part, anodine et inutile car elle sera le point de départ de notre mémoire.

Aussi, la langue vietnamienne telle qu’elle existe de nos jours est un patrimoine culturel longuement formé, transformé et adapté au fil du temps à travers l’histoire et l’édification du pays. La langue vietnamienne est, à la base, majoritairement monosyllabique et tonale (six tons) avec des signes diacritiques, ce qui donne au vietnamien une grande musicalité. Elle est assez pauvre en termes abstraits mais très riche pour la dénomination des choses concrètes et des sentiments plus nuancés. Sa grammaire repose sur une structure de la forme « Sujet + verbe + complément » ou SVO. Il n’y a pas d’articles, ni même de singulier et de pluriel. De plus, les verbes ne sont pas conjugués. Il y a de nombreuses subtilités au niveau de la façon de s’adresser à un interlocuteur. Par contre, il existe des classificateurs qui identifient la catégorie des noms qu’ils accompagnent.

« Classificateur », voici le mot qui sera la clé de voûte de notre mémoire. De nombreux linguistes dont d’illustres vietnamiens tels que Trương Vĩnh Ký, Lê Văn Lý, Nguyễn Phú Phong et bien d’autres ont travaillé et mené des recherches sur les classificateurs. Cependant, aucun consensus ne s’est dégagé des études de ces experts. Il est vrai que le sujet est complexe. On peut donc comprendre les difficultés rencontrées lors d’une traduction du français, langue considérée comme sans classificateurs vers le vietnamien, langue à classificateurs, par excellence. En nous appuyant sur les travaux des spécialistes, ceci pourra nous aider à avoir une meilleure perception du mot et du concept. Pour cela, nous pensons qu’expliquer les classificateurs vietnamiens par le biais d’une œuvre littéraire

(10)

9 française traduite en vietnamien pourrait apporter une certaine originalité. Aussi, nous pouvons proposer le sujet suivant :

« Approche d’une compréhension des classificateurs vietnamiens au travers d’un roman

français » avec comme problématique : « Pourquoi la traduction vers une langue à classificateurs comme le vietnamien est-elle si complexe ? »

Pour ce faire, notre support d’étude sera un roman de Laurent Gounelle intitulé : « L’homme

qui voulait être heureux », qui est traduit en vietnamien. Nous travaillerons sur la traduction

de ce roman pour éclairer et expliquer les diverses utilisations des classificateurs. Le choix de ce roman repose sur la personnalité de l’auteur qui a vécu pendant 20 ans dans la région centrale du Vietnam. Nous nous sommes demandé si cette situation de l’auteur avait une résonance sur sa façon de penser donc sur son écriture qui dégagerait une empreinte quelconque du pays.

Cependant fort de riches expériences de vie, Laurent GOUNELLE a écrit un roman initiatique qui entre dans la catégorie du développement personnel. L’utilisation d’un vocabulaire tant philosophique que psychologique dans ce roman présente un défi particulier quant à la traduction en vietnamien notament avec l’emploi des classificateurs. Notre mémoire s’appuiera sur deux parties.

Dans la première partie, nous présenterons une approche générale des classificateurs vietnamiens avec leur définition et leur rôle dans la phrase. Nous examinerons aussi les exceptions engendrées par ces classificateurs en nous demandant en quoi, ces derniers pourraient nous conduire vers une illusion quant à leur fonction. Ensuite, dans une approche particulière, nous dresserons succintement le point de vue de linguistes tant

vietnamiens anciens (Lê Văn Lý, Nguyễn Phú Phong, …) qu’étrangers contemporains (C. Grinevald, W. Bisang, …) sur ces classificateurs. Cependant, nous ne perdons pas de vue

notre objectif qui est de tendre vers une traduction la plus fidèle possible d’un texte français en vietnamien avec les subtilités de cette langue que sont les classificateurs. Aussi, nous concluerons cette première partie en dressant une synthèse personnelle sur la spécificité et la complexité dégagées par les classificateurs vietnamiens.

(11)

10 La seconde partie traitera de l’analyse des classificateurs au travers du roman précité. Après un résumé de ce roman, nous analyserons les classificateurs génériques « cái » et « con » contenus dans un extrait de la traduction en vietnamien. Dans ce même extrait, nous ferons le choix d’examiner les classificateurs « sự » et « việc » qui illustrent, de notre point de vue, les classificateurs spécifiques pouvant nominaliser les verbes.

Dans la conclusion générale, nous ferons la synthèse des éléments de réponses sur la problématique qui ont été avancés tout au long du mémoire.

(12)

11

PARTIE I. Introduction aux classificateurs en

vietnamien

Chapitre I. Approche générale des classificateurs

I.1 Définition

Dans la plupart des langues asiatiques, une des difficultés rencontrées et que l’on doit résoudre se trouve dans l’existence des classificateurs1. Ces langues, qui ne possèdent pas d’articles, ont recours à une construction qui leur est propre qu’on appelle « classificateurs » afin de nommer les divers objets de la vie courante. Selon Mottin2, un classificateur est un mot précédant un nom pour en préciser la catégorie sémantique (par exemple la forme de l’objet) dans certains cas particuliers. Il s’emploie pour les êtres vivants ou les choses au singulier, et pourrait alors se traduire par « le » ou « la » en français. D’après le dictionnaire de Linguistique de Dubois3, un classificateur est un affixe morphème utilisé pour indiquer la classe d’un mot. Certains noms n’ont pas besoin de classificateurs et inversement, certains noms peuvent prendre plus d’un classificateur. Les classificateurs sont toujours placés dans le même groupe nominal que le nom qu’ils qualifient. Ils ne forment jamais d’unité morphologique avec le nom et il n’y a jamais d’accord avec le verbe. Les classificateurs existent notamment en chinois, en thaï, en vietnamien, en birman et plus largement dans les langues sino-tibétaines ainsi que les langues altaïques comme le

japonais ou le coréen. Encore d’après Mottin, le classificateur se limiterait à marquer le

singulier alors que dans certaines langues, par exemple, le bantou il sert à marquer le singulier ou le pluriel.

1 « En vietnamien, les classificateurs constituent des groupes servant à mettre en relief le caractère personnel des êtres et des choses.

