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1.2. Les services de santé et les services sociaux au Québec

1.2.2. La santé et la demande d'aide des hommes

L'espérance de vie des hommes est un bon indicateur de l'état global de la santé de la population masculine (Tremblay et Déry 2010). Au Québec, malgré une diminution, depuis les 30 dernières années, de l'écart existant entre l'espérance de vie des hommes et des femmes, l'expectative de vie des hommes à la naissance et à 65 ans, présente toujours un écart qui leur est défavorable (ISQ, 2012). Certains problèmes sont plus présents; parmi la population masculine, les hommes sont plus souvent victimes de morts violentes que les femmes; le suicide en est un exemple (Courtenay, 2000). Plusieurs études montrent que les hommes utilisent les services de santé à un taux inférieur à celui des femmes (Houle, 2005). Certains indicateurs de l'état de santé de la population masculine au Québec, comme la longévité et le taux de décès pour certaines maladies montrent des chiffres défavorables aux hommes. Par contre, ceux-ci rapportent une bonne perception de leur état de santé (Cloutier, Tremblay et Antil, 2005).

Une recherche touchant un groupe d'hommes, étudiants universitaires aux États-Unis, montre que la conformité aux normes masculines traditionnelles, telles que le contrôle émotionnel, la violence, la prise des risques, le pouvoir sur les autres et l'indépendance est liée à une santé mentale plus pauvre de même qu'à une réticence envers la recherche d'aide psychologique professionnelle (Mahalik et al., 2003). Dans un autre groupe, constitué d'étudiants universitaires du sexe masculin d'origine Kenyane et des États-Unis, la conformité aux normes masculines est liée, pour certains, à une moindre chance de demander l'aide d'un médecin ou d'un professionnel de la santé mentale; pour d'autres, elle

est liée à l'isolement interpersonnel ainsi qu'à une augmentation de la probabilité d'usage de substances (Mahalik, Lagan et Morrison, 2006).

Au Québec, une étude touchant les hommes en situation d'extrême pauvreté montre que ces hommes sont réticents à utiliser les services de santé et les services sociaux, même lorsqu'ils reconnaissaient le besoin d'aide. Cette étude révèle que l'un des motifs pour ne pas utiliser lesdits services est de se conformer aux normes masculines (Dupéré, O'Neill, et De Koninck, 2012). La population masculine, en général, est réticente à demander de l'aide; elle utilise les services de santé et les services sociaux en dernier recours pour des problèmes graves (Tremblay et L'Heureux, 2005). Plusieurs écrits mentionnent des conséquences négatives associées à la masculinité, celles-ci influencent les rapports des hommes à la demande d'aide (Brooks, 1998; Dulac, 2001). D'autres études laissent voir que la masculinité peut jouer un rôle d'adaptation ou d'inadaptation selon le contexte (Wong, Owen et Shea, 2012).

La socialisation des hommes, étant dirigée vers des nonnes standardisées de la masculinité, présente dans la société peut causer des effets néfastes sur les hommes; les conséquences peuvent se manifester sur la santé physique et psychologique de ces derniers. Sur le plan physique, les hommes peuvent développer des comportements à risque, par exemple le refus à demander de l'aide lorsque cela est requis. La santé psychologique peut être affectée par un isolement affectif (Pleck, 1995). De plus, les hommes peuvent développer des comportements socialement réprouvés, telles l'agressivité, l'impulsivité et la violence (Tremblay, Morin, Desbiens et Bouchard, 2007). La santé mentale des hommes peut être influencée par les modes de socialisation masculine comme l'illustre le tableau 1 de la page suivante.

Tableaux 1 : Effets de la socialisation masculine sur la santé mentale des hommes Socialisation masculine Effets sur la santé mentale

Performance Honte de l'échec

Répression des émotions Difficultés à identifier les sources de stress, les frustrations

Eviter le féminin en soi Homophobie, mépris des femmes (ou dépendance) Pourvoyeur, être centré sur le travail Chômage = perte d'identité

Autonomie Isolement affectif

Se débrouiller seul Ne pas demander de l'aide Prouver sa masculinité Insécurité

Valorisation de la force et de la

violence Dévalorisation de la parole, agirs violents

Source : Tremblay et Thibault (2002) dans Tremblay, Thibault, Fonséca et Lapointe- Goupil (2004, p : 9)

La construction sociale de la masculinité présente des effets sur le bien-être et la santé physique des hommes (Tremblay et Déry 2010). Donc, certaines caractéristiques de l'identité de genre masculine, dont l'origine se trouve dans le mode de socialisation, influencent directement les rapports des hommes avec les services de santé et les services sociaux. Par exemple, un homme ayant appris qu'il doit se débrouiller seul a probablement plus de chance d'essayer, par lui-même, de régler ses problèmes de santé, et par conséquent, de s'adresser aux services d'aide en dernier recours lorsqu'il est confronté à des problèmes de santé ou sur le point d'être évincé de son logement.

