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Avancées vers l'inculturation des Églises émergentes dans la société québécoise postchrétienne : des pistes ecclésiales et missiologiques à retenir?

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Academic year: 2021

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Avancées vers l'inculturation des Églises émergentes

dans la société québécoise postchrétienne :

des pistes

ecclésiales et missiologiques à retenir?

Mémoire

Pierre LeBel

Maîtrise en théologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Avancées vers l’inculturation des Églises

émergentes dans la société québécoise

postchrétienne :

Des pistes ecclésiales et missiologiques à retenir ?

Mémoire

Pierre LeBel

Sous la direction de :

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II

Résumé

Le mouvement des Églises émergentes qui s’est manifesté en Occident depuis la fin du XXe siècle cherche à répondre aux nouvelles réalités qu’impose la postchrétienté à l’intelligence de la foi. Par le biais d’un questionnaire en ligne destiné aux membres des Églises émergentes du Grand Montréal, ce mémoire explore les avancées de celles-ci vers l’inculturation de la foi chrétienne afin de percevoir si l’on ne pouvait pas y déceler des pistes ecclésiales et missiologiques qui pourraient éventuellement servir à d’autres Églises du Québec comme ailleurs dans les pays francophones. Par inculturation, j’entends la participation culturelle et citoyenne des membres d’une Église dans la vie, les projets et les débats de société à laquelle ils appartiennent, en cohérence avec leurs convictions religieuses. Comment vivre, interpréter et exprimer la foi chrétienne au sein de la société québécoise postchrétienne actuelle, en particulier dans les sphères culturelles, sociales et politiques, est au cœur de mon interrogation. Pour ce faire, je propose que des Églises n’aient pas d’autre choix que de vivre une forme de kénose qui lui permettra de se défaire de certaines traditions et structures associées à la chrétienté.

(4)

III

Abstract

The emerging church movement that has arisen in the West since the end of the 20th century seeks to respond to the new realities that postchristendom has imposed towards the Christian faith. Through an online questionnaire designed for members of the Emerging Churches in Greater Montreal, this thesis explores their progress towards the inculturation of Christian faith in order to understand the ecclesial and missiological principles that could be identified and which could eventually be used by other churches in Quebec and elsewhere in the French world. By inculturation, I mean the cultural and civic participation of members of a Church in the projects and debates of the society to which they belong, in coherence with their religious convictions. How to live, interpret and express the Christian faith in today's post-Christian Quebec society, particularly in the cultural, social and political spheres, is at the heart of my interrogation. To do this, I propose that Churches have no choice but to live a form of kenosis by which to leave behind certain traditions and structures associated with Christendom.

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IV

Table des matières

RÉSUMÉ ... II ABSTRACT ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV LISTE DES FIGURES ... IX LISTE DES TABLEAUX ... X ABRÉVIATIONS ... XI DÉDICACE ... XII REMERCIEMENTS ... XIII

INTRODUCTION ... 1

1. Parcours personnel et contexte de la recherche ... 2

2. Problématique ... 3

3. Objet de mon mémoire ... 5

4. Hypothèse ... 6 5. Question de recherche ... 6 6. Objectifs du mémoire ... 6 7. Méthode de recherche ... 7 8. Plan du mémoire ... 10 Conclusion ... 12

CHAPITRE 1 DÉFINITIONS DES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX ET DES CONCEPTS THÉORIQUES ... 13

1. Le mouvement des Églises émergentes ... 13

1.1 Émergence et conversation ... 13

1.2 Nom, caractéristiques, contexte et théologie ... 14

1.3 Tensions théologiques avec les Églises dénominationnelles et conservatrices ... 20

1.4 L’Églises émergente et l’émergence de l’Église ... 22

2. Questionnement sur les projets évangéliques d’implantation de nouvelles Églises ... 23

2.1 Quels sont ces projets d’implantation d’Églises ? ... 23

2.2 L’écart et l’inquiétude des Églises ... 25

(6)

V

3. Introduction à la postchrétienté ... 30

3.1 De la chrétienté à la postchrétienté ... 32

3.2 Les composantes historiques et sociologiques de la postchrétienté ... 35

3.2.1 La sécularisation ... 35

3.2.2 La laïcité ... 36

3.2.3 Le postmodernisme ... 37

3.2.4 La postsécularité ... 38

4. L’inculturation ... 39

4.1 La raison de mon choix pour « l’inculturation » ... 39

4.2 L’origine, le sens et l’étendue de l’inculturation ... 41

4.3 L’inculturation en postchrétienté ... 45

4.4 La kénose comme élan vers l’inculturation ... 47

Conclusion ... 51

CHAPITRE 2 LE MOUVEMENT QUÉBÉCOIS FRANCOPHONE DES ÉGLISES ÉMERGENTES ... 53

1. Historique du mouvement et des Églises émergentes à Montréal ... 53

1.1 Curieux ... 55

1.2 Emerge ... 57

1.3 Agapé ... 59

1.4 L’Echad ... 60

1.5 La Cohorte ... 62

1.6 Le Forum québécois sur la postchrétienté ... 63

2. Présentation de la littérature francophone à propos de l’Église émergente ... 65

2.1 Steve Robitaille, Penser l’Église évangélique autrement en contexte québécois ... 65

2.2 Gérard Basque, Possibilités d’une théologie évangélique postmoderne et pratiques des Églises évangéliques en contexte québécois ... 66

2.3 Gilles Marcouiller, Repenser les fondements missiologiques du mouvement protestant évangélique francophone du Québec pour le contexte québécois du XXIe siècle ... 68

2.5 Présentation de la littérature francophone européenne à propos de l’Église émergente ... 70

Conclusion ... 70

CHAPITRE 3 QUESTIONNAIRE ET DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ... 72

1. Présentation des étapes suivis pour la création d’un questionnaire en ligne ... 72

1.1 Un questionnaire ... 72

1.2 Questions éthiques ... 73

1.3 Procédure ... 75

2. Les catégories de mes questions ... 76

2.1 Le statut personnel des répondants ... 76

2.2 Identification de leurs Églises ... 76

2.3 Émergence et appartenance aux Églises ... 76

(7)

VI

3. Présentation des réponses au questionnaire ... 78

3.1 Le statut personnel des répondants ... 80

Question 1. Votre âge. ... 80

Question 2. Votre niveau de scolarité : secondaire / collégial / université 1er cycle / 2e cycle / 3e cycle. ... 80

3.2. Identification de leurs Églises d’appartenance... 80

Question 3. Quel est le nom de l’Église ou de la communauté émergente que vous avez fréquentée ou que vous fréquentez actuellement? ... 80

Question 4. Est-elle membre d’une dénomination particulière? Si oui, laquelle? Sinon, est-elle indépendante ou non-dénominationnelle?... 80

3.3 Émergence et appartenance aux Églises ... 81

Question 5. Précisez pourquoi vous considérez cette Église ou communauté comme étant émergente. 81 1. La contextualisation ... 82

2. Déconstruction et restructuration ... 82

3. Des valeurs humaines ... 83

4. Engagement social ... 83

5. La dynamique expérientielle ... 83

6. La place consacrée aux arts ... 84

7. Églises maisons ... 84

Question 6. Décrivez votre sentiment d’appartenance à cette Église ou communauté. ... 84

1. Comme une famille ... 84

2. L’importance des amitiés ... 84

3. Des relations de confiance... 84

4. Pour avancer ensemble ... 85

Conclusion ... 85

CHAPITRE 4 ANALYSE ET INTERPRÉTATION ... 87

1. Analyse des données pour les questions 7 à 9 ... 87

1.1 La sphère culturelle — réponses à la question 7 ... 88

1.1.1 Analyse des réponses pour la sphère culturelle (SC) – catégorisation axiale... 92

SC1— L’Église encourage une vie ouverte et intégrée au monde ... 92

SC2— L’Église incarne (doit incarner) la foi, le message biblique, dans la culture ... 93

SC3— L’Église facilite, encourage et stimule la création artistique de ses membres ... 94

