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La construction du rapport prédécisionnel : le processus organisationnel et les stratégies personnelles de délégués à la jeunesse au Québec

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Academic year: 2021

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La construction du rapport prédécisionnel : Le

processus organisationnel et les stratégies

personnelles de délégués à la jeunesse au Québec

Mémoire

Rébecca Chouinard

Maîtrise en service social

Maître en service social (M. Serv. Soc.)

Québec, Canada

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iii RÉSUMÉ

En justice pénale, de nombreux outils d’évaluation sont utilisés afin d’éclairer la magistrature avant qu’une peine ne soit ordonnée. Chez les contrevenants mineurs, la confection d’un rapport prédécisionnel peut être ordonnée par le tribunal. Ce rapport permet de jeter un regard sur la situation de l’adolescent et sur son milieu pour déterminer le risque de récidive qu’il représente. À la fin du rapport, des recommandations sur la peine seront formulées en ce sens. Au Québec, ce sont des intervenants sociaux (délégués à la jeunesse) qui sont mandatés pour exécuter ce type d’évaluation. Les recherches scientifiques demeurent très limitées concernant le contexte de travail chez les délégués à la jeunesse, particulièrement en ce qui concerne le processus de rédaction des rapports prédécisionnels.

Cette étude s’appuie sur la théorie de l’acteur stratégique. Selon ses auteurs, Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977), il existe un écart entre la pratique théorique des acteurs d’une organisation et leurs actions réelles. L’utilisation de ce cadre théorique permet de mieux saisir les différentes influences auxquelles peuvent être assujettis les délégués qui œuvrent au sein d’une organisation et qui peuvent expliquer cet écart. Un Centre jeunesse au Québec a constitué le site de recherche et des entrevues individuelles ont été réalisées auprès de sept délégués à la jeunesse.

Cette recherche de nature exploratoire révèle, d’une part, que différents éléments du contexte organisationnel dans lequel œuvre le délégué à la jeunesse peuvent influer sur le processus de construction de ses rapports prédécisionnels (entre autres, des pressions vécues au travail). D’autre part, il apparaît qu’au-delà de leur contexte de travail, d’autres facteurs plus subjectifs (les valeurs individuelles et la perception variable de la sévérité de la peine, par exemple) semblent intervenir chez les délégués dans la rédaction de leurs rapports et influer sur le choix des recommandations de peine.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ………...III TABLE DES MATIÈRES ... IV LISTE DES TABLEAUX ... VII LISTE DES FIGURES ... VIII REMERCIEMENTS ... IX

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 – LA DESCRIPTION DE LA PROBLÉMATIQUE ... 4

1.1 L’objet d’étude ... 4

1.2 Définition des concepts ... 5

1.3 La démarche documentaire réalisée ... 8

1.4. La recension des écrits : Le rapport présentenciel dans le processus de détermination de la peine ... 9

1.4.1 La détermination de la peine chez les mineurs au Canada et son contexte actuel. ... 9

1.4.2 Le travailleur social dans le processus de détermination de la peine. ... 12

1.4.2.1 Les recommandations sur la peine dans le rapport présentenciel. .... 12

1.4.2.2 Ce qu’en pensent les juges. ... 14

1.4.2.3 Le rôle du travailleur social. ... 15

1.4.2.4 Le processus de détermination des recommandations sur la peine : le pouvoir discrétionnaire du travailleur social. ... 16

1.5 Les limites des études actuelles ... 19

1.6. Les objectifs de la recherche ... 20

1.7. Les approches organisationnelles de l’action humaine ... 21

1.8 La pertinence scientifique du projet de recherche ... 24

1.9 Pertinence sociale de la recherche ... 25

CHAPITRE 2 – MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ... 26

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2.2 Type de recherche ... 27

2.3 Terrain de recherche ... 27

2.4. Stratégies de recrutement des participants ... 29

2.5 Mode de collecte des données ... 30

2.6 Analyse des données ... 31

2.7 Les considérations éthiques ... 34

2.8 Profil des répondants ... 36

CHAPITRE 3 – LA STRUCTURE ORGANISATIONNELLE DANS LAQUELLE ŒUVRENT LES DÉLÉGUÉS À LA JEUNESSE ... 38

3.1 Mise en contexte de l’analyse des données ... 38

3.2 Les stratégies de travail offertes par l’agence ... 40

3.2.1 Le canevas de rédaction et le manuel de référence. ... 40

3.3 Les pressions subies ou anticipées par les délégués à la jeunesse ... 49

3.3.1 Les pressions hiérarchiques. ... 49

3.3.3 Les pressions des usagers ... 61

CHAPITRE 4 – LES SYSTÈMES D’ACTION QUI INFLUENT SUR LA PEINE ... 69

4.1 Les composantes internes du rapport prédécisionnel : Le risque de récidive comme guide des recommandations sur la peine ... 71

4.2 Les composantes externes au rapport prédécisionnel : Les subjectivités qui interviennent dans le choix des recommandations sur la peine ... 79

4.2.1 La première composante externe : L’intuition ou la « première impression » comme guide de la mesure sentencielle. ... 81

4.2.2La deuxième composante externe : À chacun sa zone de confort! ... 83

4.2.3 La troisième composante externe : La perception de pouvoir chez le délégué à la jeunesse expérimenté. ... 86

4.2.4 La quatrième composante externe : Lorsque la nature du crime va à l’encontre des valeurs du délégué. ... 90

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4.3 Le processus de rédaction du rapport prédécisionnel : Entre l’objectivation affirmée de la pratique et la subjectivité voilée du délégué ... 95 CONCLUSION ... 100 BIBLIOGRAPHIE ... 106 ANNEXE A : DOCUMENTS DESTINÉS À LA PRÉSENTATION DU PROJET DE

RECHERCHE AU CENTRE JEUNESSE CIBLÉ ... 115 ANNEXE B : PROTOCOLE DE RECHERCHE SOUMIS AU CENTRE JEUNESSE

CIBLÉ ... 117 ANNEXE C : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT À L’INTENTION DES

PARTICIPANTS ET PARTICIPANTES ... 121 ANNEXE D : FORMULAIRE D’ENGAGEMENT À LA CONFIDENTIALITÉ ... 124 ANNEXE E : LISTE DES MOYENS PROPOSÉS POUR LE SUIVI CONTINU DE

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1. Liste des codes utilisés pour l'analyse des données ... 33 Tableau 2. Le profil des délégués à la jeunesse interviewés ... 37

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LISTE DES FIGURES

Figure 1. Synthèse du premier chapitre d’analyse des résultats ... 68 Figure 2. Synthèse des résultats d'analyse du mémoire ... 99

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REMERCIEMENTS

J’ai toujours eu la conviction qu’il est important de terminer ce que l’on commence. L’achèvement de ce mémoire est le résultat d’un processus (beaucoup plus long que je ne l’aurais cru) marqué de quelques turbulences, d’incertitude et surtout de la naissance de mes deux princesses; Rachel et Malory. D’abord, je tiens à remercier profondément mon conjoint qui m’a soutenu mentalement et financièrement pour arriver à compléter ce projet de mémoire. Merci d’avoir cru bon d’investir en moi, comme tu me l’as souvent répété. Je t’aime.

Je tiens également à remercier mes parents pour leurs encouragements et pour avoir pris soin de mes filles afin que je puisse rédiger ce mémoire en toute quiétude, lorsque papa était absent.

Il importe également de remercier le Centre jeunesse pour son ouverture face à la réalisation de mon projet de recherche. Merci au chef de l’équipe des délégués à la jeunesse pour sa collaboration et son soutien. J’exprime, par ailleurs, toute ma gratitude aux délégués à la jeunesse qui ont accepté de partager avec moi leurs expériences de travail (malgré des horaires de travail très chargés). Ce mémoire n’aurait pu être réalisé sans votre participation.