Ils se répartissent en trois catégories : les classificateurs employés devant un nom de personne, ceux employés devant des noms indiquant des objets et enfin ceux employés devant des noms référant à la faune et à la flore. » Catherine Bouthors-Paillart in « Duras la métisse : Métissage fantasmatique et linguistique dans l’œuvre de. »

2 Mottin : (1929- 1984) Missionnaire - Linguiste et ethnologue, p135. 3

Jean DUBOIS, Mathée GIACOMO, Louis GUESPIN, Christiane MARCELLESI, Jean-baptiste MARCELLESI, Jean-pierre MÉVEL,2002, Dictionnaire de linguistique, p88, Larousse-Bordas, 514p.

(13)

12 Il faut se garder de toutes affirmations catégoriques sur le rôle des classificateurs car les fonctions de ceux-ci ne sont pas si aisées à définir.

La langue vietnamienne connaît un très grand nombre de classificateurs. Ils sont en majorité d’origine nominale, quelques-uns sont d’origine verbale tels que chồng, xâu,

khoanh, xếp….

La grande capacité d’osmose entre le N et le Cl conduit à ce que les classificateurs fassent partie d’une classe lexicale ouverte et faisant d’eux des mots-outils dans la grammaire. Ces classificateurs ne sont pas des éléments de forme lexicale comme les N, noms, ou les V, verbes, même s’ils possèdent une origine nominale ou verbale. Ce sont des éléments grammaticaux qui sont lexicalement plus nombreux. Les classificateurs en vietnamien accompagnent souvent des noms ou des catégories syntaxiques. Ils se trouvent toujours avant les noms qu’ils accompagnent de la même façon que les déterminants en français sachant que leur rôle est bien distinct que celui des déterminants en français.

Examinons maintenant les classificateurs vietnamiens.

I.2. Introduction des classificateurs en vietnamien

I.2.1. Approche théorique

Faisant partie des langues isolantes de l’Asie du Sud-Est, le vietnamien, d’après Cao Xuân Hạo (1998), possède une grande quantité de noms massifs estimée à 90 % des noms. Cao Xuân Hạo précise qu’en vietnamien le nom massif (Nm) est utilisé pour nommer une espèce, une substance ou une qualité. Or, les noms qui sont sans contexte ont la possibilité de recevoir plusieurs interprétations. C’est pour cela que les noms massifs pour être individualisés, c’est-à-dire être dénombrables, ont besoin de recourir à des classificateurs. Nous étudierons dans cette partie les classificateurs en vietnamien dans leur contexte général en dégageant leurs différentes catégories sachant que le nombre important de ces classificateurs ne nous permet pas un examen exhaustif de chacun d’eux. Le rôle des principaux classificateurs en vietnamien sera traité en aval de ce mémoire.

(14)

13 Les classificateurs constituent une classe ouverte dont les appellations nombreuses et diverses reflètent une instabilité ou une divergence dans leur définition et leur fonction auprès des linguistes. En nous appuyant sur la structure du syntagme nominal (SN) et ses constituants : SN : Nu CL N Dém (Nu : numéral, Cl : classificateur, N : nom, Dém : démonstratif) nous essaierons d’expliquer la nature de la fonction des classificateurs. Par exemple, Lê Văn Lý (1948) définit les classificateurs comme étant des mots-témoins pour la classe des noms. Il reconnaît que les classificateurs servent d’indicateurs morpho-syntaxiques pour définir le nom. De ce point de vue, pour Lê Văn Lý, le classificateur est un satellite du nom. Pour L.C. Thompson (1965) les mots témoins sont répartis en deux sous-classes : les « general categoricals » et les « classifiers »4. Ainsi pour lui, dans la séquence Cl N, ce n’est pas la relation « déterminé-déterminant » qui prime mais bien l’inverse, donc une relation « déterminant-déterminé ». Concrètement, au niveau de l’analyse structurale du syntagme nominal, pour Lê Văn Lý, le Cl étant un morphème grammatical, c’est donc le N qui en est le noyau (Fig 2). Pour L.C. Thompson, le Cl s’avérant être un élément lexical plein, il est justifié qu’il soit l’élément principal du groupe nominal (Fig 3).

(Fig 2)5

SN

Dét N

Q Cl

Source : Nguyễn Phú Phong, Questions de Linguistique Vietnamienne. Les classificateurs et les déictiques, P.13.

4

THOMPSON Laurence C, 1965, A Vietnamese Grammar, p179, Seattle & London, University of Washinton Press, 386p.

5NGUYEN Phu Phong, 1995, Questions de linguistique vietnamienne. Les classificateurs et les déictiques, p10, Paris,

(15)

14 (Fig 3) SN Dét N Q Cl Complément N’ N’’

Source : Nguyễn Phú Phong « Questions de Linguistique Vietnamienne. Les classificateurs et les déictiques. P.13.

En prolongeant l’étude du classificateur sous l’angle du nom, nous ne pouvons occulter les recherches de Nguyễn Tài Cẩn. Ce dernier qui est distributionnaliste comme Lê Văn Lý et L.C. Thompson, trouve que dans le syntagme nominal (SN), il y a différentes positions correspondant à divers types de déterminants.

Des études récentes ont démontré que « cái » en effectuant sa fonction de focalisation précède l’ensemble CL + noyau nominal. Pour avoir une vue synthétique du syntagme nominal, nous présentons le tableau suivant6.

Éléments prénominaux Noyau Éléments postnominaux Expressions de la totalité Expressions de la quantité Foc CL N Sous-classes Déterminants Déictiques -4 -3 -2 -1 0 +1+2+3+4+5 +6 Tất cả, toàn bộ 1,2,3,4… những, các cái cái, con Nom massif Déterminants này, đó, kia… Source : DO-HURINVILLE Danh Thành, DAO Huy Linh, 2014, « Le syntagme nominal en vietnamien »,p2.

6 DO-HURINVILLE Danh Thành, DAO Huy Linh, 2014, « Le syntagme nominal en vietnamien », In Ecole doctorale, n°265

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15 L’exemple suivant pourrait illustrer ce tableau.

(1) Tất-cả những cái con người bạc-ác ấy

Position 4 3 2 1 0 1’ 2’

Tout Plur Foc Cl Nom Adj.qual Dém

Toutes ces personnes ingrates et méchantes

Ici, nous avons quatre types de déterminants qui se trouvent avant le Nom (N) et qui sont numérotés de 1 à 4 à partir du nom noyau et se décomposant ainsi :

- Position 1 : les classificateurs - Position 2 : le morphème cái

- Position 3 : les morphèmes du pluriel - Position 4 : les morphèmes de totalisation7

Cette analyse du SN débouche sur une recherche qui consiste à examiner chaque position par rapport au nom. Cette recherche s’appuie sur une démarche distributionnaliste qui consiste en des filtrages successifs autour du nom. Cette méthode d’analyse utilisée par Nguyễn Tài Cẩn et d’autres est appelée méthode « lexico-syntaxique » dont le but est d’identifier les mots, de les classer en diverses catégories lexicales. Malheureusement, cette méthode ne permet pas d’expliquer le pourquoi des fonctionnements des mots ni leur comportement.