SC4— L’Église cherche à comprendre le rôle de la foi dans son interaction avec la culture, la société et la politique ... 95

SC5— L’Église non seulement s’implique dans la vie culturelle, mais elle doit offrir, ... 96

1.2. La sphère sociale — réponses à la question 8 ... 96

1.2.1 Analyse des réponses pour la sphère sociale (SS) – catégorisation axiale ... 99

SS1— L’Église s’implique socialement et encourage ses membres à le faire ... 100

SS2— L’Église est encouragée à contextualiser la foi et à vivre l’Église de façon ... 100

SS3— L’Église est ouverte et cherche à se rapprocher des citadins ... 101

1.3 La sphère politique — réponses à la question 9... 101

1.3.1 Analyse des réponses pour la sphère politique (SP) – catégorisation axiale ... 104

SP1— L’Église réfléchit à la politique afin de savoir comment s’y engager ... 104

SP2— L’Église traite de politique dans une perspective d’implication sociale ... 106

SP3— L’Église traite peu ou pas de politique ... 106

(8)

VII

2. L’analyse sélective des catégories axiales ... 107

2.1 Mise en commun : les sphères entrecroisées ... 107

4.2 Analyse des catégories sélectives... 109

1. L’Église encourage une présence engagée dans les sphères culturelles et sociales ... 109

2. L’Église réfléchie à comment articuler la foi dans son interaction avec les sphères culturelles, sociales et politiques ... 111

3. L’Église veut incarner la foi dans les sphères culturelles et sociales ... 112

4. L’Église conserve une distance avec la sphère politique ... 112

3. Question 10 : réponses et analyse comparative ... 113

3.1 Analyse des réponses pour la question 10 — catégorisation axiale ... 117

ATTENTE 1 — Que l’Église s’engage dans la société par le biais de ses membres ... 118

ATTENTE 2 — Que l’Église soit un lieu d’accueil, d’écoute et de réflexion ... 119

ATTENTE 3 — Que l’Église repense son organisation... 120

3.2 Cohésion des réponses ... 120

4. Addendum : les obstacles à l’inculturation des Églises évangéliques ... 121

1. L’ecclésiocentrisme évangélique ... 121

2. Un manque d’engagement social ... 122

3. Le manque de contextualisation ... 122

Conclusion ... 122

CHAPITRE 5 PISTES ECCLÉSIALES ET MISSIOLOGIQUES À RETENIR ? ... 124

1. L’Église encourage une présence engagée dans les sphères culturelles et sociales ... 126

2. L’Église réfléchie à comment articuler la foi dans les sphères culturelles, sociales et politiques ... 129

3. L’Église veut incarner la foi dans les sphères culturelles et sociales ... 131

4. L’Église conserve une distance avec la sphère politique ... 133

Conclusion ... 133 CONCLUSION ... 135 Synthèse de ma recherche... 137 BIBLIOGRAPHIE ... 138 Chrétienté - postchrétienté ... 138 Églises émergentes ... 140 Inculturation ... 142 Théologie pratique ... 143

(9)

VIII ANNEXE 1 ... 145 ANNEXE 2 ... 146 ANNEXE 3 ... 147 ANNEXE 4 ... 149 ANNEXE 5 ... 150 ANNEXE 6 ... 151 ANNEXE 7 ... 154 ANNEXE 8 ... 156

(10)

IX

Liste des figures

Figure 1 : Logo de l’Église émergente Curieux ... 55

Figure 2 : Logo de l’Église Emerge... 58

Figure 3 : Logo de l’Église l’Echad ... 60

Figure 4 : Les sphères au service de l’Église ... 127

(11)

X

Liste des tableaux

Tableau 1 : Catégories 1 et 2 ... 79

Tableau 2 : Pistes vers l’inculturation dans la sphère culturelle... 89

Tableau 3 : Pistes vers l’inculturation dans la sphère sociale... 97

Tableau 4 : Pistes vers l’inculturation dans la sphère politique ... 102

Tableau 5 : Liste des catégories axiales regroupées par sphères ... 107

Tableau 6 : Liste des catégories sélectives ... 108

Tableau 7 : Liste des attentes des répondants ... 114

Tableau 8 : Liste des avancées vers l’inculturation ... 124

(12)

XI

Abréviations

ECM : Emerging Church Movement

ETEM : École de théologie évangélique de Montréal (devenu l’ETEQ en 2016) ETEQ : École de théologie évangélique du Québec

FQP : Forum québécois sur la postchrétienté GC : La Grande Commission

MPEFQ : Mouvement des Églises protestantes évangéliques du Québec TCE : Théologie de la Croissance de l’Église

TDA : Traduction de l’auteur TP : Théologie pratique UL : Université Laval

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XII

Dédicace

[…] la conviction théologique fondamentale, c’est que l’Église existe pour ce qu’elle n’est pas et pour ceux qui n’y sont pas. […] L’Église existe pour ce qu’elle n’est pas : elle n’existe pas en vue d’elle-même, mais pour annoncer et manifester déjà le règne de Dieu qui vient. Le règne de Dieu est la fin de l’Église, dans les deux sens du mot : sa finalité et son terminus. Devant le règne de Dieu, l’Église s’efface. Et l’Église existe pour celles et ceux qui n’y sont pas. Elle n’a pas pour but de rassembler et de mettre à part le peuple des élus. Elle est envoyée pour témoigner de l’Évangile auprès de tous.

Laurent Schlumberger À l’Église qui vient p. 129

(14)

XIII

Remerciements

Quand on a atteint un certain âge, entreprendre des études universitaires n’est pas chose évidente. D’autant plus quand il s’agit d’une maîtrise avec mémoire et que la personne en question n’a terminé que ses études secondaires, il y a de cela presque cinquante ans. Je remercie en tout premier lieu M. François Nault, responsable facultaire des études pour la Faculté de théologie et de sciences religieuses, de m’avoir fait confiance comme jamais. Je remercie vivement et tout particulièrement Mme Elaine Champagne qui, en tant que directrice de mon mémoire, a su généreusement et patiemment me conduire (et me reconduire sans cesse) dans des sentiers académiques qui m’étaient alors inconnus et dont souvent je m’écartais. Je remercie sincèrement messieurs Gilles Routhier et Yves Guérette, qui ont lu et commenté mon manuscrit et dont leurs notes m’ont été des plus utiles. Il m’aurait été impossible de poursuivre cette présente étude jusqu’au bout sans un cadre souple et le soutien de mes collègues à Jeunesse en Mission. Enfin, je veux exprimer toute ma reconnaissance à mon épouse, Alice qui, plus qu’aucune autre personne, a dû accepter mes nombreuses absences lorsque je m’enfermais dans mon bureau, si proche pourtant, mais oh combien éloigné.

(15)

1

Introduction

À la toute fin du IIe et au tournant du IIIe millénaire est apparu parmi les Églises protestantes évangéliques des pays occidentaux anglophones, du Royaume-Uni à l’Australie, en passant par les États-Unis et le Canada, un mouvement inattendu, quoiqu’à la fois inévitable et sans doute nécessaire, qui touche autant de grandes Églises protestantes instituées que de toutes nouvelles communautés de foi évangéliques indépendantes, celui à présent connu comme l’Église émergente. Dans leurs contextes socioculturels distincts, les Églises en Occident font toutes face aujourd’hui à une nouvelle réalité qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire du monde. Bien que ce nouveau phénomène se prépare depuis au moins le XVIIIe siècle avec l’arrivée de la laïcité comme expression politique de la sécularisation déjà en cours, elle a néanmoins pris les Églises de court. Il s’agit de la postchrétienté, au sujet de laquelle Alan Hirsch nous apprend que la chrétienté « en tant que force sociopolitique et culturelle […] est morte1 ». Jacques Grand’Maison parlera de « la défunte chrétienté2 ». La postchrétienté est avant tout « l’effondrement du pouvoir ecclésiastique en Europe3 » et, conséquemment, dans les pays de l’Occident issus de la colonisation européenne, ce qui, selon Stefan Paas, a permis « aux gens de développer une identité politique entière sans être religieux4. » La postchrétienté est donc venue bouleverser et mettre fin à la relation millénaire qu’entretenaient les Églises et les pays dits chrétiens et au sein de laquelle elles jouissaient d’un statut privilégié de collaboration avec les États dans le partage des pouvoirs et de l’identité. En effet, les Églises étaient reconnues par ces pays comme des institutions centrales et structurantes de la société et la foi chrétienne comme fondement identitaire, moral et éthique de ceux-ci. Or, selon le théologien français, Gabriel Monet, « Le courant de l’Église émergente semble en effet constituer une tentative d’être et faire Église en

1 Alan Hirsch, The Forgotten Ways: Reactivating the Missional Church, Grand Rapids, MI, Brazos Press, 2016,

p. 55. « As a sociopolitical-cultural force Christendom is dead ». Traduction de l’auteur. Ce sera le cas pour la majorité des traductions dans ce mémoire qui, dorénavant, sera signalé par l’abbréviation TDA. Pour les autres, le traducteur sera nommé.