En terminant, j’adresse un remerciement tout spécial à ma directrice de mémoire, Mme Joane Martel, qui a cru à mon potentiel et qui a su m’épauler de façon extraordinaire au cours de ce (très) long parcours. Grâce à ses précieux conseils, sa patience et son

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1 INTRODUCTION

Durant les dernières décennies, nombre de recherches se sont intéressées au processus de détermination de la peine au sein des tribunaux. Dans le cadre de ce processus, différents outils d’évaluation peuvent intervenir en appui au jugement d’un magistrat. À cet égard, le rapport présentenciel est un outil d’évaluation avec lequel travaille la magistrature canadienne afin de rendre un jugement plus éclairé quant à l’historique de la délinquance et à la situation sociale d’un contrevenant, jeune ou adulte. Ces rapports ont pour but d’aider la magistrature à rendre une décision qui soit la plus juste possible selon le droit, d’abord, et soit également la plus adaptée pour le contrevenant en tenant compte de ses besoins. Ceux-ci sont cernés à partir des renseignements inscrits dans le rapport présentenciel, notamment celles portant sur les antécédents criminels de l’individu, sa situation personnelle et familiale, son historique en matière d’emploi ainsi que sur les circonstances du délit (Tata, Halliday, Hutton et McNeill, 2008).

Quoique l’usage du rapport présentenciel remonte à plus d’un siècle (Gelsthorpe et Raynor, 1995), l’intérêt scientifique entourant son utilisation et ses avantages dans le processus de détermination de la peine est plutôt récent. Malgré cette attention de plus en plus marquée par les chercheurs, les études existantes portant sur le rapport présentenciel restent en nombre limité et leur contenu demeure généraliste (Tata et coll., 2008). Pour sa part, l’usage que fait la magistrature du rapport présentenciel a aussi fait l’objet de quelques recherches et, de façon générale, il ressort de ces études que le rapport présentenciel contribue de manière réelle à la détermination de la peine (par ex. Bonta, Bourgon, Jesseman et Yessine, 2005). Si le rapport présentenciel est résolument utile à la magistrature, comment son auteur, un intervenant en relation d’aide, procède-t-il pour le « rendre utile »?

Le présent mémoire s’intéresse à la démarche de rédaction des rapports prédécisionnels pour contrevenants mineurs par les différents intervenants en relation d’aide, plus particulièrement par les travailleurs sociaux. Pour ces derniers, une telle

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démarche comprend la cueillette des renseignements nécessaires à la rédaction du rapport ainsi que l’analyse et l’interprétation des données recueillies pour formuler, au juge, des recommandations de peine. Nous nous sommes spécialement intéressée aux manières dont le travailleur social effectue le choix de ses recommandations de peine sur la base de son propre rapport prédécisionnel. Cette recherche vise donc à explorer pour mieux comprendre l’ensemble du processus entourant la rédaction des rapports prédécisionnels pour mineurs.

Après avoir brossé un portrait du contexte bureaucratique dans lequel les travailleurs sociaux exercent leur rôle de rédacteur de rapports présentenciels, la réalisation de ce mémoire permettra, entre autres, de documenter les différentes composantes du rapport présentenciel. À cet égard, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) dicte, au Canada, un ensemble de composantes (que nous appelons composantes internes) devant légalement figurer dans les rapports présentenciels, et nous avons exploré celles qui semblent influencer plus particulièrement le travailleur social dans le choix de ses recommandations. Dans cette foulée, la réalisation de cette recherche nous a aussi permis de documenter les composantes non prescrites par la LSJPA qui peuvent également intervenir dans le choix des recommandations sur la peine du travailleur social (nous appelons celles-ci les composantes externes).

Ce mémoire est divisé en cinq parties. La première partie présente l’objet de l’étude et la définition des principaux concepts, de même que notre démarche de recherche documentaire. Une recension des écrits, axés sur le processus de rédaction des rapports présentenciels et sur la détermination des recommandations sur la peine qui en découle, sera suivie d’un aperçu des limites des recherches actuelles, de l’exposition du cadre théorique retenu pour cette étude et de la pertinence de s’attarder à notre objet d’étude.

La seconde partie est consacrée à la méthodologie de recherche et comprend, entre autres, une description de l’approche et du type de recherche privilégiés, de la population à l’étude, de l’échantillonnage et de la méthode de collecte de données. Cette partie discute également des enjeux éthiques que nous avons été tenues de considérer.

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Les troisième et quatrième parties présentent les résultats et analyses de nos entrevues. La troisième partie porte sur le contexte organisationnel dans lequel œuvrent les délégués à la jeunesse. Ce chapitre fera état, dans un premier temps, des différentes stratégies de travail proposées par le milieu à l’étude et qui sont mises à la disposition du délégué à la jeunesse pour le guider dans sa collecte d’information et sa rédaction des rapports. À la lumière de ces stratégies, nous diviserons, dans un deuxième temps, l’argumentaire en fonction des types de pressions qui peuvent être subies ou anticipées par le délégué à la jeunesse et qui peuvent l’influencer dans sa rédaction des rapports prédécisionnels. La quatrième partie explore l’usage de certaines stratégies personnelles utilisées par les délégués à la jeunesse pouvant influer sur le contenu de leurs rapports prédécisionnels.

La conclusion relate les différents éléments importants qui ressortent de ce mémoire. Elle propose également d’autres avenues pour une poursuite plus approfondie de la recherche sur différents facteurs pouvant influer sur le processus de rédaction des rapports prédécisionnels.

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CHAPITRE 1 – LA DESCRIPTION DE LA PROBLÉMATIQUE

1.1 L’objet d’étude

Les principes ainsi que les pratiques en matière de détermination de la peine ont fait l’objet de nombreux questionnements depuis leurs critiques révolutionnaires au siècle des Lumières. Dans la foulée de l’effervescence scientifique contemporaine que suscite la détermination de la peine, certains écrits ont depuis longtemps suggéré que la prise de décisions judiciaires manquait d’uniformité et que cela était partiellement occasionné par la présence de nombreux facteurs pouvant intervenir dans le processus de détermination de la peine, qu’ils soient légaux ou extra-légaux (Hagan, 1974). Bien que ces recherches aient porté une attention plus particulière aux juges et à la manière dont ils procèdent pour déterminer une peine, d’autres acteurs peuvent également jouer un rôle notable dans le processus décisionnel. C’est le cas du travailleur social. Plusieurs études internationales ont porté sur le travailleur social et sa participation au processus décisionnel des juges, particulièrement au sein du système de justice pénale pour mineurs. Une tendance générale ressort de ces écrits, à savoir que les travailleurs sociaux impliqués dans le processus de détermination de la peine de l’adolescent possèdent un pouvoir discrétionnaire (Curtis et Resse, 1994; Walsh, 1985) dont ils font un usage certain, quoique plus ou moins libéral. À cet égard, les bureaux de probation pour contrevenants mineurs seraient, selon Walsh (1985), la manifestation la plus remarquable d’une philosophie de justice individualisée (ou discrétionnaire). Les outils et les balises utilisés pour formuler des recommandations à la magistrature semblent confus et laissent place à l’interprétation personnelle de celui qui les utilise. Or, nous avons souligné, plus haut, que les recommandations sur la peine élaborées par les travailleurs sociaux et soumises aux juges sont généralement prises en considération par la magistrature dans son analyse décisionnelle (Bonta et coll., 2005). Bien que nous soyons au fait de l’usage d’un pouvoir discrétionnaire par les travailleurs sociaux et de la contribution réelle de leurs recommandations de peine, la démarche de constitution du dossier suivie par les rédacteurs des rapports présentenciels pour en arriver à formuler de telles recommandations de sentence est, quant à elle, peu traitée dans les écrits. Nous

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pensons donc qu’il y a lieu de s’interroger sur le processus de construction d’une recommandation sur la peine par les travailleurs sociaux.

