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Les stratégies utilisées et la signification donnée en regard des besoins psychosociaux et de santé

Les paroles des participants montrent que, lorsque confrontés à la douleur, à la souffrance, ou à d'autres problèmes, la recherche d'aide n'est pas le premier réflexe. Certains participants ont rapporté essayer de régler eux-mêmes leurs problèmes en adoptant différentes stratégies.

« Quand je n'étais pas très en forme, comme on dit... j'avais les vieux remèdes de grand-mère. » - Elvis -

L'échec, dans les essais de trouver des solutions à leurs problèmes, les affecte sans pour autant les amener à s'adresser immédiatement aux services d'aide. Il est apparu que les hommes attendent souvent que le problème disparaisse seul.

« Un gars veut toujours régler lui-même ses problèmes. Et quand il ne peut pas, ça lui fait mal. » - Simon -

« J'attends le lendemain en espérant que c'est temporaire, j'évite de prendre des médicaments, je fais des allergies de temps en temps, mais je n'aime pas prendre de pilules, je suis plutôt pour que le corps fasse son travail. » - Serge -

Pour contrer la souffrance physique et mentale, les participants essaient de contrôler leur corps, font preuve d'indifférence et de négation des difficultés. Ces stratégies apparaissent aussi comme une réaction aux problèmes en général.

« Je jouissais quand j'étais malheureux; j'étais malheureux et je disais que j'allais bien, même quand ça allait pas bien. J'avais le goût de me suicider; ça allait tellement mal et je disais à tout le monde que ça allait bien, mais dans fond ça allait pas bien du tout. » - Mathieu -

Les hommes interrogés ont rapporté utiliser les services de santé et les services sociaux quand ils sont obligés. Ils s'adressent aux services, quand ils ne peuvent pas régler seuls leurs problèmes, quand ils ne peuvent plus endurer la souffrance, après une tentative de suicide ou quand ils perçoivent que leur état de santé est si aggravé qu'ils n'ont plus le choix de consulter.

« Ça fait pas longtemps, je me suis cassé le doigt et j'ai attendu quatre jours avant d'aller à l'hôpital. [...] Je ne pouvais pas bouger, mais je me disais : « ça va aller mieux demain ». Finalement, je suis allé à l'hôpital. Je ne vais pas à l'hôpital pour rien; il faut que vraiment j'aie de quoi et c'est pour ça que souvent j'attends, j'attends, j'attends. Je suis encore dur avec moi-même, je suis dur

avec mon corps. » — Mathieu -

« J'ai encore besoin d'aide, j'ai de nombreux problèmes . [...] J'ai besoin d'un encadrement » - Viateur -

Recourir aux services de santé et aux services sociaux est aussi parfois lié à la recherche d'aide pour résoudre des problèmes d'ordre administratif, notamment ceux qui concernent

la carte d'assurance maladie ou encore pour satisfaire les exigences du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, particulièrement celles liées au programme d'aide financière de dernier recours (aide sociale).

« Si ce n 'était pas pour régler les exigences du gouvernement, c'est sûr que je n 'aurais pas été là. J'étais obligé d'aller consulter le psychiatre pour qu 'il approuve ça. » — Luc -

« [La dernière rencontre avec un travailleur social], ce n 'était pas plus tard qu 'hier : je suis allé chercher un document pour ma carte

d'assurance maladie. C'était un travailleur social. [...] On a placoté, on a jasé; pas nécessairement de ce que je vis, un peu de

tout, pendant qu'il préparait les papiers. » - Normand-

Pour certains participants, ayant de jeunes enfants, la recherche d'aide est liée au désir de les rencontrer à nouveau, c'est notamment le cas d'Elvis pour qui les problèmes de santé et de consommation représentent la plus grande barrière qui l'empêche de voir ses filles. Pour un autre, la recherche d'aide est liée à la volonté d'accomplir des projets, plus précisément de trouver un logement et de terminer ses études. Ces hommes s'adressent aux services de santé et les services sociaux dans le but d'atteindre leur idéal de masculinité; pour un, d'être le père proche de ses enfants, pour l'autre, d'accomplir des choses.