2 Jacques Grand’maison, Société laïque et christianisme, Montréal, Les éditions Novalis, 2010, p. 19, 128 et

148.

3 Stefan Pass, Post-Christian, Post-Christendom, and Post-Modern Europe: Towards the Interaction of

Missiology and the Social Sciences, Missions Studies 28 (2011), p. 14. « the collapse of ecclesiastical power in Europe. » TDA.

4 S. Pass, Post-Christian ..., p. 7, « allowing people to develop full political identities without being religious.»

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2

postchrétienté5. » L’Église, afin d’émerger courageusement, n’a le choix, en postchrétienté, que de repenser ce qu’est l’essentiel de la foi chrétienne autant dans ses croyances que dans ses expressions publiques. Que devrait-elle absolument conserver et de quoi peut-elle se dépouiller afin d’épurer son message ? De plus, quelle est la mission qui lui fut confiée et que représente-t-elle dans la société actuelle ? C’est dans cette perspective que ce mémoire cherchera à explorer la naissance, l’actualité et la contribution de ce mouvement dans le contexte particulier de Montréal.

1. Parcours personnel et contexte de la recherche

Je m’intéresse à l’évolution de la spiritualité en générale et de la foi chrétienne en particulier depuis 1971 quand, en tant que jeune hippie à Montréal, aux États-Unis et dans l’Ouest canadien, j’ai côtoyé des adeptes de différentes traditions religieuses et vécu mes premières expériences de spiritualité chrétienne6. C’est en 1973 que j’ai vécu, dans les Laurentides, une conversion qui a marqué ma vie et qui m’a rapidement orienté vers une vocation missionnaire dont le souhait était de « rendre l’Évangile accessible à ma génération ». Pour ce faire, j’ai cherché à devenir le plus fidèlement possible un interprète de l’Évangile au cœur de la culture contemporaine et québécoise dans son évolution et sa transformation continues. Il est important de signaler ici que ma conversion a eu lieu dans un contexte interconfessionnel protestant évangélique anglophone. Ma foi au Christ et mon parcours spirituel et missionnaire se sont toujours exprimés dans un contexte large et non dans une appartenance à une dénomination chrétienne particulière, bien que j’ai été membre actif de plusieurs Églises et que j’ai collaboré intimement avec de nombreuses autres au cours des années. En tant que directeur de Marche pour Jésus Montréal7 pendant les années 1990, j’ai obtenu chaque année, avec l’aide de mes collaborateurs, la participation de plus de cent Églises de multiples dénominations (évangéliques, protestantes et catholiques) venant d’autant de communautés culturelles différentes.

5 Gabriel Monet, L’Église émergente, être et faire Église en postchrétienté, Berlin, Munster, Lit Verlag, 2014,

p. 179.

6 Mon enfance catholique m’a introduit qu’aux formalités rituelles et sacramentelles de la religion chrétienne

institutionnelle au cœur de la société québécoise de l’époque.

7March For Jesus, [https://en.wikipedia.org/wiki/March_for_Jesus] (consulté le 30 mai 2018).

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3

En 1986, j’ai fondé le centre de Jeunesse en Mission au cœur du Plateau Mont-Royal à Montréal. Avec une petite équipe, nous avons, au cours des années, créé une variété de ministères particuliers allant de conférences mensuelles traitant de sujets d’actualités ouvertes au public (les Ateliers du point, les Soirées culture urbaine) à la formation de bénévoles pour travailler auprès des personnes atteintes du sida (Info/Action SIDA). Nous avons mis sur pieds le centre conseil grossesses, Secours et vie. Nous avons créé le centre de jour le Point de repère, dans le village gai, tenu un kiosque d’évangélisation et offert des conférences au sein du Salon de l’ésotérisme pendant près de vingt ans ainsi qu’organisé deux évènements dans le milieu des arts, dont Arts, Christ & Culture en 2004 et le Festival

multi-arts In Vivo en 2005 au Bain Mathieu8. De plus, de l’an 2000 à 2017, nous avons encadré de nombreuses Écoles de formation de disciples dont l’EFD Culture urbaine, du début octobre à la fin mai, à huit reprises. Nous avions compris quelque chose d’essentiel : si l’Évangile ne pouvait répondre aux questions existentielles d’aujourd’hui, il était vide de sens. Le tout était soutenu par une vie de prière individuelle et collective structurée, nourrie par la lecture et l’étude de la Bible9.

2. Problématique

Pendant la première quinzaine d’années de vie de Jeunesse en Mission dans le quartier du Plateau Mont-Royal, notre équipe a vu plusieurs dénominations évangéliques (Frères mennonites, Alliance chrétienne et missionnaire, des baptistes, les Assemblées des frères et autres) chercher à y établir une Église locale. Ces efforts n’ont mené à rien. Pour ma part, mon constat était que les formes principales de la culture et du langage protestant évangélique ne semblaient pas adaptées à la réalité culturelle contemporaine et urbaine de Montréal et de ce fait, son message demeurait incompréhensible pour les résidents du quartier. Le mouvement protestant évangélique francophone du Québec (MPEFQ10) parmi les

8 https://bainmathieu.ca/a-propos.

9 Jeunesse en mission Montréal est officiellement fermé depuis juin 2019. Vous trouverez sur cette page la

vidéo d’un diaporama réalisé en 2010 qui présente, le temps d’une chanson, un survol de son histoire : https://www.youtube.com/watch?v=Yjedxc1kgp4.

10 Gilles Marcouiller raconte les origines et l’identité du mouvement protestant évangélique francophone du

Québec (MPEFQ) dans, « Repenser les fondements missiologiques du mouvement protestant évangélique francophone du Québec pour le contexte québécois du XXIe siècle », thèse de doctorat, Québec, Université Laval, p. 1-2, 237-245.

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4

« Québécois de souche11 » s’est principalement développé dans les banlieues et dans les petites villes du Québec. À mon avis, il n’a pas su jusqu’ici comment s’inculturer à la société québécoise. Toutefois, de nouvelles expressions d’Églises locales naissent à l’heure actuelle qui cherchent davantage à s’adapter. Ces faits ont toutefois suscité pour moi des questions quant à l’ecclésiologie et la missiologie protestante évangélique.

La problématique qui m’interpelle dans ce mémoire est, avec l’arrivée de la postchrétienté, l’écart grandissant entre la culture et l’Église au Québec et dont le manque d’inculturation, selon moi, est la cause. En fait, pour plusieurs raisons, les Églises du MPEFQ continuent à construire ce que j’appellerai un ravin entre elles et la société en générale du fait de ne pas l’avoir reconnu ou pris en compte.

Par leurs projets d’implantation de nouvelles Églises comme stratégie missionnaire principale, les Églises ont le plus souvent compris et, à mon avis, réduit le témoignage de la foi en l’Évangile au salut des âmes et à la reproduction de leur propre culture religieuse, la considérant comme la « norme » sur le plan théologique et la « forme » sur le plan ecclésial. Cette approche de la mission met l’emphase sur la culture religieuse particulière de l’Église et sur l’appartenance à celle-ci. Étant ecclésiocentrique, l’Église se considère mandatée par Dieu pour inviter les gens à se convertir et à sortir du monde afin d’entrer dans l’Église pour participer à son culte et à sa vie communautaire comme lieu principal de socialisation, de formation des disciples et la mission.

