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CHAPITRE 1 DÉFINITIONS DES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX ET DES

4. L’inculturation

4.2 L’origine, le sens et l’étendue de l’inculturation

Ce n’est que tardivement que ce néologisme a été reçu dans l’Église catholique post- conciliaire et a été inscrit dans un document officiel. Toutefois, selon Carrier, toute la problématique à laquelle elle s’adresse se retrouve dans Evangelii nuntiandi, publié en 1975123. C’est en 1977 que le mot est utilisé par Jean-Paul II dans une adresse au Synode des Évêques. Toutefois, le mot est employé dans la réflexion missiologique catholique depuis au moins 1930124. Il est devenu depuis la fin du XXe siècle le terme principal employé au sein de l’Église catholique, ayant dès lors surpassé l’idée de l’acculturation. Il est largement reconnu que c’est le Père général des Jésuites, Pedro Arrupe, qui a donné son envol au concept de l’inculturation dans une lettre de 1978125.

120 G. Monet, L’Église émergente ..., p. 294-300. 121 A. Peelman, Les nouveaux défis ..., p. 19.

122 ARRUPE, Pedro, « Lettre aux Jésuites » (14 mai 1978), dans Écrits pour évangéliser, prés. J.-Y. Calvez,

Paris, DDB et Bellarmin, 1985, p. 169-170 (p. 169-177).Cité par Jean-Claude Guillebaud, La refondation du monde, Paris, Les Éditions du Seuil, 1999, p. 415.

123 H. Carrier, Guide ..., p. 139. 124 H. Carrier, Guide ..., p. 32. 125 Y. Labbé, Le concept ..., p. 206.

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Selon Arrupe, l’inculturation se réalise simultanément en deux mouvements. Premièrement, elle signifie l’incarnation de l’Évangile au sein d’une culture particulière par des chrétiens qui découvrent, apprennent et intègrent la langue et les coutumes, les symboles et les références de celle-ci au point de pouvoir y exprimer la foi dans son langage et selon ses traditions propres. Dans un deuxième temps, l’inculturation se réalise par le fait que le message chrétien est reçu par des membres de cette même culture qui s’en inspirent comme source et principe de transformation dans des domaines spécifiques de leur culture et société.

Peelman précise que la racine « culture » fait valoir que chaque personne impliquée dans « la proclamation, la réception et la transmission126 » de l’Évangile depuis l’origine de l’Église est déjà participante à une culture, enracinée dans un contexte socioculturel particulier à l’intérieur duquel la bonne nouvelle a donné un nouveau sens. Labbé renchérit en soulignant que « la foi n’a jamais été ni vécue ni pensée en dehors d’une culture » et que « l’inculturation de l’Évangile s’opère en correspondance avec un christianisme déjà inculturé127. ». L’inculturation nous fait prendre conscience que nous appartenons tous à une culture plus large que celle de l’Église dont nous sommes membres et que c’est depuis l’intérieur de cette culture générale de la société que nous vivons et partageons l’Évangile.

Paul est reconnu par tous comme modèle de l’inculturation quand il s’adressa aux Athéniens dans l’Aréopage pour annoncer la révélation de leur « dieu inconnu » en citant leurs propres poètes128. (Ac 17,22-31) Il était familier depuis son enfance avec la langue et la culture grecque au moyen desquelles il commença un dialogue avec eux à propos de la résurrection de Jésus. Paul, né à Tarse dans la province de la Cilicie, était citoyen romain et connaissait de près la culture grecque. C’était pour lui un avantage. Les missionnaires envoyés dans d’autres pays doivent consacrer des années pour intégrer une culture afin de la faire la leur et de la mettre en valeur. Jésus lui-même est né en Palestine et grandit à Nazareth. Il n’a commencé son ministère qu’à l’âge de trente ans. L’inculturation, s’inspirant de l’Incarnation du Christ, est et sera toujours un projet de vie. Toutefois, le message de la Bonne Nouvelle

126 Achiel Peelman, Les nouveaux défis …,, p, 9. 127 Y. Labbé, Le concept ..., p. 210.

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doit aussi être reçu par le peuple en question afin que l’inculturation se réalise à l’intérieur de leur propre culture et société.

Hervé Carrier considère que l’évangélisation ne concerne pas seulement les individus qui composent un peuple. Il propose que l’évangélisation soit aussi celle des cultures. Il maintient que « la conversion des cultures est inséparable de la conversion des personnes129. » Voici comment il s’explique :

Par une sorte de maturation théologique et pastorale, les chrétiens sont désormais conscients que l’évangélisation des cultures est directement liée à l’avenir de l’Église dans le monde. En effet, si le message du Christ s’arrêtait à la périphérie des cultures et des mentalités actuelles, l’Église prêcherait dans le désert, l’évangélisation aurait épuisé sa capacité régénératrice dans la société moderne130.