Outre les auteurs précités, d’autres linguistes et grammairiens hésitent et continuent à utiliser la méthode « lexico-syntaxique » ; leurs études restent floues sur bien des points. Il a fallu attendre la thèse de Nguyễn Phú Phong (1976) sur les classificateurs pour confirmer que l’analyse du syntagme nominal vietnamien repose bien sur une distribution et propose une approche différente pour l’examen des classificateurs. Toutefois, les incohérences méthodologiques et théoriques de l’étude du classificateur en vietnamien sont telles que A. Culioli (1975) a fait remarquer les problèmes complexes de relation entre compréhension (qualité, propriété) et nombre ou quantité. La démarche de A. Culioli vise des êtres et des opérations généralisables. C’est ainsi qu’il a introduit la notion de quantifiabilisation (Qt)

7 NGUYEN Phu Phong,1995, Questions de Linguistique Vietnamienne – Les Classificateurs et les déictiques, P.15, Presses de

(17)

16 qui provient de l’opération de quantification (Qnt) et de qualification (Qlt). Pour A. Culioli, « une quantifiabilisation est l’opération Qt <Qnt, Qlt> qui n’est ni une quantification pure, ni une qualification pure. C’est une opération intriquée, complexe qui fait pencher des linguistes tantôt vers le quantitatif, tantôt vers le qualitatif 8 ». Par exemple, dans le mot cam, d’emblée, on ne sait pas s’il s’agit de la plante « orange » ou du fruit « orange », l’opération de quantifiabilisation permet la distinction :

1) « cây cam » (l’oranger) [Cl « cây » (plante)] (qualification) 2) « trái cam » (l’orange) [Cl « trái » (fruit)] (quantification)

Nguyễn Phú Phong a repris ce concept pour traiter les classificateurs. Pour lui, un classificateur est :

« Tout lexème qui satisfait à deux conditions :

a) Il faut que le Cl soit une notion comptable sinon la Qnt (quantification) ne peut s’effectuer et la quantifiabilisation impossible ;

b) Il faut que le Cl se trouve dans une séquence telle que l’enchaînement de la quantification (Qnt) sur la notion quantifiabilisée – c-à-d sur tout le segment Cl N, et non sur le Cl seul – soit possible. » 9

Dans sa caractérisation du classificateur, Nguyễn Phú Phong rejette la distinction entre « mots vides » ou « mots pleins » mais distingue bien deux constituants de la quantifiabilisation que sont la quantification et la qualification. En fait, le classificateur serait la trace d’une opération de quantifiabilisation (Qt) telle que l’a décrit A. Culioli,

QT < Qnt, Qlt > avec Qnt = Quantification et Qlt = Qualification. Le classificateur porte bien

en lui deux éléments différents qui sont : une quantification et une qualification inhérente à son propre sens.

Cette approche théorique succincte des classificateurs nous a permis de mettre en avant l’œuvre de Nguyễn Phú Phong en la matière notamment cette notion de quantifiabilisation

8

NGUYEN Phu Phong, 1995, Questions de Linguistique Vietnamienne – Les Classificateurs et les déictiques, p.18. Presses de l’Ecole Française d’Extrème Orient, 285 p.

9

(18)

17 qui fait que même les linguistes sont dans l’embarras pour trouver des explications cohérentes au phénomène des classificateurs.

Cette esquisse d’explication des classificateurs étant close et sans entrer dans une étude exhaustive du sujet, nous nous proposons de présenter quelques exemples de classificateurs tirés de l’œuvre de Nguyễn Phú Phong.

I.2.2. Quelques classificateurs

D’après A. Culioli, à travers le classificateur, c’est le point de vue de l’homme sur son milieu qui est perçu. Le classificateur ou plutôt l’opération dont il est le résultat devrait être examiné sous deux aspects : culturel et physique. En fait, la première approche en relation avec le classificateur serait celle de +discret/-discret ou plutôt entre le discret, d’une part et le dense et le compact de l’autre.

a) Les deux individuations

Les classificateurs constituent une classe opérationnelle du point de vue de quantifiabilisation. La perméabilité très grande entre N et Cl fait des classificateurs une classe lexicale ouverte puisque N en est une. Quand on parle de CL en termes d’individuation on peut séparer ces Cl en individuation forte d’un côté et d’individuation faible de l’autre. Quand on introduit la notion de degré (d’individuation), on admet qu’il y a continuum, qu’il y a différence qualitative et non quantitative. Il s’agit alors de nuances d’individuation.

Exemple : (1) « Một người » (un homme) (opposé à :2, 3, hommes) (2) « Một người » (un certain homme)

Dans (1), « một » est un nombre ;

Dans (2), il est ce qu’on appelle en français par l’article singulier indéfini. Toutefois, « un » et « một » ne sont pas identiques. En fait, dans l’exemple 1) nous avons affaire à l’unité numérique « 1 », de façon pure et simple, qui se confond avec le « 1 » de la classe des numéraux (Nu) de l’exemple 2). Dans ces 2 exemples, il s’ensuit que « 1 » peut être le support de deux opérations : Qt (quantification) et Q (quantificateur) ce qui conduit à une interprétation ambigüe de một « 1 ». Le point commun entre « một » et « un » est qu’ils

(19)

18 expriment tous les deux le nombre « 1 ». Leur différence est que một comme tous les autres numéraux vietnamiens - et français - ne porte pas le genre du N auquel il se rapporte.

b) Les classificateurs « vides »

Le système de classification le plus important en vietnamien repose sur l’opposition [+ Animé] et [-Animé] sont respectivement Con et Cái, que les linguistes et grammairiens

vietnamologues considèrent ces classificateurs comme des mots vides de sens.

Pour eux, Con s’applique aux êtres animés et Cái aux êtres inanimés. En d’autres termes, Con et Cái servent à effectuer l’individuation des êtres du monde et ce qui décide du contenu sémantique, ce n’est pas ces mots eux-mêmes en tant que signes dotés de deux faces signifiant et signifié, mais le nom subséquent ou plutôt le référent extra-linguistique auquel le nom renvoie. Ce qui explique qu’il y a confusion entre chose et objet construit, entre monde et langue.