1.2 Définition des concepts

Afin de préciser davantage notre objet d’étude, la présentation de certains concepts est nécessaire. Il importe donc de définir les notions suivantes :

Rapport présentenciel : Dans le cas d’une personne trouvée coupable d’avoir commis un délit ou un crime au Canada, la magistrature canadienne doit rendre une sentence juste et équitable. Afin de les aider dans cette tâche, le Code criminel1 canadien autorise les tribunaux à demander la confection d’un rapport présentenciel (art.721) lorsque la gravité du délit est jugée importante (Bonta et coll., 2005). Ce rapport consiste en une évaluation sociale des circonstances entourant la commission du crime et doit contenir une synthèse de la situation du contrevenant (casier judiciaire, vie familiale, éducation, historique en emploi, santé physique et mentale, usage de psychotropes).

Relativement aux contrevenants d’âge mineur, c’est l’article 40 de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents2 qui autorise les tribunaux à solliciter la préparation d’un tel rapport qui, pour les mineurs, porte l’épithète particulière de « rapport prédécisionnel ».

1Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 721(1) « Sous réserve des règlements d’application du paragraphe

(2), lorsque l’accusé, autre qu’une organisation, plaide coupable ou est reconnu coupable d’une infraction, l’agent de probation est tenu, s’il est requis de le faire par le tribunal, de préparer et de déposer devant celui-ci un rapport écrit concernant l’accusé afin d’aider le tribunal à infliger une peine ou à décider si l’accusé devrait être absous en application de l’article 730 ».

2 Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 40(1) « Avant de prononcer une

peine concernant un adolescent déclaré coupable d’une infraction, le tribunal pour adolescents : a) doit, dans les cas où la présente loi l’oblige à prendre connaissance d’un rapport prédécisionnel avant de rendre une ordonnance ou de prononcer une peine concernant un adolescent, demander au directeur provincial de faire établir et de lui remettre un rapport prédécisionnel concernant l’adolescent; b) peut, dans les autres cas, s’il l’estime indiqué, demander l’établissement et la remise de ce rapport.

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Rapport prédécisionnel : Au Québec, un délégué à la jeunesse est mandaté pour réaliser cette évaluation (Ministère de la Justice du Québec, 2013). Pour y parvenir, il convoque en entrevue le jeune et ses parents, communique avec la ou les victimes de l’acte criminel commis pour recueillir de l’information relative aux torts engendrés par le délit et jauger la volonté du jeune contrevenant à s’impliquer dans une mesure susceptible d’être ordonnée par le tribunal. Le délégué peut aussi communiquer avec les policiers, le milieu scolaire, s’il y a lieu, d’autres intervenants impliqués ou toute autre personne significative pour l’adolescent (Centre jeunesse de Laval, 2012).

Conformément à l’article 40 (2) de la LSJPA, le rapport prédécisionnel doit faire état des divers éléments d’information pertinents concernant l’adolescent (son âge, son degré de maturité, son caractère, son désir de réparer les dommages causés, ses projets visant à modifier sa conduite et à participer à des activités ou à prendre des dispositions pour s’amender, ses antécédents judiciaires, ses résultats scolaires et ses antécédents professionnels). Ledit rapport prédécisionnel fait également état des relations entre l’adolescent et ses parents, ainsi que du degré de surveillance et d’influence qu’ils peuvent exercer sur lui. Dans la mesure du possible, les rapports entre l’adolescent et les membres de sa famille étendue ainsi que le degré de surveillance et d’influence que ces derniers peuvent exercer sur lui sont aussi des composantes qui doivent figurer dans le rapport prédécisionnel. Enfin, le rapport comprend toute autre information jugée pertinente par le délégué à la jeunesse (Ministère de la Justice du Canada, 2012). Au final, l’amalgame des renseignements recueillis dans son rapport va permettre au délégué à la jeunesse de (re) constituer le « dossier » et de formuler, à la lumière de celui-ci, des recommandations sur la peine3 à privilégier afin de cibler les interventions jugées nécessaires pour prévenir la récidive chez l’adolescent (Centre jeunesse de Laval, 2012).

3 Lors du prononcé de la sentence, le juge peut imposer l'une ou plusieurs des sanctions suivantes :

l'accomplissement d'un travail bénévole au profit de la collectivité, une période de probation avec ou sans suivi, un programme d'assistance et de surveillance intensives, une ordonnance de placement et de surveillance en milieu ouvert ou fermé, une ordonnance de placement et de surveillance différée, une amende, une absolution conditionnelle ou inconditionnelle, ou une ordonnance de restitution (Ministère de la Justice du Québec, 2013).

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Détermination de la peine : Conformément à l’article 38 (1) de la LSJPA, l’assujettissement de l’adolescent à une peine a pour objectif « de faire répondre celui-ci de l’infraction qu’il a commise par l’imposition de sanctions justes assorties de perspectives positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, en vue de favoriser la protection durable du public ». Tout en respectant le principe de proportionnalité, la peine est imposée, en droit anglo-saxon, dans un objectif de punition, de dissuasion, de réhabilitation ou de dénonciation.

Composantes internes : Le concept de « composantes internes » fait référence à l’ensemble des données informationnelles qui doivent obligatoirement se retrouver dans le rapport prédécisionnel conformément à l’article 40 (2) de la LSJPA. Ces composantes, énumérées ci-dessus, permettent de guider le délégué à la jeunesse dans la constitution du dossier social du jeune contrevenant et dans la formulation de ses recommandations sur la peine.

Composantes externes : Les composantes externes font référence, quant à elles, aux différents éléments d’information qui ne figurent pas parmi les renseignements devant être légalement contenus dans le rapport prédécisionnel, mais qui peuvent orienter le choix des recommandations du délégué à la jeunesse à la fin de son rapport. Les composantes externes incluent différents éléments de contexte en regard de la situation du contrevenant ou, encore, de l’intervenant dans le cadre de l’exercice de son rôle. Par exemple, les attentes connues de certains juges, les exigences singulières d’un supérieur immédiat devant entériner le rapport avant le dépôt à la Cour ou, encore, le niveau de collaboration de l’adolescent aux moments des entrevues sont autant d’éléments contextuels pouvant influer sur les recommandations que choisira d’émettre le délégué à la jeunesse.

Travailleur social : Plusieurs types d’intervenants en relation d’aide peuvent occuper, au Canada, des rôles professionnels les enjoignant à rédiger des rapports de type présentenciel (criminologues, psychoéducateurs, travailleurs sociaux, etc.). Au Québec, seuls les « délégués à la jeunesse » ont le mandat légal de rédiger des rapports

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prédécisionnels. Or, plusieurs professionnels issus de formations distinctes peuvent occuper le poste de délégué à la jeunesse. Chacun de ces professionnels possède une formation universitaire différente qui peut influencer sa perception, sa compréhension et sa mise en forme des données informationnelles au sujet du mineur. Le travailleur social, quant à lui, a principalement une formation en justice sociale. À cet égard, sa profession est encadrée par différentes valeurs à respecter qui, ultimement, devraient guider sa pratique quotidienne. Spécifiquement, les principes de justice sociale s’actualisent à travers certaines valeurs dont la croyance en la capacité d’évolution de chaque humain et en son aptitude au changement (OTSTCFQ, 2013). Ainsi peut-on raisonnablement prétendre que la conception professionnelle générale qu’entretiendra le travailleur social à l’égard du mineur, de son crime et de la peine appropriée sera influencée par les valeurs préconisées dans le cadre de sa profession.

