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4.1 L'image d'homme et la construction de la masculinité

4.1.2 La construction de la masculinité

Comment la masculinité des participants à l'étude s'est formée? Cette section expose les principaux éléments mentionnés, par les hommes, ayant entré enjeu dans la construction de leur idéal de la masculinité. L'image personnelle d'homme des participants, c'est-à-dire les éléments auxquels ils ont associé ce qu'« est un homme », trouve ses origines principalement dans leur entourage familial. La majorité des répondants ont appris « ce que doit être un homme » par le modèle présenté de leur père, leur grand-père ou leur beau- père.

« Je voulais avoir un travail, montrer que je gagne ma vie. Mon grand-père m'a toujours dit 'un homme doit gagner sa vie' et si j'arrive et je le dis comme je vis maintenant, il n'aimerait pas ça. »

- Simon -

«Je peux donner comme exemple d'homme mon père qui est millionnaire. Tout de suite, on voit que c'est un gars qui est sûr de lui. Ça se voit par comment il est vêtu. Mon père, lui, est vraiment un... comment dire... un modèle, un super modèle d'homme. Ecoutez, lui fait partie de la catégorie des 15 % de [professionnels]6 qui sont considérés comme des fellows. Lui, il est

exactement l'archétype du mâle dominant qui a réussi. » - Patrick -

L'idéal de masculinité des participants n'est pas uniquement influencé par des modèles présents dans la famille. Les propos de certains participants ont permis d'associer leur apprentissage de ce qu'« est un homme » aux modèles véhiculés par des amis et d'autres personnes sans aucun lien familial direct. Les participants ont fait un lien entre ce qu'« est un homme » pour eux et d'autres hommes avec lesquels ils ont été en contact. Un participant, en particulier, a associé son idéal de masculinité à des personnages qu'il connaît seulement des médias.

« [Un homme est] quelqu 'un comme Mandela, Nelson Mandela. Un homme, je dirais qui c'est quelqu 'un de combattifet de conviction et qui a réussi à faire changer les choses. J'ai lu beaucoup sur Mandela, je peux aussi mentionner Gandhi : j ' a i vu le film et c 'est extraordinaire comment ils ont fait changer les choses. » - Serge -

La manière de penser, de sentir et de se comporter de ces hommes, s'est révélée aussi le fruit de pressions sociales et d'attentes des autres. Certains participants ont dit que les hommes doivent se comporter différemment des femmes et qu'eux cherchent à se surmonter pour accomplir les attentes d'autrui. De plus, leurs paroles montrent qu'ils ont appris, depuis leur jeune âge, qu'un homme doit contrôler ses émotions. Il est apparu que certains comportements, notamment le fait de pleurer, ne sont pas acceptables pour les hommes.

« Un homme, pour moi, c'est quelqu'un que se tient debout. Pour moi, un homme, ce n 'est pas un chialeur. J'ai toujours entendu quand j'étais jeune qu 'un homme, ça pleure pas. » - Mathieu -

6 Afin de préserver la confidentialité, la profession du père de Patrick a été changée par le mot

« Dans la société québécoise, à 20-25 ans, un homme était fait pour travailler et une femme était faite pour tenir la maison; l'homme avait le devoir d'apporter de l'argent et de nourrir sa famille [...] Bien on [les hommes] a resté encore, dedans de ça. Ça doit faire 40 ans que ça n 'existe plus. Oui, mais on a été élevé de même, pareil. » - L u c -

Ce qu'« est un homme », pour les participants, a changé selon le temps et les circonstances. Les valeurs associées à la masculinité n'ont pas toujours été les mêmes. Certains participants ont rapporté avoir changé leur rapport aux émotions. D'autres affirment leur masculinité cherchant à atteindre leur idéal d'homme.

