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Chapitre II. Approche particulière : points de vue de quelques linguistes sur les

II. 6. Synthèse personnelle

Nous voici donc au terme de la première partie de ce mémoire qui avait pour but de connaître l’environnement et le rôle des classificateurs dont nous avons, modestement, développé. Pour apporter une analyse personnelle sur les linguistes précités nous pouvons reprendre les résultats des travaux de chacun d’eux.

52 Pour ce qui est de Lê Văn Lý, il est évident que les classificateurs existent bien avant lui. Cependant, ce dernier a eu le mérite de s’appuyer sur le structuralisme pour démontrer l’existence de catégories de la langue vietnamienne. Comme nous l’avons vu précédemment, Il a réussi à classer les mots vietnamiens en 3 classes : A (les noms), B (les verbes et les adjectifs) et C (les autres mots qui n’ont pas pu entrer dans les 2 premières classes). C’est ainsi que la découverte des mots-témoins notamment dans la classe A a permis de mieux cerner l’existence des classificateurs même si cette étude de Lê Văn Lý bute sur des critiques telles que le manque de pertinence et de profondeur.

Par exemple, dans la classe A (les noms), Lê Văn Lý prend le mot « cây » qui signifie « arbre ». Quand on utilise ce nom avec d’autres notamment dans « cây nến », (la bougie), « cây bút » (le stylo), « cây rơm » (la paille), Lê Văn Lý ne définit pas l’autre rôle du mot « cây ». De notre avis, le mot « cây » utilisé dans les cas précédents n’est plus un nom mais davantage un classificateur. « Cây » en tant que classificateur décrit la forme de « nến », « bút » et « rơm », une forme ressemblant à celle d’un arbre bien que ces trois n’en soient pas.

Quant à Nguyễn Phú Phong, il estime que le point faible des études des prédécesseurs est lorsqu’on procède à la catégorisation des unités opératoires telles que les noms, on influence trop leur environnement de distribution et lorsqu’il s’agit de préciser les significations d’un mot, on le fait en l’absence de tout entourage contextuel. Son examen des classificateurs est plus approfondi et en appui sur la théorie de Culioli, avec ce concept nouveau qui est la quantifiabilisation, celle-ci est le résultat à la fois d’une quantification et d’une qualification. De notre avis, cette notion est, semble-t-il, trop savante au point d’être difficile à comprendre pour que, tout de suite, on puisse identifier un classificateur. Toutefois, on peut rendre hommage à Nguyễn Phú Phong d’avoir fait un travail remarquable et très approfondi sur les classificateurs.

Avec M.C Emeneau, nous mettons en avant qu’il a été le premier linguiste à diviser les noms en deux groupes : l’un a besoin des classificateurs et l’autre pas. Cette découverte est importante à propos de la catégorisation des classificateurs. De plus, quand nous parlons de quelque chose de général (ou dans le domaine du « massif » comme l’eau, l’air, le temps…), nous n’avons pas besoin de classificateurs. En revanche, quand nous parlons de

53 quelque chose en particulier (dans le domaine de l’individualité comme une chaise, un verre...) nous utilisons le classificateur devant le nom mais après le numérateur.

(32) Par exemple :

A : Bạn có nhiều áo đẹp thế ! B : Bạn thích nhất cái áo nào ?

A : Tôi thích nhất cái áo mầu xanh da trời.

B : Nếu bạn thích thì bạn cứ lấy đi, tôi có 2 cái giống hệt nhau.

Dans la première phrase, quand A parle des belles chemises de son ami, il n’a pas besoin d’utiliser de classificateur parce que le mot « áo » a, ici, un sens général.

Dans la deuxième phrase, A désigne bien une chemise en particulier donc le classificateur générique « cái » est utilisé à bon escient.

Dans la troisième phrase, quand A veut spécifier la chemise qu’il aime, il dit clairement qu’il aime la chemise bleue donc « cái » joue bien son rôle de classificateur.

Dans la dernière phrase, B utilise le « cái » seul parce que, dans ce cas-là, le mot « cái » a un rôle de pronom pour éviter de répéter le nom « áo ».

Pour revenir à Thompson, ce dernier verse les classificateurs dans le même groupe que les noms et déclare que : « Les classificateurs sont des mots de type tel qu’ils n’apparaissent pas comme des déterminants ». Ils considèrent que dans le mot « con người », le « con »

est principal et « người » est secondaire. De notre avis, c’est le contraire qui est exact, « người » est principal et « con » est secondaire. En effet, quand nous enlevons le mot

« con » du mot « con người », le mot « người » a toujours le même sens. De plus, en remplaçant « con » par « thằng » ou « lũ » ou « bọn » qui sont d’autres classificateurs, on aura « thằng người » (le type) ou lũ người (la bande) ou « bọn người » (le groupe), ce qui ne change pas la signification originale du nom « người ». Chaque classificateur nouveau ne change que la perception du locuteur à propos du nom « người ». Le raisonnement de Thompson qui repose sur le fait que le groupe Cl + N soit du genre « déterminé- déterminant » où « CL » est déterminé et « N », le déterminant, ne correspond pas à notre approche car le classificateur ne peut être, à lui seul, un déterminé. Nous pensons que la relation CL + N est davantage du genre « déterminant-déterminé ».

