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Les hommes sans domicile fixe et leur rapport aux services de santé et services sociaux

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Academic year: 2021

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LES HOMMES SANS DOMICILE FIXE ET LEUR

RAPPORT AUX SERVICES DE SANTÉ ET

SERVICES SOCIAUX

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en service social

pour l'obtention du grade de maître en service social (M. Serv. Soc.)

ECOLE DE SERVICE SOCIAL FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2012

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respecte ses enfants, respecte les parents, les grands-parents et respecte les itinérants. Un itinérant, il peut être un grand-papa de quelqu'un, il peut être un oncle de quelqu'un, il peut être le frère de quelqu'un. Un itinérant, ce n'est pas quelqu'un qui n 'a pas de cœur là. Tous méritent du respect, pas besoin d'avoir peur de prendre des poux ou de maladies quand tu les touches; il a bien des affaires plus sales que les itinérants à toucher. »

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-La demande d'aide par la population masculine est bien documentée. Cependant, même si les hommes sont surreprésentés parmi la population itinérante, jusqu'à ce jour, peu d'études portant sur l'itinérance ont touché la masculinité de manière spécifique. Cette étude vise à mieux comprendre le rôle joué par l'identité de genre des hommes itinérants fréquentant des ressources pour personnes sans-abri de la Ville de Québec dans leurs rapports avec les services de santé et les services sociaux.

Neuf hommes, la majorité dans la quarantaine, tous d'origine québécoise, ayant le français comme langue maternelle, fréquentant des ressources d'hébergement ou de dépannage alimentaire de la Ville de Québec ont été interviewés. Il s'est avéré que tous les participants présentent des problèmes chroniques de santé physique ou mentale et sont déjà dans un processus d'aide. Une grille d'entrevue semi-structurée a été élaborée afin de faciliter la collecte de données. Le constructivisme et l'interactionnisme symbolique ont été choisis comme perspectives d'analyse.

Les résultats montrent que l'idéal d'homme et l'image de soi, comme homme des participants, subissent l'influence des conditions socioéconomiques et des problèmes de santé vécus par ces hommes. L'étude suggère que l'identité de genre, que ces hommes se construisent, favorise l'émergence d'une masculinité de type traditionnel. Celle-ci joue un rôle, surtout négatif, dans les rapports aux services. Par contre, dans certaines circonstances dans le but d'attendre leur idéal de masculinité, ces hommes font preuve d'une plus grande ouverture aux services de santé et les services sociaux dans le but d'atteindre leur idéal de masculinité.

Mots clés : itinérance, hommes itinérantes, masculinités, rapports aux services, demande d'aide, services de santé, services sociaux.

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Avant tout, je remercie les directeurs et les intervenants des quatre organismes qui ont collaboré à l'étude : l'Armée du Salut, La Maison de Lauberivière, La Maison Revivre et Programme d'encadrement clinique et hébergement [P.E.C.H]. Sans leur collaboration, il aurait été impossible de réaliser ce projet. Je remercie également les neuf participants qui ont accepté de participer à l'étude; sans eux, cette étude n'aurait pas été réalisée. Ils ont donné de leur temps, acceptant de parler de leur vie et de leurs expériences. Ils ont enrichi énormément ma formation.

Je tiens aussi remercier monsieur Gilles Tremblay, professeur titulaire à l'École de service social de l'Université Laval, et qui a été mon directeur de recherche, pour m'avoir amené dans cette aventure de réaliser un mémoire de maîtrise portant sur l'itinérance et la masculinité, deux thèmes aussi vastes que passionnants. Je tiens aussi à dire qu'il personnifie vraiment les valeurs d'un chercheur, d'un travailleur social et de professeur, en méritant ces titres. Merci pour son encouragement.

Il manquerait de la place pour nommer toutes les personnes, mais je tiens à remercier les professeurs et professeures avec qui j'ai eu l'honneur d'être en contact pendant la maîtrise, dans les cours ou dans d'autres circonstances; chacun et chacune ont contribué à façonner une parcelle de ma formation. Je remercie aussi tous les collègues avec qui j'ai partagé les cours et qui m'ont, d'une façon ou d'autres, encouragé à poursuivre dans mon cheminement.

Je remercie également mon papa, Domingos Turchetto, qui m'a toujours encouragé à voler de mes propres ailes, et qui, un jour, m'a dit que les portes de sa maison resteraient toujours ouvertes pour moi. Cela m'a donné l'assurance d'avoir un lieu sûr pour y retourner, autrement dit, que je ne serais jamais seul et sans endroit sécuritaire pour aller.

Enfin, je remercie mon épouse, Raquel Almeida da Luz, pour son encouragement et sa patience, pour avoir su endurer mon stress, pour m'avoir poussé à aller de l'avant, mais spécialement un gros merci pour son amour, merci infiniment.

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T a b l e des m a t i è r e s

Résumé i

Remerciements ii

Table des matières iii

Liste de tableaux vi

Introduction 1

Chapitre 1: Problématique 4

1.1. L'itinérance 4 1.1.1. Définition d'itinérante, de santé et des services sociaux 5

1.1.2. Les besoins de la population itinérante 7

1.1.3. L'itinérance parmi les hommes 9 1.2. Les services de santé et les services sociaux au Québec 11

1.2.1. Les rapports des itinérants avec les services de santé et services sociaux 13

1.2.2. La santé et la demande d'aide des hommes 14

1.3. Les limites des études actuelles 18

1.4. Pertinence scientifique 19 1.5. La pertinence sociale 20

Chapitre 2: Cadre théorique 23 2.1 L'orientation épistémologique 23

2.1.2 L'interactionnisme symbolique 26

2.2 Le genre 27 2.3 La masculinité 29 2.4 La tension de rôle de genre 30

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Chapitre 3 :Méthodologie 33 3.1 L'approche privilégiée 33 3.2 Le type de l'étude 34 3.3 L'échantillon 35 3.3.1 Le type et la taille de l'échantillon 35

3.3.2 Profil des participants 36 3.3.2.1 Profil socio démographique des participants 37

3.3.2.2 La scolarité et les expériences de travail des participants 39

3.4 Le mode de collecte de données 40 3.5 La méthode d'analyse de données 41

3.6 Considérations éthiques 43 3.6.1 Le recrutement des participants 43

3.6.2 L'obtention du consentement des participants 44 3.6.3 Les rapports avec les organismes qui ont collaboré à l'étude 45

3.6.4 Les risques potentiels et les bénéfices de la participation 46

3.6.5 Le respect de la confidentialité 47 3.6.6 Les conséquences que peuvent découler des résultats de la recherche 48

3.7 Les limites de l'étude 49

Chapitre 4: Présentation, analyse et discussion des résultats 51 4.1 L'image d'homme et la construction de la masculinité 51 4.1.1 L'idéal de masculinité et l'image personnelle d'homme des participants 52

4.1.2 La construction de la masculinité 56 4.2 Les rapports aux services de santé et aux services sociaux 60

4.2.1 Les stratégies utilisées et la signification donnée en regard des besoins psychosociaux

et de santé 60

4.2.2 Ce qui favorise et ce qui nuit aux interactions avec les services 66

Conclusion 73

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Annexe B: Approbation de l'éthique 91 Annexe C: Texte de recrutement 93 Annexe D: Guide pour l'obtention du consentement oral du participant 94

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Liste de tableaux

Tableau 1 : Effets de la socialisation masculine sur la santé mentale des hommes 16 Tableau 2 : Exigences de la masculinité versus les exigences des demandes d'aide 17 Tableau 3 : Source de revenu et période de temps sans interruption en bénéficiant 37 Tableau 4 : Âge, état civil, nombre de mariages, temps de vie en commun et nombre

d'enfants des participants 38 Tableau 5 : Scolarité et expérience de travail des participants 39

Tableau 6 : Exemple des modifications pour améliorer la clarté des citations 42 Tableau 7 : Image de soi en tant qu'homme des participants sur une échelle de 0 à 10 .... 54

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L'intérêt pour le phénomène de l'itinérance m'est apparu pendant mon stage dans un hôpital psychiatrique; stage qui a été réalisé dans le cadre de la scolarité complémentaire pour accéder à la maîtrise en service social. L'ensemble des clients, que j'ai rencontrés, vivait de l'instabilité domiciliaire et chacun était itinérant selon l'une ou l'autre des définitions d'itinérance. J'ai pu constater qu'une partie importante de la population itinérante vit des problèmes de santé physique et mentale, population étant composée en grande partie d'hommes. Ainsi, l'étude dont fait l'objet le présent mémoire de maîtrise porte sur la masculinité, l'itinérance ainsi que le rapport que les hommes itinérants établissent avec les fournisseurs de services de santé et des services sociaux. Un regard est porté sur la vision que les hommes itinérants ont de leur masculinité et des rapports qu'ils ont avec lesdits services, ainsi que sur le sens qu'ils donnent à leur situation et à leurs actions. L'étude examine plus particulièrement la subjectivité individuelle et les liens que les itinérants, de sexe masculin, fréquentant des ressources pour personnes sans-abri de la Ville de Québec, ont avec les services de santé et les services sociaux.