1.3 La démarche documentaire réalisée

Notre recension répertorie les écrits canadiens, étatsuniens et ceux provenant du Royaume-Uni. Elle porte sur l’utilisation du rapport présentenciel dans le processus de détermination de la peine. La démarche documentaire a été amorcée par la consultation de différentes lois canadiennes et divers documents gouvernementaux, soit ceux des ministères de la Justice et de la Sécurité publique du Canada. Par la suite, une recherche dans les différentes banques de données en sciences sociales telles que Social Services Abstract, Social Sciences Full Text, Criminal Justice Abstract with full text a permis de consulter les revues suivantes : British Journal of Criminology, Journal of Law and Society, Journal of Law and Social Policy, The Prison Journal, Journal of Offender Rehabilitation, Crime and Delinquency, Journal of Crime and Justice, Punishment and Society, Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice, Criminal Justice Policy Review et Social Problems. Les mots clés anglais suivants ont été utilisés dans les banques de données mentionnées ci-dessus : sentencing, presentence investigation, presentence studies, presentence report, judicial decision, decision-making, probation officers, parole officers, sentencing recommendations, sentence processing, judicial attitudes, youth justice. Afin de diversifier

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les sources documentaires, certains livres ou chapitres ainsi que des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat ont également été retenus.

1.4. La recension des écrits : Le rapport présentenciel dans le processus de détermination de la peine

Comme souligné précédemment, les lois canadiennes stipulent que lorsqu’il concerne un contrevenant mineur, le rapport présentenciel est affublé d’une dénomination différente, soit celle de rapport « prédécisionnel ». Or, une telle distinction sémantique ne franchit pas les frontières géopolitiques du Canada et, par conséquent, ne traversera pas non plus notre recension des écrits. Ainsi, le terme « rapport prédécisionnel » étant privilégié dans les écrits, il sera celui que nous utiliserons dans cette partie du mémoire.

Il existe de très nombreuses recherches portant sur le rapport présentenciel dans le contexte général de la détermination de la peine (Tata et coll., 2008, Tata, 2010; Gallant, 1982; Thorpe et Pease, 1976; Carter, 1967). Cependant, en regard de l’objet d’étude qui concerne le présent mémoire, notre recension se limitera en grande partie aux écrits portant sur le rapport présentenciel dans le contexte spécifique de la justice des mineurs. Toutefois, afin de préciser certaines notions-clés concernant le rapport présentenciel, quelques articles plus génériques, portant sur la justice des adultes, seront également cités dans la présente recension. Nous brosserons tout d’abord un portrait général de la détermination de la peine chez les mineurs au Canada dans son contexte actuel, pour ensuite nous attarder à l’intervenant en relation d’aide qui rédige des rapports présentenciels afin d’éclairer son rôle et son degré d’implication dans le processus de la détermination de la peine. Nous terminerons notre tour d’horizon avec une discussion plus précise portant sur le processus de détermination des recommandations sur la peine dans le rapport prédécisionnel afin de connaître les facteurs pouvant intervenir dans le choix décisionnel de l’intervenant en relation d’aide.

1.4.1 La détermination de la peine chez les mineurs au Canada et son contexte actuel. En 2003, la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) a été

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adoptée en remplacement de la Loi sur les jeunes contrevenants de 1984. Dans le cadre de l’application de cette loi, il existe, au Canada, deux types de rapport permettant à la magistrature de rendre une décision judiciaire plus éclairée. Ces rapports sont produits pour des instances judiciaires différentes; alors que le rapport prédécisionnel est utilisé au sein du tribunal de la jeunesse, le rapport présentenciel, quant à lui, vise le tribunal pour les adultes. Actuellement, l’usage de ce rapport dans les tribunaux s’inscrit dans un contexte particulier où la justification des peines imposées semble vaciller, de façon générale, entre deux schèmes de pensée souvent considérés opposés; d’une part, les besoins du contrevenant et, d’autre part, les risques qu’il peut poser à la sécurité de la société (Tata et coll., 2008).

À cet égard, le préambule de la LSJPA indique, en premier lieu, qu’il est attendu « que la société se doit de répondre aux besoins des adolescents, de les aider dans leur développement et de leur offrir soutien et conseil jusqu’à l’âge adulte »4. Or, entre ce qui

est écrit dans ce préambule et la manière dont s’actualise l’application de la LSJPA dans les tribunaux pour mineurs, il peut y avoir contradiction surtout lorsque la protection de la société semble avoir préséance sur les besoins de l’adolescent (Tata et coll., 2008). En effet, dans cette rivalité entre deux conceptions en apparence antinomique de la justice pénale, les aboutissants des peines rendues récemment semblent s’orienter davantage vers une gestion du risque que vers une réhabilitation de la personne criminalisée. Tata et ses collaborateurs (2008) concluent, à cet effet, que le concept de « gestion du risque » s’avère de plus en plus important dans la compréhension du fonctionnement actuel des tribunaux en matière de détermination de la peine. L’étude de Jo Phœnix (2010) portant sur la relation entre la pratique de la gestion du risque et les décisions rendues par les magistrats dans les tribunaux pour les adolescents fait également ce constat. Ainsi, il semble que le contexte actuel des pratiques judiciaires en matière de détermination de la peine s’appuie progressivement sur une philosophie privilégiant le contrôle du risque.

4 Ministère de la Justice du Canada (2013), Loi sur le système de justice pénale pour adolescents [en

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Dans le cadre de son étude tenue en Angleterre, Phœnix (2010) a réalisé des entrevues auprès de treize juges siégeant dans un tribunal pour adolescents. À la lumière des propos de ces participants, il en ressort que la détermination de la peine est principalement le résultat d’une analyse logique des facteurs aggravants et des facteurs atténuants concernant l’infraction. L’attention des juges semble ainsi porter davantage sur les informations relatives à l’infraction plutôt que sur les renseignements personnels du contrevenant. Selon Tata et ses collaborateurs (2008), cette lecture essentiellement légaliste des rapports – qui privilégie la gestion du risque plutôt que les besoins de réhabilitation de l’individu – fait en sorte que les objectifs premiers du rapport prédécisionnel ne sont pas atteints. En accordant une moindre importance aux informations concernant l’environnement social et personnel du contrevenant, les besoins individuels de ce dernier sont donc souvent exclus du processus décisionnel des juges.

Dans le cadre d’une étude ultérieure réalisée en Écosse, Tata (2010) estime qu’un bon nombre des décisions judiciaires semblent s’établir sur la base d’un calcul de la proportionnalité de la peine. Même s’il prévaut dans tous les pays anglo-saxons en matière de détermination de la peine, le principe de proportionnalité peut cependant être compris de manière différente d’un pays à un autre. Au Canada, dans un contexte de justice pour personnes mineures, la LSJPA oblige « les adolescents à répondre de leurs actes au moyen de mesures proportionnées à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité »5. À

titre d’exemple, il existe, aux États-Unis, des grilles (sentencing grids) dans lesquelles sont colligés des crimes précis arrimés à des peines précises. Ces grilles sont utilisées par certains tribunaux dans le but de réduire la disparité des peines et d’opérationnaliser le concept de proportionnalité. Ainsi, une infraction donnée équivaut, par exemple, à une période prédéterminée de détention. Selon Tata (2010), les concepts de proportionnalité et de gestion du risque semblent s’arrimer l’un à l’autre dans l’assise des pratiques contemporaines en matière de détermination de la peine puisque les tribunaux semblent privilégier une justice plus actuarielle. Dans ce cadre, Tata (2010) conclut que le rapport prédécisionnel peut se constituer davantage comme un cérémonial – un passage obligé –

5 Ministère de la Justice du Canada (2013), Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (art. 3 (1)) [en

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dans le processus de détermination de la peine sans que les acteurs judiciaires prennent réellement connaissance d’une bonne partie de son contenu.

