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Chapitre II. Approche particulière : points de vue de quelques linguistes sur les

II.5. C Grinevald et W Bisang

Dans un article intitulé « Typologie des systèmes de classification nominale » Colette Grinevald 32 nous présente les systèmes de classification dans le monde. Suite à cette présentation, nous pourrons connaître la position de l’auteur sur les classificateurs afin d’élargir notre recherche dans ce domaine pour, toujours, illustrer notre problématique. Pour Colette Grinevald, avant de présenter les systèmes de classificateurs, il est nécessaire de montrer sur quoi repose l’ensemble des autres systèmes de classification nominale. Ces derniers constituent un continuum lexico-grammatical dans lequel l’auteur définit le « lexical » et le « grammatical ». Le « lexical » est un signifiant appartenant, d’une part, au lexique et à sa dynamique de construction de mots et d’autre part, il correspond à une dynamique de composition sémantique (composition analytique). Le « grammatical » renvoie à une intégration à la morphosyntaxe d’une langue. Il existe deux systèmes lexicaux appelés – « termes de mesure » (measure terms) et « termes de classe » (class terms) et deux systèmes grammaticaux qui sont : « le système de classes nominales » et celui du « genre ».

II.5.1. Le pôle lexical du continuum (Termes de mesure et de Classe)

Les deux systèmes de classification nominale appelés ici « lexicaux » sont de nature différente.

Le premier système appelé, « termes de mesure » (ou mensuratifs), est lexical dans la mesure où il s’agit de syntagmes nominaux dont les éléments constitutifs sont

sémantiquement compositionnels. Ces termes de mesure expriment des quantités, soit sur

des noms massifs pour lesquels ils donnent la possibilité d’identifier les unités qu’on peut quantifier, soit sur des noms comptables pour lesquels ils précisent des quantités.

Par exemple :

a) Termes de mesure de noms massifs : (12) Un verre d’eau

32 Grinevald Colette, Octobre 1999, « Typologie des systèmes de classification nominale ». In. Faits de langues, N° 14,.La

catégorie dans les langues, pp. 101-122, http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1999_num_7_14_1271 Document lu le 01/05/2017.

46 (13) Une tranche de pain

(14) Une livre de sucre (15) Un troupeau de vaches

b) Termes de mesure de noms comptables : (16) Une pile de livres

(17) Un groupe d’enfants (18) Une file de voitures (19) Une formation d’oies

Cependant, bien que ces termes de mesure contribuent à un système de classification nominale, ils ne peuvent être considérés comme formant un système de classificateurs au sens stricte du terme. En effet, d’après Grinevald, il ne faut réserver le terme de « classificateurs » pour un phénomène morphosyntaxique particulier 33. Dans les langues qui ont de « vrais » classificateurs, les classificateurs et les termes de mesure appartiennent typiquement à la même catégorie syntaxique. Ce qui n’est pas le cas de l’anglais et le français sinon ces deux langues seraient des langues à classificateurs.

Le second système appelé, « termes de classe » est lexical dans la mesure où il intervient au niveau de la lexicogénèse des langues. Les termes de classe sont des morphèmes de classification nominale d’origine lexicale et qui manifestent des degrés variables de productivité dans le lexique d’une langue. Pour illustrer les termes de classe dans certaines langues, on peut s’appuyer sur le monde végétal où la différence entre la dénomination

des arbres et des fruits s’opère par un processus de composition : X-fruit/rond vs X-arbre/long-rigide. Les termes de classe de cette nature pour une langue comme l’anglais

serait des morphèmes du type -berry pour les fruits et tree pour les arbres. Par exemple, on aurait :

(20) Morphèmes du type- berry: strawberry, blueberry, boysenberry, qooseberry, etc …

(21) Morphèmes du type tree: apple tree, orange tree, cherry tree, orange tree, etc…

33 Grinevald Colette. Typologie des systèmes de classification nominale. In. Faits de langues, N° 14, Octobre 1999.La

catégorie dans les langues, pp. 103, http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1999_num_7_14_1271 Document lu le 01/05/2017.