54 Pour ce qui est des linguistes contemporains tels que C. Grinevald et W. Bisang, l’approche des classificateurs est plus élaborée avec un continuum lexico-grammatical pour C. Grinevald et des dépendances fonctionnelles pour W. Bisang. Nous voyons bien donc l’évolution des explications du rôle des classificateurs qui est de plus en plus complexe voire diversifié.

De l’étude des positions des linguistes, nous pouvons dégager au sujet des classificateurs, les quelques règles suivantes :

• Les classificateurs n’ont pas seulement de fonction de classification mais aussi une fonction de clarification de la sémantique du nom qu’ils accompagnent. Parfois le locuteur les utilise pour exprimer une opinion subjective.

• Si les classificateurs pouvaient être seuls, ils ne sont pas généralement utilisés dans leur signification littérale mais souvent pour leur signification métaphorique.

• Le classificateur est un mot qui précède toujours le nom mais se trouve après le numérateur (si nécessaire). Il ne peut rester seul dans la phrase.

• Le classificateur affine toujours la signification du nom qui le suit. Il est seulement utilisé quand on veut parler de quelque chose de spécifique et décrit les sentiments du locuteur.

• Comme l’article en français, quand le classificateur est enlevé, le nom garde toujours sa signification mais lorsque le classificateur accompagne le nom, celui-ci a sa propre signification.

En conclusion, l’emploi des classificateurs vietnamiens est complexe. Il peut être régulier mais peut aussi relever de l’exception. Traiter de telles exceptions sur le vietnamien n’est pas une tâche facile car ces dernières sont indispensables dans le bon fonctionnement de la langue. L’emploi de Cái et de Con, les deux principaux classificateurs génériques, qui reposent sur la catégorisation du monde animé opposé au monde inanimé est valable pour la majorité des noms. Ce sont les exceptions dérogeant à la règle qui constituent des difficultés pour toute approche d’apprenant français de la langue vietnamienne. En effet, ces cas d’exceptions ne sont pas, à notre avis, consignés dans une grammaire vietnamienne. De notre point de vue, la maîtrise de ces classificateurs vietnamiens ne se fera que dans une pratique continue de l’apprentissage de la langue pour acquérir à la fois, la maîtrise de la langue, de ses exceptions et de la culture véhiculée par la langue. Par

55 exemple, en vietnamien, les noms massifs sont en très grande majorité, ils servent à nommer une espèce, une substance ou une qualité. Le recours aux classificateurs permet d’indivualiser les noms massifs. 38

Comme l’a souligné Nguyễn Phú Phong, dans le « Problème des classificateurs » : « La propriété d’être (± animé) d’un être dépend de la vision, de la conception, de l’angle de perception, momentanés ou permanents, sur le coup engendré par une inspiration artistique passagère pour le besoin d’une harmonie ou d’un contraste stylistique ou poétique, ou ancrés par la force des choses. »

Outre l’utilisation des classificateurs dans la phrase, n’oublions pas leur rôle. Par exemple, dans son article intitulé « Classifiers in East and Southeast Asian Languages : counting and beyond », Walter Bisang souligne que les classificateurs dans les langues du Sud-Est de l’Asie, notamment le vietnamien, ont trois fonctions principales : celle de « classification », celle d’« identification » et celle d’ « individualisation » et deux fonctions dérivées : celle de « référentialisation » et celle de « relationalisation ».

Cependant, notre objectif est toujours d’expliquer l’utilisation et le rôle des classificateurs vietnamiens au travers du livre de Gounelle. Nous avons mis en parallèle la recherche des articles en français et des classificateurs en vietnamien. Les articles indéfinis (à certain dégré ayant considérés comme classificateurs) en français est dérisoire alors qu’en vietnamien, la palette des classificateurs est riche de sens, d’exceptions et de composition. Aussi, on peut comprendre que pour un apprenant français n’étant pas habitué à « jongler » avec les classificateurs, la difficulté soit grande pour appréhender la langue vietnamienne notamment dans la sphère des classificateurs. A la lumière de notre modeste travail fait en amont dans ce mémoire, notre espoir repose sur une compréhension plus aisée de ces classificateurs vietnamiens que nous utiliserons pour une meilleure traduction des parties du roman pris en corpus.

Ceci fera l’objet de la seconde partie de ce mémoire.

38 DO-HURINVILLE Danh Thành, 2013, « Complexité dans une langue isolante : exemple du vietnamien ». Nouvelles

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Partie II. Analyse des classificateurs au travers d’un