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Chapitre I. Approche générale des classificateurs

I.4. L’illusion des classificateurs

L’étude des phénomènes de classification/catégorisation met en avant certains morphèmes appelés « classificateurs ». Comme leur nom l’indique, on peut se demander : « La fonction des classificateurs est-elle de classifier ? ». Les systèmes de classificateurs nominaux ont une fonction linguistique qui consiste à distribuer l’ensemble des noms en autant de classes plus ou moins grammaticalisées. Par exemple, si on prend

21 François Alexandre, octobre 1999, « L’illusion des classificateurs. In Faits de Langue », N°14, « La catégorisation dans les

32 la séquence /animal chien/ la principale fonction du premier terme serait d’indiquer l’appartenance du nom chien à la classe des animaux. Si la répartition en plusieurs « classes » présente un intérêt sur le plan anthropologique, on peut s’interroger sur la pertinence sur le plan de la linguistique. En effet, l’indication qu’un chien est un animal est une redondance sémantique à la construction de la référence puisque dans le lexème « animal » est déjà contenu dans le nom « chien ».

L’hypothèse de la classification est insuffisante et en ce qui concerne les morphèmes classificateurs on ne peut parler que d’un effet classifiant. Celui-ci, qui existe effectivement au niveau de l’énoncé (c’est-à-dire les traits sémantiques (volumineux, plat...) qui se trouvent déjà dans le nom), ne peut être généralisé au niveau du lexique. Ce qui conduit au fait que le choix du Cl se fait indépendamment du nom N, indiquant une autonomie linguistique du Cl.

L’important est de se débarrasser de l’idée selon laquelle les Cl ont pour fonction de classifier le nom qu’ils accompagnent. Pour François Alexandre, la question des Cl met en jeu deux sortes de catégorisation linguistique : d’abord, l’effet classifiant, forme de catégorisation que ces Cl constituent, de façon indirecte, sur le nom qu’ils accompagnent ; ensuite le mode de signification qui est la forme principale de catégorisation que les Cl opèrent directement sur l’opération qu’ils effectuent.

Pour illustrer ces deux types distincts de catégorisation, nous prendrons un exemple avec les verbes français d’ingestion, comme boire, manger, croquer, lécher, etc… En reprenant le discours tenu sur les Cl, on pourrait tout aussi bien affirmer qu’il s’agit là de verbes classificatoires : en effet, /boire X/ a pour effet de « classifier » son objet comme liquide, tandis que /manger X/ le représente comme plutôt solide, /croquer X/ comme dur et cassable etc … Aussi pourra-t-on parler d’une catégorisation opérée sur l’objet X et décrire ces verbes, comme des classificateurs. Cependant, on s’accordera à voir dans cette classification une simple conséquence du sémantisme propre à ces verbes ; si ceux-ci opèrent vraiment une catégorisation, c’est avant tout dans la mesure où ils permettent de ranger dans des tiroirs différents les diverses formes d’actions de type « ingestion ». Même si ces verbes sont capables, en quelque sorte, de classifier leur objet, il est clair que la véritable catégorisation qui les caractérise porte sur le signifié même de ces verbes c’est-à-

33 dire sur la désignation d’actions. « Dans le discours, l’effet classifiant que tel mot peut avoir sur les autres est toujours secondaire par rapport à la catégorisation primaire que constitue ce mot lui-même, et qui n’est autre que son mode de signification interne. C’est de cette façon, que fonctionnent les Cl dans les langues, et en cela, rien ne les distingue des autres marques linguistiques ».22

Pour François Alexandre, la classification que le Cl est censé opérer sur le nom N qu’il accompagne, est une illusion d’optique, un effet de classification, conséquence normale de la cohabitation entre N et Cl dans un même syntagme. Il est exclu d’imaginer, dans n’importe quelle langue, des morphèmes dont l’unique fonction serait de classifier d’autres mots : cette situation cache toujours une opération syntaxique propre au Cl. Ainsi, la fonction de classification n’existe pas, et que pour tout morphème Cl, il faut définir une fonction propre dans l’économie de l’énoncé.

En résumé, pour François Alexandre, la catégorie de « classificateurs », contrairement aux « noms » ou aux « adverbes » doit son unité non pas à une fonction syntaxique commune, mais à un même mécanisme sémantique. Les classificateurs n’opèrent pas au niveau du lexique. La classification ne porte pas sur le nom et il existe deux types de classification : l’effet classifiant vs le mode de signification.

Les classificateurs varient en nombre suivant la langue et leurs fonctions divergent tout en gardant une fonction commune qui est la quantification. En effet, il s’avère que les classificateurs classifient/qualifient beaucoup moins qu’ils ne quantifient. Toutefois, il faut remarquer qu’en vietnamien, les classificateurs ont trois rôles ; classification, identification et individuation qui conduisent à rendre comptable un lexème ou un nom massif mais aussi qui donnent une plus grande richesse sur le plan de la sémantique.

Enfin, dans cette étude des classificateurs, nous avons repris un point de vue de François Alexandre qui ne semble pas adhérer au rôle de classification des classificateurs en général. Pour lui, les classificateurs ne font qu’illusion et ne classifient en rien. Il rejette la notion de classification pour la remplacer par deux types qui sont l’effet classifiant et le mode de

22 François Alexandre, octobre 1999, « L’illusion des classificateurs. In Faits de Langue », N°14, « La catégorisation dans les

34 signification. Cette étude de François Alexandre a l’avantage de montrer que le rôle des classificateurs n’est pas évident et pas stabilisé. Pour notre part, nous restons sur les caractéristiques classiques des rôles des classificateurs vietnamiens, caractéristiques qui nous servirons à étoffer notre problématique.

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Chapitre II. Approche particulière : points de vue de