Publis et Sprott (2005) font également état de l’omniprésence de la gestion du risque dans le processus décisionnel des juges. La comparaison de certains points de droit entre la Loi sur les jeunes contrevenants et celle qui y succède, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) amène les auteurs à conclure que depuis l’entrée en vigueur de la LSJPA, plusieurs juges canadiens semblent considérer la gravité de l’infraction comme facteur primordial dans leur processus décisionnel. Les auteurs mettent donc en évidence l’impact réel de l’article 38 (2) (C) de la LSJPA, en vertu duquel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’adolescent (Publis et Sprott, 2005). Dans la foulée, le concept de « besoins », selon lequel la peine devrait offrir à l’adolescent les meilleures perspectives de réhabilitation, semble peu souvent mis au premier plan dans l’analyse décisionnelle des juges canadiens. Cette manière de faire des juges aura une influence sur le travailleur social quant à l’orientation que prendront ses recommandations sur la peine dans son rapport présentenciel.

1.4.2 Le travailleur social6 dans le processus de détermination de la peine.

1.4.2.1 Les recommandations sur la peine dans le rapport présentenciel. Comme mentionné dans la section précédente, la justice pénale canadienne pour personnes mineures semble se partager, dans une vision dichotomique, entre les besoins du contrevenant, d’une part, et la protection de la société, d’autre part. Certains auteurs (Tata et coll., 2008; Phœnix, 2010) ont justement mis en exergue, dans leurs écrits, le dilemme dans lequel se trouve l’agent de probation relativement à la conciliation des besoins du contrevenant et de la protection des citoyens. Ce déchirement de nature morale et juridique se fait sentir régulièrement au sein même des recommandations que le travailleur social soumet à la magistrature. Par exemple, le travailleur social pourrait recommander au juge

6 Dans le cadre de la présente section, une clarification s’impose en regard des termes utilisés par les auteurs cités. Au

Québec, ce sont principalement des travailleurs sociaux et des criminologues (délégués à la jeunesse) qui sont légalement mandatés pour effectuer la rédaction des rapports prédécisionnels. Or, certaines recherches portent sur les tâches du travailleur social à titre de rédacteur de rapports présentenciels alors que d’autres études utilisent un terme plus générique, soit celui d’agent de probation. Pour éviter la redondance, les deux termes sont considérés, ici, comme étant équivalents.

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une peine d’incarcération (dans un objectif de protection du public) en invoquant du même souffle que la prison est l’espace privilégié permettant de répondre aux différents besoins de traitement de l’adolescent. Bien souvent, les travailleurs sociaux vont obscurcir leurs propos au moment de justifier leurs recommandations (Leiber, Reitzel et Marck, 2011), c’est-à-dire qu’ils n’auront pas tendance à se positionner clairement en regard de l’une ou de l’autre position énoncée ci-dessus. Ils vont plutôt émettre des recommandations pour qu’elles paraissent raisonnables aux yeux du juge. Ils privilégieront donc un narratif singulier qui fera en sorte que la magistrature prononcera une sentence conforme à l’esprit dans lequel le rapport prédécisionnel a été écrit (Latessa, 1993; Neubauer, 1974; Susman, 1973). Ainsi, il ne faut pas se surprendre de la grande concordance entre les recommandations des travailleurs sociaux et les sentences prononcées par les juges (Leiber, Reitzel et Marck, 2011).

Une première étude réalisée en ce sens par Carter (1967) portait sur le lien pouvant exister entre les recommandations d’un rapport prédécisionnel et la sentence prononcée7

par un juge. Cette étude a démontré que le taux de correspondance entre les recommandations de sentence de l’agent de probation et le choix final de la peine par le magistrat était de 80 %. Cette correspondance semble s’être maintenue dans le temps puisque des études plus récentes (Homant et DeDercurio, 2009; Schmalleger et Smykla, 2007; Seiter, 2008) ont démontré que de 80 % à 90 % des recommandations soumises aux magistrats avaient été entérinées par ces derniers. Selon certaines études, ce haut taux de concordance s’expliquerait souvent par la capacité qu’a l’agent de probation à anticiper correctement ce que le juge imposera comme peine (Konecni et Ebbesen, 1984; Hine, McWilliams et Please, 1978). Comme nous l’indique Rosecrance (1985), le nombre de juges siégeant dans les tribunaux pour mineurs est moindre que dans les tribunaux pour adultes. Ainsi, après quelques passages à la Cour, l’agent de probation peut être en mesure d’établir des comparaisons en regard du mode de fonctionnement de chacun des juges en matière de détermination de la peine. Autrement dit, les agents de probation apprennent avec le temps à bien connaître l’approche pénologique de chaque magistrat (Rosecrance, 1985).

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Dans cette lignée, l’étude de Homant et DeMercurio (2009) suggère que 61 % des agents de probation étudiés tendent à recommander une peine d’incarcération alors qu’ils se disent en faveur de mesures dites « intermédiaires », comme un suivi probatoire dans la communauté au lieu de l’emprisonnement. Il y a donc, ici, une contradiction apparente entre les convictions premières de l’agent de probation et ce qu’il recommande dans son rapport prédécisionnel. De tels résultats de recherche corroborent l’idée émise par de nombreux autres auteurs voulant que les travailleurs sociaux recommandent une peine pour « satisfaire » la magistrature. Tata et coll. (2008) indiquent, pour leur part, que les juges semblent avoir des attentes légales bien précises en regard de ce qui doit être proposé comme recommandations sur la peine. Si ce que le travailleur social propose ne cadre pas avec les attentes du magistrat, une faible attention pourrait alors être portée au rapport. Rosecrance (1985) et Tata, Halliday Hutton et McNeill (2007) soulignent l’importance pour l’agent de probation de recommander une peine qui semblera réaliste aux yeux du juge. En ce sens, il semble que les agents de probation souhaitent éviter d’être réprimandés par les juges concernant leur rapport en prétextant que cela remet grandement en question leur crédibilité. Pour les agents de probation, la préservation de leur crédibilité aux yeux de la magistrature est prédominante dans l’exercice de leur rôle (Rosecrance, 1985). Dans cette perspective, il peut donc y avoir un écart entre ce que le travailleur social inscrit dans son rapport et le message réel qu’il aurait souhaité transmettre à la magistrature.

1.4.2.2 Ce qu’en pensent les juges. Dans le cadre de leur étude, Campbell et McCoy (1990) ont interrogé des magistrats afin de connaître leur point de vue sur le contenu des rapports présentenciels qui leur sont soumis. Ces derniers mentionnent, entre autres, que les agents de probation connaissent leur approche pénologique en matière de détermination de la peine et que cela se reflète dans leurs rapports présentenciels. Ils savent sur quoi les juges portent leur attention et insisteront davantage sur ces mêmes éléments. Les travailleurs sociaux sont d’avis que les magistrats ajusteront leur discours à leur approche.