Par exemple :

(3) bàn (table) [- Animé], on aura 3 Cái bàn (3 tables) (4) bò (bœuf) [+ Animé], on aura 3 Con bò (3 bœufs).

Il arrive que les Cl Con et Cái soient effacés dans la suite Q Cl N Par exemple :

(5) Thằng Bờm xin đổi ba bò chín trâu

Petit Bờm demande d’échanger 3 bœufs 9 buffles ici Cl « con » n’est pas représenté formellement

(6) Cần thêm hai bàn hai ghế nữa

On a besoin encore de deux tables et de deux chaises ici Cl « cái » n’est pas non plus représenté formellement.

c) Les classificateurs en termes de relation de parenté

Con et Cái nous ont déjà donné un début de ce type de classification puisque ces deux mots ont pour origine un nom et signifient respectivement « enfant » et « mère ». Les termes de parenté peuvent tous fonctionner comme des classificateurs. Ainsi le classificateur Con en

(20)

19 combinaison avec le nom Người donne Con Người (homme en tant qu’espèce humaine à la fois distincte des animaux mais appartenant à l’espèce animale en général). Donc, Con (enfant) agirait comme Cl permet d’extraire un individu de la classe Người (homme). C’est là que surviennent les autres termes de parenté, les fonctions et les titres sociaux notamment avec les divers classificateurs suivants :

(7) - ông (grand-père) - bác (oncle ainé) - anh (frère ainé) - chú (oncle cadet)

d) La relation méronymie

Pour que l’opération d’individuation puisse réussir, le vietnamien utilise tous les noms [+ discret] qui intègrent l’élément quantitatif de l’unité. Tous les noms concrets ou abstraits qui signifient « un qui soit… » ou « un de la classe… » sont susceptibles de fonctionner comme des CL.

Dans la catégorie des locutions « un élément parmi d’autres…» on trouve les noms de parenté. Pour illustrer la catégorie « un de la classe… » on trouve par exemple : người (homme), cây (plante, arbre). Dans cette dernière catégorie, on peut retrouver tous les noms désignant des parties d’un arbre comme cành (branche), trái (fruit), bông (fleur) mais aussi les noms des parties du corps humain comme mũi (nez), tay (main), chân (pied), đầu (tête)…

La relation de la partie au tout est pleinement exploitée dans l’opération d’individuation. Cette relation est appliquée soit entre le nom et le classificateur, soit entre les deux classificateurs.

- Entre le nom et le classificateur :

(8) Một cái cày = Một lưỡi cày Un lame charrue = Une charrue

(21)

20 (9) Một cây đèn = Một ngọn đèn (une lampe)

Un Cl-plante lampe Un Cl-cime lampe

L’individuation de la méronymie exprime des valeurs sémantiques. Elle est exploitée souvent à des fins de qualification et de lexicalisation.

Le rôle des classificateurs sera traité en aval notamment pour les classificateurs Con et Cái qui rentrent dans le cadre des classificateurs génériques.

Le cas des classificateurs spécifiques sera aussi examiné afin de comprendre leur rôle et leur fonction nous permettant ainsi d’éclairer la problématique de ce mémoire qui concerne l’utilisation optimale des classificateurs en vietnamien par le biais d’une œuvre littéraire française.

I.3. Rôle des classificateurs vietnamiens dans la phrase

I.3.1. Le rôle principal

Il ne s’agit pas ici de faire une étude exhaustive des classificateurs mais simplement de dresser les grandes lignes des caractéristiques des classificateurs en vietnamien afin d’en dégager le rôle.

Contrairement à la langue française, le vietnamien est une langue isolante dépourvue de morphologie flexionnelle. Elle se caractérise par la relative simplicité de ses structures grammaticales par le fait que tous les mots sont invariables. Toutefois, l’utilisation des classificateurs repose sur un système complexe comme l’a fait ressortir Nguyễn Phú Phong dans sa thèse 10. La plupart des classificateurs proviennent d’unités lexicales qui peuvent être utilisées en tant qu’unités nominalisées. L’analyse des classificateurs que nous proposons dans cette partie conduit à plusieurs questions :

- Quel rôle jouent les classificateurs dans une vision du monde ? D’après A. Culioli 11, à travers le classificateur, on perçoit le point de vue de l’homme sur son milieu : le

10 NGUYEN Phu Phong, 1995, Questions de Linguistique Vietnamienne – Les Classificateurs et les déictiques, Presses de

l’Ecole Française d’Extrème Orient, 285 p

(22)

21 classificateur, ou plutôt l’opération dont il est la trace devrait être examinée sous deux aspects : culturel et physique.

- Quelle est la distinction entre diverses catégories de classificateurs appelés classificateurs génériques et classificateurs spécifiques ?

- Dans le cas d’une inexistence formelle de classificateurs, c’est-à-dire que ces derniers existent mais ne sont pas calligraphiés ou écrits, doit-on en déduire une absence de classificateurs ou un classificateur vide ?

- Enfin, quel est le rôle du classificateur ? Que ce soit par son absence ou sa présence, devant quelle situation se trouve-t-on ?

a) Les catégories sémantiques de classificateurs

Certains linguistes (comme Nguyễn Taì Cẩn, Trương Vĩnh Ký, Cao Xuân Hạo, …) définissent le vietnamien comme une langue à classificateurs nominaux : chaque unité pouvant se comporter comme un nom ou « unités nominalisables » (notée N) et rangée dans une catégorie établie par la langue. Il s’avère que cette catégorisation est représentée par un nombre important de classificateurs. Or, dans une approche traditionnelle, les classificateurs ne sont abordés que par leur aspect sémantique ainsi que leur participation en termes de catégories des unités du lexique. C’est par ce premier aspect que seront présentés quelques « N » précédés de leurs classificateurs.

Par exemple :

(1) Con heo (2) Con sông (3) Con tim

CL « cochon » CL « fleuve » CL « cœur »

(4) Cái kéo (5) Cái bánh (6) Cái khăn

CL « ciseaux » CL « gâteau » CL « châle »

(7) Trái bưởi (8) Trái cây (9) Trái đào

CL « pamplemousse » CL « fruit » CL « jambosier »

(10) Tấm phản (11) Tấm gỗ

CL « étal » CL « bois »

Sur quels critères s’opère la catégorisation ? Parlant des classificateurs, M.H. Lo-Cicero précise : « Le vietnamien est une langue avec un système de classificateurs. La complexité

(23)

22 du choix des classificateurs se réalise essentiellement selon la forme de l’objet et selon la distinction de deux mondes opposés : animés et inanimés »12. Ainsi, dans les exemples du tableau précédent on s’aperçoit que les référents des N employés avec Cái ont pour propriété d’être des inanimés c’est à dire sans mouvements ; en revanche les N employés avec Con ont comme référents des êtres animés ou assimilés à être « mobiles ». De plus, les N employés avec Trái sont assimilés à des référents ronds et les N employés avec Tấm renvoient à des référents plats.