« [Pour pouvoir voir mes enfants] // faut améliorer mon état mental, je dois être capable de rester dans un appartement, je dois vaincre la consommation. [...] Je suis un père de famille, c'est mon sang, j'ai pris soin de mes filles, j'ai vu grandir mes filles. Je ne veux pas qu 'elles me voient comme ça. » - Elvis -

« J ' a i demandé de voir le travailleur social parce que j'étais confiant, je voulais reprendre un logement, retourner à l'école, finir mon cours aux adultes. Ma première motivation était

d'obtenir mon diplôme du secondaire cinq. » - Simon -

Justifier l'utilisation des services de santé et des services sociaux apparaît comme indispensable dans les paroles de plusieurs répondants; ils ont mentionné consulter par « vraie nécessité », pour pouvoir fonctionner ou parce que l'inaction aurait des conséquences graves sur leur corps, telle l'amputation d'un membre. Une autre justification rapportée pour utiliser les services est le fait que la consommation est perçue comme nuisible à la santé.

« Dans mon cas, ce n 'est pas de la faiblesse, c 'est vraiment par nécessité là, étant donné mon état de santé. Je n'ai pas d'autre choix; je dois consulter régulièrement. » - Viateur -

«J'ai un suivi pour la methadone [...] Parce que quand je consomme, je me moque de ce que je mange et ça finit pour causer des problèmes. Quand je suis intoxiqué, je peux manger uniquement de petits gâteaux dans une journée. »

- Jean-Claude -

Certains participants n'utilisent pas les services parce qu'ils ne veulent pas montrer leurs problèmes. Un participant en particulier a indiqué qu'il est toujours difficile pour un homme de parler de ses « blessures d'âme ». Il a aussi ajouté que malgré le fait qu'il connaît et utilise les services de santé, il trouve difficile de parler à son médecin des problèmes d'ordre physique. Un autre participant a mentionné la honte comme le motif de ne pas demander de l'aide.

« J'ai un peu moins d'ouverture envers les autres. On [les hommes] est un peu discret dans nos choses intimes. [...] J'ai partagé aussi mes problèmes, mais ce n 'est pas gratuit, là. C'est plus dur d'établir la confiance quand on est des hommes. [...] [Pour les problèmes d'ordre physique] C'est sur on attend, dans mon cas j'ai un problème intestinal depuis une dizaine d'années... j'ai eu beaucoup d'hésitation à parler de ce problème-là à mon

médecin »-Serge-

« J'étais dégueulasse, j'avais honte de moi, j'ai eu honte de cogner aux portes, de demander des ressources. » - Elvis -

Il apparaît que les participants ne veulent pas être dépendants des professionnels de la santé, notamment des médicaments prescrits. La prise de médicaments est associée à une perte de contrôle sur le corps et sur la vie. Il devient alors plus facile de considérer le besoin d'aide comme étant circonstanciel et limité dans le temps.

« Tu sais, quand on est malade, on n 'accepte pas de prendre des pilules. [...] [Les médicaments représentent] la maladie, la

dépendance : «je vais être poigne avec ça le restant de mes jours ». Ça a pris du temps pour accepter ça, même avec les améliorations. J'allais mieux, j'arrêtais, je tombais dans le noir, j ' a i prenais les pilules à nouveau, j'arrêtais. A moment donné, j'ai dû accepter et

«Si je n'avais pas des problèmes de santé mentale et de consommation, je m'en fauterais, je m'en fauterais carrément, je m'organiserais par moi-même. » - Elvis -

Avant d'aller consulter, la majorité des hommes attendent d'être très malade et que le problème soit bien visible (Dulac, 2001) ou d'être dans une situation nettement difficile (Turcotte, D., Dulac, Lindsay, Rondeau, et Turcotte, P. (2002). Les données confirment les affirmations de ces auteurs. Il ne suffit pas de percevoir que les choses vont mal, mais il faut plus qu'être malade avant de s'adresser aux services d'aide. Les participants recourent autant aux services de santé qu'aux services sociaux sous la contrainte ou quand ils ont des problèmes graves. La demande d'aide, par les hommes, est faite quand ils sont à la limite de leurs forces et de leurs capacités (Tremblay et al., 2004). Turcotte et ses collègues mentionnent que plusieurs hommes demandent de l'aide pour des problèmes de toxicomanie au moment où leur condition physique et leur santé sont en mauvais état. De plus, certains participants se sont adressés aux services de santé ou aux services sociaux non en raison de problèmes de santé ou psychosociaux, mais pour régler des problèmes d'ordre administratif. Ce type de rencontres n'a pas pour but de regarder le fonctionnement personnel, mais il n'en demeure pas moins que c'est une occasion pour parler « un peu de tout ». C'est donc sous la contrainte que ces hommes demandent de l'aide et qu'ils s'adressent aux services de santé et aux services sociaux.