De leur côté, les juges reprochent aux travailleurs sociaux leur trop grande naïveté, c’est-à-dire leur croyance parfois exagérée dans le potentiel de changement du

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contrevenant. Selon cette perspective, le travailleur social semblerait parfois faire office de porte-parole du contrevenant (Balluci, 2008). De plus, la plupart des juges interrogés perçoivent l’utilité des rapports prédécisionnels comme étant davantage informative qu’évaluative. Pourtant, comme mentionné plus haut, les juges suivent majoritairement les recommandations proposées par l’agent de probation. Forer (1980) explique cette apparente contradiction par la surcharge de travail des magistrats. En fait, la demande de rapports présentenciels permettrait au juge de s’éviter une analyse complète du dossier. C’est dans cette optique que les magistrats préfèreraient donc, parmi l’ensemble des rapports prédécisionnels, ceux qui s’orientent dans la même direction que leurs propres philosophies pénologiques (Campbell et McCoy, 1990).

1.4.2.3 Le rôle du travailleur social. Le rôle du travailleur social dans le processus de détermination de la peine semble donc être quelque peu nébuleux. Certains diront que celui-ci possède une réelle influence sur la décision émise par le juge alors que d’autres diront plutôt que son influence est marginale et qu’il agit principalement à titre de « figurant » (ex. Leiber, Reitzel et Mack, 2011).

Dans le cadre d’une étude qualitative conduite par Tata et coll. (2007) et portant sur les travailleurs sociaux écossais rédacteurs de rapports présentenciels, les chercheurs ont noté, chez le travailleur social, la présence d’une tension liée à l’exercice de son rôle. En fait, il arrive souvent qu’il doive recommander des entraves à la liberté du contrevenant tout en aidant ce dernier à recouvrer ses capacités et sa libération afin d’améliorer son bien-être général. Le travailleur social se retrouve donc coincé entre les valeurs sous-tendant sa profession et le souci de répondre aux attentes de la Cour en recommandant une sentence similaire à ce que le juge pourrait énoncer comme jugement. De plus, il semble que les travailleurs sociaux intercalent de manière implicite leur jugement moral dans leurs rapports. Pensons, par exemple, à l’expression de regrets de la part du contrevenant à l’égard du geste posé. Ce type d’allusion dénote, selon Tata et coll. (2007), une manière de faire des travailleurs sociaux visant à encourager le magistrat à « lire entre les lignes », ces dernières devant demeurer formellement neutres.

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Au plan théorique, l’agent de probation a le mandat d’agir à titre de tierce partie. Il renseigne la Cour sur la situation du contrevenant à partir de renseignements pertinents et vérifiables permettant d’aider le magistrat à déterminer la peine la plus appropriée (Leifker et Sample, 2010). Or, il semble que l’agent de probation identifie rapidement, au cours de la rédaction de son rapport, quelles seront ses recommandations sur la peine. C’est à partir de ce choix initial que découlera l’ensemble de sa démarche; de la cueillette des données à la sélection des renseignements qui permettront de justifier ses recommandations (Leifker et Sample, 2010). Leifker et Sample (2010) remettent ainsi en cause l’objectivité des rédacteurs de rapports présentenciels en regard du traitement des données informationnelles recueillies concernant le contrevenant. Qui plus est, dans les milieux de pratique, la démarche de rédaction des rapports présentenciels (et des propositions de recommandations sur la peine) semble être routinière et prévisible (Rosecrance, 1985) puisque le travailleur social semble suivre des normes et des tendances préétablies en matière pénale, ce qui incite Leifker et Sample (2010) à arguer que la notion d’indépendance de l’agent de probation n’a pas vraiment sa place.

1.4.2.4 Le processus de détermination des recommandations sur la peine : le pouvoir discrétionnaire du travailleur social. Selon Tomkins (1990), la trajectoire d’un contrevenant à travers le système pénal serait le résultat d’un amalgame de décisions assujetties au pouvoir discrétionnaire de chaque intervenant présent aux différentes étapes de ladite trajectoire. Le pouvoir discrétionnaire fait référence, ici, à l’appréciation personnelle qu’effectue un intervenant – un agent de probation dans le cas qui nous intéresse – à l’égard de la situation du contrevenant (Albonetti, 1991). À l’instar des autres instances du système de justice pénale, une telle appréciation est aussi effectuée dans le rapport prédécisionnel. Il existe, en effet, de nombreux facteurs qui peuvent intervenir dans le choix des recommandations sur la peine qui y sont formulées. Plusieurs études se sont attardées, justement, aux différents éléments que peut considérer l’agent de probation pour construire ses recommandations au juge. Il y a, d’une part, les éléments qui sont associés directement au contrevenant et à son délit et, d’autre part, ceux qui sont liés aux caractéristiques personnelles de l’agent de probation ou à son environnement de travail.

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Dans cette veine, certains auteurs mentionnent que la nature et la sévérité du crime, les antécédents judiciaires ainsi que les influences négatives des pairs fréquentés par l’adolescent sont les éléments les plus souvent retenus par les agents de probation dans la construction du narratif qui servira à justifier leurs recommandations sur la peine (Konecni et Ebbesen, 1984; Lin, Miller et Fukushima, 2012). Déjà en 1974, Joseph E. Scott indiquait dans un article phare que des éléments informationnels de ce type pouvaient avoir une influence quant au degré de sévérité de la peine recommandée par l’agent de probation. Lorsque le contrevenant est détenu en attente de son procès, il semble que son comportement carcéral ainsi que son respect des règles en institution acquièrent une importance notable pour l’agent de probation. À titre complémentaire, les aspects socio-biographiques du contrevenant tels que l’âge, le sexe, la « race » et le niveau d’éducation peuvent également influencer l’agent de probation dans le choix de ses recommandations (Scott, 1974).

Par ailleurs, d’autres études concluent que certains éléments contextuels qui sont externes au contenu du rapport prédécisionnel pourraient expliquer, du moins partiellement, la recommandation de la mesure (Crittendon, 1983; Curtis et Reese, 1994; Reese, Curtis et Richard, 1989). Par exemple, il appert que le devoir de répondre à différents impératifs institutionnels influence également le choix des recommandations de l’agent de probation. Comme l’indique Rosecrance (1985), l’approche du juge auquel est soumis le rapport et les réactions du superviseur de l’agent de probation quant aux recommandations qu’il soumet dans son rapport en sont de bons exemples. Ces deux éléments auxquels fait référence Rosecrance (1985) sont importants pour bien comprendre le contexte de travail dans lequel œuvre l’agent de probation et comment ces trois éléments (l’approche pénologique de chaque magistrat, le contexte bureaucratique dans lequel travail l’agent de probation et la sévérité des recommandations sur la peine) peuvent avoir une influence sur le choix de la peine. Il importe donc de les définir avec plus d’exhaustivité.

En premier lieu, l’approche du juge fait référence à la philosophie pénologique à laquelle ce dernier adhère en matière de détermination de la peine. Ainsi, les éléments considérés pour déterminer la peine seront variables d’un magistrat à l’autre en fonction de

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leurs convictions sur le plan de la dissuasion, de la rétribution, de la réhabilitation ou de la dénonciation, par exemple. En deuxième lieu, avant d’être soumis au tribunal, chaque rapport prédécisionnel est assujetti à une autorisation préalable du superviseur de l’agent de probation. Dans le cadre d’un tel processus hiérarchique d’approbation, les commentaires émis par le superviseur peuvent conduire l’agent de probation à modifier certaines des recommandations de son rapport afin de faire consensus avec les convictions professionnelles ou personnelles de son superviseur (Leifker et Sample, 2010).

