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L'idéal de masculinité et l'image personnelle d'homme des participants

4.1 L'image d'homme et la construction de la masculinité

4.1.1 L'idéal de masculinité et l'image personnelle d'homme des participants

Parmi les propos des tous les participants, le travail apparaît comme un élément central dans la définition de ce qu'est un homme. Certains participants ont mentionné que l'homme est celui qui travaille alors que d'autres l'ont identifié à l'exercice d'une activité professionnelle spécifique, par exemple la comptabilité, le droit ou un métier de la construction Cependant, peu importe la profession ou le métier mentionné, il apparaît qu'un homme est celui qui réalise des choses.

« Un homme, c 'est quelqu 'un qui travaille et réussit à accomplir, à faire changer les choses. » - Serge -

« [Les hommes] sont des gens qui sont extrêmement travailleurs, compétents au niveau professionnel, extrêmement disciplinés. [...] C 'est l'homme d'affaires, c'est l'avocat. » - Patrick -

Plaire aux femmes, s'intéresser aux filles et être en couple (hétérosexuel) apparaît dans les propos de ces hommes comme un des éléments importants dans leur définition de la masculinité. La femme apparaît, dans l'idéal d'homme des participants, surtout en tant que mère de leurs enfants et conjointe. Un homme est donc hétérosexuel, charmant et beau, aux yeux des femmes, celui qui a une épouse et des enfants; bref une famille. De plus, tous les hommes ayant des enfants ont aussi lié l'image de ce qu'« est un homme » à la paternité.

« [Un homme est celui] qui a sa femme, qui a des enfants.» - Elvis -

« [Un homme est] quelqu'un qui est capable de prendre ses responsabilités. [...] Par exemple si tu as un enfant, il faut en prendre soin. » - Jean-Claude -

La réussite économique est associée à l'idéal d'homme des participants. Il apparaît que pour certains répondants un homme possède de l'argent et des biens. Pour eux, plus un homme réussit financièrement, plus « homme » il est. Pour d'autres répondants, avoir de l'argent permet d'exercer le rôle de pourvoyeur ainsi que d'être autonome et de contrôler sa vie.

«A partir du moment où j'ai de l'argent dans mes poches, je suis plus homme que quand je suis appauvri. Le pouvoir d'achat, pour moi en tant qu'homme, c'est un critère qui, qui, un des grands critères, ah... un des critères importants, sinon le critère le plus important dans la définition d'homme. » - Patrick -

« Je faisais beaucoup d'argent, rien ne manquait à mes filles. » - Elvis -

L'image personnelle d'homme, des participants, est affectée négativement par le fait qu'il manque des éléments pour atteindre leur idéal d'homme. Le « manque » pousse à la baisse la cote de masculinité qu'ils s'accordent. C'est le manque de travail, le manque de santé, le manque de conjointe, le manque d'argent qui ont été rapportés pour justifier qu'ils ne s'accordent pas un 10 sur 10 en tant qu'hommes.

« [En tant qu'homme, je suis] zéro, zéro, zéro. [...] J'ai dit tantôt, j e n 'ai pas de femme, je n 'ai pas de maison, je n 'ai pas d'argent, je n 'aipas de santé, j'ai rien, rien, rien. » - Patrick -

Le fait de ne pas atteindre leur idéal de masculinité affecte les hommes. Un participant a mentionné la honte à plusieurs reprises, celle-ci étant identifiée comme une conséquence de l'incapacité de travailler; ce qui empêche d'exercer le rôle de père et de pourvoyeur.

« J'étais un bon père de famille, la bouffe dans le frigidaire, j e faisais de 60 à 70 heures par semaine, j'étais fier de moi. [...]

Après [en tant qu'homme] j'étais quatre, j'étais dégueulasse, j'avais honte de moi. » - Elvis -

L'identité d'homme est aussi tributaire de l'ensemble des conditions sociales de ces hommes. Mathieu s'accorde une note élevée de masculinité. C'est aussi un des plus jeunes et celui qui ne présente pas de problèmes chroniques de santé physique contrairement aux autres répondants. Le manque de travail est le seul élément qui l'amène à retirer des points à l'évaluation de son niveau de masculinité.

«Je me suis donné 9 [en tant qu'homme]. Je me sentirai plus homme si j'avais un travail et que je serais capable d'avoir mon argent, de gagner mon argent comme tout le monde dans la société. Je me sens dépendant des autres, dépendant de places pour manger. » - Mathieu -

Les participants définissent ce qu'« est un homme » aussi par le fait d'être en bonne santé. Quelques participants font un lien direct entre la santé et leur image personnelle d'homme. D'autres mentionnent qu'ils doivent se débarrasser de leurs problèmes de santé et de consommation pour être plus hommes.