Le but de l'étude est de comprendre les relations qui existent entre l'identité de genre et les rapports que les itinérants créent avec les fournisseurs de services. En outre, cette étude veut savoir quelles sont les perceptions qui influencent les rapports que les hommes itinérants ont avec les services de santé et les services sociaux. Elle vise également à dévoiler ce qui, selon eux, facilite, complexifie ou empêche l'utilisation desdits services. Elle s'inscrit dans la même veine que l'étude menée par Biswas-Diener et Diener (2006) à propos du bien-être subjectif des itinérants, un des objectifs qui visait à fournir des informations utiles pour l'intervention auprès de cette clientèle. En ce qui concerne la dispensation des services d'aide thérapeutique à une clientèle masculine, Dulac (2001) signale l'existence d'un décalage entre la structuration de ces services et les exigences de la masculinité. Plusieurs auteurs, notamment Tremblay, Morin, Desbiens et Bouchard (2007), considèrent qu'il faut tenir compte du genre en intervention. La qualité des relations que les fournisseurs de services établissent avec les itinérants peut nuire au processus de sortie de l'itinérance. En effet, même en ayant les conditions matérielles pour sortir de la rue, il faut

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2009). Il est donc important de comprendre davantage dans quelle mesure l'identité de genre, des personnes itinérantes, exerce une influence sur les rapports que celles-ci ont avec les fournisseurs de services. L'étude a donc pour but de produire de l'information pour améliorer la compréhension de la situation des hommes en situation d'itinérance pour que celle-ci puisse éventuellement être utilisée pour contribuer à améliorer la condition de cette population. Pour ce faire, l'étude porte sur la question de recherche suivante : « Comment l'identité de genre influence-elle les rapports avec les services de santé et les services sociaux chez les hommes itinérants fréquentant des ressources pour personnes sans-abri de la Ville de Québec? »

Cette étude est structurée en quatre chapitres. Le premier chapitre, ayant pour base la recension des écrits, présente la problématique de l'itinérance, de même que la vision de santé et services sociaux adoptés dans cette étude; ensuite, il est question des services de santé et des services sociaux au Québec, ainsi que leur utilisation par la population itinérante et par les hommes. Plus loin et toujours dans le premier chapitre, quelques limites identifiées parmi les études actuelles, ainsi que la pertinence scientifique et la pertinence sociale sont présentées. Le chapitre prend fin avec une présentation des objectifs de l'étude. Le deuxième chapitre expose le cadre théorique retenu pour répondre à la question de recherche, entre autres, il présente l'orientation épistémologique qui guide le travail, de même que les principaux concepts dont la compréhension est nécessaire pour l'étude. Le troisième chapitre porte sur les questions méthodologiques, dont la scientificité du processus suivi, le type et l'approche privilégiée, la population à l'étude, la technique d'échantillonnage choisie, le mode de collecte de données et sa forme de traitement. Finalement, le chapitre porte sur les enjeux éthiques; y sont détaillés les principes éthiques qui ont guidé l'étude. Le quatrième et dernier chapitre présente les résultats de l'étude en deux sections. En premier lieu, il présente l'image d'homme et la construction de la masculinité. En deuxième lieu, les rapports aux services de santé et aux services sociaux sont exposés. L'analyse, l'interprétation et la discussion des résultats sont présentées au fur et à mesure que les résultats seront exposés. À la fin, dans la conclusion, le but de la

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Ce chapitre présente une vision générale des connaissances à propos de l'itinérance et des services dispensés à la population itinérante. Il traite aussi de l'utilisation des services de santé et des services sociaux par la population itinérante et par les hommes en général. L'objectif est de délimiter et de cerner l'objet de la présente étude.

1.1. L'itinérance

L'itinérance est un phénomène complexe n'ayant pas une explication simpliste (Roy, 2007). Elle est croissante dans plusieurs grandes villes mondiales; elle touche autant les pays riches que les pays pauvres (Layton 2000). En ce qui concerne l'Amérique du Nord, Varney et Van Vliet (2008) affirment que le nombre d'itinérants a augmenté aux États-Unis et au Canada depuis les années 80. En 2008, Echenberg et Jensen mentionnent des sources qui signalent que l'itinérance toucherait de 150 000 à 300 000 personnes au Canada. Pour ce qui est du Québec, Paquette, Perreault, Faulkner et Leduc (2008), dans le document L'itinérance au Québec — cadre de référence, disent qu'il n'y a pas de données explicites pour affirmer que le phénomène de l'itinérance est croissant. Cependant, ces auteurs mentionnent que les intervenants, œuvrant directement auprès des itinérants, rapportent avoir observé une augmentation du phénomène.

Dans un mémoire présenté à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale du Québec, à l'automne 2008, le Regroupement pour l'aide aux itinérants et itinérantes de Québec [RAIIQ] mentionne que, depuis 2002, l'itinérance n'a pas diminué dans la Ville de Québec. À cette période, il y avait 16 194 personnes rejointes par 25 organismes membres du Regroupement. En plus, l'itinérance présente un nouveau visage englobant des personnes âgées, des jeunes, des immigrants, des femmes et des mères monoparentales de même que des familles.

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Il n'y a pas de consensus en ce qui concerne une définition d'itinérance; elle se définit de différentes manières selon les cultures. Glasser (1994) donne quelques exemples de définitions ayant cours dans diverses parties du monde. En Allemagne, l'itinérance fait référence à l'homme qui dort dans les parcs et qui passe des séjours en prison. En Indonésie, le concept est lié à la scolarité et aux soupçons de crimes. En Amérique latine, l'itinérant est une personne seule, sans lien d'appartenance à aucun groupe et qui ne peut pas compter sur l'appui des autres. En Finlande, la définition fait référence à l'âge et à l'alcoolisme, de même qu'au lieu pour dormir (sous les ponts). Aux États-Unis, le terme « itinérant » (homeless) fait référence au manque de logement. Au Brésil, Justo (2008) affirme que l'itinérant est la personne sans-abri, l'habitant de la rue, qui a perdu des attributs sociaux, comme la famille et l'emploi et qui tire son existence de la rue. Une des conséquences de l'itinérance, dans les pays en développement, est ce que Glasser appelle le « self-made housing », c'est-à-dire les itinérants qui construisent eux-mêmes un abri de fortune. Cela fait apparaître ce que l'on appelle des bidonvilles, ceux-ci sont des agglomérations de constructions précaires fabriquées avec des matériaux de récupération; ils se situent généralement à la périphérie des grandes villes.

Au Québec, plusieurs auteurs ont mentionné la difficulté à cerner l'itinérance (Beauchemin 1996; Bouchard, 1996; Bourgeois, 2008; Lussier et Poirier 2000; Paquette et al., 2008; Roy, 1988; Simard, 1990; Trépanier, 2007). Il n'y a pas d'unanimité sur une définition de cette problématique. Brassard et Cousineau (2002) mentionnent que les définitions sont données selon les critères établis par les chercheurs. Paquette et ses collègues présentent une définition de l'itinérance dans le Cadre de référence en itinérance au Québec qui tire son origine du Comité des sans-abris de la ville de Montréal, en 1987. Cette définition, reprise par le Comité interministériel sur l'itinérance en 1993, affirme qu'une personne itinérante est celle :

qui n'a pas d'adresse fixe, de logement stable, sécuritaire et salubre, à très faible revenu, avec une accessibilité discriminatoire à son égard de la part des services, avec des problèmes de santé physique, de santé mentale, de toxicomanie, de violence familiale ou de désorganisation

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limitée aux services (Paquette et al., 2008 : 11).