D’autres chercheurs renchérissent que le contexte bureaucratique dans lequel travaille l’agent de probation peut influencer le processus de sélection des recommandations sur la peine (Church, 1985; Nardulli, Eisenstein et Flemming, 1988; Ostrom et Hanson, 1999). Ce contexte bureaucratique contient, notamment, des exigences plus ou moins restrictives de la part des gestionnaires, des objectifs de travail imprécis ou contraignants, des ressources (non) disponibles ainsi que des différentes sources de stress professionnel avec lesquelles le travailleur social doit composer au quotidien dans le cadre de son travail (Halliday, Burns, Hutton, McNeill et Tata, 2009). Quoique cette réalité de travail puisse exister dans différents milieux, Halliday et ses collaborateurs (2009) énoncent tout de même que des objectifs de travail parfois mal définis, un manque de soutien de la part des superviseurs et des ressources limitées peuvent rendre le travail des agents de probation difficile. Dans cette veine, ces auteurs suggèrent que le contexte bureaucratique aura également une influence sur la façon dont le travailleur social va établir ses propres limites quant à son rôle et son niveau d’implication dans le processus de détermination de la peine.

Sur un plan plus idiosyncrasique, il semble que la sévérité des recommandations de sentence varie selon l’attitude de l’agent de probation (Walsh, 1985). Les agents de probation étant plus conservateurs dans leur manière de concevoir la criminalité et la façon dont il faudrait la contrôler recommanderont des peines plus strictes en comparaison de leurs collègues ayant une attitude plus libérale. Ainsi, la conception du crime qu’entretient l’agent de probation aura un impact direct sur l’orientation des recommandations sur la peine qu’il proposera à la magistrature (Tata, 2010). Dans cette orientation, Shaver (1975)

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s’est penché sur la relation pouvant exister entre la perception qu’entretient l’agent de probation en regard des caractéristiques personnelles du contrevenant et de la détermination de son niveau de responsabilité dans le délit commis. Au terme de son étude, il a noté que des différences de perception pouvaient effectivement conduire à des conclusions variables concernant le potentiel de réhabilitation du contrevenant et la peine à recommander (Shaver, 1975).

1.5 Les limites des études actuelles

L’examen des différentes recherches consultées nous amène à faire deux constats principaux. Le premier est que les données actuellement disponibles sur le rapport prédécisionnel demeurent plutôt générales quant à son utilisation et au rôle de l’agent de probation dans le processus de détermination de la peine. Le second est que les auteurs s’étant attardés sur le sujet sont peu nombreux. Une telle parcimonie fait en sorte que le même bassin restreint d’auteurs est cité à répétition à travers les différents ouvrages recensés.

Quelques études se sont intéressées à l’utilisation que fait la magistrature du rapport prédécisionnel dans le choix de la peine. À la lumière de ces études, nous savons que cet outil est utile et contribue à la détermination de la peine (par ex. Bonta et coll., 2005). Toutefois, nous ne savons pas dans quelle mesure ni de quelles façons. Nous savons que, de manière générale, la magistrature considère les recommandations de l’agent de probation pour déterminer la peine, mais peu de données sont disponibles au sujet de l’artisan de ces recommandations. Les éléments qui influencent le processus de sélection des recommandations de sentence sont plutôt méconnus, surtout ceux qui ne sont pas légalement requis et inscriptibles dans le rapport prédécisionnel. En ce sens, Tata et ses collaborateurs (2008) suggèrent de scruter davantage la démarche conduisant l’agent de probation à recommander certaines peines davantage que d’autres. Par ailleurs, très peu d’études se sont intéressées à la perception qu’entretient l’agent de probation face aux différentes variables. En 1975, Shaver s’est intéressé à la perception qu’ont les agents de probation des contrevenants qu’ils rencontrent et il a, plus particulièrement, porté son

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attention sur certaines caractéristiques personnelles des contrevenants. De façon générale, il a démontré que la manière d’entrevoir l’éventail des peines à recommander au juge peut grandement différer selon la perception qu’a l’agent de probation du contrevenant.

À l’instar de l’étude de Shaver (1975), plusieurs études marquantes portant sur le rapport présentenciel (rapport utilisé chez les contrevenants adultes) et le rôle de l’agent de probation ont été réalisées il y a plusieurs années, certes, mais elles demeurent toujours d’actualité. Pensons, entre autres, aux recherches de Carter (1967), Hagan (1974) et Rosecrance (1985) qui traitent des différents facteurs pouvant influer sur le choix des recommandations de sentence de l’agent de probation dans son rapport présentenciel. On remarque que ces trois recherches sont fréquemment citées dans d’autres études plus récentes (Leiber, Reitzel et Mack, 2011; Leifker et Sample, 2010; Lin, Miller et Fukushima, 2008). Concernant la disponibilité des études portant sur le rapport prédécisionnel, utilisé chez les contrevenants mineurs, elles sont pratiquement inexistantes entre les années 1990 et 2000. Toutefois, on constate un relent d’intérêt porté au sujet avec les études de Tata et al. (2007, 2008, 2010) vers la fin des années 2000.

1.6. Les objectifs de la recherche

À la lumière des limites des études existantes, nous souhaitons approfondir les connaissances entourant le processus de rédaction des rapports prédécisionnels. Pour ce faire, ce mémoire comporte deux objectifs. Dans un premier temps, nous souhaitons brosser un portrait du contexte bureaucratique dans lequel les délégués à la jeunesse exercent leur rôle de rédacteur de rapports prédécisionnels. Dans un deuxième temps, nous souhaitons documenter les composantes internes du rapport prédécisionnel (celles prescrites par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents) et les composantes externes (celles qui ne sont pas prescrites par la LSJPA) qui peuvent intervenir dans le choix des recommandations sur la peine. Pour réaliser ces objectifs, nous avons pris appui sur un cadre théorique nous permettant d’étudier à la fois la structure organisationnelle et les systèmes d’action des délégués.

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1.7. Les approches organisationnelles de l’action humaine

La recension des écrits ci-dessus suggère que le travail rédactionnel de l’agent de probation se module en fonction des diverses formes de pressions dont l’agent devra tenir compte. Pour éclairer ce jeu d’influences, la présente étude s’inscrit dans les approches organisationnelles qui permettent de mieux comprendre l’action humaine dans un contexte organisé (Plane, 2013). Parmi ces approches organisationnelles, la théorie de l’acteur stratégique cherche à montrer les relations qui structurent une organisation et à saisir comment chaque acteur s’y adapte (Foudriat, 2007). Dans cette orientation, le fonctionnement réel d’une organisation est le résultat de différents jeux stratégiques qui se tissent entre les acteurs en raison des problématiques que ces derniers rencontreront dans l’accomplissement de leur travail (Crozier et Friedberg, 1977). Ainsi, la théorie de l’acteur stratégique part du constat que le jeu des acteurs ne peut être déterminé à partir du système dans lequel ces derniers s’insèrent. Elle cherche plutôt à comprendre comment s’élaborent les actions collectives à partir des comportements individuels de chaque acteur, comportements qui peuvent parfois s’avérer contradictoires aux objectifs de l’organisation. Cette théorie propose d’appréhender la structure organisationnelle comme un système d’actions concret; une élaboration humaine (Crozier et Friedberg, 1977). Ainsi, elle rejoint les démarches de recherche qui analysent les phénomènes en partant de l’individu pour aboutir à la structure (l’individualisme méthodologique) et non de la structure vers l’individu (structuralisme).