Dans leurs descriptions des classificateurs, la majorité des linguistes font une distinction parmi les classificateurs. Ils distinguent les classificateurs Cái en les assimilant à tout ce qui sont non-mobiles ou inanimés et Con pour les êtres considérés comme mobiles ou animés.

Cái et Con sont qualifiés de classificateurs génériques alors que tous les autres

classificateurs sont appelés classificateurs spécifiques. Examinons les classificateurs génériques.

b) Les classificateurs génériques Cái et Con

L’élément qui relie ces deux classificateurs repose sur une raison sémantique. En effet, un même N, en fonction du regard que le locuteur souhaite donner au référent, pourra être accompagné par Cái ou Con. Par exemple :

(12) Cái tim (13) Con tim

Cœur (organe) Cœur (siège de l’affectivité)

(14) Cái trăng (15) Con trăng

Lune Lunaison

(16) Cái nước (17) Con nước

(L’) eau (Le) cours d’eau

« Du point de vue sémantique, ces deux emplois, dans certains cas de noms, servent à opposer pour le même mot les classes des choses dotées de mouvements ou « choses » animés et les êtres inanimés/choses. » 13En fonction du sens apporté par le classificateur, le locuteur peut préciser son point de vue sur l’objet qui, lui, ne change pas. L’opposition

12 Minh Ha Lo-Cicero, 2003, « Règles et exceptions dans l’emploi des classificateurs vietnamiens », in Review of Vietnamese

studies, Vol 3, P.13.

(24)

23 sémantique mobile/immobile reste cohérente mais nous donne des informations plus précises sur le traitement de ces classificateurs.

Une deuxième approche sur « cái » et « con » 14 mérite notre attention au sujet de la grammaticalisation de ces classificateurs.

« Cái » et « con » sont d’origine nominale (ou unités lexicales). Nous avons vu

précédemment (p.14) que « cái » signifie « mère, principal, grand » et « con » signifie « enfant, petit ». Ces classificateurs peuvent être considérés comme des mots grammaticaux (unités grammaticales ou grammèmes) c’est-à-dire, les noms « cái » et

« con » sont grammaticalisés. D’après Cao (1998), les classificateurs « se positionnent à

mi-chemin du continuum lexico-grammatical » décrit par Grinevald 15 que nous examinerons plus tard.

Illustrons ces chemins pour « cái » et « con ». 1e chemin Unité lexicale

Cái (nom) : « mère »

Unité grammaticale

Cái (classificateur Inanimé)

Unité pragmatique Cái (focalisateur) 2e chemin Unité lexicale

Con (nom) : « enfant »

Unité grammaticale Con (classificateur Animé)

Source : Danh Thành Do-Hurinville & Huy Linh Dao, Juin 2014, in Stage Doctoral du SEDYL, « Le syntagme nominal en vietnamien », p 4.

« D’après le tableau récapitulatif ci-dessus, les noms « con » et « cái » suivent respectivement les 1er et 2ème chemins. Le nom con est grammaticalisé pour devenir le classificateur con. En ce qui concerne le nom « cái », il est grammaticalisé pour devenir le classificateur « cái » puis est pragmaticalisé pour devenir le marqueur de focalisation (FOC) cái, dont l’emploi permet au locuteur de focaliser son attention sur un groupe nominal. » 16

Voici quelques exemples illustrant l’emploi des classificateurs cái et con, et celui du focalisateur cái.

(18) Một cái ghế

un CL(inanimé) chaise

Une chaise

14 DO-HURINVILLE Danh Thanh, DAO Huy Linh in Stage Doctoral du SEDYL : Ordre des constituants et contact de langues,

juin 2014, « Le syntagme nominal en vietnamien », 6 p.

15 DO-HURINVILLE Danh Thanh, DAO Huy Linh Ibid p.3 16 DO-HURINVILLE Danh Thanh, DAO Huy Linh Ibid p.4

(25)

24 (19) Cái ghế này rất chắc

CL(inanimé) Chaise DEICT très être solide

Cette chaise est très solide

(20) *Cái cái ghế này rất chắc

FOC CL(inanimé) table DEICT très être solide

Cette chaise -là est très solide

(21) Một con mèo

un CL(animé) chat

Un chat

(22) Con mèo này rất khéo leo

CL(animé) chien DEICT très être agile

« Ce chien est très agile »

(23) Cái con mèo này rất khéo leo

FOC CL(animé) chien DEICT très être agile

« Ce chat-là est très agile »

Enfin, la dernière raison, qui donne une priorité aux CL génériques est leur fréquence d’emploi, liée à leur possibilité de pouvoir remplacer les CL spécifiques. Cái et Con peuvent être employés avec un grand nombre de N alors que les CL spécifiques qui sont porteurs de sens, ne peuvent chacun être employés qu’avec un nombre limité de N.

Toutefois, ne perdons pas de vue que Cái peut être employé comme déterminant. En effet, outre son sens de classificateur accompagnant les noms de choses (êtres animés) Cái peut vouloir dire « fille » aussi. On le considère comme un marqueur de genre (sexe).

Voici un exemple avec Cái devant un nom propre :

(24) Cái (con) Lan có đi chợ không ?

CL Cái (con) Lan avoir aller marché mot interrogatif

(26)

25 Ici, Cái semble être un classificateur devant un nom propre qui indique une personne du sexe féminin. En fait, Cái est un déterminant qui indique précisément le nom auquel il se rapporte c’est-à-dire, Lan ou plutôt « la fille Lan ». En outre, dans l’exemple ci-dessus, on peut constater que l’emploi de Cái est un procédé de personnalisation. On le comprend aisément dans l’exemple ci-dessus avec l’expression Cái Lan.