Celle-ci est la définition d'itinérance retenue pour orienter cette étude. Ce choix se justifie parce qu'elle montre le problème de l'itinérance au-delà de la question de la simple absence de logement. La définition d'itinérance est un enjeu important (Poirier, 2007) parce que différentes définitions peuvent donner des images distinctes du phénomène. Une définition peut avoir en soi le risque de conduire à une vision parcellaire, limitée ou déformée de la problématique. De plus, comme le mentionne Trépanier (2007), la définition d'itinérance influence l'adoption des politiques de même que les ressources allouées pour traiter le problème. Ainsi, il est préférable de considérer les définitions qui accordent une place à une vision plus globale du phénomène et d'éviter les définitions trop restrictives, au risque de conduire à une vision simplifiée du phénomène.

Si l'itinérance peut être définie de différentes manières, la santé aussi peut être vue sous différents aspects. L'Organisation mondiale de la santé définit la santé au-delà de l'absence de maladie : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2001 p. 3). Pour l'OMS, la santé mentale et la santé physique ne peuvent être dissociées de la dimension sociale; elles sont des parties essentielles de la vie des individus présentant une grande corrélation entre elles.

La première conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie à Ottawa en 1986, définit les conditions préalables d'une « bonne santé ». L'individu doit, entre autres, disposer d'un milieu de vie social et économique stable, avoir un logement, de la nourriture adéquate, tout comme le droit à la justice sociale et un traitement équitable (OMS, 2012). Donc, pour qu'un individu soit en santé il faut aller plus loin que considérer l'absence de maladie qu'affecte les personnes, soit physiquement, soit mentalement, l'environnement physique et social de la personne en fait partie. Ainsi, dans une perspective globale et dans le cadre de cette étude, les « services de santé » et les « services sociaux » sont définis comme l'ensemble des services fournis respectivement par les professionnels de la santé et par les professionnels des services sociaux pour promouvoir le bien-être physique, mental

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favorisant la santé, qui sont accessibles aux citoyens, dans le cas de cette étude, les hommes en contexte d'itinérance.

Dans le cadre de cette étude, la définition retenue de la santé accorde une place d'excellence aux professionnels du service social. Ils peuvent ainsi intervenir seulement sur l'individu ou simultanément sur l'individu et ses interactions avec son environnement. Ces professionnels peuvent, dans l'exercice de leurs activités, jouer un rôle important dans la mise en œuvre des actions préventives, curatives ou palliatives favorisant la santé des hommes itinérants.

1.1.2. Les besoins de la population itinérante

Au Québec, le phénomène de l'itinérance ne présente pas les mêmes caractéristiques que l'on trouve ailleurs dans le monde. Si, au Québec, il n'existe pas réellement de « self-made housing», la question du logement est présente. Bourgeois (2008) a constaté que l'augmentation du coût de la vie et du prix des loyers ont eu un effet sur le phénomène d'exclusion de femmes itinérantes du quartier Saint-Roch de la Ville de Québec. Cette constatation va dans la même direction des observations faites par Lamarque (1995) : le coût des loyers et le manque de logements sociaux, ainsi qu'un développement immobilier qui favorise la construction des copropriétés et d'immeubles à bureaux, contribuent au problème de l'itinérance. Cela fait en sorte que les personnes moins favorisées financièrement ont de plus en plus de difficultés à se trouver un logement. Bourgeois signale que la hausse du prix des loyers, à Québec, n'épargne même pas les logements les plus insalubres. Bref, le logement est un des besoins non comblés par les itinérants, soit par son manque ou par le risque imminent de se retrouver dans la rue, soit par les différents degrés d'inadéquation des lieux d'habitation et du coût des loyers.

Dans la définition d'itinérance, tirée du Cadre de référence en itinérance au Québec, il est aussi question des problèmes de santé physique et de santé mentale, de même que d'accessibilité aux services. Bhui, Shanahan et Harding (2006) ont décelé que l'itinérance

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toxicomanie et de l'alcoolisme. En plus de ces problèmes, une étude réalisée aux États-Unis par Nickasch et Marnocha (2009), fait ressortir que les itinérants souffrent souvent de maladies physiques telles que le diabète et les maux de dos. Au Québec, la majorité des données sur l'itinérance et l'utilisation des services par cette population est tirée de l'enquête réalisée dans les régions de Montréal-Centre et de Québec dans les années

1998-1999 par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) (Trépanier 2007). Cette enquête a révélé que, parmi la clientèle itinérante de la région de Montréal-Centre, 35 % des itinérants avaient des pathologies psychiatriques graves et 45 % présentaient de troubles liés à l'usage d'alcool ou de drogues. De plus, 61 % de la population à l'étude, dans cette enquête, un problème de santé confirmé par un médecin, tels des maux de dos, des maladies du système respiratoire, des rhumatismes, des problèmes de la peau, des maladies infectieuses, par exemple, les hépatites B et C (Fournier 2001). Ces pathologies sont aggravées par la vie dans l'itinérance (Darbyshire, Muir-Cochrane, Fereday, Jureidini et Drummond, 2006). Par ailleurs, un certain nombre d'itinérants souffrent des troubles concomitants de santé mentale et de toxicomanie (Bonin, Fournier, Biais, Perreault et White, 2007). À Montréal, Cousineau, Courchesne, Matton-Laquerre et Jastremski (2005) ont constaté que, parmi les itinérants hommes fréquentant les refuges en saison froide, 32 % de ceux-ci déclarent avoir des problèmes liés à leur santé physique, 21 %, à la consommation de drogues et 20 %, à la consommation d'alcool. Trépanier (2007) note qu'en général, les taux de problèmes physiques et mentaux des itinérants sont plus élevés que ceux de la population en général. Une étude touchant des itinérants ayant des problèmes de santé mentale de la ville d'Adélaïde, en Australie, a permis à Darbyshire et al. (2006) de montrer que les services de santé et les services sociaux étaient dispersés et fragmentés. Au Québec, une situation semblable a été signalée par le Barreau du Québec (2008) dans un mémoire présenté à la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale du Québec portant sur le phénomène de l'itinérance. Ce mémoire signale que de nombreux témoignages montrent que les itinérantes au Québec ont la contrainte de décrire leur situation à de nombreux intervenants dans différents lieux pour pouvoir obtenir de l'aide. Une des conséquences de la dispersion et de la fragmentation des services que McKeown et Plante (2000) mentionnent est que les itinérants doivent se débrouiller seuls. Cette situation est encore

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ensemble des situations et qui réclament la participation des différents services (Trépanier, 2007). Bref, la dispersion et la fragmentation des services, alliées à une variété de besoins de la part des itinérants, font que ceux-ci éprouvent des difficultés et sont isolés dans leurs démarches; ce qui contribue à aggraver les problèmes vécus.

1.1.3. L'itinérance parmi les hommes

Pour survivre, les hommes et les femmes itinérants utilisent des stratégies différentes. Gilbert, (2004) mentionne que le vécu dans l'itinérance n'est pas le même selon le sexe. Bourgeois (2008) signale que le parcours qui conduit les femmes et les hommes à l'itinérance est différent. Bref, les données de plusieurs études montrent l'itinérance des hommes comparée à celle des femmes.

Bourgeois (2008), indique que, comparativement aux hommes, les femmes itinérantes utilisent davantage des stratégies ayant pour but de garder ou de trouver un logement. Les femmes vivent le phénomène de « l'itinérance cachée ». Ce phénomène se réfère à l'instabilité résidentielle; les femmes, n'ayant pas un logement stable, habitent temporairement, par exemple, chez des amis, chez des connaissances ou chez des parents. Parmi les femmes ayant des enfants, Bouchard, Fontaine et White (1988) expliquent que l'acharnement à trouver et à maintenir un logement est motivé par le fait que ces femmes éprouvent des sentiments négatifs à ne pas pouvoir offrir des conditions de vie satisfaisantes à leurs enfants. Novae, Brown et Bourbonnais (1996) identifient différentes stratégies que les femmes itinérantes adoptent pour combler leurs besoins de base. Parmi celles-ci se retrouve l'échange de « faveurs sexuelles » pour avoir un toit et de la nourriture. Par ailleurs, il est probable que les femmes monoparentales évitent de fréquenter des organismes communautaires par peur de se voir enlever la garde de leurs enfants par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) (Bourgeois, 2008).