Ce qui semble manquer à cette vision est la considération de l’inculturation de l’Évangile dans les sphères culturelles, sociales et politiques de la société afin d’assurer la transformation de celle-ci en vue du bien commun comme signe du royaume de Dieu présent et à venir.

La définition de l’inculturation que nous propose le théologien Achiel Peelman est fort utile aux fins de ce mémoire :

11 Je précise spécifiquement la communauté québécoise dont les racines remontent à la Nouvelle-France et

donc de souche européenne, car les Églises évangéliques au sein des communautés culturelles issues de l’immigration sont nombreuses au cœur même de la ville. De plus, le mouvement protestant évangélique existe dans les communautés anglophones du Québec depuis plus de deux siècles.

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5

L’inculturation est un terme proprement théologique qui se situe en quelque sorte aux frontières de l’anthropologie et de la théologie systématique. Par sa racine, “culture”, il évoque la situation concrète de tous ceux et celles qui sont impliqués dans la proclamation, la réception et la transmission de la Bonne Nouvelle du Christ, depuis l’origine de l’Église. Par son préfixe, “in”, il nous rappelle spontanément le mystère de l’incarnation du Verbe divin12. 

Selon cette perspective, le lieu de la proclamation, de la réception et de la transmission de la Bonne Nouvelle est la culture du monde spécifique au temps et au contexte particulier puisque c’est dans celui-ci que Jésus a pris chair et est devenu un homme. En mettant l’accent sur la proclamation de l’Évangile et l’implantation de nouvelles Églises en marge de la société, les Églises du MPEFQ ont-elles suffisamment et profondément considéré la culture comme « situation concrète » au sein de laquelle elles ont elles-mêmes à incarner, c’est-à-dire à vivre, à interpréter et à exprimer l’amour et la vérité du Christ ? C’est la question que pose René Jaouen à l’Église catholique quand il fait valoir que : « nous sommes peut-être pour la première fois à pied d’œuvre pour inaugurer un vrai discours sur la mission. [Mais] découvrir les implications de ce processus, sans complaisance aucune, c’est aussi indiquer le long chemin qui reste à parcourir pour qu’il trouve enfin le lieu de sa réalisation13 ». J’espère sincèrement que cette étude contribuera à alimenter une réflexion productive14 et favoriser dans la vie des Églises de chez nous les transformations qui me paraissent tant nécessaires en vue de l’inculturation de l’Évangile dans le contexte culturel québécois, devenu aujourd’hui postchrétien.

3. Objet de mon mémoire

Ma recherche se veut à la fois missiologique et ecclésiologique. Mon mémoire a pour objet de vérifier si les Églises émergentes du Grand Montréal ont fait des avancées vers l’inculturation et ce que nous pourrions éventuellement apprendre d’elles comme principes de présence chrétienne dans le monde postchrétien actuel.

12 Achiel Peelman, Les nouveaux défis de l’inculturation, Ottawa, Novalis, Université St-Paul, 2007, p. 9. 13 A. Peelman, Les nouveaux défis…, p. 10.

14 Productive reflection est un terme courant dans les milieux anglophones. La page suivante explique son sens

et présente certaines de ses caractéristiques clés : https://productivereflection.weebly.com/what-is-productive-reflection.html.

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6

Dans son guide pour l’inculturation de l’Évangile, Hervé Carrier propose que l’inculturation puisse être décrite comme l’incarnation ou la pénétration de l’Évangile dans une culture, qu’elle soit autochtone ou moderne, et l’introduction de cette culture dans la vie de l’Église15. Il est à comprendre que l’inculturation est celle de l’Évangile, mais pour ce faire, les Églises doivent elles aussi s’inculturer. Pour Yves Labbé, « le mot “inculturation” renvoie aux conditions, exigences et effets de l’insertion de l’Évangile dans les cultures16. » Enfin, Jean-Paul II insiste sur le fait que l’Église, par le moyen de l’inculturation, transmet à ces « diverses cultures […] ses valeurs, en assumant ce qu’il y a de bon dans ces cultures et en les renouvelant de l’intérieur17. » Pour les fins de ce mémoire, je porterai mon attention sur la première partie de ce que représente l’inculturation, celle de la pénétration de l’Évangile dans la culture postchrétienne et non sur sa deuxième partie, la réception de l’Évangile par et dans la culture postchrétienne. Il me semble que l’Église qui émerge aujourd’hui est encore trop jeune et petite pour avoir déjà porté des fruits et obtenu des résultats que l’on pourrait mesurer. Toutefois, nous pouvons observer des avancées vers l’inculturation de ces Églises dans la société québécoise.

4. Hypothèse

Je propose que les Églises émergentes témoignent d’une inculturation de l’Évangile au sein de la culture postchrétienne actuelle et puissent ainsi devenir une source d’inspiration vers l’inculturation pour d’autres Églises au Québec en vue d’une meilleure annonce de l’Évangile.

5. Question de recherche

Quelles avancées les Églises émergentes du Grand Montréal ont-elles réalisées en vue de l’inculturation de l’Évangile dans la société postchrétienne québécoise ?

6. Objectifs du mémoire

Je poursuis dans ce mémoire trois objectifs :

15 Hervé Carrier, Guide pour l’inculturation de l’Évangile, Rome, Editrice Pontificia Università Gregoriana,

1997, 382 pp. Collection : Studia Socialia, no 5, p. 35.

16 Yves Labbé, « Le concept d’inculturation », Revue des sciences religieuses, 80/2 | 2006, p. 205. 17 Jean-Paul II, Lettre encyclique, Redemptoris Missio, 7 décembre 1990, no 52.

(21)

7

 Entendre ce que des membres d’Églises émergentes ont à communiquer au sujet de l’inculturation de l’Évangile ;

 Déterminer quelles sont les avancées des Églises émergentes de Montréal vers l’inculturation de la foi au Québec ;

 Proposer des pistes issues de la recherche en vue de soutenir l’inculturation d’autres Églises au Québec.

Chaque objectif fera l’objet d’un chapitre.

7. Méthode de recherche

Ma méthode s’inscrit en théologie pratique (TP). La TP s’intéresse aux pratiques humaines, qu’elles soient religieuses ou profanes, à leurs interprétations théologiques et au réinvestissement de ces dernières dans la vie de l’Église et de la société. Jacques Audinet maintient que la théologie qui se veut « intelligence de la foi » doit plus que jamais s’interroger sur son rapport à la pratique : « Un savoir qui ne s’articule point sur un faire paraît suspect à la réflexion contemporaine18. » D’autant plus que c’est par le questionnement sur l’agir humain et la réflexion théologique qu’il suscite que la pertinence de la foi peut être mise en valeur19. Il souligne donc le déplacement de l’attention théologique de la réflexion spéculative à la pratique20. Jean-Guy Nadeau précise toutefois que « la théologie pratique s’intéresse plus spécifiquement à reconnaître l’agir divin à travers les pratiques des humains21 ». Elle se donne ainsi un cadre et se dresse des objectifs afin d’orienter sa réflexion dont la théologie systématique sur l’agir divin fait déjà l’objet selon divers thèmes tels la révélation, la création et le salut22. Dans son étude des pratiques humaines dont elle fait son objet, la TP, qu’il qualifie de sous-discipline, « se spécifie par un intérêt particulier — empirique, herméneutique, critique et stratégique23 ».

7.1 Empirique

La TP est avant tout empirique, fondée sur l’observation des comportements d’êtres humains dans un contexte précis. Johannes A. Van der Ven dira à propos de la TP qu’elle n’est pas

18 Jacques Audinet, Écrits de théologie pratique, Paris, les Éditions du Cerf, 1995, p. 101. 19 J. Audinet, Écrits…, p. 102.

20 J. Audinet, Écrits…, p. 102, note 3 en bas de page.

21 Jean-Guy Nadeau, (2004). « La pratique comme lieu de la théologie pratique », Laval théologique et

philosophique, 60 (2), 207.