« Ainsi, la sélection de l’emploi de cái ou de con selon la catégorie du monde animé opposé au monde inanimé s’applique pour la majorité des noms. Néanmoins, elle sous-tend plusieurs contraintes syntaxiques, dépendant du trait sémantique ou bien de la nature des parties du discours selon le contexte. Cái et con présentent beaucoup de traits particuliers causés par leur nature et fonction dans la phrase. C’est le problème des classificateurs et des déterminants qui se rapportent aux noms qu’ils accompagnent. »17

Examinons maintenant les classificateurs spécifiques.

c) Les classificateurs spécifiques

Parallèlement aux classificateurs génériques, on distingue des classificateurs appelés spécifiques. En vietnamien, il existe un très grand nombre de classificateurs spécifiques qui formeraient à eux-seuls une classe ouverte. Il n’est pas de notre ressort de les présenter dans leur ensemble. Toutefois, la sélection de quelques classificateurs pourrait servir à expliquer le comportement général de ces unités. Ainsi, nous choisirons deux classificateurs spécifiques tels que cây et trái. Nous parlons de classificateurs spécifiques dans le cas où la qualification est différente de zéro c’est-à-dire que le classificateur possède une charge sémantique, un sens lexical.

Par exemple :

(25) Cây tre Cây bút chì

Nom « bambou » CLassificateur « crayon »

Dans l’exemple de gauche, Cây garde son sens lexical (d’arbre). Le mot tre vient ensuite situer cet arbre qu’on a devant les yeux dans la catégorie des arbres dits « bambous ». Alors

(27)

26 que l’exemple de droite, Cây est employé par métaphore pour un objet long, ce qui indique une délexicalisation.

Dans le cas des CL spécifiques, le classificateur choisi est assujetti aux propriétés du N qu’il accompagne. Quand il est employé dans un sens métaphorique (cây pour le crayon), il peut être remplacé par d’autres CL sans nuire à la désignation de l’ensemble CL/N. En effet, selon le N employé, on aura un ou plusieurs CL possibles et ils peuvent apporter une information lexicale sur le N qu’ils accompagnent.

Prenons un autre exemple, trái qui peut être employé comme un N dont la signification est « fruit ».

(26) - Trong vườn có nhiều trái. Dans jardin avoir beaucoup (de) fruits Dans le jardin il y a beaucoup de fruits. Prenons les exemples suivants :

(27) - Trong vườn có nhiều trái cam. Dans jardin avoir beaucoup CL oranges. Dans le jardin il y a beaucoup d’oranges.

Dans cet exemple, trái est employé comme un classificateur, donc une unité différente du nom N.

(28) - Trong vườn có nhiều cây cam. Dans jardin avoir beaucoup CL oranges. Dans le jardin il y a beaucoup d’orangers.

Dans cet exemple, cây est un morphème nominal signifiant « arbre ». Il est également utilisé comme classificateurs caractérisant les objets longs.

(28)

27 La comparaison de ces 2 exemples nous conduirait à penser que trái cam et cây cam sont deux synthèmes18 par composition : « orange » et « oranger ». On pourrait se dire qu’avec

trái cam et cây cam, tous les fruits et arbres fruitiers sont bâtis sur le même modèle. Or, ceci

n’est pas si évident. Si Cam peut être utilisé seul et se réfèrerait, suivant le contexte, au fruit ou à l’arbre (orange ou oranger), trái a un comportement différent. En effet, trái peut également accompagner des « objets sphériques » qui ne se réfèrent pas à des fruits. Deux exemples nous sont donnés avec : trái cổ « pomme d’Adam » (ou trái + « cou ») et trái đất « globe terrestre, Terre » (ou trái + terre). Nous voyons bien qu’ici, trái ne porte pas le sens de fruit. On peut considérer qu’avec certains noms, trái a perdu le sens de fruit, il s’est en partie désémantisé, c’est- à dire, perdre son caractère sémantique initial.

Donc un classificateur spécifique est bien un morphème à part entière. Il ne peut y avoir la combinaison de deux noms (N, N) car dans un énoncé une seule des deux unités peut être déterminée par un autre morphème. Seule une des deux unités peut porter des caractéristiques propres au N, alors que l’autre unité n’est pas déterminable. Cependant, dans le cas des mots composés qui consiste à associer deux ou plusieurs syllabes dotées chacune d’un sens propre, de façon à créer un mot nouveau, il faut savoir que la signification du mot nouveau, qui résulte de cette combinaison, n’est pas toujours obligatoirement la somme arithmétique des éléments composants.

Dans les exemples que nous avons vus, Cam peut fonctionner seul avec comme référence au fruit ou à l’arbre. Trái ne serait là que pour spécifier le sens de cam quand le contexte est insuffisant. Il deviendrait alors, un « classificateur spécifique » : il spécifiera le sens de l’unité qu’il détermine en la rangeant dans une catégorie spécifique.

Ce qui caractérise tous les classificateurs aussi bien les « génériques » que les « spécifiques » est de pouvoir passer un N en tant que catégorie à un individu comptable de la catégorie. Ainsi, nous pensons que la distinction génériques/spécifiques n’a pas lieu d’être du point de vue syntaxique. S’il s’avère bien que les génériques puissent remplacer les spécifiques dans certains cas, sachant que le rôle qu’ils remplissent restent le même.

18 M

ARTINET R. roum. Ling,1980, t. 25 no5, p. 552, « Le synthème est la combinaison de deux ou plus de deux monèmes, révélés

par la commutation, et qui a exactement le même comportement et les mêmes latitudes syntaxiques que les monèmes d'une classe déterminée ».

(29)

28 Pour conclure, en vietnamien autant qu’en chinois et autres langues isolantes de l’Asie du Sud-Est, les noms massifs ou noms sans contexte discursif pouvant recevoir plusieurs interprétations sont en très grande majorité, ils servent à nommer une espèce, une substance ou une qualité. Pour individualiser les noms massifs, on a recours aux classificateurs. Or les classificateurs ont d’abord deux fonctions principales, celle de « classification » et celle d’« individualisation » qui permet de rendre comptable un lexème ou un nom massif. A cela s’ajoute une autre fonction, celle d’« identification » lorsque le locuteur et l’allocataire savent de quel objet il s’agit. Comme dirait Nguyễn Phú Phong, « le classificateur permet de parler d’un nombre comptable, densifiable voire discrétisable à l’intérieur même d’une catégorie. Il l’individualise.

I.3.2. Des exceptions dans l’emploi des classificateurs vietnamiens

Bien que nous ayons traité auparavant les cas des classificateurs Con et Cái pour lesquels nous avons mis en avant les diverses significations de ces classificateurs, nous insistons sur les cas d’exceptions que l’on peut trouver dans l’emploi des classificateurs.