Par conséquent, le bien-être psychologique, ainsi que la santé physique des hommes peuvent être affectés par les valeurs et les comportements liés à la masculinité. Les hommes, pour démontrer leur masculinité, ont tendance à cacher leurs faiblesses, nier leur vulnérabilité et leurs besoins d'aide (Courtenay 2002). D'après cet auteur, les hommes cherchent aussi un contrôle personnel de leurs émotions et de leur corps physique; le stoïcisme et la robustesse sont aussi mis de l'avant. Cela peut faire en sorte que les hommes ignorent les signes que leur santé n'est pas au point; ils auront donc une tendance à dire que tout va bien, qu'il n'y a pas de problème. Ainsi, les rapports des hommes, y compris des hommes itinérants, avec les fournisseurs des services de santé et des services sociaux seraient ainsi influencés par cette masculinité, fruit de la socialisation. Bref, elle façonne la façon de penser et d'agir des hommes, elle exige un ensemble d'actions et de

comportements qui joueront un rôle dans la demande d'aide et dans les relations avec les fournisseurs des soins.

Les rapports des hommes avec les services d'aide ne sont pas seulement influencés par le processus de socialisation selon le genre. La féminisation de la clientèle et de la pratique influence la manière de dispenser les services par les organismes d'aide (Kadushin, 1976). Historiquement, ce sont les femmes qui avaient les rôles d'aider et de soigner; cette situation influence la dispensation des services et la demande d'aide (Dulac, 2001). L'auteur note aussi qu'il existerait une construction des services selon un modèle féminin tandis que les hommes exprimeraient leurs demandes selon un mode masculin. Cette situation créerait une incompatibilité entre la manière dont l'aide est offerte et la façon dont les hommes la demandent. Dulac, reprenant les travaux de Brooks, compare les exigences de la masculinité avec celles de la demande d'aide.

Tableaux 2 : Exigences de la masculinité versus les exigences des demandes d'aide (Dulac, 2001, p. 125)

Exigences de l'aide Exigences de la masculinité Dévoiler sa vie privée Cacher sa vie privée Renoncer au contrôle Conserver le contrôle Avoir une intimité non sexuelle Sexual iser l'intimité

Montrer ses faiblesses Montrer sa force Faire l'expérience de la honte Exprimer sa fierté

Etre vulnérable Etre invincible

Chercher de l'aide Etre indépendant

Exprimer ses émotions Etre stoïque

Faire de l'introspection Agir et faire

S'attaquer aux conflits interpersonnels Éviter les conflits Faire face à sa douleur et à sa souffrance Nier sa douleur et sa souffrance

Reconnaître ses échecs Persister indéfiniment Admettre son ignorance Feindre l'omniprésence Source: Brooks, G.R. (1998). A New Psychotherapy for Traditional Men, p.44

Le tableau 2 montre que les exigences de la masculinité sont diamétralement opposées à celles de la demande d'aide. Ce paradoxe influence les actions des hommes envers les services d'aide de même que leurs stratégies de résolution de problèmes, en plus d'être une source potentielle de conflits entre les demandeurs d'aide et ceux qui offrent les services. Les hommes, pour demander de l'aide, doivent se comporter de manière différente de ce que le processus de socialisation leur a appris. Prenons un exemple pour illustrer; l'homme est éduqué pour montrer sa force et la demande d'aide exige de montrer ses faiblesses; c'est en quelque sorte demander d'être à la fois le loup et le mouton. Ainsi, la socialisation des hommes doit être prise en considération pour la compréhension des rapports que les hommes itinérants entretiennent avec les services de santé et les services sociaux. Cette masculinité peut influencer, à différents degrés, la demande d'aide des hommes, leurs interactions avec les fournisseurs des services de même que l'offre et la dispensation de ceux-ci. Finalement, si les hommes non itinérants ont de la difficulté à recevoir des services, et si la population itinérante dans son ensemble l'est aussi, en suivant la logique, être un homme dans l'itinérance complexifie encore plus l'accès aux services.