47 Bien que la sémantique de ces termes de classe soit proche de celle de certains classificateurs, ces morphèmes ne sont pas utilisés dans les expressions quantifiantes. Aussi, certaines langues ont été cataloguées comme ayant des classificateurs alors qu’il s’agirait surtout de termes de classe. En effet, dans certains systèmes de classification nominale, la convergence d’usage dans certaines langues fait que des termes de classe sont assimilés à des classificateurs.

II.5.2. Le pôle grammatical du continuum (Genre et classes nominales)

La caractéristique principale du système de Genre est assimilée à un type de classification nominale qui ne s’appuie pas toujours sur le nom lui-même mais sur d’autres éléments de l’énoncé. Ces éléments peuvent être :

- A l’intérieur du syntagme nominal : adjectifs, démonstratifs, articles défini ou indéfinis, possessifs et formes pronominales indépendantes.

(22) La fourchette (F) (23) Une chauusure (F) (24) Le balai (M) (25) Un mur (M)

- A l’intérieur du prédicat : sous la forme de marques d’accord des arguments principaux,

- Ailleurs dans la phrase : adverbes ou marques de complémentation.

Il faut comprendre que le système de genre attribue tous les noms de la langue à une catégorie ou genre. Cette catégorisation est morphologiquement marquée. Les systèmes de genre sont les systèmes de classification très restreint en ce qui concerne le nombre de classes répertoriés, par exemple : masculin, féminin, neutre pour les langues indo- européennes.

Concernant des classes nominales, elles concernent des systèmes à plus grand nombre de classes. « Ces classes nominales se manifestent par un affixe sur le nom même, le plus

48 souvent un préfixe dans les langues bantoues, et un système plus ou moins répandu d'accord sur les autres constituants du group nominal et sur le verbe. »34

Nous venons de décrire les éléments des pôles extrêmes du continuum lexico-grammatical, du côté lexical avec les termes de mesure et de classe et de l’autre côté, grammatical, avec le genre et les classes nominales. Examinons ce qu’il en est de la position des systèmes de classificateurs entre ces deux pôles.

II.5.3. Les classificateurs

Les systèmes de classificateurs constituent des systèmes de classification nominale qui ont un certain degré de motivation sémantique et une origine lexicale. Ils se distinguent des systèmes totalement lexicaux car ils s’expriment par des marques morphologiques au-delà du nom lui-même. Ils se distinguent des systèmes de genre et de classes nominales par leur grammaticalisation incomplète.

D’après Colette Grinevald, le thème de la classification nominale est complexe et on peut considérer que ce système suit un axe lexico-grammatical. Les systèmes de classificateurs se distinguent des autres systèmes de classification nominale. Plus précisément, les systèmes de classificateurs constituent des systèmes grammaticaux de classification nominale dans un espace intermédiaire entre les extrêmes d’un continuum lexico- grammatical illustrés par la figure ci-dessous :

34 Grinevald Colette, Octobre 1999, « Typologie des systèmes de classification nominale ». In. Faits de langues, N° 14, La

catégorie dans les langues, pp. 103, http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1999_num_7_14_1271 Document lu le 01/05/2017

49 <Lexical………...………Grammatical>

Termes de mesure Classes nominales

Termes de classe Genre

CLASSIFICATEURS

Mensuratifs / de tri 35

Source : Typologie des systèmes de classification nominale (Colette Grinevald)

1e chemin Unité lexicale Cái (nom) : « mère »

Unité grammaticale

Cái (classificateur Inanimé)

Unité pragmatique Cái (focalisateur) 2e chemin Unité lexicale

Con (nom) : « enfant »

Unité grammaticale Con (classificateur Animé)

Source : Danh Thành Do-Hurinville & Huy Linh Dao, Juin 2014, in Stage Doctoral du SEDYL, « Le syntagme nominal en vietnamien », p 4.