« [En tant qu'homme], je suis à six. Aujourd'hui, je me bats pour avoir le droit de voir mes filles, je suis moins renfermé qu'avant, j'ai moins honte de moi.» - Elvis -

Les paroles des participants, à propos du travail et de l'exercice du rôle de pourvoyeur montrent, que leur vison de ce qu'« est un homme » et leur image personnelle d'homme, autrement dit leur masculinité, est le fruit d'un apprentissage, d'une identification à des modèles et d'attentes sociales. Donc, cette identité n'est pas la manifestation d'une essence de ces hommes, mais apparaît comme une construction sociale. Cela confirme l'affirmation à l'effet que l'identité masculine n'est pas un a priori; un garçon ne vient pas au monde un homme, il le devient (Chiland, 2008). Les participants ont donc appris à être « des hommes » et leur masculinité se manifeste par un ensemble de caractéristiques que détermine ce qu'ils doivent faire et aussi ce qu'ils n'ont pas le droit de faire, autrement dit comme l'affirme Le Feuvre (2003), les attentes et les pressions sociales modèlent la manière de penser, de sentir et de se comporter des hommes. Ces hommes ont rapporté se comporter ou avoir agi selon les attentes des autres, selon ce qu'ils croient être les comportements d'un homme.

Ces hommes ont appris, entre autres, qu'un homme doit travailler, réussir et que l'expression de leurs émotions, particulièrement le fait de pleurer, est un comportement féminin et par conséquent qu'« un homme ne pleure pas ». Un tel constat confirme l'existence d'émotions catégorisées comme propres aux femmes et que les hommes, dans le processus de socialisation selon le genre, seraient découragés de les exprimer (Thompson 2001).

Les différentes visions que ces hommes ont de la masculinité s'expliquent par le fait qu'elle n'est pas construite unilatéralement et qu'en même temps, elle est un produit de l'histoire de chaque homme en même temps qu'elle la modifie. De plus, la masculinité est un bricolage issu des choix que font les hommes selon ce qui se présente à eux (Combs, Avila et Purker, 1979 citées par Tremblay e L'heureux 2010). La masculinité qui en résulte est donc bien propre et unique à chaque homme. L'image personnelle d'homme et de l'idéal de masculinité des participants ont changé au fil du temps. Certains participants ont modifié leur rapport quant à l'expression de leurs émotions et leur vision de la masculinité. Ce qui est directement lié à l'ouverture à la demande de l'aide ainsi qu'à leur image personnelle d'homme. Ces données rejoignent donc l'affirmation de Lajeunesse, (2007) à l'effet que la masculinité est continuellement construite. Ainsi, l'image personnelle d'homme ainsi que l'idéal d'homme, peut se modifier ou s'affirmer avec le temps.

Ce qu'« est un homme » a aussi été associé à des personnages masculins présentés par les médias. Cette identification de la masculinité, à des modèles connus seulement par les médias, a également été rapportée dans les travaux de Lajeunesse, 2007 et Roy, 2008. Ces auteurs ont mentionné une association de l'idéal de masculinité à des sportifs, à des hommes riches et célèbres, comme les vedettes du rock. Dans cette étude, l'idéal d'homme a été associé à des hommes qui ont accompli de grands exploits, mais il est évident que la possibilité de réussir, comme eux l'ont fait, n'est pas la même pour tous les hommes. Même si ces modèles sont inatteignables, ils guident et déterminent l'idéal de masculinité à atteindre. Cette association, de la masculinité à un idéal, amène les hommes à développer des comportements dans le but de se conformer à la vision d'homme qui en résulte (Pleck, 1995). Cet auteur mentionne que les hommes vont, dans certaines circonstances, se soumettre à des situations extrêmes pour se conformer aux exigences de leur idéal de masculinité.

Il est connu que l'image divulguée par les médias, à propos d'athlètes, d'artistes ainsi que de personnes riches et célèbres est idéalisée. Il n'est pas habituel de voir apparaître, dans les médias, un joueur de hockey qui pleure ou encore un boxeur qui dit avoir peur d'affronter son adversaire, même si cela représente des possibilités tout à fait plausibles. Les hommes, dont leur idéal de masculinité est associé à de modèles d'hommes vus dans les médias, ont

probablement plus de chance d'adopter des comportements dans le but de se rapprocher de la vision de masculinité qui en résulte, désirant être comme ces hommes.