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2.1 L'orientation épistémologique

2.1.2 L'interactionnisme symbolique

L'interactionnisme symbolique explore le sens que les individus donnent à leurs actions et à leur condition (Poupart, 2001). L'auteur ajoute que connaître le sens est nécessaire pour comprendre la manière dont les individus se comportent en société. L'interactionnisme symbolique se situe dans le courant de pensée qui affirme que les personnes ont des actions dérivant du sens que les événements ont pour elles; ce sont les interactions que les individus établissent entre eux, qui vont faire ce sens et le modifier (Blumer, 1969). Dans la même veine, Charon (2003) explique que cette perspective théorique prête attention à la manière dont les individus élaborent le monde auquel ils font partie, de même qu'à la façon dont cette élaboration entre enjeu pour moduler leurs actions.

Une des prémisses est que les personnes ne sont pas passives; elles sont libres de prendre des décisions dans un monde dans lequel elles entrent en relation en même temps qu'elles l'influencent (Le Breton 2004). De plus, « [les êtres humains] construisent également leur réalité sociale par le biais d'interactions entre eux-mêmes et les membres de leur groupe » (Lévesque, 1994, p. 83). Cette étude vise à donner un espace privilégié aux itinérants de sexe masculin pour qu'ils puissent expliquer leur réalité selon leur point de vue. Pour ce faire, une perspective théorique basée sur l'interactionnisme symbolique pour cette étude est tout à fait pertinente parce qu'elle « accorde une place théorique à l'acteur social en tant qu'interprète du monde qui l'entoure, et par conséquent, met en œuvre des méthodes de recherche qui donnent priorité au point de vue des acteurs » (Coulon, 1992, p. 16).

L'identité de genre est une construction continuelle qui change selon le temps, l'espace et les circonstances (Ackermann, 2009 et Lewis, 2003). Le constructivisme tient compte de ces caractéristiques et permet de placer tous les acteurs liés à l'étude comme des sujets actifs dans le processus. L'interactionnisme symbolique vient bonifier cette perspective en permettant de saisir l'individualité par l'intermédiaire de la compréhension des actions des hommes itinérants comme tributaires du sens que ceux-ci donnent à leurs actes, à leur condition et aux interactions avec les autres; plus particulièrement dans le cadre de ce travail aux interactions avec les fournisseurs de services de santé et de services sociaux. L'interactionnisme symbolique permet donc de traiter de la diversité; la pensée et les

actions des individus ne sont donc pas expliquées de façon linéaire, mais selon le sens donné, sens qui est particulier à chaque individu.

2.2 Le genre

Les études portant sur la masculinité et la féminité ont changé au fil du temps. Ainsi, Connell (1995) considère que, si les différences, entre hommes et femmes, étaient initialement perçues comme figées et déterminées à la naissance, elles sont maintenant vues comme des produits fondamentalement socioculturels qui varient dans le temps et dans l'espace. Historiquement, c'est avec le mouvement féministe que le concept de « genre » remplace le concept de « sexe », celui-ci référant aux dimensions anatomiques, alors que le genre est lié à l'ensemble des pressions et attentes sociales reliées au sexe d'une personne (Katz, 1986; Lenney, 1991). Plusieurs recherches (Bern, 1974; Block, 1973; Spence, Helmreich et Stapp, 1975) abordent la masculinité et la féminité comme deux dimensions indépendantes présentes en même temps chez les individus.

L'identité de genre des individus n'est pas innée, mais construite; notamment à partir des représentations que livrent les personnes de l'entourage de l'enfant selon qu'il est un homme ou une femme (Chiland, 2008). Donc, le genre n'est pas déterminé par les caractéristiques génétiques héritées à la naissance; c'est l'identité de genre qui dépasse les différences génétiques et anatomiques existantes entre les sexes. Ainsi, il s'attend que les participants se définissent en tant qu'hommes, non par leurs caractéristiques anatomiques, comme avoir un organe sexuel masculin ou encore d'autres caractéristiques physiques d'un corps masculin.

L'identité de genre est un produit de l'identification au sexe d'appartenance, dans la mesure que les attentes et les pressions sociales donnent une forme à la manière de penser, de sentir et de se comporter des hommes et des femmes (Le Feuvre 2003). Un enfant ne vient pas au monde homme ou femme, il le devient (Chiland, 1988; de Beauvoir, 1981). Donc, il semble évident d'affirmer que cette transformation d'un enfant, en homme ou en femme, est une conséquence des interactions de ceux-ci avec leur milieu, et non en raison d'une

détermination génétique. L'identité de genre fait référence à l'ensemble d'attributs qui définissent les rôles culturellement acceptables comme appartenant aux hommes et aux femmes (Spence et Helmreich, 1978). Par conséquent, être un homme ou une femme, en d'autres mots, les comportements masculins et féminins, ne sont pas les mêmes selon les lieux géographiques et les différents groupes sociaux. Donc, il n'existe pas d'activité réservée aux garçons et d'autres aux filles; les hommes et les femmes vont agir en conformité à leurs perceptions de comment ils doivent se comporter en tant qu'hommes ou femmes. De plus, l'entourage des hommes et des femmes s'attend de voir des comportements différents pour les uns et pour les autres. Ainsi, si dans une société ou dans un groupe, résoudre seul ses problèmes est vu comme un comportement masculin, il se peut que les hommes y appartenant utilisent d'autres stratégies avant d'aller demander de l'aide pour résoudre leurs problèmes de santé.