L’interprétation du tableau récapitulatif ci-dessus montre que « con » et « cái » suivent respectivement le 1e et le 2e chemin en ce sens que le nom con est grammaticalisé pour devenir le classificateur « con ». Quant au nom cái, il est grammaticalisé pour devenir le classificateur cái, puis est pragmaticalisé pour devenir le marqueur de focalisation (FOC) « cái », dont l’emploi permet au locuteur de focaliser son attention sur un groupe nominal (cf. Nguyễn Hùng Tưởng, 2004).

Pour faire suite à cet examen des classificateurs de Colette Grinevald, on peut mettre en parallèle l’approche de Walter Bisang sur le même thème. Dans son article (1999) intitulé « Classifiers in East and Southeast Asian Languages : counting and beyond », Walter Bisang affirme que dans les langues de l’Asie du Sud-Est, les classificateurs peuvent prendre trois fonctions principales : celle de « classification », celle « d’identification » et celle d’« individualisation », et deux fonctions dérivées : celle de « référentialisation » et celle de

35 Colette Grinevald « La suggestion terminologique est d’étiqueter comme » « terme de mesure » ou

50 « relationalisation ». L’auteur précise qu’il existe une hiérarchie entre les trois fonctions essentielles comme suit : la classification est la condition préalable pour l’identification. Cette dernière peut s’opérer sans avoir à référer à l’individualisation. Ces trois fonctions sont récapitulées dans le figure ci-après :

Classification > Identification > Individualisation

(Référentialisation

Relationalisation) 36

Ainsi, les classificateurs ont été identifiés comme des systèmes lexico-grammaticaux de classification nominale, distincts de systèmes plus lexicaux et d’autres plus grammaticaux. La typologie actuelle désigne le classificateur en fonction du morphème duquel il est le plus proche ou auquel il est attaché.

Grinevald distingue quatre types de classificateurs qui sont 37:

- Les classificateurs numéraux, c’est le type le plus commun et le mieux établi. Ces

classificateurs sont appelés « numéraux » car ils se manifestent dans un contexte de quantification. Ils ont eu aussi d’autre appellation telles que : classificateur de nombre (number classifiers) ou classificateurs de nom (noun classifiers). Les systèmes les plus connus sont ceux de langues du Sud-Est de l’Asie (thaïlandais, birman, etc..) et notamment le chinois et le japonais.

Par exemple, en vietnamien :

(26) Ba chiếc xe Trois voitures (27) Sáu cuốn sách này Ces six livres là

36 Danh Thành Do-Hurinville et Huy Linh Dao, 2-6 juin 2014, in Le syntagme nominal en vietnamien. Stage Doctoral du

SEDYL : Ordre des constituants et contacts de Langues. SeDyl, UMR 8202, Villejuif, Ecole doctoralen°265 « Langues, Littératures et Société du Monde ».

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Les classificateurs nominaux, ils se manifestent comme des morphèmes libres dans des

syntagmes nominaux, à côté du nom lui-même, et clairement indépendant de l’opération de quantification. On trouve ces systèmes dans des langues méso-amérindiennes (maya...) Par exemple :

(28) Người làm vườn Le jardinier

(29) Con dao đỏ Le couteau rouge

- Les classificateurs verbaux vont se trouver au sein de la forme verbale, d’où son nom.

Il ne classifie pas le verbe lui-même mais plutôt un de ses arguments. Des classificateurs verbaux ont été décrits dans de nombreuses langues de l’Amérique du Nord.

Par exemple :

(30) Sự sáng tạo của con người là vô tận

La créativité humaine est infinie

(31) Ta cần có cái nhìn toàn diện Nous avons besoin d'une vision globale Partant de cette typologie des systèmes de classification nominale de Colette Grinevald, on ne peut que confirmer la richesse du domaine de la classification nominale qui demande à être exploitée d’une façon plus approfondie. On sait déjà que des données intéressantes ont été apportées pour des études empiriques en linguistique sur le phénomène de la catégorisation en général, de la grammaticalisation, et de la relation entre langue et savoir. L’intérêt des systèmes de classificateurs pour les études de catégorisation résiderait dans leur statut de classification sémantique. En fait, l’examen de cette typologie nous permet de constater qu’au-delà des classificateurs étudiés précédemment, il reste un champ d’investigation à exploiter.