22 J-G Nadeau, La pratique comme lieu..., p. 207. 23 J-G Nadeau, La pratique comme lieu..., p. 205.

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8

une théologie appliquée, mais « [qu’] au plan méthodologique, c’est en raison de son approche empirique qu’elle se distingue des autres disciplines théologiques24. » Nadeau en arrive au même constat après avoir présenté « certains traits majeurs d’une phénoménologie des pratiques25 ». Ainsi, la TP cherche à répondre aux standards scientifiques par l’application des critères de recherche d’autres facultés universitaires utilisant les mêmes outils empiriques26.

La méthode que j’utilise pour ma collecte de données peut se qualifier d’hybride. D’une part, elle s’inspire de la phénoménologie et, d’autre part, de la théorisation ancrée. Elle s’intéresse à l’expérience des participants au sujet d’un phénomène, les Églises émergentes. Je reconnais toutefois ne pas entièrement respecter la manière de cueillir des données propre à la recherche phénoménologique qui est de principe « une méthode descriptive27 ». Ma recherche dépasse le cadre descriptif ayant comme objectif de proposer, à partir de mes données, des pistes vers l’inculturation. Selon Pierre Paillé, le but de la théorisation est de dégager le sens d’un événement ou d’une pratique tout en étant solidement ancré dans les données empiriques recueillies28. Mon étude est alors interprétative. Je cherche à explorer et à décrire les efforts des Églises émergentes du Grand Montréal vers l’inculturation de l’Évangile dans le contexte de la postchrétienté québécoise selon les expériences et les réflexions de leurs membres. J’ai consulté ceux-ci par le biais d’un questionnaire en ligne. J’ai ensuite procédé à l’analyse et à l’interprétation de leurs réponses afin d’en retirer les principes clés de ce que je considère leurs avancées vers l’inculturation.

Ma recherche est qualitative et non quantitative. Félix Moser dit de l’analyse qualitative qu’elle cherche « à savoir les motivations, les attitudes et les comportements des personnes interrogées29. » Catherine Voynnet Fourboul renchérit en soulignant son « avantage distinctif

24 J. A. Van der Ven, « L’approche empirique en théologie pratique », Théologiques, Vol. 2, Numéro 1, mars

1994, Faculté de théologie de l’Université de Montréal, p. 109.

25 J-G Nadeau, La pratique comme lieu..., p. 223. 26 J-G Nadeau, La pratique comme lieu..., p. 117.

27 Catherine Meyor, « Le sens et la valeur de l’approche phénoménologique », Recherches qualitatives —

Hors Série, numéro 4, octobre 2007, p. 105.

28 Pierre Paillé, « L’analyse par théorisation ancrée », Cahiers de recherche sociologique, (23) 1994, p.

149-150.

29 Félix Moser, « La théologie pratique et ses méthodes, introduction », Institut protestant de théologie, Études

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9

de traiter des situations complexes beaucoup mieux que la recherche quantitative30 ». Elle permet de nuancer, de saisir la particularité d’un comportement ou d’une pratique humaine afin de mieux la saisir et l’approfondir.

7.2 Herméneutique

La TP a aussi une dimension herméneutique. Nadeau reconnaît l’herméneutique des pratiques comme un moment particulier de la démarche de la TP, autant pour en faire émerger ou pour critiquer « les interprétations ou les sens présents dans la pratique31 ». Van der Ven signale ne voir « aucun conflit entre une approche herméneutique et une approche empirique en théologie pratique32. » À son avis, l’approche herméneutique est première, car « elle établit le cadre à l’intérieur duquel l’approche empirique devra être menée33. » Pour Pierre Lucier, « la théologie est fondamentalement une herméneutique, une interprétation réfléchit de l’existence actuelle, spatio-temporellement située34. » Elle cherche à répondre à la question du sens de la foi dans l’ici et maintenant du monde qui est nôtre. Lucier propose trois domaines particuliers de l’herméneutique en théologie pratique :

 l’herméneutique du temps présent. Afin que la foi puisse être intelligible dans le temps présent, la TP contribue à l’interprétation du sens et de la valeur que le temps présent donne à la vie, mais aussi le langage employé pour le faire dans un contexte culturel particulier. Dans mon mémoire, j’aborde cette dimension de différentes manières, en particulier à travers ma présentation de la postchrétienté.

 l’herméneutique de la tradition chrétienne. Il faut aussi interpréter le plus fidèlement que possible le sens que la mémoire chrétienne nous a transmis au cours des siècles jusqu’à aujourd’hui et dont le Nouveau Testament en est l’appui et Jésus-Christ la source. Je propose que la tradition chrétienne a comme fondement premier la kénose et que, sans dépouillement, l’inculturation est impossible. La kénose est le principe qui pousse l’Église à être au diapason de la culture afin de rendre la foi

30 Catherine Voynnet Fourboul, « Ce que “analyse des données qualitatives” veut dire », Revue internationale

de psychosociologie 2012/44 (Vol. XVIII), p. 71.

31 J-G Nadeau, La pratique comme lieu ..., p. 216. 32 J. A. Van der Ven, L’approche empirique ..., p. 118. 33 J. A. Van der Ven, L’approche empirique ..., p. 118.

34 Pierre Lucier, « Réflexions sur la méthode en théologie », Sciences religieuses, Revue canadienne, vol. 2,

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pertinente. La recherche de pertinence est le moteur de l’ecclésiologie des Églises émergentes au centre de mon étude. La tradition est vivante : elle ne fait pas seulement référence au passé, mais à l’actualisation de l’héritage.

 l’herméneutique chrétienne du temps présent, afin d’exprimer l’essentiel de la foi chrétienne dans un langage intelligible et de façon pertinente pour la société actuelle. Le but de mon étude est de proposer des pistes en vue de soutenir l’inculturation d’autres Églises et de l’Évangile au Québec contemporain et postchrétien.

7.3 Critique et stratégique

Pour Lucier, la TP doit donc proposer aux chrétiens une intelligence renouvelée de leur foi dans le cadre de la société actuelle et ainsi leur donner des moyens pour être en mesure d’en rendre compte auprès de leurs contemporains. Solange Lefebvre affirme que l’un des défis centraux de la TP est celui de la transmission de la foi35. De plus, elle maintient que cette transmission est nécessairement transversale, car elle concerne la communication de la foi au sein de la culture propre de la société où celle-ci est transmise. C’est bien là aujourd’hui le défi principal — et la mission — des Églises auquel cette étude sur l’inculturation des Églises émergentes espère apporter quelques pistes. Pour se faire, ma recherche se doit, en dernier lieu, d’être, à la fois, critique dans mon analyse des données afin d’en faire ressortir les principes pouvant, sur le plan stratégique, permettre aux Églises de mieux évoluer au sein de la culture laïque et postchrétienne du Québec.

8. Plan du mémoire

Mon premier chapitre sera consacré à élucider les réalités et à définir les concepts au centre de ma recherche. J’explorerai d’abord le mouvement des Églises émergentes, ses origines, ses caractéristiques et ce que j’entends par l’émergence de l’Église. Je ferai ensuite, une critique de l’ecclésiologie et de la missiologie du MPEFQ en posant plus spécifiquement un regard sur leurs projets d’implantation de nouvelles Églises locales. Dans un troisième temps, j’exposerai ce que représente la postchrétienté en considérant les courants historiques et sociologiques qui la composent. Je terminerai en examinant ce que signifie l’inculturation et

35 Solange Lefebvre, « Théologie pratique et questions de transmission », Laval théologique et philosophique,

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comment ce concept peut aider les Églises à mieux exprimer le message chrétien au sein de la société actuelle.

Au chapitre deux, je présenterai des éléments de l’histoire de quatre Églises émergentes à Montréal ainsi que les projets de réseautage qui les ont accompagnés et suivi afin de familiariser les lecteurs à la communauté au sein de laquelle j’ai recruté les participants pour cette étude. Je ferai, dans un deuxième temps, un exposé de la littérature francophone qui traite du mouvement des Églises émergentes.