L'étude a montré que ces hommes ont subi l'influence d'un processus de socialisation conduisant à la construction d'une masculinité traditionnelle. Une des caractéristiques de ce mode de socialisation est que les hommes mettent en place des actions visant à régler par eux-mêmes leurs problèmes; cela se montre en lien avec le fait de ne pas s'adresser aux services d'aide (Tremblay et al., 2004). En effet, les répondants ont essayé de résoudre leurs difficultés, par eux-mêmes, notamment en utilisant « les vieux remèdes de grand- mère ». C'est à la suite d'une tentative de suicide, après quelque temps à supporter la souffrance dans l'espoir que tout entre dans l'ordre, ou pour traiter des maladies infectieuses chroniques, que ces hommes utilisent les services de santé et les services sociaux. Tel que constaté par Turcotte et al., (2002), les participants montrent une réticence à la demande d'aide et quand ils consultent, leur persistance est faible. Ces auteurs signalent que les hommes avant d'aller demander de l'aide misent sur leurs propres

moyens, qui se montrent infructueux, dans l'espoir de trouver une solution à leurs problèmes.

Etre incapable de régler, seul, ses problèmes de santé, avoir besoin d'une tierce personne, ainsi que prendre des médicaments apparaît, dans les propos de ces hommes, comme une perte de contrôle. Pour eux, la maladie et le besoin de prendre des médicaments signifient la perte de contrôle de leur corps et de leur vie. Ils n'acceptent pas leur situation, autant la maladie physique ou mentale que leurs problèmes psychosociaux. Les données rapportées, par les participants, montrent un lien direct avec le désir de cacher leur vie privée, la volonté de conserver le contrôle ainsi que le stoïcisme et la négation de la douleur et de la souffrance avec la non-demande d'aide.

La recherche de l'aide par ces hommes apparaît dans le but de joindre leur l'idéal de masculinité; cela a apparu notamment dans les propos des hommes dont la paternité et l'exercice du rôle de pourvoyeur font partie de leur l'idéal d'homme. Les stratégies d'affirmation de la masculinité n'ont pas toujours des effets négatifs dans l'utilisation de services (Mahalik et al., 2003). Les hommes s'adressent aussi aux services d'aide parce qu'ils perçoivent que physiquement ils ne peuvent plus fonctionner ou parce qu'ils perçoivent la consommation d'alcool ou des substances comme néfaste, de même que pour traiter des questions d'ordre administratif. Aussi, cette recherche d'aide ne vise pas nécessairement à remettre en question leur fonctionnement personnel (Dulac, 2001).

Malgré que ces hommes sont déjà dans un processus d'aide, qu'ils connaissent les services et les utilisent, il n'est pas toujours facile de parler au médecin et encore moins de dévoiler leurs faiblisses et reconnaître que leur santé n'est pas au point. Le corps prend une place d'importance dans la construction du genre (Connell, 1995). La masculinité peut se construire par le biais du corps de différentes manières. Pratiquer une activité sportive représente, pour les jeunes hommes, une affirmation de la masculinité (Lajeunesse, 2007). Donc, tel que l'est par les participants, à cette étude, un corps en santé et fonctionnel est une part importante dans ce qu' « un homme est ». Avoir des problèmes de santé et des besoins psychosociaux signifie, pour les participants, la maladie. D'après Messner et Sabo, (1990), la maladie affecte défavorablement la masculinité. L'image personnelle d'homme, des participants, s'est montrée aussi proportionnelle aux problèmes de santé rapportés. Plus

il y a de problèmes, moins la cote de masculinité est élevée, puis la guérison et les améliorations jouent un rôle dans l'augmentation de cette cote.

Il est possible de conclure que les besoins, les problèmes et les maladies sont une affronte à la masculinité des participants; ainsi, peu importe s'ils utilisent, à différents moments et à divers degrés, les services de santé et les services sociaux, il n'est pas facile pour eux de demander de l'aide. Ce qui explique que les hommes reconnaissent le besoin de traiter une maladie, le problème et qu'une fois réglé, certains s'en « fouterais carrément ».

Il est évident que les délais, d'une demande d'aide, font souvent en sorte que les problèmes s'aggravent. Par exemple, un homme en chômage peut essayer, seul, de se trouver un autre emploi, épuiser toutes ses ressources, accumuler des dettes, arriver au point d'être évincé de son logement, avant d'aller demander de l'aide et de reconnaître ses besoins. En plus, une fois le problème résolu, ou du moins que l'homme soit en mesure de l'endurer, l'utilisation des services, la prise de médicaments prend fin sans que nécessairement l'origine des problèmes aient été résolus.