Comme stratégies communes aux hommes et aux femmes, en situation d'itinérance, les auteurs mentionnent le vol et la mendicité. Des études montrent une prévalence d'un casier

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judiciaire plus grande parmi la population itinérante que parmi la population en général, et que les hommes itinérants sont proportionnellement plus criminalises que les femmes itinérantes (Brassard et Cousineau, 2002).

L'enquête réalisée, dans les régions de Montréal-Centre et de Québec, en 1998 etl999, ciblant la clientèle journalière qui fréquente des ressources pour personnes itinérantes révèle que, à Montréal-Centre et à Québec, la clientèle masculine représentait respectivement 84 % et 89 % des usagers (Fournier 2001). Un pourcentage semblable a été révélé par une étude qui a considéré la fréquentation des refuges pour les personnes itinérantes du 15 décembre 2003 au 15 avril 2004 à Montréal. Cette recherche a analysé 840 fiches d'inscription, correspondant à 697 personnes différentes; ces fiches ont été remplies par toute nouvelle personne admise dans l'un ou l'autre des refuges participants. Cette étude dévoile que 91 % des fiches ont été remplies par des hommes (Cousineau et al., 2005).

Statistique Canada a estimé, lors du recensement de 2001, dans la Ville de Québec, une population de 195 hommes itinérants dans l'ensemble des refuges; ce qui correspond à 76 % du total de personnes qu'y étaient hébergées (Statistique Canada 2001 cité par l'Institut canadien d'information sur la santé [ICIS], 2007). Trépanier (2007) mentionne l'existence de 379 places à Québec disponibles à la population itinérante dans l'ensemble des services offerts. Plus précisément, il signale l'existence de 215 lits dans les ressources de type refuge ou hôtellerie dont 147 sont pour les hommes et 68 pour les femmes. L'auteur nomme aussi huit organismes qui offrent des services d'hébergement, soit à une clientèle exclusivement masculine, soit à une clientèle mixte ayant plus de 18 ans : L'Archipel d'entraide, l'Armée du Salut, Centre résidentiel Jacques-Cartier, Maison de Lauberivière, Maison Marie-Frédéric, Maison Revivre, Maison Le Rucher et Programme d'encadrement clinique et hébergement [P.E.C.H]. Trépanier mentionne aussi cinq centres de jour membres du RAIIQ, ceux-ci offrant des services à la population itinérante masculine ou mixte dans la Ville de Québec : Café rencontre Centre-ville, Centre communautaire l'Amitié, Le Passage, Maison Dauphine (Les Œuvres de la) et Relais La Chaumine. Donc, une décennie après l'enquête menée par Fournier, il ressort que, dans la Ville de Québec, le problème de l'itinérance, à en juger par le nombre de places offertes aux hommes itinérants,

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touche toujours un nombre beaucoup plus grand d'hommes que de femmes. Cette présence majoritaire, des services adressés aux hommes itinérants, permet d'envisager l'existence des particularités dans l'offre et dans la dispensation de services offerts aux itinérants de sexe masculin.

1.2. Les services de santé et les services sociaux au Québec

Selon la Constitution canadienne, les services de santé et les services sociaux sont de compétence provinciale (Saucier et St-Pierre 2001). Ces services, au Québec, depuis le début des années 1970, avec l'entrée en vigueur de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, deviennent la responsabilité de l'État; responsabilité qui touche le financement, l'organisation et la distribution (Mayer et Goyette 2000). Entre autres, le système de santé publique québécois est régi par le principe d'universalité, selon lequel toute personne ayant le statut de résident au Québec a accès aux services médicaux et hospitaliers (Arweiler et Contandriopoulos 2007).

Cette organisation des services au Québec présente la particularité d'avoir une intégration de services de santé et des services sociaux au sein d'une même administration (Turgeon, Anctil et Gauthier 2003). Cependant, autant les organismes communautaires que le réseau public sont des fournisseurs de services aux itinérants (Paquette et al., 2008). Denoncourt, Desilets, Plante, Lapante et Choquet (2000) déclarent que l'offre des services à la population itinérante, au Québec, constitue un défi pour le système de santé et de services sociaux. Un défi auquel le milieu communautaire donne une réponse dont il faut absolument tenir compte (Trépanier 2007; Paquette et al., 2008). Les itinérants ont la possibilité d'accéder à des services essentiels de la part des organismes communautaires, tels l'hébergement d'urgence, des repas et la gestion de crise. Plusieurs de ses organismes œuvrent dans les milieux de vie des itinérants. Les services offerts vont des services de première nécessité jusqu'aux services de soutien, d'accompagnement et de défense des droits (Paquette et al., 2008). Cette offre de services, dans le milieu de vie des itinérants, s'inscrit dans le modèle d'organisation des services proposés par le ministère de la Santé et des Services sociaux, c'est-à-dire que les services doivent être disponibles à proximité du

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milieu de vie des individus. L'offre desdits services doit répondre aux besoins, le cheminement à travers le système doit être facilité et une attention doit être portée aux personnes plus vulnérables (MSSS, 2008).

Malgré la non-existence d'un programme ministériel particulier pour traiter de l'itinérance, des services sont aussi offerts à la population itinérante par les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, surtout à Québec, à Montréal, à Sherbrooke, à Gatineau et à Laval, villes ayant une concentration plus élevée de personnes itinérantes. Dans ces villes, certains centres de santé et de services sociaux ont mis sur pied des services destinés à la population itinérante. Il faut d'ailleurs signaler que rarement un programme tient pour cible directe la population itinérante. De façon générale, les services pour personnes itinérantes ou à risque de le devenir, sont offerts dans les programmes suivants : services généraux, santé physique, santé mentale, dépendances, santé publique, jeunes en difficulté et personnes âgées (Paquette et al., 2008). Ainsi, certaines problématiques font l'objet de programmes spécifiques, probablement en raison d'une reconnaissance sociale du problème; les personnes âgées et les enfants en sont de bons exemples. Pour ce qui est du phénomène de l'itinérance, malgré le fait d'être reconnu, il semble être laissé à un deuxième plan.

Le large éventail de besoins des itinérants demande souvent la mise en marche d'une multitude de ressources et de services appartenant à différents réseaux. L'itinérant doit donc se plier à différentes normes d'ordre administratif ainsi qu'à une multitude de règles et critères d'accès (Paquette et al., 2008). Cette dynamique de fonctionnement, de même que l'offre de services, diffèrent selon le milieu communautaire ou le milieu institutionnel. Ainsi, l'itinérant qui doit avoir des services dans ces deux milieux est aux prises avec plusieurs difficultés (Trépanier 2007). Pour ce qui est des services spécialisés offerts par les centres hospitaliers de soins généraux ou de soins psychiatriques ou par les centres de réadaptation, peu d'entre eux sont particulièrement destinés à la population itinérante; ces services s'adressent davantage à l'ensemble de la population (Paquette et al., 2008).

Bref, selon les principes légaux, au Québec, les systèmes de santé et des services sociaux sont universels et aucun résident ne doit en être exclu. Par contre, certaines caractéristiques de la population itinérante, telle la présence, dans de nombreux cas, de problèmes de santé

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mentale associés ou non à des problèmes de santé physique, de même qu'à la dépendance aux drogues et à l'alcool, ainsi qu'à l'absence d'un réseau de soutien et d'une histoire de vie particulière et fragilisée, font en sorte que l'accès aux services n'est pas toujours une réussite. Cette situation est aggravée par une organisation des services fragmentée et dispersée, services qui, dans maintes situations, sont peu ou pas adaptés à la population itinérante. Ces particularités font en sorte que l'utilisation de services et le cheminement à travers le système ne sont pas une chose facile pour les itinérants. Cette situation contribue à maintenir et à aggraver le problème de l'itinérance (Trépanier, 2007).

1.2.1. Les r a p p o r t s des itinérants avec les services de santé et services sociaux

En ce qui concerne l'accessibilité aux services de santé et aux services sociaux, la recension des écrits a révélé que les itinérants n'ont pas les mêmes rapports dans leurs interactions avec les services qu'un citoyen moyen. Trépanier (2007) signale aussi que les itinérants doivent surmonter de nombreuses barrières, telles des difficultés de transport, l'ignorance de l'existence des services, de même que la perception que le service leur sera refusé. Les principales difficultés signalées, par les itinérants, touchent les rapports avec les services de santé. Bonin, Fournier, Biais et Perreault (2005) notent que les personnes itinérantes ont des rapports complexes avec les services. Quelques facteurs sont associés aux itinérants eux-mêmes, d'autres à ceux qui fournissent les services. De plus, les itinérants sont souvent méfiants envers les intervenants et les services. La méfiance, comme un facteur influençant l'utilisation des services, est apparue aussi dans les recherches réalisées en 2008 par Garrett et al. (2008).