« Je suis plutôt vers le 8 ou le 9, je me sens pas un 10 [en tant qu'homme] à cause de la santé, je ne suis pas physiquement en forme. » - Serge -

« [En tant qu'homme, je me donne] peut-être 2, il faut que je me prenne en main, que je me trouve un endroit où me loger;»

- Viateur -

Malgré une similarité apparente dans les conditions socioéconomiques et le fait que tous les participants présentent soit des problèmes chroniques de santé physique soit de santé mentale, ainsi que la valorisation des éléments communs dans l'idéal d'homme, l'image personnelle d'homme, de chaque participant, s'est révélée très variée. Pour certains, les cotes de masculinité sont à l'opposé, allant de 0 ou 2 (Patrick et Viateur) à 8 ou 9 (Mathieu, Normand et Serge) (voir Tableau 7). Plus de la moitié a une image de soi en tant qu'homme relativement bonne; si on en juge à la cote que chacun s'accorde, puisque six des neuf répondants s'autoévaluent à sept et plus sur une échelle de 10.

Tableau 7 : Image de soi en tant qu'homme des participants sur une échelle de 0 à 10 Participant Auto-image d'homme

Elvis 6 Jean-Claude 6-7 Luc 7 Mathieu 9 Normand 7-8 Patrick 0 Serge 8-9 Simon 7 Viateur 2

Les propos, de ces hommes, valorisant l'exercice du rôle de pourvoyeur, la paternité, l'hétérosexualité, l'autonomie, la performance et le travail permettent d'associer leur

identité d'homme à la masculinité de type traditionnel, aussi appelée masculinité hégémonique. La perception qu'ils ont de s'éloigner de cet idéal de masculinité affecte, à différents niveaux, leur image de soi en tant qu'hommes. Des études ont montré que la socialisation masculine valorise la performance, l'exercice du rôle de pourvoyeur et l'autonomie. Ce qui peut avoir des conséquences sur la santé mentale des hommes telles que la honte de l'échec, la perte de l'identité et l'isolement affectif (Tremblay et al., 2004). La santé physique est aussi affectée, parce que les hommes, dans le but d'affirmer leur masculinité, ont tendance à cacher leurs faiblesses, nier leur vulnérabilité et leur besoin d'aide (Courtenay 2002).

La masculinité hégémonique prône le succès et la performance (Connell, 1995). Cette caractéristique de la masculinité traditionnelle peut contribuer à expliquer la présence de la santé dans les propos concernant l'idéal de masculinité, selon les participants. D'abord, il faut remarquer que tous les participants sont sans travail et qu'ils ont, ou jugent avoir, un diagnostic médical de contraintes sévères ou temporaires à l'emploi. Ainsi, la capacité, autrement dit les possibilités que ces hommes puissent travailler, exercer le rôle de pourvoyeur, enfin la capacité à joindre leur idéal de masculinité est réduite en raison de leurs problèmes de santé. Étant donné que la santé est une condition importante pour pouvoir travailler et par conséquent performer et réussir, ces hommes l'associent à l'idéal d'homme, donc le travail et la santé sont par conséquent liés à ce qu'« un homme est ». L'identité des participants s'est présentée de différentes manières, elle n'est pas figée et se modifie avec le temps; autrement dit, chaque homme a son identité et celle-ci n'est pas immuable. Malgré certains aspects communs, chaque homme a sa perception de la masculinité; certains l'associent à la réussite économique alors que d'autres l'associent au fait d'avoir une famille. Les propos des participants montrent que, pour certains, leur identité masculine est profondément affectée par les conditions socioéconomiques vécues, alors que pour d'autres (la majorité), elle joue un rôle secondaire ou les affecte peu sur le plan de leur identité masculine.

La majorité des participants a une image de soi, en tant qu'homme, relativement bonne. Comment comprendre que leur image personnelle demeure préservée malgré qu'ils ne rencontrent pas les hauts standards qu'ils identifient à la base de ce qu' « est un homme »?

Les exigences de la masculinité traditionnelle n'ont pas la même emprise sur tous les hommes (Connell, 1995). Cette affirmation explique que malgré le fait de ne pas atteindre leur idéal de masculinité, l'image personnelle d'homme, des participants, est affectée différemment.

Des images, d'homme aux antipodes, peuvent s'expliquer en raison que les hommes, ayant une image personnelle en tant qu'homme défavorisé, sont les plus atteints sur le plan de la santé; ils sont porteurs de maladies infectieuses comme les hépatites B et C, le SIDA, et ont des problèmes telle la dépression. En plus, leur état de santé s'est dégradé au cours de la dernière année. Les hommes qui s'accordent une cote de masculinité élevée ont reçu, il y a peu de temps, de bonnes nouvelles à propos de leur santé; pour l'un le traitement pour le virus de l'hépatite C a été une réussite, pour l'autre le risque d'amputation n'est plus présent, un autre est jeune de bonne apparence et est le seul a ne pas présenter des problèmes chroniques de santé physique. Donc, certains s'éloignent beaucoup plus de leur idéal de ce qu' « est un homme » et d'autres s'approchent de leur idéal.

Les hommes ayant une image de soi plus valorisée ont rapporté consulter pour des problèmes de santé moins lourds; ce qui laisse transparaître la possibilité d'avoir un lien entre la tension de genre vécue par chacun et la perception qu'ils ont à propos de leurs problèmes de santé. Ainsi, on peut émettre l'hypothèse que la tension de rôle de genre vécue est liée à l'espoir de pouvoir atteindre cet idéal de masculinité dans l'avenir.