La théorie de l’acteur stratégique est une approche sociopolitique qui a été développée par Michel Crozier et Erhard Friedberg au cours des années 1970. Ce modèle théorique repose sur la conceptualisation des relations entre les acteurs d’un même système. Bien au-delà d’un modèle simpliste de coordination d’une organisation, la vie réelle de celle-ci témoigne du fait que le comportement humain demeure complexe (Crozier et Friedberg, 1977). À cet égard, la théorie de l’acteur stratégique se présente comme un modèle permettant de mieux comprendre les rouages d’une organisation et ses influences sur le choix des actions posées par les différents acteurs qui la composent. Comme proposé par Crozier et Friedberg (1977 : 41), une organisation est définie comme une entité formée

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d’un regroupement d’humains composé « [d’] un ensemble d’actions compliquées, mais parfaitement agencées. Cette horlogerie semble admirable tant qu’on l’examine seulement sous l’angle du résultat à obtenir : le produit qui tombe au bout de la chaîne ». Crozier et Friedberg (1977 : 50) ajoutent « [qu’] une organisation est un construit humain et n’a pas de sens en dehors du rapport à ses membres […] ». Bref, Crozier et Friedberg (1977) définissent une organisation comme un construit humain contingent qui résulte des interactions sociales. En lien avec notre sujet de recherche, le concept d’organisation se réfère aux bureaux de probation dans lesquels œuvrent les délégués à la jeunesse responsables de la rédaction des rapports prédécisionnels. Dans la foulée, le rapport prédécisionnel devient donc « le produit qui tombe au bout de la chaîne », le résultat d’une succession d’actions posées par le délégué à la jeunesse pour en arriver à sa réalisation.

Selon Crozier et Friedberg (1977), il existe un écart entre la pratique théorique des acteurs et leurs actions réelles au sein d’une organisation. La raison première de cet écart est que les acteurs, peu importe la situation dans laquelle ils se trouvent, agissent de sorte à améliorer leur capacité d’action pour conserver un degré de liberté afin de maintenir un minimum d’indépendance, une marge de manœuvre par rapport aux autres acteurs faisant partie du même système. Cette marge de liberté prend forme à travers différents calculs et diverses manipulations à partir desquels les acteurs gèrent leur dépendance mutuelle au sein de l’organisation (Friedberg, 1993). À la lumière de notre problématique, qui met en exergue les pouvoirs discrétionnaires des délégués à la jeunesse, la théorie de l’acteur stratégique semble constituer un cadre théorique approprié pour explorer les différents aléas pouvant assujettir le délégué à la jeunesse au sein de l’organisation pour laquelle il travaille et pouvant influer sur les tâches qui lui sont conférées, notamment, dans le cas qui nous intéresse ici; la rédaction de rapports prédécisionnels.

La théorie de l’acteur stratégique propose de nombreux concepts importants contribuant à l’explication des rapports entre l’acteur et le système. Cependant, certains de ces concepts sont plus pertinents que d’autres pour l’objet d’étude de ce mémoire. En ce sens, les concepts de relation de pouvoir, de zone d’incertitude et de stratégie ont été retenus. En premier lieu, le concept de relation de pouvoir est défini par Crozier et

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Friedberg (1977 : 68) comme « une relation d’échange réciproque, mais où les termes de l’échange sont plus favorables à l’une ou l’autre des parties en présence ». Le pouvoir s’exerce ainsi par le déséquilibre de la relation où l’une des deux parties peut tirer un avantage par rapport à l’autre. Le pouvoir réside également dans la marge de liberté dont dispose chaque acteur engagé dans une relation de pouvoir, c’est-à-dire la possibilité de refuser ou d’accepter ce que l’autre lui demande (Crozier et Friedberg, 1977). Selon Crozier et Friedberg (1977), le pouvoir est un mécanisme quotidien de notre existence sociale que nous utilisons sans cesse dans nos différentes relations interpersonnelles. Le concept de relation de pouvoir renvoie donc, ici, directement aux relations entretenues par le délégué à la jeunesse avec différents acteurs clés impliqués dans le processus de rédaction du rapport prédécisionnel. Nous pouvons penser, entre autres, au juge et au superviseur auxquels l’intervenant soumet son rapport prédécisionnel. Tous deux entretiennent un rapport d’autorité à l’égard du délégué à la jeunesse. Cependant, le délégué à la jeunesse se retrouve également en position d’autorité envers le contrevenant concerné par le rapport prédécisionnel. À cet égard, en raison de la multidirectionnalité des relations de pouvoir entre le délégué à la jeunesse et les autres acteurs clés, le terme « rapport de force » traduit plus adéquatement, à notre avis, la notion de pouvoir qui concerne notre sujet de recherche. En ce sens, c’est le concept de rapport de force qui sera utilisé et qui permettra de mieux circonscrire, d’abord, en quoi les acteurs avec lesquels transige l’intervenant sont influents quant aux choix effectués au cours du processus de rédaction de son rapport prédécisionnel et, ensuite, en quoi l’intervenant lui-même fait usage de pouvoirs (ex. pouvoir discrétionnaire) dans ce rapport de force qui est constitutif de l’organisation.

En deuxième lieu, selon Crozier et Friedberg (1977), il existe dans toutes les organisations des espaces de liberté s’insérant dans des zones que les auteurs appellent zones d’incertitude et dans lesquelles les acteurs vont jouer. En jouant sur l’incertitude, rien n’est fixé. Ainsi, les interactions entre les acteurs et l’utilisation des zones d’incertitude constituent un système d’action plus ou moins stable (Bedin et Fournier, 2009). Dans le cadre du mémoire, ce deuxième concept est important puisqu’il fait référence à certains interstices où les règles organisationnelles et la définition des tâches sont peut-être plus ou

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moins claires pour le délégué à la jeunesse et dans lesquels le délégué fera usage de « libertés » en raison de cette incertitude.

En troisième lieu, le concept de stratégie fait référence à une conception précise de l’individu au travail. Selon la théorie de l’acteur stratégique, le comportement des acteurs en contexte organisé n’est pas déterminé. Chaque acteur conserve une part d’improvisation dans ses actions; un degré de liberté dans le but d’atteindre ses objectifs (Foudriat, 2007). Les stratégies employées par chaque acteur d’une organisation sont définies par ce que Crozier et Friedberg (1977) appellent les appréciations subjectives. Autrement dit, chaque acteur a une vision distincte des enjeux rencontrés au travail et développera des stratégies d’adaptation s’arrimant à cette vision personnelle. De telles stratégies pourraient ultimement entrer en contradiction avec la vision de l’organisation. Dans le cas à l’étude, l’utilisation du concept de stratégie renvoie notamment aux actions discrétionnaires de chaque intervenant dans les différentes étapes de construction du rapport prédécisionnel. La recension des écrits étayée ci-dessus a mis en lumière le fait que chaque intervenant effectue une appréciation personnelle de la situation du contrevenant concerné par ledit rapport (Albonetti, 1991). Ainsi, les différentes composantes pouvant intervenir dans le choix des recommandations sur la peine au final du rapport prédécisionnel sont multiples et peuvent différer d’un intervenant à un autre. La notion de stratégie permettra de mieux comprendre quelles sont les composantes qui influent sur les choix qu’effectue l’intervenant tout au long de sa démarche de rédaction.

1.8 La pertinence scientifique du projet de recherche

Notre recension des écrits témoigne de l’existence d’un bassin limité d’études portant sur notre objet d’étude. Pourtant, le rapport prédécisionnel est préparé des milliers de fois chaque année par les bureaux de probation canadiens (Bonta et coll., 2005), et la recherche à ce sujet a clairement montré que ces rapports ont une influence certaine sur les juges et la détermination de la peine (Hannah-Moffat et Maurruto, 2003). Or, notre recherche documentaire n’a permis d’identifier aucune étude québécoise sur le sujet. Le maigre contingent d’études justifie donc que nous nous attardions, dans le cadre de notre

Figure

Tableau 2. Le profil des délégués à la jeunesse interviewés
Figure 1. Synthèse du premier chapitre d’analyse des résultats

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