L'utilisation des services par la population itinérante est influencée par des aspects subjectifs, tels que la perception que ceux-ci ont une atmosphère de non-jugement et un climat de respect; tels éléments ont été perçus comme importants dans le choix d'utilisation de services (Darbyshire et al., 2006; Garret et al., 2008). De plus, le sens que les itinérants donnent aux interactions qu'ils maintiennent avec d'autres personnes itinérantes et non itinérantes exerce une influence sur leurs intentions et leurs comportements en ce qui

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concerne la fréquentation des ressources (Christian, Armitage et Abrams 2007; Garret, et al., 2008). À cet effet, Christian et ses collègues mentionnent que les itinérants sont moins susceptibles d'affirmer que d'autres personnes exercent une influence sur leur décision d'utiliser les services. Dans certains cas, malgré l'accessibilité des services, il y a une réticence à les utiliser (Nickasch et Marnocha, 2009). Donc, être dans le besoin et l'accessibilité des services ne sont pas les seules conditions qui jouent dans l'utilisation des services par les personnes en situation d'itinérance.

1.2.2. La santé et la demande d'aide des hommes

L'espérance de vie des hommes est un bon indicateur de l'état global de la santé de la population masculine (Tremblay et Déry 2010). Au Québec, malgré une diminution, depuis les 30 dernières années, de l'écart existant entre l'espérance de vie des hommes et des femmes, l'expectative de vie des hommes à la naissance et à 65 ans, présente toujours un écart qui leur est défavorable (ISQ, 2012). Certains problèmes sont plus présents; parmi la population masculine, les hommes sont plus souvent victimes de morts violentes que les femmes; le suicide en est un exemple (Courtenay, 2000). Plusieurs études montrent que les hommes utilisent les services de santé à un taux inférieur à celui des femmes (Houle, 2005). Certains indicateurs de l'état de santé de la population masculine au Québec, comme la longévité et le taux de décès pour certaines maladies montrent des chiffres défavorables aux hommes. Par contre, ceux-ci rapportent une bonne perception de leur état de santé (Cloutier, Tremblay et Antil, 2005).

Une recherche touchant un groupe d'hommes, étudiants universitaires aux États-Unis, montre que la conformité aux normes masculines traditionnelles, telles que le contrôle émotionnel, la violence, la prise des risques, le pouvoir sur les autres et l'indépendance est liée à une santé mentale plus pauvre de même qu'à une réticence envers la recherche d'aide psychologique professionnelle (Mahalik et al., 2003). Dans un autre groupe, constitué d'étudiants universitaires du sexe masculin d'origine Kenyane et des États-Unis, la conformité aux normes masculines est liée, pour certains, à une moindre chance de demander l'aide d'un médecin ou d'un professionnel de la santé mentale; pour d'autres, elle

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est liée à l'isolement interpersonnel ainsi qu'à une augmentation de la probabilité d'usage de substances (Mahalik, Lagan et Morrison, 2006).

Au Québec, une étude touchant les hommes en situation d'extrême pauvreté montre que ces hommes sont réticents à utiliser les services de santé et les services sociaux, même lorsqu'ils reconnaissaient le besoin d'aide. Cette étude révèle que l'un des motifs pour ne pas utiliser lesdits services est de se conformer aux normes masculines (Dupéré, O'Neill, et De Koninck, 2012). La population masculine, en général, est réticente à demander de l'aide; elle utilise les services de santé et les services sociaux en dernier recours pour des problèmes graves (Tremblay et L'Heureux, 2005). Plusieurs écrits mentionnent des conséquences négatives associées à la masculinité, celles-ci influencent les rapports des hommes à la demande d'aide (Brooks, 1998; Dulac, 2001). D'autres études laissent voir que la masculinité peut jouer un rôle d'adaptation ou d'inadaptation selon le contexte (Wong, Owen et Shea, 2012).

La socialisation des hommes, étant dirigée vers des nonnes standardisées de la masculinité, présente dans la société peut causer des effets néfastes sur les hommes; les conséquences peuvent se manifester sur la santé physique et psychologique de ces derniers. Sur le plan physique, les hommes peuvent développer des comportements à risque, par exemple le refus à demander de l'aide lorsque cela est requis. La santé psychologique peut être affectée par un isolement affectif (Pleck, 1995). De plus, les hommes peuvent développer des comportements socialement réprouvés, telles l'agressivité, l'impulsivité et la violence (Tremblay, Morin, Desbiens et Bouchard, 2007). La santé mentale des hommes peut être influencée par les modes de socialisation masculine comme l'illustre le tableau 1 de la page suivante.

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Tableaux 1 : Effets de la socialisation masculine sur la santé mentale des hommes Socialisation masculine Effets sur la santé mentale

Performance Honte de l'échec

Répression des émotions Difficultés à identifier les sources de stress, les frustrations

Eviter le féminin en soi Homophobie, mépris des femmes (ou dépendance) Pourvoyeur, être centré sur le travail Chômage = perte d'identité

Autonomie Isolement affectif

Se débrouiller seul Ne pas demander de l'aide Prouver sa masculinité Insécurité

Valorisation de la force et de la

violence Dévalorisation de la parole, agirs violents

Source : Tremblay et Thibault (2002) dans Tremblay, Thibault, Fonséca et Lapointe-Goupil (2004, p : 9)

La construction sociale de la masculinité présente des effets sur le bien-être et la santé physique des hommes (Tremblay et Déry 2010). Donc, certaines caractéristiques de l'identité de genre masculine, dont l'origine se trouve dans le mode de socialisation, influencent directement les rapports des hommes avec les services de santé et les services sociaux. Par exemple, un homme ayant appris qu'il doit se débrouiller seul a probablement plus de chance d'essayer, par lui-même, de régler ses problèmes de santé, et par conséquent, de s'adresser aux services d'aide en dernier recours lorsqu'il est confronté à des problèmes de santé ou sur le point d'être évincé de son logement.

Par conséquent, le bien-être psychologique, ainsi que la santé physique des hommes peuvent être affectés par les valeurs et les comportements liés à la masculinité. Les hommes, pour démontrer leur masculinité, ont tendance à cacher leurs faiblesses, nier leur vulnérabilité et leurs besoins d'aide (Courtenay 2002). D'après cet auteur, les hommes cherchent aussi un contrôle personnel de leurs émotions et de leur corps physique; le stoïcisme et la robustesse sont aussi mis de l'avant. Cela peut faire en sorte que les hommes ignorent les signes que leur santé n'est pas au point; ils auront donc une tendance à dire que tout va bien, qu'il n'y a pas de problème. Ainsi, les rapports des hommes, y compris des hommes itinérants, avec les fournisseurs des services de santé et des services sociaux seraient ainsi influencés par cette masculinité, fruit de la socialisation. Bref, elle façonne la façon de penser et d'agir des hommes, elle exige un ensemble d'actions et de

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comportements qui joueront un rôle dans la demande d'aide et dans les relations avec les fournisseurs des soins.

Les rapports des hommes avec les services d'aide ne sont pas seulement influencés par le processus de socialisation selon le genre. La féminisation de la clientèle et de la pratique influence la manière de dispenser les services par les organismes d'aide (Kadushin, 1976). Historiquement, ce sont les femmes qui avaient les rôles d'aider et de soigner; cette situation influence la dispensation des services et la demande d'aide (Dulac, 2001). L'auteur note aussi qu'il existerait une construction des services selon un modèle féminin tandis que les hommes exprimeraient leurs demandes selon un mode masculin. Cette situation créerait une incompatibilité entre la manière dont l'aide est offerte et la façon dont les hommes la demandent. Dulac, reprenant les travaux de Brooks, compare les exigences de la masculinité avec celles de la demande d'aide.