C’est au chapitre trois que je présenterai de manière détaillée le moyen que j’ai pris pour consulter des membres de ces Églises en vue de leur donner une plateforme par laquelle s’exprimer. C’est alors que j’exposerai le questionnaire en ligne que j’ai créé ainsi que les catégories et le sens que je leur accorde. Enfin, je présenterai les résultats de ma recherche contenus dans les réponses sociologiques du questionnaire. Le but est d’avoir une vue sommaire de ce que les répondants nous ont donné comme informations afin d’alimenter notre réflexion.

Au chapitre quatre, je présenterai les réponses aux quatre dernières questions et dont celles aux questions 7 à 9 qui sont au centre de mon étude sur l’inculturation de l’Évangile dans les sphères culturelles, sociales et politiques de la société montréalaise et québécoise. Par le moyen d’une analyse selon des catégorisations axiale et sélective des données, je serai en mesure de reconnaître et de mettre en valeur les principes que nous proposent les membres des Églises émergentes à partir de leurs propres réflexions et expériences.

C’est dans le cinquième et dernier chapitre que je reprendrai ces catégories en tant qu’avancées vers l’inculturation, une à la fois, afin de les interpréter en lien avec les objectifs de ma recherche et les définitions conceptuelles de mon premier chapitre.

Je terminerai l’ensemble de ce document avec une brève conclusion. Ce sera l’occasion de faire la synthèse des pistes ecclésiales et missiologiques proposées aux Églises cherchant à émerger et s’inculturer dans la société québécoise actuelle.

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12

Conclusion

Dans mon introduction, j’ai exposé la problématique qui donna naissance à cette étude. J’ai aussi partagé mon propre parcours et les motivations personnelles qui orientent ma réflexion. J’ai alors présenté l’objet de ma recherche, mon hypothèse et ma question de recherche. Puis, j’ai fait connaître mes objectifs, ma méthodologie et, enfin, mon plan de travail, le tout en vue de situer ma recherche le plus clairement possible. J’aborde celle-ci dès à présent.

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Chapitre 1 Définitions des mouvements ecclésiaux et des

concepts théoriques

Afin de comprendre la question à laquelle cette étude cherche à répondre, je dois premièrement présenter ce qui est entendu par Église émergente et ce que sont ses caractéristiques particulières. J’évoquerai le questionnement et les tensions qu’elle suscite auprès d’autres Églises. Je ferai enfin une distinction entre ce mouvement particulier et ce que j’entends par l’émergence des Églises. Deuxièmement, je ne peux traiter de la question de l’émergence de nouvelles Églises au Québec sans apporter quelques réflexions au sujet des projets d’implantation d’Églises déjà au cœur de la vision missionnaire du MPEFQ. Dans un troisième temps, je présenterai ce qu’est la postchrétienté et ce qu’elle représente comme réalité nouvelle pour les Églises. Pour terminer, j’éluciderai ce qu’est l’inculturation dans la mission des Églises et ce qu’elle nous propose comme moyens pour être présent au monde postchrétien dans l’esprit de l’Évangile dont la kénose du Christ est la source.

1. Le mouvement des Églises émergentes

Gabriel Monet a été le premier à nous livrer un ouvrage théologique substantiel et exhaustif sur le sujet de l’Église émergente en français. Il nous présente succinctement ce mouvement. « L’appellation d’Églises émergentes […] identifie actuellement le mouvement spécifique de création de nouvelles Églises qui cherchent à expérimenter le vécu de la foi communautaire de manière innovante en prenant en compte le contexte de postchrétienté qui ébranle à bien des égards les approches ecclésiales plus classiques1. » Quel est ce mouvement ? Quelles sont ses origines et ses caractéristiques particulières ?

1.1 Émergence et conversation

La notion d’émergence traduit le fait que les Églises, au cours de leur histoire, ont toujours eu à s’adapter et à se redéfinir d’une génération à l’autre selon l’époque et mouvements culturels, sociaux et politiques des pays où elles se trouvent. Comme l’a écrit Monet, « Depuis plus de deux mille ans, l’Église ne cesse d’émerger, d’évoluer, de se transformer2. »

1 G. Monet, L’Église émergente ..., p. 9. 2 G. Monet, L’Église émergente ..., p. 9.

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Pourtant, ces évolutions et ces transformations se sont rarement réalisées sans résistance. Pensons seulement aux conflits théologiques, ecclésiaux et politiques au cours de la réforme protestante3 et qui ont conduit à la scission officielle avec l’Église catholique romaine. De plus, ces changements ont souvent été provoqués par des pressions extérieures aux Églises et auxquelles elles n’ont eu le choix que de répondre.

Le mouvement émergent a aussi été appelé et reconnu par plusieurs comme une « conversation4 » et dans une conversation, il y a place à la réflexion et au débat, surtout quand il s’agit, comme c’est le cas ici, de réinterprétations et de repositionnement. Le mouvement émergent cherche, d’une part, à réinterpréter ce que signifie être une Église et, d’autre part, la relation que celle-ci entretient avec le monde. Cette conversation est ouverte à tous et à toutes et elle considère toute question comme étant légitime, quelle qu’elle soit. Monet mentionne les millions de pages internet qui traitent de l’Église émergente. Pour ma part, en une seule recherche dans Google, « emerging Christianity », j’ai trouvé 21 700 000 sites, dont des séminaires théologiques, des maisons de publication et des revues, des sites académiques et populaires de théologie et plus encore5. Le sujet suscite de nombreuses et d’importantes réflexions tout autant populaires qu’académiques. Nous pourrions donc croire que la conversation est bien amorcée. Nous en avons un exemple avec l’United Church of Christ, une dénomination américaine qui, en vue de « promouvoir la conversation autour du passé, du présent et de l’avenir de la formation de foi » au sein de leurs Églises propose des « dialogues » sur leur site avec des auteurs renommés dont une entrevue avec Doug Pagitt qui est à la fois le fondateur d’une Église émergente, Solomon’s Porch, à Minneapolis et l’un des fondateurs du réseau social populaire, Emergent Village6 (à présent défunt).

1.2 Nom, caractéristiques, contexte et théologie

Il est impossible de dire l’origine exacte du nom « Église émergente » que s’est vu attribué ce vaste mouvement au tournant du XXIe siècle. Il serait plus exact de parler d’Églises

3 Au moment de l’écriture de ce chapitre, nous célébrons le 500e anniversaire de la Réforme.

4 Marti, Gerardo et Gladys Ganiel, The Deconstructed Church: Understanding Emergent Christianity, New

York, Oxford University Press, 2014, p. 95-107.

5 Recherche Google, « Emerging Christianity », le 26 septembre 2017.

6 http://www.ucc.org/education_dialogue-2 (consulté le 7 mai 2019). Pour le site internet, Emergent Village,

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émergentes au pluriel puisqu’il s’agit de projets et d’expressions d’Églises disparates tant elles peuvent être différentes les unes des autres. L’une d’elles se réunit un soir de semaine dans un bistro, une autre réunit surtout des artistes et une troisième des adeptes du skateboard, une dernière encore s’inspire du courant des nouvelles communautés monastiques urbaines et j’en passe. Certaines Églises essaient d’approfondir de nouvelles approches à la prière ou pratiquer la lectio divina pour satisfaire leur soif spirituelle tandis que d’autres cherchent à vivre comme engagement social une présence communautaire auprès des pauvres et des personnes marginalisées. Voici ce qu’en dit Gabriel Monet :

Au niveau sociologique, parler d’Églises émergentes au pluriel permet de décrire la diversité des expériences ecclésiales innovantes en respectant leurs différences. Parce que les Églises émergentes se créent et se développent sous des formes différentes, dans des contextes géographiques et culturels différents, dans le cadre et hors du cadre de différentes dénominations et sensibilités chrétiennes, le pluriel permet précisément de mettre en avant la pluralité des Églises émergentes7.