Comme l’a dit Nguyên Phu Phong dans « Le Problème des classificateurs en vietnamien », l’emploi des classificateurs est complexe. La complexité du choix des classificateurs s’appuie essentiellement selon la forme de l’objet et selon la distinction de deux mondes opposés : animés et inanimés. Un exemple qui illustre cette complexité est l’emploi des classificateurs Con et Cái. Le choix de l’un et de l’autre est fonction des régles sémantiques qui entrent en jeu pour donner un sens au contexte.

a) Le choix des classificateurs selon la forme des objets

Plusieurs classificateurs différents sont utilisés avec des noms selon la forme de l’objet, par exemple 19:

(29) Điếu thuốc lá

forme de rouleau cigarette

Une cigarette

19 Minh Ha Lo-Cicero,2003, « Règles et exceptions dans l’emploi des classificateurs vietnamiens ». Review of Vietnamese

(30)

29

(30) Tấm gương

forme plate miroir

Un miroir (31) Cục đường morceau sucre Un morceau de sucre (32) Chuỗi hạt ngọc chapelet perles Un collier, un chapelet (33) Viên thuốc

forme de pilule médicament

Une pilule

Or, cette règle qui consiste à associer un classificateur à une forme d’objet n’est pas un règle générale et immuable. En effet, un classificateur peut être utilisé pour diverses destinations. Par exemple, le classificateur tấm est utilisé pour les objets ayant la forme plate et large. On trouve les mots suivants :

(34) Tấm chồng à mari (une personne) (35) Tấm lòng vàng à Un cœur d’or (un sentiment) (36) Tấm lều tranh à Une paillote (une habitation)

(37) Tấm chữ àUne écriture (un « objet » sans support)

Nous voyons bien que l’association d’un classificateur à une forme, une qualité ou une autre destination se heurte à de nombreuses régles d’exception.

b) Les classificateurs Cái et Con

Bien que nous ayons traité ces deux classificateurs précédemment, nous revenons dans cette section pour insister sur les régles d’exception particulières à ces derniers.

(31)

30 Rappelons que les classificateurs cái et con sont issus des noms (ou unités lexicales) cái, qui signifie « mère, grand, principal » et con, qui signifie « enfant, petit ».20

(38) Con dại cái mang

Enfant être fautif mère être responsable.

Enfant fautif, mère responsable

D’une manière générale, la langue vietnamienne oppose en majorité la classe des êtres animés (homme, animal) à celle des êtres inanimés par nature (choses) avec les classificateurs Cái et Con.

Cái détermine les noms de choses ou des êtres non-animés.

(39) Cái chai

CL (inanimé) bouteille

Une bouteille

Con ceux des êtres animés principalement les animaux.

(40) Con người, con chim, con hổ à une personne, un oiseau, un tigre

Toutefois, certains objets qui sont des être inanimés sont accompagnés du classificateur

Con. Ces exceptions sont utilisées pour les noms de choses qui sont considérées comme

« animés » ou sont dotés de mouvements tels que :

(41) Con đường, con dao, con mắt à une route, un couteau, un oeil

c) Cái employé comme déterminant

Comme nous l’avons vu précédemment (page 28,29), Cái, outre le fait d’accompagner les noms de choses (êtres inanimés) peut vouloir dire « fille » aussi. En reprenant l’exemple ci-dessous de la page 28

Voici un exemple avec Cái devant un nom propre :

(42) Cái (con) Lan có đi chợ không ?

CL Cái (con) Lan avoir aller marché mot interrogatif

Est-ce que Lan est allée au marché ?

20DO-HURINVILLE Danh Thành, DAO Huy Linh, 2014, « Le syntagme nominal en vietnamien », In Ecole doctorale, n°265

(32)

31 Ici, « cái », classificateur se positionnant devant un nom propre indique une personne du sexe féminin. « Cái » est un déterminant qui détermine précisément le nom auquel il se rapporte, Lan. En outre, dans l’exemple ci-dessus, on peut constater que l’emploi de « cái » est un procédé de personnalisation. On le comprend aisément dans l’exemple ci-dessus avec l’expression « cái Lan » que l’on peut traduire par « La Lan » ou (La « fille » Lan).

d) La personnification

Ce procédé de personnification s’exprime par le passage du classificateur Con pour les noms d’animaux au classificateur Cái dans l’exemple ci-après :

(43) Cái cò, cái vạc, cái nông à Héron, hobereau, pélican

La personnalisation est de substituer au classificateur d’animal Con le déterminant de genre Cái (et non le classificateur de choses). Ce transfert du classificateur (Con => Cái) enlève la valeur d’animal et les fait passer à un rang supérieur. Ici, « Cái » exprime la valorisation du nom qu’il détermine. Nous trouvons, dans ce cas, le phénomène de valeur.

Dans le cadre de l’application des classificateurs Cái et Con selon la catégorisation « monde animé » opposé au « monde inanimé », on peut dire que dans la majorité des noms, la règle s’applique aisément. Cependant, ces deux classificateurs ont présenté des cas particuliers suivant leur nature et leur fonction dans la phrase qui conduisent à traiter des cas d’exception qui ne sont pas évidents. C’est le problème des classificateurs et des déterminants qui se rapportent aux noms qu’ils accompagnent.

I.4. L’illusion des classificateurs

21

L’étude des phénomènes de classification/catégorisation met en avant certains morphèmes appelés « classificateurs ». Comme leur nom l’indique, on peut se demander : « La fonction des classificateurs est-elle de classifier ? ». Les systèmes de classificateurs nominaux ont une fonction linguistique qui consiste à distribuer l’ensemble des noms en autant de classes plus ou moins grammaticalisées. Par exemple, si on prend

21 François Alexandre, octobre 1999, « L’illusion des classificateurs. In Faits de Langue », N°14, « La catégorisation dans les

(33)

32 la séquence /animal chien/ la principale fonction du premier terme serait d’indiquer l’appartenance du nom chien à la classe des animaux. Si la répartition en plusieurs « classes » présente un intérêt sur le plan anthropologique, on peut s’interroger sur la pertinence sur le plan de la linguistique. En effet, l’indication qu’un chien est un animal est une redondance sémantique à la construction de la référence puisque dans le lexème « animal » est déjà contenu dans le nom « chien ».

L’hypothèse de la classification est insuffisante et en ce qui concerne les morphèmes classificateurs on ne peut parler que d’un effet classifiant. Celui-ci, qui existe effectivement au niveau de l’énoncé (c’est-à-dire les traits sémantiques (volumineux, plat...) qui se trouvent déjà dans le nom), ne peut être généralisé au niveau du lexique. Ce qui conduit au fait que le choix du Cl se fait indépendamment du nom N, indiquant une autonomie linguistique du Cl.