Tableaux 2 : Exigences de la masculinité versus les exigences des demandes d'aide (Dulac, 2001, p. 125)

Exigences de l'aide Exigences de la masculinité Dévoiler sa vie privée Cacher sa vie privée Renoncer au contrôle Conserver le contrôle Avoir une intimité non sexuelle Sexual iser l'intimité

Montrer ses faiblesses Montrer sa force Faire l'expérience de la honte Exprimer sa fierté

Etre vulnérable Etre invincible

Chercher de l'aide Etre indépendant

Exprimer ses émotions Etre stoïque

Faire de l'introspection Agir et faire

S'attaquer aux conflits interpersonnels Éviter les conflits Faire face à sa douleur et à sa souffrance Nier sa douleur et sa souffrance

Reconnaître ses échecs Persister indéfiniment Admettre son ignorance Feindre l'omniprésence Source: Brooks, G.R. (1998). A New Psychotherapy for Traditional Men, p.44

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Le tableau 2 montre que les exigences de la masculinité sont diamétralement opposées à celles de la demande d'aide. Ce paradoxe influence les actions des hommes envers les services d'aide de même que leurs stratégies de résolution de problèmes, en plus d'être une source potentielle de conflits entre les demandeurs d'aide et ceux qui offrent les services. Les hommes, pour demander de l'aide, doivent se comporter de manière différente de ce que le processus de socialisation leur a appris. Prenons un exemple pour illustrer; l'homme est éduqué pour montrer sa force et la demande d'aide exige de montrer ses faiblesses; c'est en quelque sorte demander d'être à la fois le loup et le mouton. Ainsi, la socialisation des hommes doit être prise en considération pour la compréhension des rapports que les hommes itinérants entretiennent avec les services de santé et les services sociaux. Cette masculinité peut influencer, à différents degrés, la demande d'aide des hommes, leurs interactions avec les fournisseurs des services de même que l'offre et la dispensation de ceux-ci. Finalement, si les hommes non itinérants ont de la difficulté à recevoir des services, et si la population itinérante dans son ensemble l'est aussi, en suivant la logique, être un homme dans l'itinérance complexifie encore plus l'accès aux services.

1.3. Les limites des études actuelles

Les principales limites identifiées dans la recension des écrits sont d'ordre méthodologique. Elles sont liées à l'échantillonnage et aux possibilités de généralisations (Bhui et al., 2006; Bonin et al., 2005; Christian et al., 2007; Darbyshire et al., 2006; Garrett et al., 2008; Nickasch et Marnocha 2009; Liu et al., 2009). Ces études signalent les difficultés de recrutement et de construction d'un échantillon représentatif de l'ensemble de la population itinérante comme le principal problème.

La présente étude a pris en considération la difficulté de recruter des participants en faisant appel à l'aide des organismes dispensateurs de services. Ce choix est justifié en s'appuyant sur les travaux de Denoncourt et al. (2000) qui ont constaté que la majorité de la population itinérante desservie fréquente des ressources communautaires. Très peu d'itinérants vivent dans l'itinérance littérale; c'est-à-dire séparés du reste de la communauté itinérante et complètement isolés dans la rue.

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La plupart des études, touchant la population itinérante, font appel à un devis de recherche qualitative. Une des plus fortes critiques envers la recherche qualitative est qu'elle produit des résultats non généralisables (Côté et Turgeon, 2002). La réponse donnée à cette critique, par ces auteurs, est que ce type de recherche prend en considération une méthode de recrutement qui permet une diversité de participants et ainsi l'obtention d'une variété de données. De plus, les chercheurs qualitatifs analysent en profondeur, un ou plusieurs aspects d'une problématique. La recherche qualitative produit des connaissances qui peuvent être généralisables; il reste à ceux qui la lisent de juger si les interprétations sont applicables à une réalité particulière ou à d'autres (Côté et Turgeon, 2002).

Malgré un grand nombre d'études portant sur l'itinérance des hommes, peu d'entre elles ont abordé la masculinité (Liu, 2002). Les études connues, touchant l'itinérance et le genre, se sont davantage intéressées aux femmes itinérantes. De plus, aucune étude spécifique n'a été trouvée relativement aux rapports des hommes itinérants avec les services de santé et les services sociaux, au Québec, à la lumière de l'identité masculine.

1.4. Pertinence scientifique

La recension des écrits a relevé des études portant sur l'itinérance des hommes, sur l'itinérance et la masculinité, ainsi que sur l'utilisation des services de santé et des services sociaux par la population itinérante. Par contre, cette recension n'a pas relevé d'étude portant sur les liens existants entre l'identité de genre des hommes itinérants et les rapports de ceux-ci avec les services de santé et les services sociaux. Il faut ajouter que le phénomène de l'itinérance, vécu par les hommes, est différent de celui vécu par les femmes. (Bourgeois, 2008; Liu et al., 2009).

En plus d'être un phénomène hétérogène, il y a un manque de connaissances pour mieux intervenir auprès des itinérants (Poirier, Bonin, Lesage et Reinharz, 2000). Les études menées par les chercheurs Mahalik et al. (2003) et Mahalik et al. (2006) ont constaté un lien entre l'adhésion aux normes masculines et l'utilisation des services de santé physique

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ou de santé mentale ainsi qu'à la demande d'aide psychologique par la population masculine issue des différents groupes ethniques. La pertinence scientifique, de cette étude, réside au fait que malgré l'existence d'études abordant le genre masculin et l'utilisation des services de santé, aucune n'a été trouvée relativement aux rapports des hommes itinérants avec les services de santé et les services sociaux au Québec.

1.5. La pertinence sociale

La Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît que « tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques destinés à assurer sa protection et son épanouissement » (Deschênes, 1989, p. 6). À cela, il faut ajouter que les personnes ont des droits fondamentaux inscrits dans les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés de la personne (par exemple le droit à la protection de la vie, le droit à la sécurité et à l'intégrité). L'exercice des droits de la part des personnes itinérantes n'est pas toujours une chose facile, comme ont constaté Denoncourt et al. (2000). Les itinérants ont des besoins de base non comblés, tels le manque de revenu, le besoin d'un toit, de même que de l'information facilitant l'accès aux services de santé et de services sociaux. Le Barreau du Québec (2008), dans le mémoire présenté à la Commission des Affaires sociales, note qu' « il ressort des situations décrites devant cette Commission que la sécurité et l'intégrité des personnes en situation d'itinérance sont compromises de façon dramatique dans plusieurs cas » (p. 2). De plus, le Barreau souligne que les témoignages indiquent que les rapports aux services ne sont pas satisfaisants; l'aide reçue est fractionnaire et éventuelle.

Trépanier (2007) signale l'existence d'un manque de participation directe des itinérants pour faire valoir leurs droits. Cette participation est essentielle selon Paulo Freire, pédagogue brésilien, qui a écrit dans son œuvre La pédagogie des opprimés (1974), que personne ne libère personne, personne ne se libère seule, les personnes se libèrent ensemble. Dans ce sens, une étude laissant de la place aux itinérants hommes pour qu'ils puissent faire part de leur réalité, ainsi que leurs rapports avec les services de santé et les services sociaux crée de la place pour leur participation, même si cela demeure minimal, en se considérant la portée d'une étude qui conduit à un mémoire de maîtrise. En donnant aux

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participants à l'étude le pouvoir d'agir à travers l'écoute de leur parole, le point de vue des ces hommes, souvent marginalisés et même privés de droits, a été valorisé. L'opportunité de s'exprimer et une meilleure compréhension du problème peut aider à faire apparaître des conditions pour le démarrage d'un processus de changement soit au plan individuel, soit au plan collectif.

Le service social assume le rôle de défenseur des droits des personnes marginalisées depuis longtemps. Cet engagement peut être remarqué dans de nombreuses définitions du service social et est aussi constaté par Lecomte (2000) qui, en analysant diverses conceptions du travail social, a conclu que dans les définitions que l'on retrouve, il faut considérer, entre autres, que la mission initiale est d'œuvrer en faveur des classes moins favorisées. Un autre point signalé, par l'auteur, est la préoccupation de comprendre la personne dans son environnement social.