Le mouvement de l’Église émergente n’est pas en lui-même une organisation confessionnelle ou une dénomination instituée, mais représente avant tout un large réseau d’acteurs et de penseurs sans affiliation formelle — pasteurs, théologiens, sociologues, philosophes et laïques — issus d’Églises protestantes et évangéliques de plusieurs pays, surtout anglophones, mais aussi en d’autres langues et cultures8, qui cherchent à repenser l’Église face aux exigences de la société occidentale postchrétienne actuelle. Les sociologues, Gerardo Marti et Gladys Ganiel, reconnaissent au mouvement de l’Église émergente plusieurs caractéristiques, dont les suivantes :

 le mouvement de l’Église émergente est de nature expérientielle9;

 ces Églises partagent une orientation religieuse qui cherche à redéfinir et à restructurer les cadres de l’Église en Occident10;

7 G. Monet, L’Église émergente ..., p. 34.

8 Ryan Bolger fait connaître des initiatives d’Églises émergentes en Amérique Latine, en Scandinavie, au

Pays-Bas et en Belgique, dans l’Europe francophone et dans les pays d’Europe où l’on parle l’Allemand. Ryan K. Bolger, The Gospel After Christendom: New Voices, New Cultures, New Expressions, Grand Rapids, MI, USA, Baker Academic, Baker Publishing Group, 2012.

9 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. 2. 10 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. 8.

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 le mouvement tend à être pluraliste quant aux convictions de ses membres et à encourager la liberté de pensée et donc la diversité au sein de leurs communautés11;

 les membres sont encouragés à assumer leur propre foi en tant qu’individus et peuvent ainsi participer et contribuer à la vie et la conversation collectives de leurs Églises12;

 par leurs pratiques hybrides et leur hétérogénéité, les congrégations émergentes peuvent prendre diverses formes et constamment se réinventer tout en demeurant enracinées dans les traditions chrétiennes13;

 les chrétiens émergents cherchent à vivre leur foi dans le « vrai monde14 » au-delà de la sphère religieuse. L’orthodoxie (ce qu’il faut croire) est donc remplacée par l’orthopraxie (comment vivre et exprimer ce que l’on croit)15.

Pour sa part, Monet considère les Églises émergentes comme étant centrées sur Christ et adaptées à la culture. De plus, il les reconnaît comme étant « missionnelles », « orthopraxiques », connectées, holistiques et adeptes d’une théologie narrative. Dans sa recherche qui a comme objectif « [d’] approfondir quelques éléments-clés d’une ecclésiologie de postchrétienté », il propose « trois axes de réflexion ecclésiologique », ceux d’une Église à la fois « missionnelle », « incarnationnelle » et expérientielle16. Mais que veut-il dire par une ecclésiologie de postchrétienté ? Plusieurs auteurs reconnaissent les Églises émergentes comme une réponse à la postmodernité. Ce n’est pas le cas pour Monet ni pour cette présente recherche.

Monet reconnaît à la postmodernité (le trait d’union évoque pour lui le fait que le mot, sans tiret, porte à confusion du fait de son ambiguïté, de son incapacité d’exprimer « une notion suffisamment unifiée ») trois axes ou visions contradictoires par lesquelles comprendre l’après (post) de la modernité en crise17. Une première orientation, réactionnaire ou régressive, y voit un retour en arrière en vue de maintenir la tradition d’autrefois, la modernité étant à leurs yeux une malheureuse parenthèse. La deuxième orientation est celle de la déconstruction. Elle cherche à balayer le passé croyant que ses sources et structures n’ont été

11 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. 38. 12 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. 63. 13 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. 118. 14 Guillemets de Marti et Ganiel.

15 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. 144. 16 G. Monet, L’Église émergente …, p. 191-192.

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que des constructions sans véritable substance. « Elle ébranle tout et ne fonde rien18 ». La dernière orientation est celle du dépassement, que Monet appelle reconstructive. Elle cherche à préserver ce qui est juste, vrai et positif dans la modernité tout en voulant corriger ses erreurs et compenser ses faiblesses. Pour Monet, le terme postchrétienté est plus spécifique et assure un meilleur lien avec l’Église émergente19. Il cherche à préciser davantage ce qu’est une ecclésiologie de postchrétienté.

Nous parlons d’une ecclésiologie de postchrétienté plutôt qu’une ecclésiologie postchrétienne. En effet, en contexte occidental, il est indéniable que beaucoup de nos sociétés sont devenues postchrétiennes. Par contre, l’Église en tant que telle ne peut être postchrétienne, sauf à y perdre sa vocation originelle. L’Église du Christ ne peut être que chrétienne, et c’est justement quand elle devient chrétienté qu’elle dérive. C’est du reste pour cela que la postchrétienté peut être vue positivement, comme ouvrant la porte pour l’Église à un dépassement de la chrétienté afin d’émerger, de réémerger ou de se recentrer en tant que communauté du Christ. Les implications de cette émergence sont au cœur de cette contribution à une ecclésiologie de postchrétienté.20

Hervé Carrier abonde dans le même sens : « Certains en concluent que le déclin du christianisme est désormais consommé : nous entrons maintenant, disent-ils, dans une ère post-chrétienne, nous assistons à la fin des institutions d’un passé chrétien. » En opposition à une telle affirmation, il maintient que « théologiquement, nous savons que nulle période de l’histoire humaine n’est soustraite à la grâce du salut en Jésus-Christ21. » Il reconnaît toutefois qu’un écart s’est creusé entre la pensée chrétienne et la mentalité moderne et que l’on doit en tenir compte et la mesurer22.

Je termine cette présentation des caractéristiques propres aux Églises émergentes avec une réflexion sur le néologisme, « missionnel ». Vous aurez remarqué que Monet l’a nommée à deux reprises en tête de liste. Non seulement le contexte de la mission a-t-il changé avec l’arrivée de la postchrétienté, mais aussi la façon pour les Églises émergentes de comprendre la mission.

18 G. Monet, L’Église émergente …, p. 176. 19 G. Monet, L’Église émergente …, p. 179. 20 G. Monet, L’Église émergente …, p. 192. 21 H. Carrier, Guide ..., p. 13-14.

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Le missionnaire, théologien et auteur anglais, Leslie Newbigin, dont les écrits ont profondément marqué le mouvement des Églises émergentes, soutient que « Jésus a créé une communauté humaine à laquelle il a confié la tâche d’interpréter sa mission et son message dans des circonstances toujours nouvelles23 ». Pour Gabriel Monet, Newbigin, par sa défense d’une approche ecclésiale de la mission, est un précurseur de l’Église missionnelle24. C’est l’Église dans son ensemble qui est missionnaire, car c’est ce pour quoi elle est appelée et destinée. Notons que les Églises émergentes sont aussi appelées missionnelles. En Australie, certains les appels des Églises émergentes missionnelles25.

Le pasteur français, Laurent Schlumberger, qui fut le premier président de la nouvelle Église protestante unie de France, résume pleinement et précisément le sens de ce mot sans le nommer :

[…] la conviction théologique fondamentale, c’est que l’Église existe pour ce qu’elle n’est pas et pour ceux qui n’y sont pas. […] L’Église existe pour ce qu’elle n’est pas : elle n’existe pas en vue d’elle-même, mais pour annoncer et manifester déjà le règne de Dieu qui vient. Le règne de Dieu est la fin de l’Église, dans les deux sens du mot : sa finalité et son terminus. Devant le règne de Dieu, l’Église s’efface. Et l’Église existe pour celles et ceux qui n’y sont pas. Elle n’a pas pour but de rassembler et de mettre à part le peuple des élus. Elle est envoyée pour témoigner de l’Évangile auprès de tous26.

L’Église missionnelle dépasse les cadres institutionnels de la chrétienté qui sont liées aux cultures propres de l’Occident et au sein desquelles la tâche missionnaire a fréquemment été un appendice consacré à la faire croître. L’Église missionnelle n’est pas une Église qui cherche avant tout à reproduire une forme ecclésiale particulière. Elle a délaissé la formule des Églises « seeker sensitive » qui se veulent « attractive » afin que les gens y adhèrent plus facilement. L’objectif n’est plus la croissance numérique de l’Église en tant que communauté

23 Leslie Newbigin, Truth to Tell, The Gospel as Public Truth, Grand Rapids, USA, Wm. B. Eerdmans

Publishing Co., 1991, p. 6. « Jesus […] created a human community to which he entrusted the task of interpreting his mission and his mission in ever new circumstances. » TDA.