L’important est de se débarrasser de l’idée selon laquelle les Cl ont pour fonction de classifier le nom qu’ils accompagnent. Pour François Alexandre, la question des Cl met en jeu deux sortes de catégorisation linguistique : d’abord, l’effet classifiant, forme de catégorisation que ces Cl constituent, de façon indirecte, sur le nom qu’ils accompagnent ; ensuite le mode de signification qui est la forme principale de catégorisation que les Cl opèrent directement sur l’opération qu’ils effectuent.

Pour illustrer ces deux types distincts de catégorisation, nous prendrons un exemple avec les verbes français d’ingestion, comme boire, manger, croquer, lécher, etc… En reprenant le discours tenu sur les Cl, on pourrait tout aussi bien affirmer qu’il s’agit là de verbes classificatoires : en effet, /boire X/ a pour effet de « classifier » son objet comme liquide, tandis que /manger X/ le représente comme plutôt solide, /croquer X/ comme dur et cassable etc … Aussi pourra-t-on parler d’une catégorisation opérée sur l’objet X et décrire ces verbes, comme des classificateurs. Cependant, on s’accordera à voir dans cette classification une simple conséquence du sémantisme propre à ces verbes ; si ceux-ci opèrent vraiment une catégorisation, c’est avant tout dans la mesure où ils permettent de ranger dans des tiroirs différents les diverses formes d’actions de type « ingestion ». Même si ces verbes sont capables, en quelque sorte, de classifier leur objet, il est clair que la véritable catégorisation qui les caractérise porte sur le signifié même de ces verbes

(34)

c’est-à-33 dire sur la désignation d’actions. « Dans le discours, l’effet classifiant que tel mot peut avoir sur les autres est toujours secondaire par rapport à la catégorisation primaire que constitue ce mot lui-même, et qui n’est autre que son mode de signification interne. C’est de cette façon, que fonctionnent les Cl dans les langues, et en cela, rien ne les distingue des autres marques linguistiques ».22

Pour François Alexandre, la classification que le Cl est censé opérer sur le nom N qu’il accompagne, est une illusion d’optique, un effet de classification, conséquence normale de la cohabitation entre N et Cl dans un même syntagme. Il est exclu d’imaginer, dans n’importe quelle langue, des morphèmes dont l’unique fonction serait de classifier d’autres mots : cette situation cache toujours une opération syntaxique propre au Cl. Ainsi, la fonction de classification n’existe pas, et que pour tout morphème Cl, il faut définir une fonction propre dans l’économie de l’énoncé.

En résumé, pour François Alexandre, la catégorie de « classificateurs », contrairement aux « noms » ou aux « adverbes » doit son unité non pas à une fonction syntaxique commune, mais à un même mécanisme sémantique. Les classificateurs n’opèrent pas au niveau du lexique. La classification ne porte pas sur le nom et il existe deux types de classification : l’effet classifiant vs le mode de signification.

Les classificateurs varient en nombre suivant la langue et leurs fonctions divergent tout en gardant une fonction commune qui est la quantification. En effet, il s’avère que les classificateurs classifient/qualifient beaucoup moins qu’ils ne quantifient. Toutefois, il faut remarquer qu’en vietnamien, les classificateurs ont trois rôles ; classification, identification et individuation qui conduisent à rendre comptable un lexème ou un nom massif mais aussi qui donnent une plus grande richesse sur le plan de la sémantique.

Enfin, dans cette étude des classificateurs, nous avons repris un point de vue de François Alexandre qui ne semble pas adhérer au rôle de classification des classificateurs en général. Pour lui, les classificateurs ne font qu’illusion et ne classifient en rien. Il rejette la notion de classification pour la remplacer par deux types qui sont l’effet classifiant et le mode de

22 François Alexandre, octobre 1999, « L’illusion des classificateurs. In Faits de Langue », N°14, « La catégorisation dans les

(35)

34 signification. Cette étude de François Alexandre a l’avantage de montrer que le rôle des classificateurs n’est pas évident et pas stabilisé. Pour notre part, nous restons sur les caractéristiques classiques des rôles des classificateurs vietnamiens, caractéristiques qui nous servirons à étoffer notre problématique.

(36)

35

Chapitre II. Approche particulière : points de vue de

quelques linguistes sur les classificateurs vietnamiens

Après avoir examiné le rôle des classificateurs dans les deux langues ci-dessus ainsi que l’orientation que peuvent prendre ceux-ci. Nous pouvons nous référer à quelques linguistes vietnamiens et étrangers dont deux linguistes contemporains (Grinevald et Bisang) afin de connaitre leur point de vue sur les classificateurs. Ceci permettra une perception de l’évolution des classificateurs dans le temps.

II.1 Lê Văn Lý

L’histoire des descriptions linguistiques du vietnamien commence dès le XVII ème siècle et plusieurs tendances se sont succédées et parfois côtoyées. Différents linguistes23 spécialistes du vietnamien ont dégagé principalement quatre tendances de description. La 1ère tendance dite « Traditionnelle » a été initialisée par Alexandre de Rhodes et Trương Vĩnh Ký. La 2ème tendance dite « école syntaxique » a été conduite par Grammont et Lê Quang Trinh. La 3ème tendance dite « école descriptive » a été menée par Lê Văn Lý, premier auteur représentant ce courant et qui en a fait une description fonctionnelle du vietnamien dans son livre « Le Parler vietnamien » paru en 1948. Nous développerons cette tendance pour rapprocher de notre sujet afin de donner le point de vue de Lê Văn Lý sur les classificateurs en vietnamien. La 4ème et dernière des tendances dite « école sémantico-syntaxique » dégage une description relativement objective et détaillée de la langue vietnamienne par un groupe de linguistes vietnamiens. Cette dernière tendance reflète les points de vue de la nouvelle période des études linguistiques du vietnamien. Avant de traiter du point de vue de Lê Văn Lý sur les classificateurs il y a lieu de préciser certaines notions pour mieux comprendre la 3ème tendance. Tout d’abord, cette tendance

23

LE Thi Xuyen, PHAM Thi Quyen, DO Quang Viet et NGUYEN Van Bich,2004, « Bref aperçu sur l’histoire de l’étude des parties du discours du Vietnamien ( 2ème période) » In : Histoire Épistémologie Langage, tome 26, fascicule 2, « La linguistique baltique », pp.145-162;http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2004_num_26_2_2100 Document lu le 20/04/2017.

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