On regarde la définition internationale du travail social adoptée par VInternational Federation of Social Worker en 2000 :

The social work profession promotes social change, problem solving in human relationships and the empowerment and liberation of people to enhance well-being. Utilising theories of human behaviour and social systems, social work intervenes at the points where people interact with their environments. Principles of human rights and social justice are fundamental to social work. (Hare, 2004:418)

Il apparaît dans cette définition que le travailleur social assume un soutien à ceux qui sont dans le besoin et intervient en visant une prise ou reprise du pouvoir d'agir des personnes concernées. La question d'allier la théorie à la pratique est aussi présente, ainsi que les principes des droits humains et de justice sociale. Dans le même sens, font partie des attributions des travailleurs sociaux au Québec, dans l'exercice de leurs activités professionnelles, la promotion de la justice sociale et de l'équité, ainsi que le respect des droits, tout en favorisant le pouvoir d'agir des individus et des groupes. (OTSTCFQ, 2012). De plus, le système de santé et de services sociaux du Québec a le défi d'offrir des services à la population itinérante, celle-ci ayant une grande diversité de besoins auxquels le milieu institutionnel ne répond qu'en partie seulement (Denoncourt et al., 2000). La recherche se

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justifie socialement pour traiter d'une problématique touchant une population démunie. Elle permet de comprendre un peu plus la problématique d'accessibilité aux soins de santé et de services sociaux de la part des hommes itinérants.

Donc, cette étude est située dans la lignée de la défense des droits des personnes démunies dans la mesure où elle vise, par une meilleure compréhension et la création des connaissances, à propos de l'itinérance des hommes et de leurs rapports au système de santé et de services sociaux, de générer de l'information qui contribue à ce que les itinérants puissent devenir des citoyens à part entière dans la société tout en jouissant pleinement de leurs droits.

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La façon d'aborder et de conduire une recherche, ainsi que l'analyse de ses résultats sont influencées par l'adhésion à un paradigme, à une théorie explicative, de même qu'à l'acceptation ou le refus des certains postulats; cela impose une réflexion pour faire des choix éclairés. Ce chapitre expose l'orientation épistémologique qui guide l'étude suivi des principaux concepts, dont la compréhension est nécessaire pour l'étude. Ainsi, sont considérées : l'identité de genre, la masculinité et la tension de rôle de genre. Finalement, le chapitre s'achève par le rappel de la question de recherche ainsi que par l'exposé de la stratégie adoptée pour y répondre.

2.1 L'orientation épistémologique

Cette section présente la posture théorique qui guide l'étude de même que les raisons qui motivent les choix. La recension des écrits, portant sur la masculinité, montre différentes formes de masculinité. Plusieurs chercheurs (Connell, 1995; Courtenay, 2000; Oliffe, 2006; Synnott, 2001) parlent de masculinités au pluriel. Il existe plusieurs mouvements distincts qui la discutent; elle serait une construction unipolaire, une idéologie, une source de tension, une entité socialement construite ou un mélange de ceux-ci (Smiler, 2004).

Devant ces nombreuses possibilités d'aborder la masculinité, une délimitation s'est imposée dans le choix de l'orientation épistémologique qui guide l'étude. Il faut considérer la construction de l'identité personnelle des individus en lien avec les interactions qu'ils ont avec les autres (Bajoit, 1999). Donc, une perspective qui considère l'identité et le genre comme une construction qui influence la santé et la demande d'aide des hommes, ainsi que la dispensation des services qui leur sont offerts est tout à fait appropriée aux objectifs de cette étude. Cette perspective permet d'explorer les liens qui existent entre l'identité de genre et la construction de la masculinité des hommes itinérants en ce qui concerne leurs rapports avec les fournisseurs de services de santé et de services sociaux.

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L'étude vise à comprendre les actions des hommes itinérants, cherchant aussi à dévoiler le sens qu'ils donnent à leurs actions et à leurs expériences. Pour ce faire, la présente recherche doit tenir compte autant de la construction d'identité de genre et la masculinité de ces hommes de même que de leurs perceptions, de leurs interprétations et des interactions qu'ils entretiennent dans le milieu. Afin d'atteindre ces objectifs, le cadre théorique choisi découle du constructivisme et de l'interactionnisme symbolique. Ce choix repose sur le fait que le genre est une construction sociale et que la perspective constructiviste « pense le genre comme une construction interactive et non comme une essence de l'être » (Lajeunesse, 2007, p. 11). Ce chercheur rapporte que le choix du constructivisme et de l'interactionnisme symbolique a permis de montrer, dans sa recherche, portant sur la construction de l'identité de genre des hommes sportifs, comment l'identité de genre se construit par les actions et par le sens que ces hommes donnent à leurs actions. Dans cette étude, il est considéré que l'identité de genre des hommes itinérants est un produit, une construction sociale, influencée aussi par leurs interactions, y compris celles entretenues avec les fournisseurs de services de santé et de services sociaux.

Dans la perspective constructiviste, la connaissance en recherche est construite à partir de l'interprétation du participant et du chercheur; la réalité n'existe pas en dehors du sujet; c'est l'être humain qui la construit en fonction de ses expériences. Il n'y a donc pas une connaissance absolue; la réalité est multidimensionnelle et construite socialement (Le Moigne, 1999). Cette perspective met l'accent sur la façon dont se construisent les problèmes sociaux (Mayer et Ouellet 2000). En plus, cette construction est un processus qui se fait continuellement (Akoun et Ansart 1999). En conséquence, cet assemblage dynamique, qui se fait en permanence, permet d'entrevoir les changements qui s'opèrent dans la problématique à laquelle s'intéresse l'étude. C'est donc dire que, selon ce point de vue, l'itinérance masculine n'est pas statique et immuable et les actions des participants peuvent contribuer à faire apparaître des changements. De plus, le genre étant continuellement construit et non donné a priori, les hommes ne sont pas prisonniers de leur essence; il est donc possible d'intervenir auprès d'eux pour contribuer à une prise ou reprise du pouvoir d'agir (Lajeunesse 2007).

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La recherche est une méthode de production de connaissances. Elle est tributaire de l'action mutuelle des individus et des objets physiques ou abstraits; le produit issu apparaît comme une image du vécu des acteurs (Le Moigne 1999). Dans le même sens, Freire (1974) dit qu'on doit faire ni pour ni par la personne, mais avec la personne. La question de recherche est de type compréhensif s'intéressant au sens que les auteurs donnent au problème. L'étude met l'accent sur ce qui émerge des données subjectives; donc une perspective qui se penche sur la subjectivité s'avère un choix d'excellence. En plus, le constructivisme réfute la causalité linéaire privilégiant plutôt une « démarche scientifique qui vise à comprendre le réel et à en dégager le sens pour les acteurs concernés » (Bourque et Lachapelle, 2007 p 105).

Le constructivisme tient compte de la subjectivité individuelle, autant des participants que du chercheur. Les décisions individuelles participent à l'émergence des prénommés collectifs (Akoun et Ansart, 1999). L'individu et la société sont perçus dans un processus dans lequel l'un exerce une influence sur l'autre et vice-versa. De plus, la perspective constructiviste tient compte de la nécessité d'ajustement du chercheur aux variables externes qui demandent l'élaboration et la mise en place de stratégies flexibles à chacune des phases d'une recherche (Morris, 2006).

En somme, en faisant appel à une diversité de participants, notamment des hommes itinérants, dont les histoires de vie sont variées et uniques, et aussi du fait qu'il a fallu aller dans le milieu pour rencontrer ces hommes, la position épistémologique adoptée est appropriée parce qu'elle permet de tenir compte de la diversité des informations qui émergent. Elle considère aussi les participants comme sujets actifs dans le processus, leur individualité est prise en considération ainsi que de la possibilité qu'ils ont de changer leur réalité. Cette perspective permet d'examiner les interactions sociales de ces hommes situant la construction du genre au cœur de leurs problèmes. Finalement, elle exige de la personne, qui mène cette étude, de s'adapter à une réalité externe.

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2.1.2L'interactionnisme symbolique

L'interactionnisme symbolique explore le sens que les individus donnent à leurs actions et à leur condition (Poupart, 2001). L'auteur ajoute que connaître le sens est nécessaire pour comprendre la manière dont les individus se comportent en société. L'interactionnisme symbolique se situe dans le courant de pensée qui affirme que les personnes ont des actions dérivant du sens que les événements ont pour elles; ce sont les interactions que les individus établissent entre eux, qui vont faire ce sens et le modifier (Blumer, 1969). Dans la même veine, Charon (2003) explique que cette perspective théorique prête attention à la manière dont les individus élaborent le monde auquel ils font partie, de même qu'à la façon dont cette élaboration entre enjeu pour moduler leurs actions.