L'identité de genre, des hommes et des femmes, se traduit par une construction sociale dans laquelle se produit une intériorisation des valeurs et des comportements liés à la masculinité ou à la féminité (O'Neil, 1981). Dans le même sens, Cloutier et collaborateurs (2005) considèrent que la construction du genre renvoie aux normes socioculturelles qui détermineraient les sentiments et la façon de se comporter qui conviennent aux hommes et aux femmes.

Ainsi, la perspective d'identité retenue est celle qui voit l'identité de genre des hommes comme un produit, une construction sociale, celle-ci n'étant pas ni aléatoire ni immuable, mais balisée, puis guidée par ce que la société et l'environnement dans lequel l'individu vit et se développe, détermine comme convenable aux femmes et aux hommes. Cette construction de l'identité de genre, des hommes et de femmes, qui se fait à l'intérieur d'un environnement social, se manifeste en différents modèles de masculinité ou de féminité pour lesquels l'individu fait des choix personnels, ceux-ci étant variables dans le temps et l'espace.

2.3 La masculinité

Étant donné la diversité des cultures, des groupes et des valeurs existantes, une multitude de types de masculinités peuvent voir le jour. En Amérique du Nord, le processus de socialisation de genre fait que les hommes développent une masculinité de type traditionnel, appelée aussi masculinité restrictive ou hégémonique (Bernard, 2010). L'étude de Bernard, portant sur la prise de conscience liée à la socialisation de genre d'intervenants masculins, révèle que pour ceux qui y ont participé, le modèle dominant de masculinité, au Québec, est le modèle traditionnel ou hégémonique. Pour ces intervenants, le « vrai homme » est persévérant, obstiné, capable de résoudre tous les problèmes et aller au bout de ses démarches, évitant aussi les émotions et l'intimité. Les rapports des hommes laisseraient transparaître les idéaux dominants de la masculinité, autrement dit, les hommes par le biais de leurs croyances et leurs comportements s'affirment en tant qu'hommes forts, invincibles et détenteurs de pouvoir; ils vont essayer de joindre un l'idéal de masculinité, appelé masculinité hégémonique, celle-ci se situant au-dessus des autres (Connell, 1995). Comme l'a fait précédemment Dulac (2003), cette étude emploie sans distinction les termes masculinité traditionnelle, restrictive ou hégémonique.

La masculinité hégémonique présente certaines caractéristiques, elle se trouve au-dessus des autres masculinités, déterminant comment un homme doit penser et se comporter, notamment la faiblesse et le manque de contrôle entraînent la honte et la marginalisation (Connell, 1995). Donc, il se peut que les hommes itinérants développent aussi une masculinité de type traditionnel et que celle-ci exerce sur eux la même emprise que sur les autres hommes; leurs comportements, leur façon de penser et leurs interactions seraient ainsi influencés par les exigences de ce type de masculinité.

L'identité masculine est aussi influencée par le statut et la classe sociale des hommes (Liu, 2002). Autrement dit, être riche et avoir des biens sont des critères de la masculinité et les hommes agiraient en conséquence, c'est-à-dire en quête de la réussite économique et sa mise en valeur. Dans ce sens, les hommes itinérants risquent d'être perçus et de se percevoir eux-mêmes de manière dévalorisée en raison de leur condition socioéconomique. La construction de la masculinité ne se fait pas toujours en douceur (Connell, 1995). De plus, elle n'est pas seulement une caractéristique identitaire de la personne, elle est présente

dans les relations sociales, dans les institutions et aussi dans les relations de travail. L'auteur remarque aussi que les institutions peuvent se modeler selon la présence majoritaire d'un des sexes.

Ainsi, une conception de la masculinité, qui tient compte des interactions et des relations avec les autres, est appropriée dans le cadre de cette étude qui veut comprendre les rapports des hommes itinérants avec les services, parce qu'on peut supposer que, dans le cas des hommes itinérants, la masculinité joue aussi un rôle dans les rapports que ceux-ci entretiennent avec les services et cela, malgré leur niveau de besoins.

L'identité masculine émerge comme un produit des choix que font les hommes parmi l'éventail qui se présente dans leur environnement; ces choix vont la confirmer ou la modifier (Combs, Avila et Purker, 1979 citées par Tremblay et L'heureux 2010). Autrement dit, ces auteurs disent que l'identité masculine n'est pas édifiée seulement par l'influence des facteurs externes, l'homme ne la construit pas non plus tout seul; chaque homme fait ses choix dans ce qui lui est donné, se bricolant ainsi une identité qui lui est propre.