24 G. Monet, L’Église émergente ..., p. 217-218.

25 Cronshaw, Darren, « Emerging missional churches in Australia », dans Ryan K. Bolger, (dir.), The Gospel

…, p. 39.

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mise à part des élus. Pour Monet, en continuité avec la pensée de Schlumberger, l’Église existe « non pour elle-même, mais pour le bien de tous27. »

L’Église missionnelle s’inscrit dans une vision large de la rédemption qui se veut en continuité du projet initial du Dieu créateur par lequel il remit la Terre sous la gouvernance des êtres humains et qui considère la venue du Royaume de Dieu à la grandeur de la réconciliation de toutes choses dans les cieux et sur la terre, y compris les êtres humains qui sont aussi de l’ordre créé. Si Dieu cherche à sauver l’humanité, il le fait dans le contexte de l’humanité, la Création et les sociétés humaines qui habitent la terre et qui la gouvernent. Elle est donc cohérente avec la missio Dei qui « depuis le milieu du XXe siècle [est] le vecteur d’un “changement subtil, mais décisif de la compréhension de la mission28. » L’Église n’est plus au centre de la mission comme médiatrice du salut des hommes, cette mission étant à présent reconnue comme celle du Dieu trinitaire qui en est l’initiateur, le porteur et la présence. C’est lui qui envoie l’Église dans le monde comme témoin et interprète de son message et sa mission.

N. T. Wright explique que « le but » n’est pas « le ciel », mais une vocation humaine renouvelée à l’intérieur de la création renouvelée de Dieu. C’est, selon lui, « ce vers quoi a pointé chaque livre biblique depuis la Genèse29. » Afin d’expliciter davantage sa pensée, Wright poursuit son idée en ces mots :

Ce que la Bible offre n’est pas un « contrat de travail », mais une alliance de vocation. La vocation en question est celle d’être un être humain authentique, avec des tâches véritablement humaines à accomplir dans le cadre du but du Créateur pour son monde. La tâche principale de cette vocation est « la représentation de l’image », reflétant la sage intendance du Créateur dans le monde et reflétant les louanges de toute la création à son Créateur. Ceux qui le font sont le « sacerdoce royal », le « royaume des prêtres », les personnes qui sont appelés à se tenir au point dangereux, mais exaltant où le ciel et la terre se rencontrent30.

27 G. Monet, L’Église émergente ..., p. 199. 28 G. Monet, L’Église émergente …, p. 222.

29 N. T. Wright, The Day The Revolution Began: Reconsidering The Meaning of Jesus’s Crucifixion, London,

HarperCollins eBooks, 2116, p. 74. « The ‘goal ’is not ‘heaven,’ but a renewed human vocation within God’s renewed creation. This is what every biblical book from Genesis on is pointing toward. » TDA.

30 N. T. Wright, The Day …, p. 76. « What the Bible offers is not a ‘works contract,’ but a covenant of

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20

En d’autres mots, il n’y a pas de spiritualité plus profonde que celle qui nous permet de vivre pleinement notre humanité, car c’est dans notre humanité que nous portons tous l’image de Dieu. De plus, cette spiritualité se vit dans le contexte de l’humanité, la Création. À cet effet, le royaume de Dieu est plus large que l’Église qui en est témoin dans le monde.

J’ai fait ici qu’un bref survol du nom, des caractéristiques et du contexte des Églises émergentes afin d’en arriver à l’idée d’une ecclésiologie de la postchrétienté dont ces Églises sont le fruit. Un tel mouvement de changement ne peut se produire sans éveiller quelques préoccupations.

1.3 Tensions théologiques avec les Églises dénominationnelles et conservatrices

Du fait que des chrétiens émergents remettent en question leurs propres traditions, des tensions existent sur les plans théologiques et ecclésiaux entre ceux-ci et les Églises dénominationnelles classiques généralement plus conservatrices. Monet relève comme domaines de discordes les suivantes :

 une tension entre le désir des Églises émergentes d’être pertinente et en phase avec la culture et celui des Églises classiques d’être fidèle à Christ ou à la Bible ;

 une tension entre le penchant des Églises classiques vers l’orthodoxie des croyances justes et celui des Églises émergentes qui tend vers l’orthopraxie des pratiques justes ;

 une tension en ce qui regarde l’unité des Églises en tant que corps du Christ et les limites de la diversité. Les Églises classiques recherchent une certaine homogénéité tandis que les Églises émergentes acceptent plus volontiers la diversité ;

perform as part of the Creator’s purpose for his world. The main task of this vocation is ‘image-bearing,’ reflecting the Creator’s wise stewardship into the world and reflecting the praises of all creation back to its maker. Those who do so are the ‘royal priesthood,’ the ‘kingdom of priests,’ the people who are called to stand at the dangerous but exhilarating point where heaven and earth meet. » TDA.

(35)

21

 une tension entre la précarité des Églises émergentes en opposition au désir des Églises dénominationnelles de fonder des communautés qui aspirent à la permanence31.

Marti et Ganiel constatent ce qui suit : « L’ECM (Emerging Church Movement – mouvement de l’Église émergente) est un mouvement religieux créatif et entrepreneurial qui s’efforce de parvenir à la légitimité sociale et à la vitalité spirituelle en se dissociant activement de ses racines dans le christianisme évangélique conservateur32. » Les auteurs vont encore plus loin avec l’affirmation suivante : « La résonance de l’ECM avec les tendances et les valeurs plus larges de notre époque nous amène à conclure que les principes sous-jacents au christianisme émergent persisteront, voire prospéreront33. » Les milieux traditionnels peuvent se sentir

bousculés. Ils peuvent intégrer dans leurs cultes certaines pratiques émergentes telles des stations de prière34 ou, en forte réaction, chercher à se défendre ou remettre en question les réflexions et la légitimité même du mouvement.

En effet, plusieurs auteurs ont publié des mises en garde et des critiques du mouvement émergent dont William C. Henard et Adam W. Greenway dans Evangelicals Engaging

Emergent, a Discussion of the Emergent Church Movement35. À titre d’exemple des débats en cours, ce livre contient un chapitre écrit par les théologiens bien connus et respectés du mouvement évangélique américain, Norman L. Geisler et Thomas Howe, qui traite du danger, à leurs yeux, de la vision postmoderne qu’entretiennent certains auteurs émergents quant aux Écritures bibliques. Il s’agit d’un sujet qui n’est pas passé inaperçu au Québec et qu’aborde le mémoire de Gérard Basque, Possibilités d’une théologie évangélique

31 Pour une présentation plus complète, voir Gabriel Monet, « Les enjeux théologiques de l’Église

émergente » https://www.temoins.com/les-enjeux-theologiques-de-leglise-emergente-gabriel-monet-2/ (consulté le 7 mai 2019, mise à jour le 11 décembre 2011).

32 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. ix. « The ECM (Emerging Church Movement) is a

creative, entrepreneurial religious movement that strives to achieve social legitimacy and spiritual vitality by actively disassociating from its roots in conservative evangelical Christianity. » TDA.

33 G. Marti et G. Ganiel, Deconstructed Church ..., p. ix. « The ECM’s resonance with the wider trends and

values of our age lead us to conclude that the principles underlying Emerging Christianity will persist, perhaps even thrive. » TDA.

34 David Brazzeal, Pray Like A Gourmet, Creative Ways to Feed Your Soul, Brewster, MA, USA, Paraclete

Press, 2015.

35 Henard, William C. et Adam W. Greenway, dir., Evangelicals Engaging Emergent, A Discussion of the

Figure

Figure 1 Logo de l’Église émergente Curieux
Figure 2 Logo de l’Église Emerge
Figure 3 Logo de l’Église l’Echad
Tableau 1 — Catégories 1 et 2
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