Une des prémisses est que les personnes ne sont pas passives; elles sont libres de prendre des décisions dans un monde dans lequel elles entrent en relation en même temps qu'elles l'influencent (Le Breton 2004). De plus, « [les êtres humains] construisent également leur réalité sociale par le biais d'interactions entre eux-mêmes et les membres de leur groupe » (Lévesque, 1994, p. 83). Cette étude vise à donner un espace privilégié aux itinérants de sexe masculin pour qu'ils puissent expliquer leur réalité selon leur point de vue. Pour ce faire, une perspective théorique basée sur l'interactionnisme symbolique pour cette étude est tout à fait pertinente parce qu'elle « accorde une place théorique à l'acteur social en tant qu'interprète du monde qui l'entoure, et par conséquent, met en œuvre des méthodes de recherche qui donnent priorité au point de vue des acteurs » (Coulon, 1992, p. 16).

L'identité de genre est une construction continuelle qui change selon le temps, l'espace et les circonstances (Ackermann, 2009 et Lewis, 2003). Le constructivisme tient compte de ces caractéristiques et permet de placer tous les acteurs liés à l'étude comme des sujets actifs dans le processus. L'interactionnisme symbolique vient bonifier cette perspective en permettant de saisir l'individualité par l'intermédiaire de la compréhension des actions des hommes itinérants comme tributaires du sens que ceux-ci donnent à leurs actes, à leur condition et aux interactions avec les autres; plus particulièrement dans le cadre de ce travail aux interactions avec les fournisseurs de services de santé et de services sociaux. L'interactionnisme symbolique permet donc de traiter de la diversité; la pensée et les

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actions des individus ne sont donc pas expliquées de façon linéaire, mais selon le sens donné, sens qui est particulier à chaque individu.

2.2 Le genre

Les études portant sur la masculinité et la féminité ont changé au fil du temps. Ainsi, Connell (1995) considère que, si les différences, entre hommes et femmes, étaient initialement perçues comme figées et déterminées à la naissance, elles sont maintenant vues comme des produits fondamentalement socioculturels qui varient dans le temps et dans l'espace. Historiquement, c'est avec le mouvement féministe que le concept de « genre » remplace le concept de « sexe », celui-ci référant aux dimensions anatomiques, alors que le genre est lié à l'ensemble des pressions et attentes sociales reliées au sexe d'une personne (Katz, 1986; Lenney, 1991). Plusieurs recherches (Bern, 1974; Block, 1973; Spence, Helmreich et Stapp, 1975) abordent la masculinité et la féminité comme deux dimensions indépendantes présentes en même temps chez les individus.

L'identité de genre des individus n'est pas innée, mais construite; notamment à partir des représentations que livrent les personnes de l'entourage de l'enfant selon qu'il est un homme ou une femme (Chiland, 2008). Donc, le genre n'est pas déterminé par les caractéristiques génétiques héritées à la naissance; c'est l'identité de genre qui dépasse les différences génétiques et anatomiques existantes entre les sexes. Ainsi, il s'attend que les participants se définissent en tant qu'hommes, non par leurs caractéristiques anatomiques, comme avoir un organe sexuel masculin ou encore d'autres caractéristiques physiques d'un corps masculin.

L'identité de genre est un produit de l'identification au sexe d'appartenance, dans la mesure que les attentes et les pressions sociales donnent une forme à la manière de penser, de sentir et de se comporter des hommes et des femmes (Le Feuvre 2003). Un enfant ne vient pas au monde homme ou femme, il le devient (Chiland, 1988; de Beauvoir, 1981). Donc, il semble évident d'affirmer que cette transformation d'un enfant, en homme ou en femme, est une conséquence des interactions de ceux-ci avec leur milieu, et non en raison d'une

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détermination génétique. L'identité de genre fait référence à l'ensemble d'attributs qui définissent les rôles culturellement acceptables comme appartenant aux hommes et aux femmes (Spence et Helmreich, 1978). Par conséquent, être un homme ou une femme, en d'autres mots, les comportements masculins et féminins, ne sont pas les mêmes selon les lieux géographiques et les différents groupes sociaux. Donc, il n'existe pas d'activité réservée aux garçons et d'autres aux filles; les hommes et les femmes vont agir en conformité à leurs perceptions de comment ils doivent se comporter en tant qu'hommes ou femmes. De plus, l'entourage des hommes et des femmes s'attend de voir des comportements différents pour les uns et pour les autres. Ainsi, si dans une société ou dans un groupe, résoudre seul ses problèmes est vu comme un comportement masculin, il se peut que les hommes y appartenant utilisent d'autres stratégies avant d'aller demander de l'aide pour résoudre leurs problèmes de santé.

L'identité de genre, des hommes et des femmes, se traduit par une construction sociale dans laquelle se produit une intériorisation des valeurs et des comportements liés à la masculinité ou à la féminité (O'Neil, 1981). Dans le même sens, Cloutier et collaborateurs (2005) considèrent que la construction du genre renvoie aux normes socioculturelles qui détermineraient les sentiments et la façon de se comporter qui conviennent aux hommes et aux femmes.

Ainsi, la perspective d'identité retenue est celle qui voit l'identité de genre des hommes comme un produit, une construction sociale, celle-ci n'étant pas ni aléatoire ni immuable, mais balisée, puis guidée par ce que la société et l'environnement dans lequel l'individu vit et se développe, détermine comme convenable aux femmes et aux hommes. Cette construction de l'identité de genre, des hommes et de femmes, qui se fait à l'intérieur d'un environnement social, se manifeste en différents modèles de masculinité ou de féminité pour lesquels l'individu fait des choix personnels, ceux-ci étant variables dans le temps et l'espace.

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2.3 La masculinité

Étant donné la diversité des cultures, des groupes et des valeurs existantes, une multitude de types de masculinités peuvent voir le jour. En Amérique du Nord, le processus de socialisation de genre fait que les hommes développent une masculinité de type traditionnel, appelée aussi masculinité restrictive ou hégémonique (Bernard, 2010). L'étude de Bernard, portant sur la prise de conscience liée à la socialisation de genre d'intervenants masculins, révèle que pour ceux qui y ont participé, le modèle dominant de masculinité, au Québec, est le modèle traditionnel ou hégémonique. Pour ces intervenants, le « vrai homme » est persévérant, obstiné, capable de résoudre tous les problèmes et aller au bout de ses démarches, évitant aussi les émotions et l'intimité. Les rapports des hommes laisseraient transparaître les idéaux dominants de la masculinité, autrement dit, les hommes par le biais de leurs croyances et leurs comportements s'affirment en tant qu'hommes forts, invincibles et détenteurs de pouvoir; ils vont essayer de joindre un l'idéal de masculinité, appelé masculinité hégémonique, celle-ci se situant au-dessus des autres (Connell, 1995). Comme l'a fait précédemment Dulac (2003), cette étude emploie sans distinction les termes masculinité traditionnelle, restrictive ou hégémonique.

La masculinité hégémonique présente certaines caractéristiques, elle se trouve au-dessus des autres masculinités, déterminant comment un homme doit penser et se comporter, notamment la faiblesse et le manque de contrôle entraînent la honte et la marginalisation (Connell, 1995). Donc, il se peut que les hommes itinérants développent aussi une masculinité de type traditionnel et que celle-ci exerce sur eux la même emprise que sur les autres hommes; leurs comportements, leur façon de penser et leurs interactions seraient ainsi influencés par les exigences de ce type de masculinité.

L'identité masculine est aussi influencée par le statut et la classe sociale des hommes (Liu, 2002). Autrement dit, être riche et avoir des biens sont des critères de la masculinité et les hommes agiraient en conséquence, c'est-à-dire en quête de la réussite économique et sa mise en valeur. Dans ce sens, les hommes itinérants risquent d'être perçus et de se percevoir eux-mêmes de manière dévalorisée en raison de leur condition socioéconomique. La construction de la masculinité ne se fait pas toujours en douceur (Connell, 1995). De plus, elle n'est pas seulement une caractéristique identitaire de la personne, elle est présente

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Tableau 3 - Source de revenu et période de temps sans interruption en bénéficiant
Tableau 4 - Âge, état civil, nombre de mariages*, temps de vie en commun et nombre  d'enfants des participants
Tableau 6 : Exemple des modifications pour améliorer la clarté des citations  Extrait original transcrit de l'entrevue  Extrait cité
Tableau 7 : Image de soi en tant qu'homme des participants sur une échelle de 0 à 10  Participant  Auto-image d'homme

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