Par l’évangélisation des cultures, Carrier parle des mentalités et des comportements collectifs qui contribuent à la création d’une nouvelle culture, car « la culture est la frontière décisive de la pénétration évangélique131. » Il insiste sur le fait que l’homme est un être culturel132. Grand’Maison dira que « nous sommes des êtres au monde133 ». Carrier fait aussi valoir que « l’Incarnation du Verbe a aussi été une incarnation culturelle134. » Comment devons-nous alors entreprendre l’évangélisation des cultures ?

Carrier propose que « toute forme d’action sur l’opinion publique, par la parole, le témoignage, l’écrit, le conseil, l’enseignement, les médias, sont à mettre à contribution pour susciter une mobilisation de tous les croyants en faveur de l’évangélisation culturelle135 », car nous sommes tous responsables de la conversion de la conscience collective qui est « la

129 H. Carrier, Guide pour l’inculturation ..., p. 13. 130 H. Carrier, Guide pour l’inculturation ..., p. 15. 131 H. Carrier, Guide pour l’inculturation ..., p, 16.

132 H. Carrier, Guide pour l’inculturation ..., p. 51. Carrier poursuit sa réflexion ainsi : « La culture, réalité

typiquement humaine, est donc objet d'amour, de miséricorde et de rédemption de la part de Jésus-Christ, mort et ressuscité pour tous ceux et celles qui construisent les civilisations de l'histoire. Les cultures, c'est-à- dire tous les milieux socio-culturels, sont dès lors en attente d'être interpellées par Jésus-Christ pour accueillir la grâce de la Résurrection, seule capable de purifier et de sanctifier la réalité éminem- ment humaine qu'est la culture, par laquelle nous devenons des êtres raisonnables et libres, appelés à un destin plus grand que nos horizons terrestres. »

133 J. Grand’maison, Société laïque …, p, 9. 134 H. Carrier, Guide pour l’inculturation ..., p. 20. 135 H. Carrier, Guide pour l’inculturation ..., p. 20.

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nouvelle frontière de l’évangélisation […] inséparable de la foi au Christ dans le monde moderne136. » Une telle approche contribue à ce qu’il appelle aussi une pré-évangélisation. Il s’agit de transmettre une...

... manière chrétienne de penser [qui] se diffuse alors dans tous les secteurs de la société : famille, école, professions, entreprises, médias, loisirs, universités, vie politique. L’évangélisation de la culture apparaît ainsi comme la forme la plus radicale et globale de l’évangélisation d’une société, car elle vise à faire pénétrer le message du Christ dans la conscience des personnes, pour atteindre, à travers elles, les mentalités, les institutions et toutes les structures137.

Jésus a dit qu’il ferait de ses disciples des pêcheurs d’hommes. Je propose que la différence entre l’évangélisation des personnes et celle des cultures soit semblable à la différence entre la pêche à la ligne et la pêche avec un filet. Le filet représente la culture générale d’un peuple, la façon dont ce peuple comprend son identité propre et la façon dont il perçoit le monde autour de lui. La culture est formatrice de la ou des visions du monde qu’entretient un peuple. Aucun peuple n’est parfaitement homogène et encore moins une société pluraliste, bien qu’il y ait un courant qui domine, une sorte de fil conducteur qui oriente ce peuple dans ses choix culturels, sociaux et politiques. Alors qui sont ces pêcheurs d’hommes appelés à tendre les filets de l’évangélisation culturelle ? Carrier répond à la question :

Une responsabilité spécifique incombe aux hommes et aux femmes de culture, aux artistes, aux écrivains, aux chercheurs, aux représentants des communications sociales, car l’avenir de la culture repose en grande partie entre leurs mains. Beaucoup de créativité et de discernement est demandé aux chrétiens pour que les valeurs de l’Évangile deviennent un ferment culturel dans le monde de la science, de l’art, de l’information, des médias, de l’éducation. L’inculturation découvre en ces milieux toujours en progrès un horizon quasi illimité138.

Ces activités multiples et à tous niveaux de la société contribuent à la « christianisation » d’une culture qui n’est rien d’autre que de contribuer au bien commun : « […] l’amener à son plein épanouissement pour le développement intégral des personnes et des peuples, dans le plein respect de leurs droits et donc aussi dans le plein accomplissement de leurs devoirs.

136 H. Carrier, Guide pour l’inculturation …, p. 21. 137 H. Carrier, Guide pour l’inculturation …, p. 24-25. 138 H. Carrier, Guide pour l’inculturation …, p. 26.

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C’est au niveau de la conscience morale et de la solidarité humaine, que se joue finalement la vraie promotion des personnes et des sociétés139. » L’évangélisation des personnes s’inscrit dans l’évangélisation de la culture entière dans une perspective cohérente entre l’Évangile et le développement de la société comme signe et lieu du royaume de Dieu.